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Salin dans La Tribune


Rémy

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http://www.latribune.fr/info/20080304U7CDSW5

L'Europe peut-elle se passer de ses paradis fiscaux ?

Les paradis fiscaux seront au coeur des discussions des ministres des Finances de l'Union européenne, réunis aujourd'hui à Bruxelles. En plein scandale fiscal qui l'oppose au Liechtenstein, l'Allemagne souhaite durcir la directive européenne de 2003 sur la fiscalité de l'épargne pour mieux lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale.

Daniel Lebègue, président de Transparence-international France

Oui : " Il n'est pas admissible d'accepter des havres fiscaux ou judiciaires " (Daniel Lebègue)

L'Europe ne peut pas accepter en son sein des zones de non-droit. Il n'est en effet pas admissible que des pays qui bénéficient ou réclament un accès privilégié à l'Union européenne ne se prêtent pas à un échange d'informations entre autorités judiciaires, douanières ou fiscales, et constituent de fait un havre fiscal et judiciaire pour ceux qui commettent des crimes et délits, comme le blanchiment de l'argent sale, la corruption ou la fraude fiscale. Et il faut reconnaître que nombre de pays ne jouent pas le jeu. Même la place de Londres a une position équivoque en matière de coopération judiciaire. Sur un plan plus strictement fiscal, il existe une convention de l'OCDE et une procédure spécifique vis-à-vis de trois pays européens - dont le Liechtenstein - jugés " non coopératifs " en matière de recherche d'infractions fiscales. Il est clair que l'Europe doit exiger de ces pays une attitude beaucoup plus coopérative en matière d'échange d'informations même si cela implique une levée du secret bancaire au cas par cas. Notons que la France entretient avec deux de ces pays - Monaco et Andorre - des liens extrêmement étroits. Nicolas Sarkozy s'est d'ailleurs engagé auprès de nous, lors de la campagne présidentielle, à appliquer à ces pays les mêmes normes de transparence et de traçabilité des flux financiers que celles existant en France, et ce, sous peine de sanctions. Or, il reste du chemin à parcourir ! Il ne s'agit pas pour autant de condamner les pays qui offrent une fiscalité attrayante. L'Union européenne admet tout à fait des fiscalités différentes, dès lors que coopération et transparence sont assurées.

Pascal Salin, professeur d’économie à l’université de Paris Dauphine

Non : " Si certains abusent du système, il ne faut pas le condamner pour autant " (Pascal Salin)

Les paradis fiscaux ont de multiples raisons d'être, non pas tellement pour l'Europe,mais pour les Européens. Tout d'abord, ils constituent une protection efficace de l'épargne lorsque les États abusent de leurs pouvoirs pour surtaxer le capital. Les paradis fiscaux apportent donc un grand service à nos économies en incitant les agents à épargner grâce à un rendement net d'impôts plus attractif. Et au lieu de s'attaquer aux paradis fiscaux, les gouvernements seraient mieux inspirés de combattre les enfers fiscaux de certains pays, en particulier la France. Ce sont bien les très fortes disparités qui existent en matière fiscale qui expliquent l'existence de paradis fiscaux. Une convergence vers des taux plus bas pour l'imposition du capital serait de nature à éviter de trop fortes évasions fiscales. Ensuite, la fiscalité n'est pas l'unique source de motivation des placements. Le secret bancaire est également une forme de protection des avoirs qui peut se révéler utile en cas de crise grave. Un contrôle excessif, une réglementation trop rigoureuse des paradis fiscaux européens seraient aussi de nature à favoriser d'autres places offshore, comme dans les Caraïbes jugées par les experts beaucoup plus opaques. En Europe, les États jugés comme des paradis fiscaux sont en effet plus ou moins encadrés par les États, à l'image de la France à l'égard de Monaco ou de l'Allemagne vis-àvis du Liechtenstein. Enfin, il faut souligner que les paradis fiscaux se sont considérablement développés avec la mondialisation et constituent un rouage devenu essentiel pour les entreprises multinationales. Si certains abusent du système, ce n'est pas pour autant qu'il faut le condamner.

Le bon grain de l'ivraie

Tous les efforts des pays industrialisés, de l'OCDE ou de l'ONU, en matière de paradis fiscaux, reposent sur un postulat : il peut exister des "bons" paradis fiscaux — ceux qui s'engagent à respecter les conventions internationales — et des "mauvais" paradis fiscaux, ceux qui se montrent "non coopératifs". C'est cette logique qui a présidé à la création de la "liste noire" du Gafi, l'organisme en charge de la lutte contre le blanchiment. Avec, apparemment, un certain succès car, aujourd'hui, plus aucune place financière ne figure sur la fameuse liste. Faut-il en conclure que les circuits de blanchiment ont disparu ? Peu d'experts répondraient par l'affirmative. Car, en vingt ans, l'univers des paradis fiscaux a changé profondément de nature : ils sont devenus des rouages essentiels de la mondialisation et de la libéralisation des mouvements de capitaux. Rassurées par les certificats de "bonne conduite", banques et multinationales s'y précipitent désormais pour couvrir toutes leurs opérations qui se veulent discrètes. Ce mariage intime entre deux mondes, celui de l'économie légale et le crime organisé, a contribué à brouiller les frontières entre argent illicite et licite, entre fraude et "optimisation" fiscale, entre secret bancaire et omerta. C'est sur ces ambiguïtés et la quasi-impunité dont bénéficient toujours les délits financiers que prospèrent les paradis fiscaux. Si l'Allemagne a donné un coup de canif au système, aucun pays n'est cependant prêt à ouvrir la boîte de Pandore.

ÉRIC BENHAMOU

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