h16 Posté 10 juin 2008 Signaler Posté 10 juin 2008 Là-dessus, je ne connais pas trop la genèse de l'Etat. En fait, je ne sais pas quand commence l'Etat du point de vue libéral. Par exemple, les cités grecques ou l'Empire romain ou les tribus germaniques / celtiques ont-ils déjà un Etat ou un proto-Etat selon les libéraux ? Ou bien faut-il s'en tenir à l'Etat moderne tel qu'il a émergé des féodalités ? Sur le plan historique, c'est difficile à dire, je pense - j'appelle un historien du forum, qui pourrait nous éclairer (Dardanus p. ex ?) - Au delà de l'aspect historique, c'est plutôt les aspects comportementaux de masse des hommes qui sont intéressants. En gros, peut-on dire qu'avec des circonstances historiques tout à fait différentes, les sociétés humaines auraient-elles pu se passer d'Etat ou, finalement, l'Etat est-il, en quelque sorte, un attracteur étrange, un "optimum local" qui a une fâcheuse tendance à entraîner une cristallisation de la société autour de lui ? Mmh ?
CMuller Posté 10 juin 2008 Signaler Posté 10 juin 2008 Sur le plan historique, c'est difficile à dire, je pense - j'appelle un historien du forum, qui pourrait nous éclairer (Dardanus p. ex ?) - Au delà de l'aspect historique, c'est plutôt les aspects comportementaux de masse des hommes qui sont intéressants. En gros, peut-on dire qu'avec des circonstances historiques tout à fait différentes, les sociétés humaines auraient-elles pu se passer d'Etat ou, finalement, l'Etat est-il, en quelque sorte, un attracteur étrange, un "optimum local" qui a une fâcheuse tendance à entraîner une cristallisation de la société autour de lui ?Mmh ? J'aurais tendance à dire, mais c'est un truisme, que plus les hommes vivent en communautés petites, fermées et homogènes, moins le besoin se fait sentir d'une autorité centrale : les comportements d'autrui sont prédicibles, les normes communes sont facilement intériorisées, le contrôle des déviances est immédiat (par observation directe), etc. L'anthropologue Pierre Clastres (La société contre l'Etat) suggérait que les guerres incessantes en tribus amazoniennes étaient un moyen de prévenir leur fusion, qui aurait créé la nécessité d'une telle autorité centrale et hiérarchique (comme dans les grandes civilisations précolombiennes ayant agrégé une masse critique). Cela ne répond pas à ta question, intéressante, sur la nature contingente ou inexorable de l'Etat dans une société plus grande, plus ouverte et plus hétérogène. Un avis d'historien serait en effet le bienvenu sur les différentes types d'Etat et leurs différentes conditions d'émergence depuis le Néolithique, ainsi que sur les différences entre l'Etat proprement dit et d'éventuelles autres formes d'autorité.
Jussi Posté 10 juin 2008 Signaler Posté 10 juin 2008 Ou bien : l'homme étant un loup pour l'homme, l'Etat est la solution la plus simple pour imposer des règles (minimales ou maximales, selon ses vues) dans une société. Il est probable, compte tenu de la mobilité (des hommes, des biens, des idées, etc.), que des règles privées et locales ne finissent par convenir de règles communes sur un territoire plus vaste, et notamment celles fixant les droits de l'individu par rapport aux règles (locales, communes) ainsi que les résolutions de conflits entre règles locales (autrement que par la force). On peut se dire que cela aboutirait finalement à l'équivalent fonctionnel d'un Etat. Note bien que je préférerais ce type de régime, mais je comprends la critique selon laquelle ce n'est pas forcément la peine de déconstruire l'Etat pour le reconstruire, mieux vaut le réformer vers son état minimal dans des conditions historiques données, en privatisant tout ce qui peut l'être et en localisant/distribuant les fonctions étatiques plutôt qu'en les concentrant dans un pouvoir central, lointain et mal contrôlé. Personnellement je ne crois pas une seconde que l'homme est un loup pour l'homme.
CMuller Posté 10 juin 2008 Signaler Posté 10 juin 2008 Personnellement je ne crois pas une seconde que l'homme est un loup pour l'homme. Ce n'est jamais qu'une formule. Mais il n'est pas un agneau non plus, faute de quoi il faudrait ramener la totalité des violences observées dans l'histoire (de la rapine au génocide) à des influences externes qui "forceraient" l'homme à aller contre sa nature aimable et pacifique. Cela paraît peu réaliste.
h16 Posté 11 juin 2008 Signaler Posté 11 juin 2008 Personnellement je ne crois pas une seconde que l'homme est un loup pour l'homme. Non, tout le monde sait que c'est une poule. Avec des renards capitalistes.
free jazz Posté 11 juin 2008 Signaler Posté 11 juin 2008 Non, tout le monde sait que c'est une poule. Plus précisément, une poule mouillée. Du moins c'est ce qu'explique Hobbes dans son anthropologie. Selon lui, l'homme est le seul animal à pouvoir anticiper le futur (par le calcul des conséquences de ses actes), c'est pourquoi la peur de la mort violente est son moteur comportemental le plus puissant. Or c'est justement la peur de la mort violente qui le pousse à s'armer pour défendre sa vie et accidentellement, à agresser ses voisins par anticipation, puisque ceux-ci peuvent se liguer pour lui voler ses biens, lui tendre des pièges, de même que toute autre personne suspecte au voisinage de sa propriété. Ce que Hobbes appelle guerre de chacun contre chacun n'est rien d'autre qu'une guerre de voisinage qui prend progressivement de l'ampleur et s'étend en guerre civile. Ce mécanisme qui place la peur comme passion fondamentale explique que le droit naturel finit par entrer en contradiction avec la loi naturelle, qui est de rechercher la paix avec ses voisins. Les dérives du droit propriétariste en sont une bonne illustration. C'est ainsi que selon lui, la poule mouillée devient poule armée, puis prédateur.
Jussi Posté 11 juin 2008 Signaler Posté 11 juin 2008 Plus précisément, une poule mouillée. Du moins c'est ce qu'explique Hobbes dans son anthropologie. Selon lui, l'homme est le seul animal à pouvoir anticiper le futur (par le calcul des conséquences de ses actes), c'est pourquoi la peur de la mort violente est son moteur comportemental le plus puissant. Or c'est justement la peur de la mort violente qui le pousse à s'armer pour défendre sa vie et accidentellement, à agresser ses voisins par anticipation, puisque ceux-ci peuvent se liguer pour lui voler ses biens, lui tendre des pièges, de même que toute autre personne suspecte au voisinage de sa propriété. Ce que Hobbes appelle guerre de chacun contre chacun n'est rien d'autre qu'une guerre de voisinage qui prend progressivement de l'ampleur et s'étend en guerre civile. Ce mécanisme qui place la peur comme passion fondamentale explique que le droit naturel finit par entrer en contradiction avec la loi naturelle, qui est de rechercher la paix avec ses voisins. Les dérives du droit propriétariste en sont une bonne illustration. C'est ainsi que selon lui, la poule mouillée devient poule armée, puis prédateur. Agresser ses voisins par anticipation? Enorme ça…. Belle évolution "poule mouillée"; "poule armée"; "poule predateur"
h16 Posté 11 juin 2008 Signaler Posté 11 juin 2008 l'homme est le seul animal à pouvoir anticiper le futur Va falloir arrêter avec cette expression. A chaque fois, je me pouffe et me lole.
CMuller Posté 11 juin 2008 Signaler Posté 11 juin 2008 A mon sens, il y a deux types de violences : individuelle et collective. L'une et l'autre peuvent être motivées de diverses manières (pour la première, cela va de l'impulsivité brute à l'intérêt calculé). La question de la violence dans la société n'est pas simplement "comment minimiser la nuisance des individus agressifs (prédateurs de biens / de personnes)", mais aussi bien "comment empêcher qu'un groupe en désaccord avec un autre groupe ne recourt à la violence". Hobbes a été largement influencé par le spectacle de la guerre civile anglaise, qui est typiquement un conflit de groupes. Ces derniers peuvent avoir toutes sortes de base (ie groupe ethnique, religieux, idéologique, symbolique, etc.) et n'empruntent pas à mon avis les circuits psychologiques décrits plus haut.
free jazz Posté 11 juin 2008 Signaler Posté 11 juin 2008 Agresser ses voisins par anticipation? Enorme ça…. Belle évolution "poule mouillée"; "poule armée"; "poule predateur" On voit que vous n'avez pas suivi par exemple les débats sur les portes déchiqueteuses, comme une des conséquences du droit de propriété érigé en norme absolue. La frontière entre l'assassinat et la légitime défense est parfois ténue, selon les critères retenus comme réponse proportionnée. D'autre part un homicide peut être volontaire ou invonlontaire. A ce titre, la qualification de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner existe en droit positif, bien qu'en droit propriétariste elle peut ne pas être retenue si la victime se place volontairement dans une telle situation. Il existe aussi l'homicide involontaire, où la mort est entraînée de façon accidentelle. Pour ma part je trouve que la théorie de Hobbes n'est pas si farfelue. En effet, si la peur est une des causes motrices du comportement humain, inscrite dans un circuit cognitif naturel, elle se trouve amplifiée par le fait que l'homme a la capacité de se projeter dans l'avenir grâce à son intelligence supérieure, contrairement aux autres animaux. Il peut donc anticiper un plus grand nombre de dangers et de pièges. Or les dangers potentiels peuvent être réels ou imaginaires. Le droit naturel prescrit à chacun d'employer tous les moyens à sa disposition pour préserver sa propre vie, mais comme d'autre part les individus sont faillibles, ils peuvent faire un mauvais usage du droit de légitime défense. Le droit à la vie étant la cause de tous les autres droits naturels, il peut arriver qu'ils emploient des moyens disproportionnés pour le défendre, à cause de la peur d'une bande armée. Ainsi, dans l'état de nature (passons sur le statut exact de cette expression), ou même dans une anarcapie, chaque propriétaire compte d'abord sur lui-même pour assurer sa propre sécurité et protéger ses biens. Il est donc naturellement obsédé par les dangers potentiels : voleurs ou criminels, ou simplement des voisins qui ont manifesté de l'hostilité à son égard. Or il est fort possible que dans l'obscurité, son inquiétude le pousse à surestimer une menace et à confondre un rôdeur avec un voisin. Hobbes explique que chaque propriétaire se trouve donc dans cette situation de méfiance et de peur amplifiée vis-à-vis de ses voisins, ce qui le poussera à commettre des agressions contre toutes les personnes suspectes. Au final, cela aboutit à une défiance généralisée, puis à une chaîne d'agressions et de représailles qu'il nomme guerre de chacun contre chacun. C'est pourquoi le plein exercice du droit naturel de légitime défense conduit dans sa théorie à rentrer en conflit avec les lois naturelles, en particulier avec la première, qui prescrit de contracter avec ses voisins en vue de rechercher la paix. D'où le Léviathan, etc. De façon plus actuelle, la situation de guerre préventive correspond typiquement au conflit que décrit Hobbes : il s'agit d'une forme d'agression défensive, fondée sur l'anticipation d'un danger qui est seulement probable, mais non pas effectif, qui peut donc être surestimé; comme lorsqu'un voisin accumule un arsenal d'armes létales dans sa propriété et dont on soupçonne qu'il peut faire un usage offensif.
CMuller Posté 11 juin 2008 Signaler Posté 11 juin 2008 On voit que vous n'avez pas suivi par exemple les débats sur les portes déchiqueteuses, comme une des conséquences du droit de propriété érigé en norme absolue. (…) Précision tout de même : le texte de Hobbes est bien plus riche que le débat sur la légitime défense de sa vie et de sa propriété. Le philosophe note par exemple sur les origines du conflit parmi les hommes : De sorte que nous trouvons dans la nature humaine trois principales causes de querelle : premièrement, la rivalité [32]; deuxièmement, la défiance; et troisièmement la fierté [33] [34].La première fait que les hommes attaquent [35] pour le gain [36], la seconde pour la sécurité, et la troisième pour la réputation [37]. Dans le premier cas, ils usent de violence pour se rendre maîtres de la personne d'autres hommes, femmes, enfants, et du bétail [38]; dans le second cas, pour les défendre; et dans le troisième cas, pour des bagatelles, comme un mot, un sourire, une opinion différente, et tout autre signe de sous-estimation, [qui atteint] soit directement leur personne, soit, indirectement leurs parents, leurs amis, leur nation, leur profession, ou leur nom. Léviathan ch. XIII, On voit que la sécurité n'est qu'un des motifs possibles du conflit : non seulement l'homme entend préserver sa vie par "instinct de conservation" (première cause de violence), mais le même instinct ou parfois seulement "le plaisir" le pousse à posséder le plus de choses possibles pour lui-même et les siens, de sorte que des rivalités naissent sans cesse pour les mêmes biens (deuxième cause). Quant à la réputation et à la fierté (troisième cause), elle est évidemment peu compréhensible dans une vision trop idéalement rationaliste de l'homme, mais le fait est que notre espèce se caractérise par sa capacité à tuer pour des symboles ou des statuts. Encore Hobbes raisonne-t-il en termes de rapports individuels, puisqu'il est dans la fiction d'un état de nature. Mais il faut avoir en tête qu'il s'agit d'une fiction et que ces causes de violence sont aussi valables dans l'état naturel véritable de l'homme, celui de membre d'un groupe. Les groupes aussi préservent leur sécurité, défendent leur intérêt, luttent pour la reconnaissance de leur réputation (en dernier ressort, ce sont des individus qui font tout cela bien sûr, mais il le font en tant qu'ils sont programmés à croire que le groupe l'exige ; et cela quel que soit le degré de développement du groupe, l'actualité le rappelle). Bref, pour en revenir au début de la digression, on peut "ne pas croire du tout" que l'homme est un loup pour l'homme, mais construire une théorie des rapports humains sur cette profession de foi pacifiste revient tout même à méconnaître l'évidence de la rivalité qui a nourri une bonne part de la philosophie politique et qui aussi bien est observée par les sciences de l'évolution et du comportement.
Jussi Posté 11 juin 2008 Signaler Posté 11 juin 2008 On voit que vous n'avez pas suivi par exemple les débats sur les portes déchiqueteuses, comme une des conséquences du droit de propriété érigé en norme absolue. La frontière entre l'assassinat et la légitime défense est parfois ténue, selon les critères retenus comme réponse proportionnée. D'autre part un homicide peut être volontaire ou invonlontaire. A ce titre, la qualification de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner existe en droit positif, bien qu'en droit propriétariste elle peut ne pas être retenue si la victime se place volontairement dans une telle situation. Il existe aussi l'homicide involontaire, où la mort est entraînée de façon accidentelle. Pour ma part je trouve que la théorie de Hobbes n'est pas si farfelue. En effet, si la peur est une des causes motrices du comportement humain, inscrite dans un circuit cognitif naturel, elle se trouve amplifiée par le fait que l'homme a la capacité de se projeter dans l'avenir grâce à son intelligence supérieure, contrairement aux autres animaux. Il peut donc anticiper un plus grand nombre de dangers et de pièges. Or les dangers potentiels peuvent être réels ou imaginaires. Le droit naturel prescrit à chacun d'employer tous les moyens à sa disposition pour préserver sa propre vie, mais comme d'autre part les individus sont faillibles, ils peuvent faire un mauvais usage du droit de légitime défense. Le droit à la vie étant la cause de tous les autres droits naturels, il peut arriver qu'ils emploient des moyens disproportionnés pour le défendre, à cause de la peur d'une bande armée. Ainsi, dans l'état de nature (passons sur le statut exact de cette expression), ou même dans une anarcapie, chaque propriétaire compte d'abord sur lui-même pour assurer sa propre sécurité et protéger ses biens. Il est donc naturellement obsédé par les dangers potentiels : voleurs ou criminels, ou simplement des voisins qui ont manifesté de l'hostilité à son égard. Or il est fort possible que dans l'obscurité, son inquiétude le pousse à surestimer une menace et à confondre un rôdeur avec un voisin. Hobbes explique que chaque propriétaire se trouve donc dans cette situation de méfiance et de peur amplifiée vis-à-vis de ses voisins, ce qui le poussera à commettre des agressions contre toutes les personnes suspectes. Au final, cela aboutit à une défiance généralisée, puis à une chaîne d'agressions et de représailles qu'il nomme guerre de chacun contre chacun. C'est pourquoi le plein exercice du droit naturel de légitime défense conduit dans sa théorie à rentrer en conflit avec les lois naturelles, en particulier avec la première, qui prescrit de contracter avec ses voisins en vue de rechercher la paix. D'où le Léviathan, etc. De façon plus actuelle, la situation de guerre préventive correspond typiquement au conflit que décrit Hobbes : il s'agit d'une forme d'agression défensive, fondée sur l'anticipation d'un danger qui est seulement probable, mais non pas effectif, qui peut donc être surestimé; comme lorsqu'un voisin accumule un arsenal d'armes létales dans sa propriété et dont on soupçonne qu'il peut faire un usage offensif. Merci pour ces précisions. Néanmoins je trouve qu'ici on focalise trop sur la "méfiance", sur "peur" et "agression". Il me semble que c'est justement l'Etat qui se nourrit de ces sentiments et il tente de les maintenir, de les stimuler. C'est lui qui est obsédé par le danger potentiel. Hobbes a aussi écrit à des periodes très troubles… Le droit de se défendre est naturel même si je suis un peu méfiant envers le port d'arme généralisé car justement toute arme est synonyme de "méfiance", de "peur" et "d'agression".
h16 Posté 11 juin 2008 Signaler Posté 11 juin 2008 Le droit de se défendre est naturel même si je suis un peu méfiant envers le port d'arme généralisé car justement toute arme est synonyme de "méfiance", de "peur" et "d'agression". Pas si tout le monde peut y avoir accès.
CMuller Posté 11 juin 2008 Signaler Posté 11 juin 2008 Merci pour ces précisions. Néanmoins je trouve qu'ici on focalise trop sur la "méfiance", sur "peur" et "agression". Il me semble que c'est justement l'Etat qui se nourrit de ces sentiments et il tente de les maintenir, de les stimuler. C'est lui qui est obsédé par le danger potentiel.(…) Même une simple observation montre que ce sont surtout les médias qui entretiennent les sentiments de peur et de méfiance, ils le font parce qu'ils savent que cela "plaît" et cela "marche", c'est-à-dire que l'annonce d'une menace ou d'une catastrophe aura toujours du succès dans une population. Que l'Etat s'en nourrisse, oui ; mais qu'il soit à l'origine de cela, non. Et au-delà des médias, cela trouve sa source dans la propension (adaptative on s'en doute) des humains à échanger des informations et à privilégier toutes celles se rapportant à leur survie, même si elles se révèlent fausses par la suite (mieux vaut risquer d'avoir tort en restant vivant que risquer d'avoir raison en devenant mort).
Jussi Posté 11 juin 2008 Signaler Posté 11 juin 2008 Même une simple observation montre que ce sont surtout les médias qui entretiennent les sentiments de peur et de méfiance, ils le font parce qu'ils savent que cela "plaît" et cela "marche", c'est-à-dire que l'annonce d'une menace ou d'une catastrophe aura toujours du succès dans une population. Que l'Etat s'en nourrisse, oui ; mais qu'il soit à l'origine de cela, non. Et au-delà des médias, cela trouve sa source dans la propension (adaptative on s'en doute) des humains à échanger des informations et à privilégier toutes celles se rapportant à leur survie, même si elles se révèlent fausses par la suite (mieux vaut risquer d'avoir tort en restant vivant que risquer d'avoir raison en devenant mort). Oui bien sûr le rôle des médias, mais je ne sais pas quelle médias entretiennent vraiment ce sentiment de "peur" ou de "méfiance"… Je sais pas quand Sarkozy traîte son prochain comme étant une "racaille". Quand l'Etat déclare qu'il faut aller vers une immigration "choisit"… Que les hommes échangent sur les actions relatives à leur survie, cela me semble tout à fait juste puisqu'il s'agit bien de survivre dans un monde de rareté.
free jazz Posté 12 juin 2008 Signaler Posté 12 juin 2008 Précision tout de même : le texte de Hobbes est bien plus riche que le débat sur la légitime défense de sa vie et de sa propriété. Le philosophe note par exemple sur les origines du conflit parmi les hommes : On voit que la sécurité n'est qu'un des motifs possibles du conflit : non seulement l'homme entend préserver sa vie par "instinct de conservation" (première cause de violence), mais le même instinct ou parfois seulement "le plaisir" le pousse à posséder le plus de choses possibles pour lui-même et les siens, de sorte que des rivalités naissent sans cesse pour les mêmes biens (deuxième cause). Oui mais j'insiste, les causes déterminantes de la propension à la guerre décrite par Hobbes, sont la peur et la faculté d'anticipation, qui engendrent la défiance, conduisant ainsi les individus à faire un mauvais usage du droit naturel de légitime défense (qui est lui-même la traduction juridique de l'instinct de conservation) et à accumuler de la puissance de façon préventive. Car, pour ce qui est de la force du corps, le plus faible a assez de force pour tuer le plus fort, soit par une manoeuvre secrète, soit en s'unissant à d'autres qui sont menacés du même danger que lui-même.(…)Et de là vient que, là où un attaquant n'a plus à craindre que la puissance individuelle d'un autre homme, si l'un plante, sème, construit, ou possède un endroit commode, on peut probablement s'attendre à ce que d'autres surgissent, s'étant préparés en unissant leurs forces, pour le déposséder et le priver, non seulement du fruit de son travail, mais aussi de sa vie ou de sa liberté. Et l'attaquant, à son tour, est exposé au même danger venant d'un autre. A cause de cette défiance de l'un envers l'autre, un homme n'a pas d'autre moyen aussi raisonnable de se mettre en sécurité que d'anticiper, c'est-à-dire de se rendre maître par la force ou la ruse, de la personne du plus grand nombre possible d'hommes, jusqu'à ce qu'il ne voit plus une autre puissance assez importante pour le mettre en danger. Ce n'est là rien de plus que ce que sa conservation exige, ce qui doit généralement être permis. (Léviathan - chapitre XIII : De la condition naturelle des hommes en ce qui concerne leur félicité et leur misère) Bref, pour en revenir au début de la digression, on peut "ne pas croire du tout" que l'homme est un loup pour l'homme, mais construire une théorie des rapports humains sur cette profession de foi pacifiste revient tout même à méconnaître l'évidence de la rivalité qui a nourri une bonne part de la philosophie politique et qui aussi bien est observée par les sciences de l'évolution et du comportement. Assurément : guerre intraspécifique chez Hobbes, dialectique du maître et du serviteur pour Hegel, lutte des classes dans le système marxiste. En tant qu'anarcap il me paraît indispensable de ne pas faire l'impasse sur cette problématique de la volonté de puissance. C'est faire preuve de naïveté de croire que les relations sociales puissent être pacifiées par le seul droit de propriété et la généralisation du port d'armes, sur le mode de la paix armée: comme si en supprimant l'Etat qui monopolise la violence légale, la violence sociale serait du même coup supprimée. Je crois qu'il y a là une vision irénique du droit de propriété en espérant qu'il puisse régler tous les conflits en délimitant les interférences entres sujets. Le droit de se défendre est naturel même si je suis un peu méfiant envers le port d'arme généralisé car justement toute arme est synonyme de "méfiance", de "peur" et "d'agression". C'est bien le noeud du problème. Va falloir arrêter avec cette expression. Que l'homme soit un animal supérieurement intelligent et possédant la faculté de calculer les conséquences futures de ses actions, et donc d'anticiper un plus grand nombre de dangers, voilà qui n'est pas absurde. Mais comme la théorie de Hobbes est la source de toutes les paranos sécuritaires, précurseur des néo-cons avec son modèle de guerre préventive et qu'elle conduit in fine à l'abandon par les gens du droit de légitime défense au profit d'un monopole légal de la sécurité, je conçois très bien que tout cela te laisse froid.
h16 Posté 12 juin 2008 Signaler Posté 12 juin 2008 Que l'homme soit un animal supérieurement intelligent et possédant la faculté de calculer les conséquences futures de ses actions, et donc d'anticiper un plus grand nombre de dangers, voilà qui n'est pas absurde. You missed my point. "l'homme est le seul animal à pouvoir anticiper le futur" : on n'anticipe QUE le futur. Anticiper le passé, c'est le réécrire, non ?
CMuller Posté 12 juin 2008 Signaler Posté 12 juin 2008 (…)Assurément : guerre intraspécifique chez Hobbes, dialectique du maître et du serviteur pour Hegel, lutte des classes dans le système marxiste. En tant qu'anarcap il me paraît indispensable de ne pas faire l'impasse sur cette problématique de la volonté de puissance. C'est faire preuve de naïveté de croire que les relations sociales puissent être pacifiées par le seul droit de propriété et la généralisation du port d'armes, sur le mode de la paix armée: comme si en supprimant l'Etat qui monopolise la violence légale, la violence sociale serait du même coup supprimée. Je crois qu'il y a là une vision irénique du droit de propriété en espérant qu'il puisse régler tous les conflits en délimitant les interférences entres sujets. (…) Le problème que je vois dans le droit de propriété, c'est qu'il existe principalement pour régler le conflit potentiel sur un bien matériel donné. On dira que c'est déjà beaucoup, mais cela me semble en réalité assez peu, au sens où parvenir à un consensus sur l'usage d'un bien matériel n'est finalement pas la chose la plus complexe à imaginer pour des humains possédant un minimum de rationalité (au bout d'un moment, nécessité fait loi ; et le consensus n'implique pas forcément une stricte propriété individuelle, comme on le voit dans l'économie distributive de certaines sociétés "primitives"). Ce qui est bien plus difficile à mon sens, c'est de passer outre les divergences axiologiques et symboliques entre les humains. De penser que ces divergences n'aboutissent pas à des conflits, ou bien encore qu'elles sont secondaires dans notre espèce, selon une approche économiciste/utilitariste assez caractéristique d'une certaine pensée moderne (trop confiante dans la capacité de l'intérêt et du calcul à effacer le rôle des passions et des croyances, trop aveugle aussi aux limites de l'individualisme et à la persistance des logiques de groupes).
Apollon Posté 14 juin 2008 Signaler Posté 14 juin 2008 Le problème que je vois dans le droit de propriété, c'est qu'il existe principalement pour régler le conflit potentiel sur un bien matériel donné. On dira que c'est déjà beaucoup, mais cela me semble en réalité assez peu, au sens où parvenir à un consensus sur l'usage d'un bien matériel n'est finalement pas la chose la plus complexe à imaginer pour des humains possédant un minimum de rationalité (au bout d'un moment, nécessité fait loi ; et le consensus n'implique pas forcément une stricte propriété individuelle, comme on le voit dans l'économie distributive de certaines sociétés "primitives"). Ce qui est bien plus difficile à mon sens, c'est de passer outre les divergences axiologiques et symboliques entre les humains. De penser que ces divergences n'aboutissent pas à des conflits, ou bien encore qu'elles sont secondaires dans notre espèce, selon une approche économiciste/utilitariste assez caractéristique d'une certaine pensée moderne (trop confiante dans la capacité de l'intérêt et du calcul à effacer le rôle des passions et des croyances, trop aveugle aussi aux limites de l'individualisme et à la persistance des logiques de groupes). Le problème que tu poses n'admet aucune solution, il n'y a aucune raison de croire que les hommes peuvent par leur raison et leur accord affecter comme il le faudrait les biens, comme s'il existait un étalon absolu et immanent. L'institution de la propriété permet simplement de faire l'économie de la force.
Ronnie Hayek Posté 14 juin 2008 Signaler Posté 14 juin 2008 Anticiper le passé, c'est le réécrire, non ? Qui détient le passé détient l’avenir…
CMuller Posté 14 juin 2008 Signaler Posté 14 juin 2008 Le problème que tu poses n'admet aucune solution, il n'y a aucune raison de croire que les hommes peuvent par leur raison et leur accord affecter comme il le faudrait les biens, comme s'il existait un étalon absolu et immanent. L'institution de la propriété permet simplement de faire l'économie de la force. Oui je pense que c'est la solution la plus simple, la plus fluide et la moins contraignante dans l'ensemble. Mais elle ne résoud qu'une partie des choses (l'allocation des biens, pas les conflits de valeurs, d'idées, de croyances) et même en ce domaine, elle n'empêche pas en dernier ressort de vouloir les résoudre autrement, par la force s'il le faut, donc elle n'empêche pas les conflits où la propriété est mise en question "de l'extérieur", au nom d'autres idéaux. Si tu prends le désir d'égalité, il justifie chez beaucoup de gens la contrainte, tu ne peux pas leur opposer simplement la propriété car ils te répondent : si la propriété aboutit concrètement à ceci ou cela que je trouve injuste, je suis prêt à empiéter autant que nécessaire sur la propriété pour mieux répartir, je préfère des gens plus égaux dans moins de richesses globales et à des gens plus inégaux avec plus de richesses globales, c'est l'inégalité relative entre les êtres que je trouve intolérable dans une société. Cela me semble indécidable en raison.
Apollon Posté 15 juin 2008 Signaler Posté 15 juin 2008 Si tu prends le désir d'égalité, il justifie chez beaucoup de gens la contrainte, tu ne peux pas leur opposer simplement la propriété car ils te répondent : si la propriété aboutit concrètement à ceci ou cela que je trouve injuste, je suis prêt à empiéter autant que nécessaire sur la propriété pour mieux répartir, je préfère des gens plus égaux dans moins de richesses globales et à des gens plus inégaux avec plus de richesses globales, c'est l'inégalité relative entre les êtres que je trouve intolérable dans une société. Cela me semble indécidable en raison. Ce que tu appelles "désir d'égalité", sous-entendue l'égalité matérielle, a un nom moins novlangue : l'envie. Outre l'institution de la propriété, il existe d'autres institutions au sens large qui permettent la vie en société ouverte. Tel est le cas de la notion de vices, dont l'envie fait partie. Au risque de paraitre dogmatique, je pense que la propriété tout comme la définition des vices sont des institutions non pas contingentes mais nécessaire à l'établissement des sociétés ouvertes, complexes, composées d'hommes libres. Et on n'a jamais vu une société niant la propriété ou promouvant les vices qui ait fleuri.
CMuller Posté 16 juin 2008 Signaler Posté 16 juin 2008 Ce que tu appelles "désir d'égalité", sous-entendue l'égalité matérielle, a un nom moins novlangue : l'envie.(…) C'est le bon Tocqueville qui en parlait déjà (désir d'égalité) comme d'une passion à l'oeuvre dans les temps démocratiques. Oui, on peut sans doute rapprocher cela de l'envie, mais désigner celle-ci comme un vice est un peu court à mon sens.
Apollon Posté 16 juin 2008 Signaler Posté 16 juin 2008 C'est le bon Tocqueville qui en parlait déjà (désir d'égalité) comme d'une passion à l'oeuvre dans les temps démocratiques. Oui, on peut sans doute rapprocher cela de l'envie, mais désigner celle-ci comme un vice est un peu court à mon sens. Dans la théologie chrétienne chaque péché capital est attaché à un démon et tu ne devineras jamais quel est le démon de l'envie : le Léviathan. Amusant, non ?
LeSanton Posté 16 juin 2008 Signaler Posté 16 juin 2008 Anticiper le passé, c'est le réécrire, non ? Non, c'est revenir en arrière, anticiper dans l'autre sens de la flèche…
Messages recommandés
Archivé
Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.