pierreyves Posté 18 novembre 2008 Signaler Posté 18 novembre 2008 Pour faire suite à la réflexion sur le leadership, voici pourquoi Sarkozy est un leader médiocre: parce qu'il use plus de violence que de pouvoir. Source Au contraire, selon Arendt, le politique ne suppose que le rassemblement d'hommes égaux décidés à l'action, la "puissance" qui surgit de ce rassemblement étant exclusive de tout acte d'allégeance. Ce pouvoir n'étant rien de matériel ou d'instrumental, nul ne peut le conquérir ou se l'approprier il n'existe qu'entre les hommes qui parlent et agissent en commun; rebelle à toute définition chosiste, il se corrompt en se consolidant. Comme l'affirme un passage suggestif de l'Essai: "Le prétendu pouvoir du dirigeant qui est freiné dans un gouvernement constitutionnel, limité, légitime, n'est pas en fait pouvoir, mais violence, c'est la force décuplée de l'homme unique qui a monopolisé le pouvoir de la multitude" (p. 221). Si Arendt admet, sans s'expliquer très clairement sur cette distinction, que le pouvoir peut bien être exercé "au nom" d'une communauté politique, elle refuse toute forme de délégation réelle qui entraînerait irrémédiablement une déperdition de la puissance de la "multitude": le corps politique ne dispose donc d'aucune faculté de substitution, tout pouvoir installé à distance de ce corps étant voué à dépérir. Mais qu'en est-il précisément de cette violence dont le pouvoir est l'antithèse? L'élucidation de la violence politique exposée dans Du Mensonge à la violence repose pour l'essentiel sur une description phénoménologique économe en hypothèses. Parce qu'elle est imprévisible, qu'elle introduit une rupture radicale dans l'ordre des choses et que ses effets sont incommensurables à ce qui l'a provoquée, la violence ressemble bien à l'action. A défaut d'être efficace, elle est expéditive et peut même parfois être justifiée à des fins de libération. Mais ce raccourci destructeur ne peut jamais être légitime ni déboucher sur la liberté. Car, d'une part, la violence reste toujours le moyen, souvent inapproprié, d'une fin extérieure, et, d'autre part, elle a sa source dans un individu ou du moins dans un groupe unanime. Geste muet, irresponsable et négatif qui ne travaille pas à sa propre suppression, elle peut au mieux - dans le cas, par exemple, d'une guerre de libération - faire place nette sans rien instaurer. Succédané défaillant de l'action, elle ne peut que détruire le pouvoir sans jamais être susceptible de l'engendrer, même lorsqu'elle est exercée par une instance souveraine. Elle n'est donc pas un excès de pouvoir, ni la manifestation ultime de celui-ci dans l'épreuve de force, mais son autre radical. Ainsi "la confrontation récente entre les chars russes et la résistance totalement non violente du peuple tchécoslovaque constitue un exemple typique de l'opposition entre la violence et le pouvoir à l'état pur" (MV p. 163). Cette très nette opposition permet encore de saisir en quoi le pouvoir est pour Hannah Arendt une réalité positive; loin qu'il faille restreindre cette capacité collective de donner naissance, on doit en étendre le cercle par un partage qui l'accroisse en le diffusant. Car ce n'est pas le pouvoir qu'il faut redouter, mais l'impuissance convertie en force de qui prétend s'en emparer. Il ne corrompt pas, mais se corrompt lorsqu'il est aliéné. On objectera que le pouvoir est interrogé dans sa source et non dans son emploi, comme s'il n'était pas appelé à s'exercer sur quelque chose et pouvait renoncer à toute stratégie. Mais il n'y a pas là une négligence de la part l'auteur, qui effectivement ne lui attribue aucune fonction : ni rempart de la sécurité permettant de promouvoir le bien être matériel, ni levier du bonheur social, "le pouvoir peut se passer de toute justification" (MV, p. 16l) – non de la légitimité -, puisqu'il existe à seule fin de préserver l'"espace politique". La critique peut porter sur cette intention, mais elle peut difficilement entamer la cohérence de la vision qui en découle.
xavdr Posté 19 novembre 2008 Signaler Posté 19 novembre 2008 Pour faire suite à la réflexion sur le leadership, voici pourquoi Sarkozy est un leader médiocre: parce qu'il use plus de violence que de pouvoir.Source Le distingo entre pouvoir [délégatif] et "violence" [arbitraire] est intéressant. Je ne suis pas sur qu'il soit légitime de l'appliquer à Nicolas SARKOZY, sauf à lui opposer une dialectique erronnée confondant pouvoir [délégatif] et consensus [obligatoire]. Il a indubitablement des tentations à la "violence" [arbitraire], qui parfois apparaissent ouvertement, par exemple quand il voudrait écarter le président tcheque, le libéral Vaklav KLAUSS de sa période de présidence européenne afin de se l'approprier au coeur de la crise, mais a coté de ces débordements d'énergie illégitime, on peut tout de même noter que SARKOZY a mis en place une stratégie de contractualisme électoral. D'une façon générale il me semble qu'il a appliqué son programme électoral (que je n'aime pas beaucoup, mais c'est une autre histoire), à quelques atténuations près et ormis ses intiatives d'urgence face à la crise financière. Ensuite une autre question est de savoir si le périmètre fonctionnel des institutions régaliennes nationales est abusivement enflé ou pas, ou s'il faudrait moins moins d'état central et moins de puissance publique. Les libéraux ont évidemment une position claire en la matière…
L'affreux Posté 20 novembre 2008 Signaler Posté 20 novembre 2008 À première vue, ce « pouvoir » qui « se corrompt lorsqu'il est aliéné » de Hannah Arendt, est une resucée de la souveraineté inaliénable de J.-J. Rousseau. Rousseau avait remplacé le mot « pouvoir » (de l'étymologie de démocratie) par « souveraineté ». S'agit-il ici d'un retour au terme précédent, ou bien d'une utilisation dans un sens différent ? S'il s'agit de la même chose, a-t-elle explicitée la raison de ce retour ? Hannah Arendt veut-elle revisiter l'idéal démocratique, avec les assemblées antiques composées de tous les citoyens ? Si tel est le cas, en tant que libérale individualiste, elle tombe sous la critique de fond de N.-D. Fustel de Coulanges : les assemblées de citoyens existaient grâce aux fonctionnements communautaires sous-jacents. Une gouvernance démocratique sans fonctionnements communautaires est une chimère. Au passage le sous-titre du fil est erroné : il fallait écrire le pouvoir se corrompt. Je ne comprend pas comment ce texte peut être lu comme une critique de Nicolas Sarkozy. On peut y voir une critique de l'aliénation du « pouvoir » (ou de la souveraineté), donc une critique de la fonction de dirigeant. Mais pas plus de Sarkozy que d'un autre. N. Sarkozy est même plus proche du pouvoir du peuple que ses prédécesseurs puisqu'il est un peu plus populiste. Si quelqu'un l'a lue, je serais quand même intéressé d'en savoir plus sur la notion recouverte par le terme « pouvoir » selon Hannah Arendt. Au cas où. J'ai en effet écrit un livre dernièrement, dans lequel j'ai beaucoup développé, à la fois sur le pouvoir et la liberté, aussi sur la corruption, pas dans le sens démocratique mais sait-on jamais.
Etienne Posté 20 novembre 2008 Signaler Posté 20 novembre 2008 À première vue, ce « pouvoir » qui « se corrompt lorsqu'il est aliéné » de Hannah Arendt, est une resucée de la souveraineté inaliénable de J.-J. Rousseau. Rousseau avait remplacé le mot « pouvoir » (de l'étymologie de démocratie) par « souveraineté ». S'agit-il ici d'un retour au terme précédent, ou bien d'une utilisation dans un sens différent ? Les deux termes tels qu'employés par Rousseau et Arendt n'ont aucun rapport. Pour Rousseau, la société n'est pas constitutive de la condition humaine. Elle n'est établie que pour affermir la liberté des individus, ce qui nécessite l'aliénation mutuelle des droits de chaque individu dans le contrat social. Ce que les individus gagnent à cela, c'est de se retrouver désormais chacun dans une situation identique avec la même influence lorsqu'il s'agit de prendre des décisions législatives qui les impactent tous également - par la nature même de la loi. La souveraineté doit être inaliénable et ne peut pas être déléguée précisément pour maintenir cette situation d'atomisme et de dépendance mutuelle entre les individus. C'est également la raison pour laquelle Rousseau récuse tout groupe d'intérêt comme regroupement d'individus ou toute institution intermédiaire. Ce n'est que de cette manière - sans qu'il n'y ait de collusion d'aucune sorte - que la loi peut être l'expression de la volonté générale, i.e. l'expression de l'intérêt de la société en tant que société et non l'expression de l'intérêt du groupe le plus influent. Si le pouvoir législatif ne peut être exercé que par le peuple assemblé - en vertu de ce qui précède -, en revanche, le pouvoir exécutif peut lui être détenu par virtuellement n'importe quel type d'individus, groupes d'individu ou institutions, pour autant, bien sûr, que ce pouvoir exécutif se borne à appliquer la loi et non à s'élaborer lui-même. Tout le système de Rousseau est fondée sur la recherche d'un moyen d'éviter l'existence de contradictions entre l'existence de la société et le contenu des droits individuels, même si on peut très fortement douter qu'il parvienne à préserver la substance des dits droits individuels. Pour Arendt, qui est aristotélicienne au moins sur ce point-là, l'homme est un animal social, càd la société est constitutive de la condition humaine. A partir de là, la politique et le "pouvoir" politique ne sont pas des artefacts qui sont destinés à servir des buts, comme chez Rousseau. Au contraire, ils existent par le simple fait que les hommes existent et vivent en société - ce qui va ensemble, vu sa conception de l'homme. La politique, en gros, dans ce cadre-là, c'est l'ensemble des problèmes qui intéressent (au sens d'impliquer une personne dans les conséquences bonnes ou mauvaises d'une affaire, d'un événement) les hommes qui vivent en société. C'est cet état de fait qui investit l'ensemble des hommes formant une société d'un pouvoir, même si celui-ci n'est pas nécessairement toujours exprimé, voire remarquable (Arendt écrit que c'est une "puissance"). Ceci ne signifie pas, bien sûr, que tous les individus seront concernés ou prendront part à toutes les décisions politiques, car la forme institutionnelle du gouvernement et des instances politiques est déterminée par bien d'autres paramètres (à commencer, pour les gouvernements stables, par la question de savoir qui dispose de l'autorité ou comment on est investi par l'autorité) - il est cependant vrai que ce pouvoir dont parle Arendt existe quelque soit la forme du gouvernement, démocratique, monarchique, oligarchique, etc. Par sa nature même, ce pouvoir politique qui réside dans le peuple constitué ne peut être aliéné, il est simplement d'une nature différente du pouvoir ou de la violence du dirigeant. Sinon, effectivement, ce texte ne peut pas être interprété comme une critique de Sarkozy (?). Ça n'a juste rien à voir avec lui. Ce que ce texte fait, c'est simplement rapporter une distinction que fait Arendt, distinction fondée sur sa manière particulière de concevoir la politique. On peut au plus y voir une critique de la "violence" à condition de bien comprendre le sens dans lequel elle emploie le terme.
pierreyves Posté 22 novembre 2008 Auteur Signaler Posté 22 novembre 2008 Thx pour les éclaircissements. Sinon, effectivement, ce texte ne peut pas être interprété comme une critique de Sarkozy (?). Ça n'a juste rien à voir avec lui. Ce que ce texte fait, c'est simplement rapporter une distinction que fait Arendt, distinction fondée sur sa manière particulière de concevoir la politique. On peut au plus y voir une critique de la "violence" à condition de bien comprendre le sens dans lequel elle emploie le terme. Je comprends cette distinction pouvoir/violence comme la distinction entre la "bonne" politique et la "mauvaise" (la violence). Au contraire, selon Arendt, le politique ne suppose que le rassemblement d'hommes égaux décidés à l'action, la "puissance" qui surgit de ce rassemblement étant exclusive de tout acte d'allégeance. Ce pouvoir n'étant rien de matériel ou d'instrumental, nul ne peut le conquérir ou se l'approprier il n'existe qu'entre les hommes qui parlent et agissent en commun; rebelle à toute définition chosiste, il se corrompt en se consolidant. L'exclusion de tout acte d'allégeance, le pouvoir non consolider, seraient autant de façon de faire la différence entre le pouvoir politique "naturel", et le pouvoir du politicien, violent.
Etienne Posté 23 novembre 2008 Signaler Posté 23 novembre 2008 Je comprends cette distinction pouvoir/violence comme la distinction entre la "bonne" politique et la "mauvaise" (la violence). […]L'exclusion de tout acte d'allégeance, le pouvoir non consolider, seraient autant de façon de faire la différence entre le pouvoir politique "naturel", et le pouvoir du politicien, violent. Il n'y a pas vraiment de bonne ou de mauvaise politique, dans son propos. Il y a deux niveaux qu'il faut distinguer parce que seulement un est essentiel, tout en étant principalement puissance (et non en acte). Le second niveau, celui de la représentation de ce pouvoir, peut être violence ou non, selon Arendt selon qu'il prétende ou non occulter/remplacer le véritable pouvoir politique. Ce qui est assimilé par Arendt à de la violence, c'est la prétention d'un individu ou d'un groupe d'individus à avoir une délégation réelle du pouvoir politique, plutôt qu'une simple représentation. Elle n'a jamais écrit dans son œuvre que le pouvoir de l'homme d'Etat (ou de l'homme politique, mais le terme a une connotation trop moderne) était intrinsèquement ou essentiellement violent.
pierreyves Posté 25 novembre 2008 Auteur Signaler Posté 25 novembre 2008 Il n'y a pas vraiment de bonne ou de mauvaise politique, dans son propos. Il y a deux niveaux qu'il faut distinguer parce que seulement un est essentiel, tout en étant principalement puissance (et non en acte). Le second niveau, celui de la représentation de ce pouvoir, peut être violence ou non, selon Arendt selon qu'il prétende ou non occulter/remplacer le véritable pouvoir politique. Ce qui est assimilé par Arendt à de la violence, c'est la prétention d'un individu ou d'un groupe d'individus à avoir une délégation réelle du pouvoir politique, plutôt qu'une simple représentation. Cette "violence", c'est celle du politicien qui souhaite forger la destinée politique de ceux qu'il administre, qui s'oppose à, et réduit la liberté de chacun de faire usage de pouvoir authentique. Elle n'a jamais écrit dans son œuvre que le pouvoir de l'homme d'Etat (ou de l'homme politique, mais le terme a une connotation trop moderne) était intrinsèquement ou essentiellement violent. Ce n'était pas le sens de ma remarque, simplement qu'un politicien particulier, Sarkozy, me semble faire usage de cette violence un degré plus élevé que beaucoup d'autres (ce n'est pas un homme qui sait manier le pouvoir tel que définit par Arendt, me semble t'il).
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