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Masri Feki Quand La Démocratie Devient Contagieuse


Ventura

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Un excellent article plein d'espoir dans la droite lignée de ce que souhaitais écrire ces prochains jours, alors chapeau, Masri Feki :icon_up:

(article trouvé sur le site des http://www.mmlf.org )

Quand la démocratie devient contagieuse

vendredi 11 mars 2005, par Masri Feki

Une des valeurs essentielles de la démocratie contemporaine est le droit d’expression, la possibilité de toute humain de choisir autrement, de penser différemment, de s’exprimer publiquement et de défendre librement une position qui lui est propre.

Et au-delà des civilisations différentes, des cultures et des religions, il existe des valeurs communes à tous les hommes de la terre, des valeurs universelles. La démocratie n’est pas le produit d’une civilisation quelconque mais le fruit d’un long processus universel de maîtrise des pulsions ;

Ce sont paradoxalement les expériences les plus sombres d’oppression et d’autoritarisme dans le monde qui ont fait le lit de la liberté et du pluralisme.

Encore faudrait-il se rappeler des fascismes européens des années 30, du discours de Mac Arthur à Tokyo, des conférences internationales du socialisme fascisant de l’Est et des drapeaux rouges qui flottaient encore à quelques kilomètres d’Istanbul et de Vienne il y a quinze ans.

Pourrait-on dire que la démocratie est conquérante aujourd’hui ? Oui et non. Elle est conquérante uniquement lorsque les grandes puissances le veulent bien, ou du moins lorsqu’ils s’abstiennent.

Mais rien n’est sûr dans notre monde à deux poids et deux mesures.

Ceux qui ont contesté les élections ukrainiennes jusqu’à obtenir l’annulation pure et simple des présidentielles frauduleuses sont pratiquement les mêmes à avoir félicité le raïs tunisien Ben Ali de son score astronomique. Pourtant, tout le monde savait d’avance que les élections seraient truquées, que la propagande des médias faussait le jeu démocratique, qu’il n’y a même pas eu de course à la présidence car l’ombre de Ben Ali était son unique opposant.

Ceux qui appellent au boycott du régime du Togo pour protester contre l’avènement du fils du défunt président Eyadema à la tête de l’Etat sont les mêmes à avoir félicité Assad junior de Damas lors de son arrivée au pouvoir. Ils n’ont jamais émis la moindre protestation contre l’éventuelle succession de Gamal Moubarak à son père âgé de 76 ans.

Pourquoi les Occidentaux considèrent-ils les Arabes comme des sous-hommes incapables de bénéficier des lois de la nature ?

Même les singes sont libres en Afrique.

Une des grandes illusions de notre temps est l’idée selon laquelle seule une réforme qui émane de l’intérieur a des chances de survie. Illusion, car l’intérieur est parfois, sinon souvent, exilé comme 1/5 du peuple irakien avant le 9 avril glorieux.

Napoléon disait « qu’il était moins difficile de lutter contre une coalition que de lutter dans une coalition ». C’est d’autant plus vrai à l’heure où la technologie moderne permet plus que jamais aux dictateurs contemporains de régner par la terreur méthodologique, de fausser les règles du jeu par la propagande médiatique et de perdurer grâce au soutien de leurs partenaires occidentaux.

Je pense qu’il y a du racisme, à tout le moins du mépris, à estimer que des dizaines de millions d’êtres humains, au seul prétexte qu’ils sont de culture arabe, ou dans la peur de virer dans l’ethnocentrisme, seraient totalement inaptes à la démocratie. Même si cette opinion n’est motivée que par la peur de virer dans l’ethnocentrisme, elle relève d’un racisme à rebours, et à à l’heure du « village planétaire » si vanté en Occident, c’est une vision des choses aussi absurde qu’étroite.

Le siècle qui vient de naître sera vraisemblablement celui de la démocratie.

Depuis le 11 septembre, le monde civilisé a débarrassé la communauté internationale du régime sanguinaire et moyenâgeux des Talibans, de la dictature particulièrement brutale et criminelle de Bagdad et du cirque de la terreur orchestré par le défunt patron de la Moukat’a.

Au moment décisif, les perdants de la conjoncture qui s’annonce contestent les transformations nouvelles au nom de la-fierté-des-peuples et de la-dignité-du-citoyen-arabe. En arabe on dira « ozr akbah men zanbo », ce qui signifie : une excuse pire que son tort .

En tant qu’Egyptien, j’ai honte lorsque j’avoue être incapable de m’exprimer dans mon pays, j’ai honte lorsque Amnesty international reconnaît que 55 000 de mes compatriotes seraient à l’heure actuelle derrière les barreaux pour des raisons politiques ou d’opinion.

En tant qu’Egyptien, j’ai honte lorsque j’apprends à la télévision française que mon président compte briguer un cinquième mandat alors que son principal rival vient d’être arrêté, comme par hasard, quelques semaines avant les élections.

« N’avez-vous pas honte de critiquer votre président ? » : c’est ainsi qu’un professeur français d’origine maghrébine m’a agressé, il y a quelques mois, pour avoir dénoncé la complicité de Hosni Moubarak avec le régime de Khartoum au Darfour.

A mon sens, un professeur d’université qui vit dans un pays démocratique depuis des décennies devrait avoir une conception différente de la pudeur.

Le Moyen-Orient sera démocratique ou ne sera pas.

Il existe une forte interdépendance politique entre les pays de cette communauté régionale pourtant très hétérogène. Le défunt régime irakien était le plus autoritaire et le plus sanguinaire de l’histoire contemporaine de sa région. Paradoxalement c’est de Bagdad que part le train de la démocratie au Moyen-Orient, pour un long voyage visiblement sans terminus.

Les ennemis de la liberté et leurs sympathisants l’ont bien compris. La France a choisi son camp très tôt, le Quai d’Orsay parle de « résistance irakienne » dans ses communiqués, cette pseudo-résistance étrangère qui a mobilisé sur le territoire irakien des nihilistes venus des quatre coins de la terre pour freiner le train de la liberté.

Quand on sait à quoi le mot « résistance » renvoie en France, on est censé oublier que cette belle « résistance irakienne » fait sauter des écoles et des mosquées. Mais, malgré la menace du terrorisme, huit millions d’Irakiens ont fait la révolution violette. Ils ont passé avec brio la première épreuve démocratique dans le Monde arabe, ce monde dont la structure est si fragile et si vulnérable que la chute d’un pilier entraîne l’écroulement du suivant.

Et le phénomène semble contagieux…

En Egypte, le dernier des pharaons feint de modifier le mode de l’élection présidentielle pour que la communauté internationale le félicite de la « transition démocratique » et l’encourage à « avancer sur la voie de la démocratie » ( Le Monde du 1er mars dernier).

Il oublie de rappeler que le colonel Hosni Moubarak, au pouvoir depuis vingt-quatre ans, compte briguer un cinquième mandat malgré les protestations et les récentes manifestations qui ont eu lieu au Caire dans l’indifférence générale des médias internationaux.

Encore faudrait-il rappeler que le principal rival du raïs égyptien, le leader de la formation libérale démocratique Al-Ghad (« Demain » en arabe) Ayman Nour se trouve actuellement derrière les barreaux pour une obscure affaire de « falsification de documents officiels ».

En Syrie baasiste, le Fils-du-père vient de prononcer un discours de qualité devant son assemblée législative. Monsieur Assad bis semble avoir fait de grands progrès en arabe littéraire, mais les vieilles habitudes héritées de papa restent bien ancrées.

La « juiverie mondiale » continue, selon lui, de menacer toute avancée vers la paix dans la région et demeure le seul et ultime obstacle face à la transition démocratique. Et les nostalgiques de l’époque de Moscou, dont une bonne partie des intellectuels du parti Baas formés en URSS, continuent de sous-estimer les évolutions géopolitiques planétaires et mettent Washington en garde contre toute ingérence dans leurs affaires domestiques.

Au Liban, les alliés de Damas ont rapidement compris que les manifestations paient ; un million de manifestants libanais sont donc venus hier, le 9 mars, acclamer le leader du Hezbollah, le cheikh Hassan Nasrallah avec d’énormes portraits de Bachar.

Quelques médias français connus pour leur crédibilité, leur neutralité et surtout leur désintérêt, ont parlé de 100 000 manifestants, dont des Syriens véhiculés par l’Armée syrienne. Le téléspectateur arabisant pouvait facilement repérer les blindés syriens qui entouraient les manifestations et qui avaient facilité l’accès des manifestants sur les lieux. Un fort contraste avec les manifestations des opposants à Damas que le régime en place s’était employé à disperser violemment, malgré l’imminence de son effondrement.

Au Soudan, le ministre des affaires étrangères du régime islamiste et sanguinaire de Khartoum Ahmed Ismaïl Osman annoncçait, le 10 mars, être au courant d’essais nucléaires américains effectués d’après lui sur le territoire soudanais entre 1968 et 1970.

Et ce n’est qu’en 2005, comme par hasard, que Khartoum se rend compte qu’il serait temps d’ouvrir une commission d’enquête alors que les milices paramilitaires (de « Janjawid »), accusées d’avoir effectué des « campagnes de nettoyage » au Darfour, comme on dit dans notre belle langue militaire, demeurent intouchables !

En Arabie saoudite, c’est la première fois dans l’histoire du pays (j’aurais du mal à dire « Etat »), qu’ont eu lieu des élections. Même s’il ne s’agit que d’élections municipales, même si la moitié des députés municipaux sont nommés et même si les femmes ont en été exclues, c’est un progrès à noter. D’autant que le roi Fahd qualifiait une décennie plus tôt les élections comme « un système arriéré des démocraties occidentales décadentes » incompatible avec la structure de la société arabe.

Parce que la société arabe vit sur Pluton ? Parce que le pouvoir a bon goût ? Parce que les recettes du pétrole ne sauraient être partagées de façon équitable ?

Au Koweït, la création du premier parti politique de l’histoire de l’émirat fait couler beaucoup d’encre ces temps-ci dans les monarchies du Golfe. Les jeunes monarques des trois autres émirats sont époustouflés par les revendications de leurs sujets : elles croissent et se multiplient avec voracité…

Le train de la liberté est loin de son terminus. Il vient de démarrer et les rares passagers qui ont la nostalgie d’un âge d’or finiront par oublier les vains slogans du socialisme panarabe fascisant de l’Etat-parti.

Ceux-là cèderont la place à une génération nouvelle, supérieure. La révolution démocratique est en marche, je la vois à l’ombre des minarets tremblants de l’antique mosquée arabe.

Ma génération sera peut-être la dernière à avoir connu le totalitarisme.

Nous vivons les moments les plus décisifs de notre histoire contemporaine, une de ces occasions qui ne passent qu’une fois tous les demi-siècles.

Nos historiens auront certainement beaucoup de travail dans l’avenir.

Masri FEKI

www.masrifeki.com

Invité Masri
Posté

Cher Monsieur,

Merci pour votre appréciation, qui me fait très plaisir !

Cordialement,

Masri Feki

Posté
Cher Monsieur,

Merci pour votre appréciation, qui me fait très plaisir !

Cordialement,

Masri Feki

Monsieur Feki

étant originaire de l'autre côté de la mediterrannée je vous félicite pour ce remarquable papier avec un pointe de fierté. Oui la liberté d'expression est une valeur universelle. Oui les arabo_berbéro_perso_turko_kurdo et je ne sais plus quoi d'autres ont le droit d'ouvrir leur bouche sans se faire gazer!!!!

bravo.

Posté
Cher Monsieur,

Merci pour votre appréciation, qui me fait très plaisir !

Cordialement,

Masri Feki

Oh, ben de rien ! Votre article est très bon et vous êtes manifestement bien placé pour vous exprimer sur ce sujet très polémique actuellement de la démocratie au Moyen-Orient. C'est nous qui vous remercions :icon_up: !

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