Taranne Posté 10 juin 2006 Signaler Posté 10 juin 2006 J'en ai ma claque de la légende dorée qu'on nous sert à grosses louches à l'occasion du 70ème anniversaire du Front Populaire, et j'aimerais bien écrire un papier démythificateur, histoire de rétablir un peu l'équilibre. Quelqu'un peut-il m'aiguiller vers des articles objectifs portant sur le bilan économique et social de Blum et cie?
Strindberg Posté 10 juin 2006 Signaler Posté 10 juin 2006 A vrai dire, je pense que la majeure partie des articles que tu pourras trouver sur le Front Populaire feront état de son mauvais bilan économique. Le consensus entre historiens consiste à considérer les réformes sociales du Front Populaire comme étant des avancées sociales majeures, nécessaires etc, etc.. bien qu'elles aient été mal conduites et prises indépendamment de la réalité économique. La plupart des livres d'histoire font ainsi état à ma connaissance de l'échec du Front Populaire pour rétablir la situation économique, qui fût d'ailleurs l'une des raisons majeures de sa chute (l'implacable dévaluation du franc malgré la promesse de Blum de protéger celui-ci, incapacité à sortir la France de la dépression qui suivit la crise de 29, etc, etc…)
David Boring Posté 10 juin 2006 Signaler Posté 10 juin 2006 Sur le sujet il y a "Le front populaire" de J. Delperrie de Bayac qui semble malheureusement totalement épuisé - enfin bon il doit y avoir plus récent aussi. Le livre est plutot gentil avec le front populaire, mais indique clairement que sa politique économique est un échec. Une partie amusante est celle sur l'une des grandes conquetes sociales du front populaire, la semaine de 40 heures. L'auteur affirme clairement que c'est un non-sens économique, et démonte les arguments de ses partisans qui reposent sur une grande ignorance de l'économie largement partagée par la population francaise en général. Or ces arguments sont quasiment mot pour mot identiques avec ceux qui seront utilisés 60 ans plus tard pour promouvoir le passage aux 35 heures …
Kimon Posté 10 juin 2006 Signaler Posté 10 juin 2006 L'ouvrage référence (je ne l'ai pas lu mais il est unanimement reconnu par les historiens) : Par Alfred Sauvy, le type même du socialiste intelligent (un oiseau rare donc). Pour aller plus vite, il y a ceci que je viens de commander :
Dardanus Posté 10 juin 2006 Signaler Posté 10 juin 2006 Les 40 heures ne sont devenues une réalité que dans la France des années 1970. Ce sont les congés payés qui sont surtout mis en avant dans le bilan du Front Populaire, son échec économique étant unanimement reconnu (mais, dit-on, c'est la faute du Sénat qui ne lui a pas donné les pleins pouvoirs financiers). Le F. P. est surtout associé au grand mouvement d'occupation d'usines. La philosophe catholique Simone Weil (à ne pas confondre avec la femme politique) qui avait voulu travailler en usine a écrit des textes intéressants sur le sujet : Si ce mouvement gréviste a provoqué en moi une joie pure (joie assez vite remplacée, d'ailleurs, par l'angoisse qui ne me quitte pas depuis l'époque déjà lointaine où j'ai compris vers quelles catastrophes nous allons), c'est non seulement dans l'intérêt des ouvriers, mais aussi dans l'intérêt des patrons. Je ne pense pas en ce moment à l'intérêt matériel…mais à l'intérêt moral, au salut de l'âme. Je pense qu'il est bon pour les opprimés d'avoir pu pendant quelques jours affirmer leur existence, relever la tête, imposer leur volonté, obtenir des avantages dus à autre chose qu'à une générosité condescendante. Et je pense qu'il est également bon pour les chefs - pour le salut de leur âme - d'avoir dû à leur tour, une fois dans leur vie, plier devant la force et subir une humiliation. J'en suis heureuse pour eux.
Kimon Posté 10 juin 2006 Signaler Posté 10 juin 2006 Tu sais, la mère Weil défendait les cathares, alors bon…
Dardanus Posté 10 juin 2006 Signaler Posté 10 juin 2006 Tu sais, la mère Weil défendait les cathares, alors bon… Voilà un argument sans réplique.
Kimon Posté 10 juin 2006 Signaler Posté 10 juin 2006 Oui, à tort ou à raison, Weil n'était certes pas un modèle d'orthodoxie. Sinon, tu voulais montrer quoi ?
Dardanus Posté 10 juin 2006 Signaler Posté 10 juin 2006 Oui, à tort ou à raison, Weil n'était certes pas un modèle d'orthodoxie.Sinon, tu voulais montrer quoi ? Heureusement, on ne pouvait plus brûler les hétérodoxes. Simplement ceci, le mythe du F.P. est lié à cette irruption des ouvriers sur la scène politique. A tort ou à raison, le F.P. a été vu comme une victoire des ouvriers.
Kimon Posté 10 juin 2006 Signaler Posté 10 juin 2006 Heureusement, on ne pouvait plus brûler les hétérodoxes. Voire… De mauvaises langues racontent que ça ne chomait pas du côté allemand.
Strindberg Posté 10 juin 2006 Signaler Posté 10 juin 2006 Ce sont les congés payés qui sont surtout mis en avant dans le bilan du Front Populaire, son échec économique étant unanimement reconnu (mais, dit-on, c'est la faute du Sénat qui ne lui a pas donné les pleins pouvoirs financiers). On peut toutefois remarquer que les politiques déflationnistes du gouvernement Laval ont contribuées à l'échec économique du Front Populaire. Quelques remarques tirées de Histoire economique du xxe siecle t.1: la montee de l'etat 1914-1939 de Jean Charles Asselain (l'auteur n'est clairement pas libéral, mais fait un bilan relativement négatif des politiques économiques du Front Populaire): Au seuil de 1936, les résultats semblent à première vue paradoxaux, puisque cette déflation redoublée n'a empêché ni l'amorce du retournement à la hausse des prix français, ni une brève reprise de l'activité (en un an, du printemps 1935 au printemps 1936, l'indice de la production industrielle a progressé de 14 %). L'explication tient d'abord à l'influence de la reprise mondiale, mais aussi aux contradictions de la déflation Laval : les mesures (fort impopulaires) de déflation budgétaire et salariale n'ont pas empêché, en 1935, un déficit budgétaire record, accompagné d'une forte croissance des dépenses des collectivités locales et d'une politique monétaire inflationniste (émission massive de bons du Trésor escomptable par la Banque de France). Cependant, le financement par l'emprunt de l'essentiel du déficit contribue à freiner, en France, la baisse des taux d'intérêt, et par suite à déprimer encore davantage l'investissement.Bien des incohérences pourraient être citées comme caractéristiques des politiques appliquées en 1932-1936. Ainsi, malgré l'orientation déflationniste dominante, on voit à plusieurs reprises les gouvernements lancer des programmes de grands travaux, conçus comme instrument de soulagement immédiat du chômage plutôt que de relance globale, et destinés à être régulièrement sacrifiés sur l'autel de l'équilibre budgétaire, parce que ce sont les seules dépenses compressibles. Les politiques agricoles, en raison sans doute des enjeux électoraux, cumulent le maximum d'inepties. Ainsi, en 1932, face à la surproduction de blé, on tente d'imposer un prix taxé très supérieur au prix d'équilibre ; les agriculteurs privés de débouchés écoulent leur blé au « marché noir », à des prix dérisoires, pour le seul profit de quelques intermédiaires et sans bénéfice pour le consommateur. Le protectionnisme agricole, sans cesse renforcé, est mis en échec par les importations croissantes de produits coloniaux (blé et vin d'Algérie par exemple), qui entrent en franchise. La hantise de la surproduction se traduit par des mesures « malthusiennes » - destruction ou dénaturation de produits, restriction des surfaces consacrées à la vigne ou à la betterave à sucre, limitation des rendements - dont l'industrie offre aussi des exemples hétéroclites, de portée inégale. La mesure la plus grave est la loi du 10 août 1932, « protégeant la main-d'oeuvre nationale », qui sera suivie, jusqu'en 1939, de 221 décrets fixant, branche par branche, une limite maximale à la proportion de main-d'oeuvre immigrée. Tout se passe, bien souvent, comme si on tentait de rétablir l'équilibre en stabilisant l'activité à l'étiage du fond de la dépression. Mais, en fait, le programme du Front populaire va s'appliquer au milieu de formidables imprévus. Ce sont d'abord, en juin 1936, les grèves avec occupation d'usines, entraînant des hausses de salaires non prévues au départ : les accords Matignon accordent une hausse moyenne de 12 %, avec relèvement plus fort des bas salaires, en sus des autres charges supplémentaires créées pour les entreprises (4 % au titre des congés payés, 20 % de hausse du salaire horaire en application de la loi des 40 heures), auxquelles viendront bientôt s'ajouter les effets des premières conventions collectives (loi du 24 juin 1936). A l'été 1936, se déclenche la hausse des prix : les entreprises non seulement répercutent l'augmentation des coûts, mais souvent majorent leurs prix par anticipation en profitant de la demande revigorée ; le déficit extérieur s'aggrave brusquement. En septembre 1936, le franc est dévalué dans le cadre de l'« accord monétaire tripartite » (avec la Grande-Bretagne et les États-Unis). À partir de la fin de 1936, la loi des 40 heures entre en application, branche par branche, selon des modalités rigides (surtout qu'en fait les syndicats refusent de laisser jouer les clauses d'heures supplémentaires ou de dérogations inscrites dans les décrets) et peu favorables au réemploi des chômeurs (la « semaine de 5 jours » s'est imposée spontanément, coupant court à toute organisation de travail par roulement). Enfin, la détérioration du contexte international à partir du début de la guerre d'Espagne (juillet 1936) impose un effort de réarmement de plus en plus intense. Selon la thèse d'A. Sauvy, une brillante reprise, déclenchée par la dévaluation, a été brisée net par la réduction du temps de travail ; véritable suicide, la semaine de 40 heures est, à ses yeux, « le lourd contresens qui a fait tout perdre », en imposant une limitation physique de la capacité de travail totalement contradictoire avec la relance de la demande. En somme, le Front populaire aurait été - de façon bien sûr involontaire et inconsciente - plus « malthusien » que les gouvernements précédents… L'échec de la relance est donc patent en 1937-1938, y compris du point de vue des salariés. Les hausses salariales de 1936 ont déclenché une « course des prix et des salaires », qui se traduit par une augmentation de moitié du niveau des prix (au grand détriment des « revenus fixes ») et par une dépréciation cumulative du franc sur le marché des changes (dévaluations en cascade de 1937-1938). En 1938, l'économie française connaît une situation bien caractérisée de stagflation : la chute de l'activité et celle de l'emploi n'ont pas suffi à arrêter l'inflation. Les salaires réels sont retombés en mai 1938 au niveau de mai 1935, et la part des salaires a diminué par rapport à celle des revenus d'entreprises ; les écarts de salaires entre travailleurs qualifiés et non qualifiés ont diminué, mais d'autres formes d'inégalités salariales (entre hommes et femmes, entre Paris et province) se sont accentuées. L'ultime tentative de redressement de l'économie française, à la veille de la guerre, remonte aux décrets-lois élaborés en novembre 1938 par P. Reynaud, ministre des Finances du gouvernement Daladier, après le retour des socialistes dans l'opposition. L'expérience Reynaud, qualifiée par A. Sauvy de « réussite exceptionnelle » (« la meilleure leçon d'économie politique que l'on puisse donner aux étudiants »), est placée sous le signe du libéralisme. Libéralisme incertain, au demeurant, car, si le refus du contrôle des changes est confirmé, les décrets-lois ne touchent pas au système de contingentements qui enserre le commerce extérieur. Ils comportent essentiellement, parmi un ensemble de dispositions assez hétéroclites, des mesures classiques de déflation (accroissement des impôts, réduction des dépenses civiles), mais surtout un « réaménagement » radical de la loi des 40 heures. Rarement un programme libéral aura été imposé de manière aussi autoritaire. L'affrontement avec les syndicats est inévitable, mais il est clos par l'échec de la grève générale du 30 novembre 1938. Paul Reynaud peut appliquer sa politique. Le patronat célèbre la victoire sur la « loi de paresse » du Front populaire ; la « confiance » renaît presque aussitôt, comme si l'imminence de la guerre n'était, somme toute, qu'un risque mineur en comparaison des luttes sociales de 1936.Le bilan de l'expérience, assez difficile à établir puisque la déclaration de guerre est intervenue quelques mois plus tard, comporte des éléments positifs indiscutables. L'inflation se calme, le franc peut enfin être stabilisé (à un taux fortement déprécié), le déficit extérieur se réduit, les capitaux reviennent en France. La production industrielle se redresse de 15 % entre novembre 1938 et juillet 1939 (rappelons toutefois que les reprises avortées de 1933, 1935, 1937 avaient déjà connu une progression tout à fait comparable), sans retrouver le maximum de 1929 : la dépression des années 1930 bat, en France, tous les records de durée. Le chômage a quelque peu reculé, et cela - A. Sauvy y insiste - malgré l'assouplissement des 40 heures, ce qui prouverait l'inanité de la politique de « partage du travail » tentée par le Front populaire. Toutefois, l'amélioration de l'emploi est si limitée et si fragile (elle s'interrompt dès mars 1939) que l'on a pu évoquer le « mythe de la reprise libérale » (N. Baverez)
h16 Posté 10 juin 2006 Signaler Posté 10 juin 2006 On peut toutefois remarquer que les politiques déflationnistes du gouvernement Laval ont contribuées à l'échec économique du Front Populaire. Quelques remarques tirées de Histoire economique du xxe siecle t.1: la montee de l'etat 1914-1939 de Jean Charles Asselain (l'auteur n'est clairement pas libéral, mais fait un bilan relativement négatif des politiques économiques du Front Populaire): On retrouve en direct cette analyse de l'expérience du FP et de sa suite avec P. Reynaud dans l'Economie du Diable de Sauvy ; il y dit en subtance ce qui est décrit ci-dessus, avec des résultats exceptionnels dès lors que les mesures du FP (ou une partie de celles-ci) ont été contrecarrées, ce qui revient à dire que le FP fut une tentative économique catastrophique aux yeux de cet auteur…
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