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Au secours, l'Etat revient


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Au secours, l'Etat revient!

François Garçon, maître de conférence à l'Université Paris I, se demande si l'Etat sera davantage capable de réguler l'économie que les secteurs financiers.

François Garçon

Lundi 19 janvier 2009

Conséquence directe de la crise, un scénario ressurgit que brandissent les détracteurs du marché, celui du rôle salvateur de l'Etat appelé à remettre enfin de l'ordre dans une économie livrée aux mains de banquiers cupides et entrée, par leur faute, en dépression. Place à l'Etat, à celui qui voit loin et fait le bien, animé par la seule défense de l'intérêt général. Contre ce qui nous est vendu comme une heureuse alternative à la main invisible du marché, on se permettra non de sourire mais de grimacer. Derrière la figure d'un Etat vertueux qui secoure un monde qu'auraient perverti quelques milliers d'affairistes détrousseurs, c'est en effet la bureaucratie publique qui, profitant de l'aubaine, s'apprête à remonter sur scène.

Pour l'heure, de toutes parts des experts se bousculent qui assènent: «Je l'avais bien prédit, c'était inévitable!» A notre connaissance, ils sont au contraire peu nombreux ceux qui, à l'instar de Nouriel Roubini ou Jim Rogers, ont tiré la sonnette d'alarme. Quelques rares autres, tel Alistair Darling, le chancelier britannique, ont sonné le tocsin l'été dernier, quand le système était entièrement vérolé. Quant à l'immense majorité des experts, universitaires ou responsables des départements stratégiques de grandes banques, ils ont fait montre d'une cécité remarquable au point que le philosophe Yves Michaud ait cruellement demandé à quoi ces «spécialistes» avaient bien pu servir jusqu'alors. Et la puissance publique? Une chose est avérée: l'Etat est demeuré partout étonnamment passif jusqu'à l'automne 2008. Pourtant, de Washington à Reykjavik, l'Etat qui «voit loin», qui n'est pas assujetti au court terme, qui dispose de tous les instruments de contrôle légaux et qui est supposé s'en servir, aurait pu prendre en temps utile les mesures qui s'imposaient non pas début 2008, mais voilà dix, voire quinze ans. En d'autres termes, le pompier aujourd'hui sollicité, qui se rengorge et à qui l'on confie le soin de remettre tout d'équerre, n'a rien compris au jeu de fou qui se déroulait sous ses yeux. Pire: les mêmes qui stigmatisent aujourd'hui et à juste titre la cupidité forcenée du secteur financier militaient pour une politique encore plus laxiste du crédit.

Si l'on comprend pourquoi les organismes de crédit et les assurances ont joué à ce jeu truqué, glissant des jokers dans les paquets de cartes et injectant des faux jetons dans le casino, comment expliquer que, partout, les Etats aient laissé faire? Après tout, le libéralisme n'a jamais rimé avec anarchie et, de tout temps, ses doctrinaires ont célébré la nécessité d'organes de régulation surveillant notamment les conditions de libre concurrence. Pourquoi, dans ces conditions, les puissances publiques, avec leurs organismes de contrôle aux pouvoirs les plus étendus et leurs milliers de fonctionnaires immunisés contre la course à la performance et supposés réguler le système économique, n'ont-elles pas tapé du poing sur la table et fait cesser la comédie? Soit, les Etats n'ont rien compris aux jeux frisant l'escroquerie qui se déroulaient au su et au vu de tous et auxquels s'adonnaient des milliers de banquiers et d'intermédiaires financiers sur l'ensemble de la planète.

Ce scénario où l'Etat est aveugle et grugé conduit logiquement à s'interroger sur son utilité en tant que puissance protectrice et sur l'usage qu'il fait des gigantesques prélèvements qu'il opère sur la richesse par le biais des taxes et des impôts. Cette impéritie publique amène logiquement à s'interroger sur l'efficacité attendue des opérations de grande chirurgie que l'Etat s'apprête à pratiquer ou à superviser sur sa zone de souveraineté: ici, secourir tel secteur d'activités ou telle entreprise, là, laisser mourir. Autre scénario: les hommes de l'administration ont vu le trucage du marché tel que le pratiquaient les banques gangstérisées, les ventes massives d'actifs pourris, le surendettement consécutif de millions de ménages incapables de rembourser leurs créances et, là aussi, l'Etat supposé dûment informé n'a rien dit ni fait, se bornant à prodiguer, dans certains pays, comme en France ou en Italie, des soins palliatifs aux ménages surendettés. Passivité criminelle quand survient la catastrophe planétaire sur quoi débouchent vingt ans de tripatouillages de crédits accordés en dépit du bon sens.

Enfin, avec des Etats endettés et qui font, pour beaucoup d'entre eux, la démonstration de leur incompétence en matière de gestion des fonds publics, est-on bien certain que les équipes venues du secteur public qui triomphe aujourd'hui seront capables de combattre le chaos actuel? Bref, l'arrivée aux commandes de l'économie mondiale d'une administration sans connaissance autre que purement théorique des règles du marché, lui-même discrédité à cause d'abus de prédateurs cupides aux commandes de véhicules financiers déchaînés, n'est une bonne nouvelle pour personne. Avec l'effondrement du crédit et la chute en ridicule du monde bancaire que vient ponctuer le sinistre clown Madoff, l'économie mondiale vient de perdre en quelques mois l'un de ses principaux acteurs historiques. Un autre acteur s'apprête à reprendre le rôle. Pour notre malheur, il ne présente aucun signe tangible de compétence dans le domaine de la dynamisation de l'économie. Quand à son «track-record» dans sa supposée sphère de compétence, celle de la gestion et de l'affectation des ressources fiscales, il est même calamiteux, comme en témoigne le niveau général des dettes publiques générées, la plupart des temps, par une orgie de dépenses non maîtrisées.

Somme toute, où que l'on se tourne, l'avenir immédiat paraît assez sombre.

Source: François Garçon dans Le Temps

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