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Vers L'homme Nouveau ?


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...mais aussi la physionomie spéciale de la "morale" commune des élites notamment progressistes, qui ne peuvent supporter ou envisager leurs privilèges que justifiés au nom de l'approfondissement de l'expérience démocratique (égalitaire).  

 

Détaille, ça concorde avec la réalité observée, mais je ne vois pas bien la spécificité du progressisme qui le rends spécifiquement plus adapté a cet environnement.

 

Posté

La spécificité du progressisme, c'est d'affirmer que ce qui est ou ce qui a été est nécessairement moins bon que ce qui se fera demain, même si cet avenir n'est qu'hypothétique et donc par définition incertain. Le progressisme démocratique se propose donc de défaire les institutions pour les réorganiser en fonction des canons d'un individualisme moral (celui que Hayek qualifiait de faux, bien entendu) qu'il prend pour toise universelle, but rationnel et fin de l'histoire.

 

Il y a du Rousseau derrière tout cela. L'individu jeté dans l'histoire, pour se réconcilier avec lui-même, se doit de se débarrasser de la civilisation, ce bric à brac de trucs mystiques, de superstitions et de conventions d'un autre âge pour enfin retrouver la culture qui doit le faire revenir à l'état naturel, celui de grand singe jouissant essentiellement centré sur ses fonctions biologiques et physiologiques. Nietzsche, Fukuyama, Kojève et Muray avaient bien vu cet aspect dans le moralisme démocratique. Le progressisme démocratique, contrairement aux invocations rhétoriques de certains de ses partisans, a un mal fou avec l'altérité, le pluralisme et les distinctions biologiques, culturelles et historiques qui sont pourtant le lot commun de l'humanité. Le pluralisme pour Rawls peut exister, à condition qu'il soit raisonnable et compatible avec un débat rationnel posé dans les termes de son kantisme curieux. La défense des identités est possible chez un Kymlicka ou un Gutzman à condition que ces identités soient compatibles avec une égale reconnaissance de droits individuels à tous (ce qui fait de l'identité exactement l'inverse de qu'ils cherchent à défendre, une propriété optionnelle de l'individu abstrait comme pourrait l'être une bagnole ou un chien domestique).  

 

Il a à la fois une dimension nihiliste dans le progressisme démocratique, qui consiste à défaire tout ce qui a été fait, et une autre mystique, puisqu'il y a une connaissance des fins dernières de l'histoire qu'il s'agit d'imposer au monde, y compris contre sa volonté (puisqu'elle peut être aveuglée par la superstition). C'est pour cette raison que je parlais du progressisme comme d'un sentiment d'appartenance à l'avant-garde : celui qui connaît les véritables desseins de l'histoire n'a pas à se plier à la morale commune, puisque le seul tribunal du monde, c'est celui de l'histoire.

 

C'est essentiellement cet aspect qui me fait douter de la qualité morale de la "morale" démocratique, ainsi que son caractère profondément hétéronome.

 

Si le progressisme démocratique ne se sent tenu que par l'avènement historique de la société rationnelle fondée sur la recollection d'individus largement interchangeables entre eux, tous les moyens pour y parvenir peuvent être bons. Les vertus personnelles comme le courage, la loyauté, la bonté, l'abnégation, la franchise, l'honnêteté deviennent des vieilleries qu'il est possible d'ignorer ou de minorer, ce qui est assez curieux quand on prétend incarner une attitude éthique. 

 

Plus étonnant encore est l'hétéronomie de la moral(in)e démocratique : si le progressiste est détenteur de cette connaissance d'avant-garde, s'il lit directement dans l'avenir, alors il peut se permettre, quand il ne s'arroge pas le rôle, de guider le reste de l'humanité vers sa destination.

 

Cet aspect est particulièrement déstabilisant, parce que pour qu'il y ait de la morale, en vrai, il faut de l'autonomie de la volonté, comme dirait l'autre. Il n'y a de morale que particulière, qu'en situation de liberté de choix, et qu'après délibération rationnelle sur les normes et les principes évalués par l'individu lui-même en dehors de l'institution politique (qui par définition est une agence coercitive : elle impose les commandements d'une partie de la population à une autre sans demander son avis à chaque individu). C'est d'ailleurs pour ça qu'on peut même se demander si la vie morale n'est pas une invention uniquement compatible avec l'ordre social capitaliste (mais c'est un autre problème).

 

Ce triple aspect nihiliste, historiciste et hétéronome se retrouve dans les guerres démocratiques, les politiques démocratiques et la morale de ses élites. La guerre quand elle devient humanitaire ou démocratique peut se révéler tout aussi haineuse, radicale et terroriste que celle non démocratique. La politique démocratique est tautologique : sa justice s'évalue en fonction de sa capacité à démocratiser l'ordre social, c'est-à-dire, une fois encore, égaliser les conditions pour aboutir à la société d'individus. Les élites progressistes sont ses prêtres les plus avancés dans la connaissance (quand ils ont une morale bien sûr : Drake a raison de souligner que plus on s'élève vers le pouvoir, plus l'oxygène moral se raréfie comme dirait l'autre. Cependant, mon propos est aussi de souligner à quel point le moralisme démocratique peut s'accommoder du cynisme le plus absolu).

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Le progressisme démocratique, contrairement aux invocations rhétoriques de certains de ses partisans, à un mal fou avec l'altérité, le pluralisme et les distinctions biologiques, culturelles et historiques qui sont pourtant le lot commun de l'humanité. 

Bien vu et bien dit.

 

Sinon, F. mas, concernant ton choix d’étude la mystique égalitariste dans les régimes démocratiques, je me demande si ton analyse historique n’est pas trop intelligente, s’il n’y a pas plus simple. Et s’il s’agissait d’une force égalisatrice commune à tous les pouvoirs, quelqu’en soit le mode d’exercice? Force entravée, atténuée, par des considérations pratiques et légales dans les régimes démocratiques vaguement contraints par la notion d’Etat de droit, mais qui déploie pleinement l’étendue de sa violence dans les régimes totalitaires (que pourraient illustrer par le kitsch les jolis tableaux vivants du régime nord-coréen et leurs petits pixels humains). 
 
Par une dynamique propre, le pouvoir non jugulé dans sa marche absolutiste tendrait naturellement à l’avénement de deux classes d’individus, l’Herrenvolk de la haute fonction publique et la masse indifférenciée enrôlée plus ou moins volontairement dans un projet global qui implique et renforce sa soumission. Le citoyen comme soldat en quelque sorte. Et dans l’armée, si l’on ne conteste pas les ordres, on ne choisit pas non plus son affectation, la couleur de son uniforme ni sa coupe de cheveux (l’anti-l’oréalisme absolu pour parler le langage de neuneu 2k). Certes l’entreprise privée est elle aussi une structure d’enrôlement, mais désertable ad nutum. Lénine disait vouloir que la société tout entière devienne «un seul immense bureau et une seule immense usine avec égalité de travail et égalité de rétribution» (L'État et la Révolution, 1917).
 
Bastiat disait aussi déjà pas mal de chose dans la Loi : «il y a trop de grands hommes dans le monde ; il y a trop de législateurs, organisateurs, instituteurs de sociétés, conducteurs de peuples, pères des nations. Trop de gens se placent au dessus de l'humanité pour la régenter, trop de gens font métier de s'occuper d'elle.»
 
Citant des discours révolutionnaires, il commentait : «Suivant Robespierre, qui copie littéralement Rousseau, le Législateur commence par assigner le but de l'institution de la nation. Ensuite les gouvernements n'ont plus qu'à diriger vers ce but toutes les forces physiques et morales. La nation elle-même reste toujours passive en tout ceci, et Billaud-Varennes nous enseigne qu'elle ne doit avoir que les préjugés, les habitudes, les affections et les besoins que le Législateur autorise». Projet historique d’inspiration rousseauiste propre à la Terreur, conditionné par les rapports de production du temps, ou projet universel des politiques décomplexés, faisant profession commune de façonner la boue humaine pour leur plus grand profit (matériel et immatériel, incluant les gratifications morales liées à l’exercice per se de ce pouvoir)?
 
Reste à expliciter la nature du rapport entre domination, massification et indifférenciation. Il s’agit peut-être d’un simple problème technique, faute de ressources suffisantes pour le micro-management d’individus hétérogènes au sein de sociétés complexes (et s’il s’agissait d’édifier une société complexe, autant laisser opérer les structures et forces spontanées de la liberté). Sous un régime autoritaire, l’individu est contrait par un réseau serré de surveillances et de contrôle d’allégeance, mais le pouvoir suprême s’exerce de loin, en gros, par la règle impersonnelle et par le biais d’un processus bureaucratique dont le propre est la gestion de lots indifférenciés, quitte à les homogénéiser lui même. Bon, tout ceci ne vole pas très haut, c’est le poncif Sci-Fi de la future armée des clones, dont nous subissons aujourd’hui les prémisses tragico-comiques à travers notre gouvernement socialo et son armée de clowns.
Posté

 

Bien vu et bien dit.

 

Sinon, F. mas, concernant ton choix d’étude la mystique égalitariste dans les régimes démocratiques, je me demande si ton analyse historique n’est pas trop intelligente, s’il n’y a pas plus simple. Et s’il s’agissait d’une force égalisatrice commune à tous les pouvoirs, quelqu’en soit le mode d’exercice? Force entravée, atténuée, par des considérations pratiques et légales dans les régimes démocratiques vaguement contraints par la notion d’Etat de droit, mais qui déploie pleinement l’étendue de sa violence dans les régimes totalitaires (que pourraient illustrer par le kitsch les jolis tableaux vivants du régime nord-coréen et leurs petits pixels humains). 
 
Par une dynamique propre, le pouvoir non jugulé dans sa marche absolutiste tendrait naturellement à l’avénement de deux classes d’individus, l’Herrenvolk de la haute fonction publique et la masse indifférenciée enrôlée plus ou moins volontairement dans un projet global qui implique et renforce sa soumission. Le citoyen comme soldat en quelque sorte. Et dans l’armée, si l’on ne conteste pas les ordres, on ne choisit pas non plus son affectation, la couleur de son uniforme ni sa coupe de cheveux (l’anti-l’oréalisme absolu pour parler le langage de neuneu 2k). Certes l’entreprise privée est elle aussi une structure d’enrôlement, mais désertable ad nutum. Lénine disait vouloir que la société tout entière devienne «un seul immense bureau et une seule immense usine avec égalité de travail et égalité de rétribution» (L'État et la Révolution, 1917).
 
Bastiat disait aussi déjà pas mal de chose dans la Loi : «il y a trop de grands hommes dans le monde ; il y a trop de législateurs, organisateurs, instituteurs de sociétés, conducteurs de peuples, pères des nations. Trop de gens se placent au dessus de l'humanité pour la régenter, trop de gens font métier de s'occuper d'elle.»
 
Citant des discours révolutionnaires, il commentait : «Suivant Robespierre, qui copie littéralement Rousseau, le Législateur commence par assigner le but de l'institution de la nation. Ensuite les gouvernements n'ont plus qu'à diriger vers ce but toutes les forces physiques et morales. La nation elle-même reste toujours passive en tout ceci, et Billaud-Varennes nous enseigne qu'elle ne doit avoir que les préjugés, les habitudes, les affections et les besoins que le Législateur autorise». Projet historique d’inspiration rousseauiste propre à la Terreur, conditionné par les rapports de production du temps, ou projet universel des politiques décomplexés, faisant profession commune de façonner la boue humaine pour leur plus grand profit (matériel et immatériel, incluant les gratifications morales liées à l’exercice per se de ce pouvoir)?
 
Reste à expliciter la nature du rapport entre domination, massification et indifférenciation. Il s’agit peut-être d’un simple problème technique, faute de ressources suffisantes pour le micro-management d’individus hétérogènes au sein de sociétés complexes (et s’il s’agissait d’édifier une société complexe, autant laisser opérer les structures et forces spontanées de la liberté). Sous un régime autoritaire, l’individu est contrait par un réseau serré de surveillances et de contrôle d’allégeance, mais le pouvoir suprême s’exerce de loin, en gros, par la règle impersonnelle et par le biais d’un processus bureaucratique dont le propre est la gestion de lots indifférenciés, quitte à les homogénéiser lui même. Bon, tout ceci ne vole pas très haut, c’est le poncif Sci-Fi de la future armée des clones, dont nous subissons aujourd’hui les prémisses tragico-comiques à travers notre gouvernement socialo et son armée de clowns.

 

 

 

Désolé de te répondre aussi tard, je n'ai pas eu beaucoup de temps pour faire des réponses longues sur le forum ces derniers jours. 

 

Il y a à mon avis effectivement une dynamique égalisatrice de la politique du côté des gouvernants : il s'agit de rendre les gouvernés les plus malléables et les plus dociles possibles à l'activité politique. Dans son dernier livre sur l'émergence de l'ordre politique, Fukuyama remarque assez justement je trouve la même constante dans tous les ordres politiques, vouloir défaire la société reposant sur la famille et la filiation (ce qu'il appelle patrimonialisme) pour la réorganiser légalement en vue de mieux la soumettre aux changements que les gouvernants impulsent (ces changements en général visent à étendre et perfectionner l'impôt, la conscription, l'administration de la justice et le contrôle politique pour aller vite). 

 

Seulement, le développement de cette logique dans l'histoire est conditionné au développement technologique et culturel. Pour qu'il y ait la polarisation entre masses et expertocratie, il faut un changement dans l'ordre social qui transforme le rapport de domination (c'est l'histoire de l'égalité et son extension en Europe -c'est d'ailleurs le thème du dernier livre de Rosanvallon que j'ai commencé hier-, la fin de la légitimité supranaturelle, le déplacement du langage de l'autorité de la théologie vers la science puis l'économie, etc.). Il n'y a pas là un simple problème technique, mais une histoire longue qu'il s'agit de reconstituer pour en comprendre les ressorts ama.

 

Maintenant, il me semble que la classe bureaucratique et politique ne constitue pas (sauf dans les rêves les plus fous des hégéliens et des léninistes) l'autorité directoriale de l'ordre social dans son ensemble, mais une classe intermédiaire qui loin de défendre un ethos singulier au dessus des intérêts particuliers de la société civile, est elle aussi à la fois le réceptacle d'intérêts particuliers et la caisse de résonance d'intérêts spéciaux qui minorent considérablement les prétentions à la sittlichkeit des premiers bureaucrates européens de la fin du 19eme siècle. En d'autres termes, pour parler comme un trotskiste : nous ne vivons pas à l'heure actuelle la polarisation entre bureaucratie et masses, mais son dépassement. Nous sommes entrés dans l'ère individualiste de l'Etat bureaucratique dégénéré, traversé par des intérêts particuliers, des rentes de situations et un cronysme chronique (haha) qui l'oblige à évoluer encore (vers la gouvernance et sa domination déterriorialisée). 

 

Sinon, sur l'uniformisation par la politique, l'expérience totalitaire constitue toujours une bonne référence quand il s'agit de constituer le repoussoir universel d'une société complètement politisée (et donc complètement dépolitisée  si tout est politique, à quoi sert d'utiliser un terme qui n'a de sens qu'en s'opposant à ce qu'il n'est pas ?) : le citoyen totalitaire idéal est celui qui ne reconnaît aucune autre allégeance que celui d'une administration qui enseigne le vrai et le faux, et qui n'a plus aucune autre assise sociale pour se repérer dans le monde que ce que lui indique le stade suprême de la centralisation politique qu'est la gouvernance bureaucratique. Le vrai, le faux, le juste, l'injuste, le réel et l'imaginaire lui sont subordonnés. Pour Arendt, l'idéal civique de l'Etat totalitaire, c'est Auschwitz. C'est aussi pour ça que l'évopsy et la théorie éco m'intéressent : entre les délires normatifs portés par l'étatisme politique et la nature humaine, il y a un gap irrémédiable (heureusement), et si le second subvertit régulièrement les desseins du premier, j'ai peur que le premier ne subvertisse le second dans les mêmes proportions. 

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