pierreyves Posted January 7, 2007 Report Posted January 7, 2007 Hello, J'avais promis sur un autre fil de préciser ce qui me parait douteux dans les ouvrages de Röpke, pourquoi (1) je ne pense pas qu'on puisse le considérer autrichien, et (2) ses valeurs personnelles faussent ses théories. Voici quelques extraits de texte, tous tirés de "A Humane Economy". Concernant son engagement parmi les libéraux : Röpke se considérait sans ambiguïté libéral. p3These are the facts, and they demand the adoption of a firm position against the socialist and for the liberal kind of economic order. Il tire cette conclusion d'un constat : le socialisme a fait beaucoup de mal - en particulier en Allemagne - alors que le libéralisme a fait lui du bien. J'ai par ailleurs l'impression qu'il considère les deux comme des "ordres possibles", dont l'un est plus souhaitable que l'autre . Un peu plus loin, Röpke explique sa vision de l'homme, et les raisons de son rejet du collectivisme sous toutes ses formes. P5My picture of man is fashioned by the spiritual heritage of classical and Christian tradition. I see in man the likeness of God ; I am profoundly convinced that it is an appalling sin to reduce man to a means (even in the name of high-sounding phrase) and that each man's soul is something unique, irreplaceable, priceless, in comparison with which all other things are as naught. I am attached to a humanism which is rooted in these convictions and which regards man as a child and image of God, but not as God himself, to be idolized as he is by the hubris of a false and atheist humanism. These are the reasons why I so greatly distrust all forms of collectivism. Röpke nous renseigne sur ses valeurs personnelles : celles de la tradition chrétienne et classique.Par ailleurs, il me semble que ces deux premiers passages permettent d'inférer sans ambiguïté que le libéralisme de Röpke est second, dans l'ordre de pensée, par rapport à la vision spirituelle de l'homme ; il en découle. S'il est second, c'est parce qu'il existe des choses plus importantes : les valeurs (qui sont du domaine éthique). p5Thus we announce the theme which is the red thread running through this book : the vital things are those beyond supply and demand and the world of property. It is they which give meaning, dignity and inner richness to life, those purposes and values which belong to the realm of ethics in the widest sense. There is a profound ethical reason why an economy governed by free prices, free markets, and free competition implies health and plenty, while socialist economy means sickness, disorder, and lower productivity. Röpke se distingue radicalement d'un Mises ici, en indiquant que l'économie n'est pas "wertfrei". A mon sens, cette position "wertfrei" est caractéristique des autrichiens, c'est la raison pour laquelle je ne crois pas que Röpke puisse être considéré comme un autrichien, contrairement à ce qui est proposé ici : http://www.mises.org/freemarket_detail.asp…der=articledate. Voilà pour le point (1). Son traitement du thème principal du livre permet à mon sens de juger de ce point (2) : les valeurs de Röpke faussent elles ses théories ? Röpke présente d'abord le problème qu'il a identifié et qu'il adresse dans ce livre : p6-7Now nothing is more detrimental to a sound general order appropriate to human nature than two things: mass and concentration. Individual responsibility and independence in proper balance with the community, neighbourly spirit, and true civic sens - all of these presuppose that the communities in which we live do not exceed the human scale. They are possible only on the small or medium sale, in an environment of which one can destroy or stifle the primary forms of human existence such as survive in our villages and small- or medium-sized towns. […]In all fields, mass and concentration are the mark of modern society; they smother the area of individual responsibility, life and thought and give the strongest impulse to collective thought and feeling. […] People need to be taken out of the mass and given roots again. D'où le livre en question. Quelle est la solution à cette société de masse et de concentration ? p8We shall save ourselves only if more and more of us have the unfashionable courage to take counsel with our own souls and, in the midst of all this modern hustle and bustle, to bethink ourselves of the firm, enduring, and proved truths of live. "take counsel with our own souls" + "bethink ourselves of the truths of live"Je comprends qu'il s'agit de découvrir les vérités de la vie par la prière ? La périphrase est un peu compliquée, mais je déduis cela de l'extrait qui vient juste après: p8This brings me to the very center of my convictions, which, I hope, I share with many others. I have always been reluctant to talk about it because I am not one to air my religious views in public, but let me say it here plainly : the ultimate source of our civilization's disease is the spiritual and religious crisis which has overtaken all of us and which each must master for himself. Above all, man is Homo religiosus, and yet we have, for the past century, made the desperate attempt to get along with God, and in the place of God we have set up the cult of man, his profane or even ungodly science and art, his technical achievements, and his State. Röpke indique donc qu'ultimement, le problème de notre civilisation est la crise spirituelle et religieuse. "crise" est un terme qu'il précise au niveau de l'individu en proposant sa solution pour sauver la société : une foi "liante" et des valeurs "assurées". p13We can save ourselves only if man finds the way back to himself and to the firm shore of its own nature, assured value judgments and binding faith. Je place cet extrait pour lui rendre justice : s'il y a des côtés cassandre dans son texte, il n'en tombe pas pour autant dans un pessimiste radical:p15But this is no reason to allow ourselves to be cast down by these apocalyptic visions. This is not the first time that danger has beset mankind. Nothing compels us to believe we cannot overcome it, provided only that we hold fast to one ultimate belief : faith in man, faith in man's essentially unalterable nature, and faith in the absolute values from which human dignity derives. Néanmoins, sa vision de la société actuelle n'est pas rassurante. p261 (dernière phrase du livre)We only have to say this: our centrist civilization, which has become more and more remote from man and the human scale, has reached the point where its own continued existence is at stake. Jusqu'à la page 15 du livre, il est question de valeurs et de religion, pas d'économie… autant dans l'identification du problème, que dans la solution préconisée. Je comprends tout cela ainsi: si Röpke voit un problème si grand dans la société de masse et la concentration, c'est du point de vue de ses valeurs personnelles. C'est ainsi qu'au travers de son oeuvre, il en arrive à critiquer les effets du capitalisme, à justifier l'existence de l'état etc… Pour moi le point (2) est très clair, je vous laisse juger. Je laisse aussi juger les supporters de Röpke de ce que ce choix d'extraits fausse le débat ou non. L'avis de chacun est le bienvenu (je ne pense pas argumenter plus avant sur le sujet, mais serai heureux de préciser certaines de mes positions ci-dessus).
Apollon Posted January 7, 2007 Report Posted January 7, 2007 Désolé mais j'ai du mal à te suivre. Ropke commence par "I am profoundly convinced that it is an appalling sin to reduce man to a means" ce qui est on ne peut plus libéral. Il constate que l'homme est naturellement porté à la religion, moi qui suis athée fait le même constat. Il n'est indiqué nulle part que Ropke recourt à la prière. On voit que Ropke fonde son libéralisme sur une conception de l'homme et du monde qui est chrétienne et revendiquée comme telle. Tu prétendais montrer que ses convictions contredisaient sa théorie libérale, j'attends encore un premier argument.
Etienne Posted January 7, 2007 Report Posted January 7, 2007 Je suis assez d'accord avec Apollon. De fait, les mutations qu'il remarque sont réelles et, par certains aspects, problèmatiques. Là où je divergerai d'avec Röpke, c'est que je ne crois pas que les vieilles recettes du passé puissent encore être efficaces, et encore moins si on croit pouvoir les restaurer de par une action de la volonté. Tout ceci n'a que peu de choses à voir avec le libéralisme, ça a davantage à voir avec la condition de l'homme moderne. People need to be taken out of the mass and given roots again. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'on ressent tout de même dans son discours que lui aussi a perdu pied dans la société moderne : c'est l'absence de racines qui l'angoisse, mais c'est qu'il a aussi perdu les repères traditionnels de la société.
melodius Posted January 7, 2007 Report Posted January 7, 2007 Décidément, Röpke avait compris bien des choses.
pierreyves Posted January 7, 2007 Author Report Posted January 7, 2007 Désolé mais j'ai du mal à te suivre. Je n'ai pas cherché à donner une argumentation mais à vous donner les éléments pour juger de l'articulation que fait Röpke entre ses valeurs et son libéralisme. Donc je t'invite plus à te faire une idée des points (1) et (2) qu'à me "suivre". Pour un croyant, je pense que la citation p8 fait référence à la prière (en tout cas c'est ainsi que je comprends la prière)… mais c'est en fait secondaire. L'important sont les valeurs (edit : ou plutôt la façon dont on s'en sert), pas la façon dont on les obtient. De fait, les mutations qu'il remarque sont réelles et, par certains aspects, problèmatiques. Là où je divergerai d'avec Röpke, c'est que je ne crois pas que les vieilles recettes du passé puissent encore être efficaces, et encore moins si on croit pouvoir les restaurer de par une action de la volonté. Tout ceci n'a que peu de choses à voir avec le libéralisme, ça a davantage à voir avec la condition de l'homme moderne. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'on ressent tout de même dans son discours que lui aussi a perdu pied dans la société moderne : c'est l'absence de racines qui l'angoisse, mais c'est qu'il a aussi perdu les repères traditionnels de la société. Je suis quasiment d'accord avec Etienne, qui présente des arguments que je partage.
Etienne Posted January 7, 2007 Report Posted January 7, 2007 Je n'ai pas cherché à donner une argumentation mais à vous donner les éléments pour juger de l'articulation que fait Röpke entre ses valeurs et son libéralisme. Donc je t'invite plus à te faire une idée des points (1) et (2) qu'à me "suivre". Qu'il soit autrichien ou pas, j'avoue que je m'en fiche un peu. Et, pour évoquer ton point (2), je ne vois pas en quoi ces considérations que tu as citées et les valeurs partagées par Röpke faussent ses théories (quelles théories d'ailleurs ?).
pierreyves Posted January 7, 2007 Author Report Posted January 7, 2007 Qu'il soit autrichien ou pas, j'avoue que je m'en fiche un peu. C'est d'une certaine façon un débat de mots, je te l'accorde. Il n'a d'intérêt que si on accepte le "wertfrei" comme caractéristique de la théorie autrichienne. Et, pour évoquer ton point (2), je ne vois pas en quoi ces considérations que tu as citées et les valeurs partagées par Röpke faussent ses théories (quelles théories d'ailleurs ?). ??? Ben pourtant je te cite : Là où je divergerai d'avec Röpke, c'est que je ne crois pas que les vieilles recettes du passé puissent encore être efficaces, et encore moins si on croit pouvoir les restaurer de par une action de la volonté. Tout ceci n'a que peu de choses à voir avec le libéralisme, ça a davantage à voir avec la condition de l'homme moderne. La théorie dont je parle consiste en sa vision problématique de la société et de la direction que chacun doit prendre pour la faire aller mieux. Tout est dans le texte ci-dessus : la massification de la société sera résolue par une renaissance de la religion. Enfin c'est ainsi que je comprends ces extraits.
melodius Posted January 7, 2007 Report Posted January 7, 2007 Le problème est qu'il ne pourrait jamais passer pour un socialiste, voilà le problème. Péché capital aux yeux des progs ce truc-là.
Yozz Posted January 7, 2007 Report Posted January 7, 2007 Le problème est qu'il ne pourrait jamais passer pour un socialiste, voilà le problème.Péché capital aux yeux des progs ce truc-là.
Etienne Posted January 7, 2007 Report Posted January 7, 2007 Le problème est qu'il ne pourrait jamais passer pour un socialiste, voilà le problème.Péché capital aux yeux des progs ce truc-là. Je n'avais pas remarqué qu'il avait été question de taxer Röpke de socialisme dans ce fil… @ pierreyves : Dans ce cas, ce ne sont pas ses valeurs qui faussent sa théorie, c'est sa théorie qui est fausse - ce qui n'empêche pas que le problème pointé soit réel, d'ailleurs. PS : Petite question à melodius, juste pour savoir, parce que c'est assez nébuleux à mes yeux : suis-je un progressiste ?
pierreyves Posted January 7, 2007 Author Report Posted January 7, 2007 Dans ce cas, ce ne sont pas ses valeurs qui faussent sa théorie, c'est sa théorie qui est fausse - ce qui n'empêche pas que le problème pointé soit réel, d'ailleurs. D'un côté j'ai presque envie de te donner raison… mais de l'autre, comme la théorie est fondée sur une vision de l'homme en accord avec ces valeurs je ne suis pas sûr. Je veux dire: l'impression que j'ai à la lecture de ce livre est qu'il a fait des efforts désespérés pour faire entrer le libéralisme en accord avec ses valeurs… ce qui produit une théorie fausse. OK, j'aurais pu aussi montrer que la théorie est fausse, indépendemment de ces valeurs… mais le problème c'est que les jugements de valeur sont omniprésents dans la théorie.
Etienne Posted January 7, 2007 Report Posted January 7, 2007 Je veux dire: l'impression que j'ai à la lecture de ce livre est qu'il a fait des efforts désespérés pour faire entrer le libéralisme en accord avec ses valeurs… ce qui produit une théorie fausse. Des extraits que tu en as cités, je dirai plutôt que le libéralisme semble une conséquence de son éthique personnelle, bien que cette dernière dépasse de loin le cadre du seul libéralisme - et heureusement. Si sa solution à certains traits problématiques de la modernité me semble inadaptée, le problème pointé est sans rapport avec le libéralisme. Ce que je peux percevoir, en revanche, c'est que ces observations personnelles de Röpke semblent lui faire voir une grande unité dans les différents traits de sa pensée, pour autant, ce n'est pas la seule voie qu'il existe pour justifier le libéralisme.
Ronnie Hayek Posted January 7, 2007 Report Posted January 7, 2007 D'un côté j'ai presque envie de te donner raison… mais de l'autre, comme la théorie est fondée sur une vision de l'homme en accord avec ces valeurs je ne suis pas sûr. Je veux dire: l'impression que j'ai à la lecture de ce livre est qu'il a fait des efforts désespérés pour faire entrer le libéralisme en accord avec ses valeurs… ce qui produit une théorie fausse. OK, j'aurais pu aussi montrer que la théorie est fausse, indépendemment de ces valeurs… mais le problème c'est que les jugements de valeur sont omniprésents dans la théorie. Tu postules que sa théorie est fausse parce qu'elle n'est pas en accord avec TES valeurs, qui sont dominantes. Tout simplement. PS : et, comme Etienne, je me contrefiche qu'il ne soit pas "autrichien", d'ailleurs personne sur ce forum n'avait affirmé qu'il l'était.
Apollon Posted January 7, 2007 Report Posted January 7, 2007 la massification de la société sera résolue par une renaissance de la religion.Enfin c'est ainsi que je comprends ces extraits. Je comprends autre chose: la société moderne comprend une tendance à la massification et corrollairement à la déresponsabilisation qui se constate indépendamment de toute croyance religieuse. Elle ne se régénerera que par une reprise de conscience des individus qui doivent chercher les solutions en eux-même. Ma conviction (Ropke) est que la crise moderne repose sur la négation de la nature religieuse de l'homme qui a substitué à la religion le culte de l'homme, que l'homme doit donc retrouver la foi. Comme Ropke l'admet lui-même c'est un point de vue, je n'en vois pas la contradiction avec le libéralisme. Personnellement je pense que la religion n'a pas cédé place à la raison mais à la superstition et j'approuve donc une large part de son analyse.
Ash Posted January 7, 2007 Report Posted January 7, 2007 Je comprends autre chose:la société moderne comprend une tendance à la massification et corrollairement à la déresponsabilisation qui se constate indépendamment de toute croyance religieuse. Elle ne se régénerera que par une reprise de conscience des individus qui doivent chercher les solutions en eux-même. Ma conviction (Ropke) est que la crise moderne repose sur la négation de la nature religieuse de l'homme qui a substitué à la religion le culte de l'homme, que l'homme doit donc retrouver la foi. = Athéisme. Je pense que l'athéisme, qui prédomine, incorpore également la question morale. Etre athée c'est croire ne pas croire que Dieu existe. Et c'est avec ce rationalisme que tout le reste s'envole en fumée. Sans même faire de différence. On a vaincu la bondieuserie tout de même !
pierreyves Posted January 7, 2007 Author Report Posted January 7, 2007 Etre athée c'est croire ne pas croire que Dieu existe. Et c'est avec ce rationalisme que tout le reste s'envole en fumée. C'est sans doute une bonne définition ça . Bravo.
Ash Posted January 7, 2007 Report Posted January 7, 2007 C'est grosso modo ce que je pensais il y a 6 ou 7 ans encore. J'essaye de le réanalyser dès qu'on évoque le sujet. Probablement tout un mélange de révolte scientifique, d'idéologie socialiste et une connaissance de l'histoire estampillée EN. Je me sens mieux maintenant.
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