Chitah Posted February 10, 2006 Report Posted February 10, 2006 Un article de Paul Fabra que je ne commente même pas, je vous laisse le lire, j'ai souligné les trois phrases clé. N'est pas anti-libéral qui veutDE PAUL FABRA On devrait louer, et envier, les Américains pour leur parti pris de simplicité (une Constitution qui met en avant le bonheur des citoyens et qui les y aide) quand il s'agit de définir clairement la mission de la puissance publique dans une société individualiste. Parmi les esprits qui ont contribué à radicaliser le débat dans des termes qui, à tort, rebutent une bonne partie de l'intelligentsia européenne figure Ayn Rand (1905-1982). Elle est l'auteur de « Capitalism : the Unknown Ideal » (« Capitalisme : l'idéal méconnu ») et de plusieurs romans à thèse. Un des disciples déclarés de cette intellectuelle militante fut, pendant longtemps, Alan Greenspan. La guerre froide contribua beaucoup à donner à sa théorie « objectiviste », récusant toute forme de socialisme, une profonde résonance : en tout cas auprès d'un petit cercle longtemps très isolé, mais composé d'esprits brillants et dominateurs. Eux aussi ont préparé la révolution conservatrice commencée en Amérique en 1981 et toujours inscrite à l'ordre du jour. Fondé sur l'absolu de la réalité extérieure, qui, pour le coup, tourne le dos à toute religion révélée (aucune place pour un « autre monde » !), l'objectivisme à la Rand reprend avec intransigeance la tradition libérale la plus classique. On en connaît les éléments constitutifs. Personne ne s'étonnera qu'à son tour la grande dame tire de prémisses on ne peut plus « réalistes » une utopie politique et économique. Fondamentalement, la force physique est la seule menace qui pèse sur l'individu et ses prérogatives inaliénables : droit à la liberté, à la propriété des biens matériels, et surtout à la poursuite d'une vie heureuse au moyen de l'exercice indépendant de sa raison. L'objectif unique du « gouvernement » (notre Etat personnalisé) est de les mettre à l'abri de la violence sous toutes ses formes (la fraude en est une). La force dont il est seul dépositaire légitime est là pour ça. A la limite, toute institution publique est considérée comme éminemment provisoire ; la libre initiative des individus pourvoira à tous les besoins confiés sous d'autres régimes à la prétendue solidarité. Notre propos, on s'en doute, n'est pas de disputer du réalisme, ou de la pertinence, d'une telle ascèse libérale et capitaliste. Nulle part, elle n'est mise en pratique. Aux Etats-Unis pas plus qu'ailleurs. Cependant, les Français les plus allergiques à toute référence libérale ou, pis, néolibérale n'ont plus le loisir, après trente ans d'activisme interventionniste sur le marché du travail, d'échapper à deux embarrassantes interrogations. Or l'une et l'autre sont de nature à justifier l'existence d'une doctrine radicale du genre de celle qui a plu à des fous d'Américains. Sinon à titre de « modèle », du moins à titre de référence implicite. Vraiment la société française est-elle plus « juste » et son économie plus performante que celles que nous connaîtrions aujourd'hui si l'Etat s'était, depuis la deuxième moitié des années 1970, abstenu, primo, de mettre en place le lourd dispositif antichômage (pas moins de 35 programmes visant à donner du travail aux jeunes !) ainsi que les revenus de substitution afférents (RMI, etc.) ; secundo, de surtaxer les classes moyennes et de faire fuir les plus fortunés de ses représentants ? Telle est la première question. La réponse intuitive est que l'activisme nous a fait beaucoup reculer. La seconde est encore plus cruelle : est-ce qu'en offrant des ersatz de contrat d'embauche à des centaines de milliers de jeunes et des revenus déconnectés du travail à plusieurs millions de gens, la puissance publique a rendu les uns et les autres plus heureux et plus attachés à leur pays d'origine ou d'adoption (selon le cas) ? Ces deux questions seraient incomplètes si on ne les joignait pas à une troisième : la situation de l'emploi ne serait-elle pas moins dégradée et le degré de satisfaction de la population dans son ensemble plus élevé si, au lieu de multiplier les aides à l'emploi en tous genres, l'Etat avait tout simplement - ou tout bêtement ! - joué le jeu du marché ? Il aurait levé les obstacles divers à l'embauche, quitte à déséquilibrer quelque peu, en faveur de l'entreprise, le droit du travail. Et après ? Qu'a-t-il fait dans la réalité ? Il a accédé sur toute la ligne à la plus myope et à la plus scandaleuse des revendications du patronat (blanchie par les enquêtes trop savantes de l'Insee) : abaisser les « charges » pesant sur les bas salaires. Mais il s'agit bien d'une illusion d'optique. Les dépenses correspondantes n'ont pas été allégées. L'économie française continue de les financer indirectement, par exemple sous forme d'un endettement public supplémentaire. Forcément avec maladresse, on revient au principe de réalité. La très délicate mise en place du contrat première embauche (CPE) en témoigne. En fin de règne un remue-ménage de fond en comble est impossible. Il consisterait à annoncer : fini d'aider les Français, on va vous faire confiance en vous traitant en adultes ! Ayn Rand aurait pu dire ça. Au lieu de quoi le gouvernement se sent obligé de finasser. Pendant l'été, il avait ouvert une brèche dans le sacro-saint droit du travail en créant le contrat nouvelles embauches (CNE) pour les entreprises de moins de 20 personnes. Selon un sondage Fiducial, 250.000 contrats auraient déjà été signés. Rares seraient les ruptures du fait des employeurs. 36 % à 40 % d'entre eux déclarent qu'ils n'auraient pas embauché si le CNE n'avait pas existé. La relative abondance du recrutement spontané a pour cause principale une disposition de la loi Fillon de l'été 2003 : la possibilité ouverte aux entreprises de mettre à la retraite d'office les salariés âgés de moins de 65 ans ayant déjà cotisé pour une retraite pleine (parce qu'ils avaient commencé à travailler très tôt). Un CNE dans une des innombrables petites entreprises (restauration, bâtiment) qui ont du mal à renouveler leur main-d'oeuvre tentera-il moins les jeunes, du fait de l'éventuelle concurrence du CPE ? Ce dernier, ouvert exclusivement aux jeunes pour travailler dans des entreprises de plus de 20 salariés (ce qui est pour eux souvent plus attirant), est en outre un peu plus avantageux. Par cette différence, Villepin entend-il montrer que CNE et CPE restent des initiatives catégorielles qui ne remettent pas en cause le Code du travail ? Le Premier ministre ne peut ignorer que c'est le contraire qu'il faut faire : prendre des mesures d'application générale. La première embauche au sortir de l'école, ou de la faculté, est source d'émotion et de fierté. A condition que ce soit un contrat de droit commun (après tout, il s'agit d'un CDI dans les deux cas). Qu'on ne gâche pas un plaisir aussi précieux !
Guest Marcelus Wallas Posted February 10, 2006 Report Posted February 10, 2006 Comment vas tu Chitah?
Sagamore Posted May 11, 2010 Report Posted May 11, 2010 Le Capitalisme sans capital Paul Fabra nous avait prévenus 10/12/09 Un article d'HENRI GIBIER sur lesechos.fr Le début: Paul Fabra a sélectionné et regroupé 117 chroniques sur 360 publiées dans « Les Echos ». Voici la préface dans laquelle Henri Gibier souligne le caractère prémonitoire de certains de ces textes. Aujourd'hui, c'est presque devenu une mode. Stigmatiser les excès du capitalisme financier, à la façon d'un Georges Soros qui s'est tellement enrichi grâce à certains d'entre eux ; répudier la croyance dans l'efficience et l'omniscience des marchés, comme s'est résolu à le faire le repentant Alan Greenspan, leur confesseur complaisant durant trois mandats à la présidence de la Réserve fédérale ; appeler les Etats à creuser leurs déficits et les banques centrales à faire marcher à plein régime la planche à billets pour remettre la croissance sur les rails, à l'encontre de toutes les leçons d'orthodoxie néolibérale professées depuis les années 1980 : de tous côtés les voix les plus autorisées appellent à « refonder » un système devenu presque hors de contrôle. Depuis qu'il rédige des chroniques pour « Les Echos », c'est-à-dire depuis plus de quinze ans, Paul Fabra s'y attelle avec constance et non sans férocité. L'auteur de « L'Anticapitalisme » aime tant le vrai capitalisme qu'il châtie sans retenir sa plume tout ce que cette improbable alliance entre l'âpreté au gain et le désir d'entreprendre, source de progrès admirables pour l'humanité, a pu faire naître par ailleurs comme supercheries, usurpations et malédictions. Flairant le danger, il fut ainsi un des premiers à dénoncer ce qu'il a nommé excellemment, avant que l'expression ne soit galvaudée, le « capitalisme sans capitaux ». (…) @Chitah Que dirais-tu de faire ajouter en sous titre un truc du genre "Chroniques de Paul Fabra" ou "Travaux de Paul Fabra"? Ou mieux peut-être, d'en faire le titre et de mettre en sous-titre le titre actuel? Par ailleurs, je viens de découvrir son site: L'Atelier Paul Fabra
Brock Posted May 11, 2010 Report Posted May 11, 2010 L'objectif unique du « gouvernement » (notre Etat personnalisé) est de les mettre à l'abri de la violence sous toutes ses formes (la fraude en est une) hihi
Ash Posted May 21, 2010 Report Posted May 21, 2010 Interview par l'Express de Paul FabraL’Express du 3 au 9 juin 1974, pages 60 à 63, interview conduite par Jean-Jacques Faust et Gérard Bonnot, 5 illustrations ci-après non reproduites. Une interview de Paul Fabra, auteur de « L’Anticapitalisme » « Nous sommes tous des hors-la-loi de l’économie » Comment arrêter l’inflation ? Permettre aux pays pauvres d’accéder à un niveau de vie décent sans ruiner les nations industrielles ? Accélérer la production, satisfaire les consommateurs et préserver leur environnement naturel ? Encourager l’initiative privée et défendre les salariés contre les abus du pouvoir économique ? En quête de la quadrature du cercle, les experts qui se penchent aujourd’hui au chevet de l’économie mondiale font souvent penser aux médecins de Molière. Parce que tout se tient et parce que tous, révolutionnaires, marxistes ou libéraux, ils ont oublié les principes de base de la science économique, affirme Paul Fabra, responsable au « Monde » des questions économiques et monétaires internationales. À son tour, il vient de publier un livre. Non pas pour ajouter sa voix au concert, mais, au contraire, pour rompre avec les idées reçues. Ouvrage ardu de réflexion et de doctrine, « L’Anticapitalisme» met à nu les illusions et les contradictions de la vie économique contemporaine. Pour l’auteur, le monde « a joué à être riche ». Il croit que le salut est dans un retour à la raison classique. J.-J. F. et G. B. L’Express : Votre livre « L’Anticapitalisme » se veut une « réhabilitation de l’économie politique ». Est-ce que vous cherchez à répondre au « Capital » de Karl Marx, qui était sous-titré « Critique de l’économique politique » ? Paul Fabra : Il y a un peu de cela. Mais, en réalité, mon « Anticapitalisme » à moi, c’est la société de consommation dans laquelle nous vivons. Une société qui met l’accent sur la consommation est une société qui gaspille. Autant dire qu’elle n’accumule pas de capital et qu’elle conduit, par conséquent, à la destruction du capitalisme. Comment votre réhabilitation de l’économie politique s’insère-t-elle dans cette démonstration ? Parce que je crois trouver dans l’économie politique les solutions aux problèmes qui se posent à nous. Le grand économiste anglais David Ricardo, pilier de l’école classique, tient dans mon livre – et dans ma pensée – une place prépondérante. Vous croyez donc à l’influence de la théorie sur la pratique ? Oui, absolument. Ainsi, pour notre société de consommation, il est certain que la pensée avait précédé la réalité. Économiquement, la société de consommation, qu’est-ce que c’est ? C’est une société qui met l’accent sur la demande, qui a la demande pour moteur. Or, le modèle en avait été tracé, dans le dernier quart du XIXe siècle, par les économistes autrichiens qui avaient formé l’École de Vienne, aussi bien que par le français Walras. Donc, selon vous, nous avons assisté à une adaptation de la société à la théorie ? Concrètement, la société de consommation est née aux Etats-Unis avec Henry Ford. Il avait compris que, pour vendre des automobiles, il fallait d’abord faire naître des acheteurs d’automobiles. Mais cette première expérience a été de brève durée. Elle s’est perdue corps et biens dans la grande crise de 1930. Pourquoi ? Tout simplement parce que les gérants du système monétaire de l’époque ne s’étaient pas encore adaptés aux règles d’une société fondée sur la demande. Ils avaient gardé la rigueur des temps anciens. Cette première société d’abondance devait pourtant inspirer assez de nostalgies pour que l’expérience soit reprise aussitôt après la guerre. En effet, et, cette fois, la société de consommation trouva son penseur en la personne du Britannique Keynes. Il s’agissait de reconstruire la vie économique, de relancer l’activité industrielle. On sortait d’une période difficile, on voulait vivre dans le présent, tant pis pour le futur ! La vraie devise de Keynes a été cette phrase qu’il a effectivement prononcée : « À long terme, nous serons tous morts. » En installant au centre de la vie économique le besoin, ou, plus exactement, le désir de consommation, on allait tout droit à l’inflation. Keynes a connu son apothéose en Amérique sous les présidences de Kennedy et de Johnson, qui donnèrent une priorité absolue à la consommation. Les résultats sont là : nous avons connu une croissance inégalée, mais nous avons lâché les chiens de l’inflation. Cette société de consommation est une société à horizon économique rapproché. Non seulement elle détruit les ressources naturelles, mais elle se détruit elle-même. Diriez-vous que l’économie officielle moderne s’est moquée de la conservation des ressources naturelles, comme le XIXe siècle s’était moqué de la peine des hommes ? C’est évident, jusque dans la vie quotidienne. Je n’en donnerai qu’un exemple : on lave mieux et plus vite grâce à des lessives chimiques, mais on pollue l’eau. Voilà déjà un péché mortel, un péché contre la nature. Mais plus grave encore me paraît être le péché contre l’esprit. Car, enfin, ce monde qui met la consommation au pinacle a engendré une société dans laquelle, précisément, la qualité de la consommation est médiocre. On sacrifie le producteur au consommateur, je dirais : le cuisinier à celui qui mange le repas. Faute d’accorder au cuisinier la place qui lui est due, on a des repas quelconques. Vous voulez dire que dans une économie fondée sur la demande, la concurrence s’exerce uniquement entre les demandeurs. Donc, les producteurs, étant sûrs de leurs débouchés, sont libres d’en faire à leur guise ? Le cas limite de l’économie de demande est à mon sens la vente aux enchères. Voilà un producteur, ou bien encore un négociant, qui dispose d’un certain nombre d’objets. Il les met sur le marché, en annonçant son intention de les céder au plus offrant. C’est aux acheteurs de se débrouiller, de faire l’un sur l’autre de la surenchère. Le résultat est clair : si la concurrence s’exerce entre demandeurs, les producteurs ont une tendance naturelle au monopole. Donc, vous condamnez les monopoles, privés ou publics, sans circonstances atténuantes ? Certainement. Mais, pour définir un monopole en termes économiques, il faut y regarder à deux fois. Ainsi, en France, E.d.F. est dans une situation juridique de monopole, mais elle n’en a pas le comportement économique, puisque la loi l’oblige à ne pas refuser d’électricité. Le vrai monopole est celui qui peut restreindre l’offre à sa guise. Qui restreint l’offre dans la société de consommation vise le plus souvent un objectif bien précis : faire monter les prix. Nous voici au cœur de mon procès. Je dis que la hausse perpétuelle des prix est un phénomène inéluctable dans une société économique fondée sur la demande. Pourquoi ? D’abord, parce que la concurrence entre les producteurs est le seul moyen efficace de ramener les prix vers les coûts de production. J’en viens à mon second argument. Dans la société de consommation, comme nous le voyons tous les jours, les individus, les ménages sont incités par toutes sortes de pressions à dépenser tout ce qu’ils gagnent, et souvent plus qu’ils ne gagnent. C’est-à-dire que leur fonction d’épargne est abolie. Elle est en vérité confisquée par les entreprises, les grandes surtout, qui sont pour ainsi dire condamnées à faire des superprofits, pour engager les dépenses en capital indispensables au développement de leur activité. Ce qui explique qu’elles pratiquent systématiquement une politique de prix élevés. Il n’empêche que, dans la société de consommation française, le taux d’épargne n’a jamais été aussi élevé. Il faut s’entendre sur les mots. Les Français, aujourd’hui, n’épargnent pas ; ils mettent de côté de l’argent de côté, par précaution. L’épargne authentique, c’est du placement à long terme, du placement de confiance. Cette épargne-là, aujourd’hui, se fait par les banques. Voyez ce qui se passe : les particuliers font, dans les caisses d’épargne ou dans les banques, des dépôts à court terme. Ensuite, les établissements de crédit transforment ces dépôts en investissements à long terme. Mais cette pratique est une source supplémentaire d’inflation, puisque le dépôt reste en principe à la disposition du dépositaire. Le même argent est comptabilité deux fois, sert deux fois. Et comme il n’y a pas d’opération économique gratuite, qu’il faut toujours payer un prix, le prélèvement se fait par la dépréciation de la monnaie. Telle est la logique de l’inflation. Nous sommes engagés sur un chemin qui conduit tout droit à condamner le système capitaliste. Je ne suis pas du tout d’accord. Une fois encore, nous devons surveiller notre vocabulaire. Qu’est-ce que le capitalisme ? C’est un système qui produit du capital. Un système dont la caractéristique principale est le souci d’accumulation. Or, ce souci est plus actuel que jamais. Comment faire face à l’explosion démographique, comment satisfaire aux besoins de l’humanité, si nous ne développons pas notre capacité d’accumulation ? Sans doute est-il plus facile de poser les questions que d’apporter les réponses, et c’est pourquoi la science économique est aujourd’hui dans une impasse. Dans la pratique, le marxisme n’a fait que substituer un capitalisme d’État au capitalisme privé. Pour moi, le plus grand capitaliste du XXe siècle a, sans conteste, été Staline – dont les méthodes étaient d’ailleurs du XIXe siècle. Ce danger de passéisme, ne le courez-vous pas vous-même, en remontant à Ricardo, qui est un homme du XVIIIe siècle ? À mon sens, rien n’est plus moderne, au contraire, que la polémique entre Ricardo et Malthus. Polémique qui se situe à l’époque des guerres napoléoniennes. La grande question qui s’est posée à la science économique naissante était celle-ci : comment reconstruire le monde quand les canons se seront tus ? Malthus dit : « Il faut consommer. » Et il forge même cette formule qui fera la joie de Keynes : « Nous devons susciter une passion pour la consommation. » Ricardo répond à l’inverse : « Il faut produire et épargner. » Le débat doctrinal est clair, mais pouvez-vous nous expliquer comment les deux théories s’opposent sur le terrain ? Je prends un exemple qui m’a toujours beaucoup frappé : pendant la grande crise des années 30, comme vous le savez, les Brésiliens, qui ne trouvaient plus de débouchés pour leur café, étaient obligés de le brûler dans les chaudières des locomotives. Devant ce scandale économique, l’explication retenue par les marxistes, comme par l’école néo-libérale, est toute simple : il y avait surproduction de café. Eh bien, l’opinion de l’école classique, appuyée sur la pensée de Ricardo, est fondamentalement différente ! Elle affirme : il n’y avait pas surproduction de café. La preuve : en Europe, tout le monde ne buvait pas autant de café qu’il le désirait. Mais il y avait sous-production de produits, manufacturés ou non, à échanger contre du café. La devise de Ricardo est : les marchandises s’échangent contre d’autres marchandises – ou des services (voir la proposition 2.11). Pour vous, Ricardo, qui est-ce ? D’abord, un personnage. Son père était un Juif de Hollande, qui était venu s’établir à Londres, où il avait acquis une charge à la Bourse, au Stock Exchange. Adolescent, David Ricardo retourna à Amsterdam, où il suivit, semble-t-il, des cours de théologie. D’où, peut-être, son goût religieux pour la perfection, son application à définir des règles. Puis il retourna en Angleterre, et travailla à son tour au Stock Echange. Avec un succès considérable. C’est un des rares économistes qui aient fait fortune. Mais quel a donc été ce que vous appelez le génie scientifique de Ricardo ? À l’inverse des économistes néo-libéraux, qui fondent leur raisonnement sur le comportement – réel ou supposé – des agents économiques, Ricardo saisit le marché dans sa totalité avant de descendre au niveau de ses participants. Karl Marx, d’ailleurs, ne s’y est pas trompé. Il a reconnu en David Ricardo le penseur principal de l’école classique. Avant Marx, Ricardo avait dit que toute valeur procédait du travail, alors que, plus tard, les néo-libéraux allaient faire une croix sur la peine des hommes pour fonder leur système sur le concept, plus psychologique qu’économique, de rareté. Sans doute, mais le second principe de Ricardo est que l’échange suppose une relation d’égalité. Et là, Marx a formulé une bonne objection. Il dit à peu près : si l’employeur met dans sa poche le profit issu du travail, où est donc l’égalité ? Il est bien vrai que, pour Marx, le contrat de travail, le contrat par lequel l’employeur achète la force du travail, fonde l’injustice. Mais je crois que Marx a commis ici une grave erreur de raisonnement. Ce qui est sur le marché, ce n’est ni le travail ni la force du travail, mais le produit du travail. Le contrat de travail n’est pas un échange, c’est une reconstitution du capital. Le rôle de l’économie politique est de veiller au développement des richesses, et non pas à la répartition des revenus. L’école classique, d’ailleurs, ne dit nulle part que le profit doit être réservé aux capitalistes. Il reste que des millions d’hommes ont de plus en plus de mal à supporter ces injustices du capitalisme. Je suis le premier à admettre que la loi économique est une loi très dure pour les hommes. Pour assurer la sécurité de l’ensemble, elle implique l’insécurité de tous les agents économiques. Et c’est une réaction humaine normale que de s’insurger contre l’insécurité. En somme, vous concevez un socialisme qui ne s’opposerait pas radicalement au capitalisme, mais qui se bornerait à en corriger les excès. Oui, je vois bien un socialisme qui, si je puis dire, s’inscrirait en creux dans le capitalisme. À un double titre : d’abord, comme une réaction des individus contre l’insécurité ; ensuite, comme un partage du profit net, c’est-à-dire de l’excédent de la production sur la consommation. Tout cela suppose quand même que les biens, d’équipement ou de consommation, soient, comme le croyait Ricardo, reproductibles à volonté. La cohérence de l’école classique repose sur l’élimination de la rareté. Or nous voyons aujourd’hui que les ressources naturelles gaspillées par notre société de consommation menacent de s’épuiser. C’est de cette observation que partent la pensée du Club de Rome et la théorie de la croissance zéro Ricardo n’avait pas exclu ces hypothèses, et il avait même envisagé l’épuisement des terres agricoles. Mais je dois dire que c’était pour lui une prévision logique, pas historique. Il croyait au génie des hommes. À leur capacité à trouver toujours des solutions aux problèmes. Même si l’on repousse l’idée d’une catastrophe, on voit arriver le jour où les matières premières, les denrées, coûteront si cher que les industriels n’auront pas trop de tous leurs talents pour reconstituer le capital, sans parvenir à créer en plus un profit. C’est à mon tour de vous reprocher d’être optimistes. Je crains, en vérité, que la consommation forcenée qui est notre règle n’ouvre bientôt la porte de la société économique occidentale à la régression. À tant exalter la demande, à tant décourager l’épargne, on finit par dépenser plus qu’on ne gagne. Les pays comme les hommes. Voyez ce qui arrive en Italie. L’inflation y a détruit la monnaie, et celle-ci est l’instrument indispensable à travers lequel s’opère l’égalité de l’échange. Vous lancez donc un appel à la rigueur ? À l’extrême rigueur. Je ne peux dire autre chose en affirmant qu’il faut réhabiliter l’économie politique.
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