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Faut-il Lire Raymond Boudon ?


pierreyves

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Sur un thread précédent, j'ai critiqué deux bouquins de Raymond Boudon, je ne recopie pas, c'est assez long et cela chargerait ce post inutilement. Pour ceux que cela intéresse :L'art de se persuader et La logique du social

Je remercie Fabrice de m'avoir conseillé de persévérer dans ma lecture (d'une certaine façon, et selon tous les sens du terme, "Je n'ai pas été déçu") … j'ai donc attaqué le troisième bouquin, "Effets pervers et ordre social". En toute honnêteté, j'ai l'habitude de lire les bouquins jusqu'au bout … mais j'ai bien envie de laisser celui-ci en suspend jusqu'à ce qu'on me mette sur la piste de ce qu'il y a de si intéressant (entre a priori, erreurs et trivialités).

Citations à l'appui (… je pourrais sans doute allonger la liste à l'envie):

"L'explication revient toujours à retrouver l'action individuelle derrière les régularités qu'on observe au niveau macro-sociologique."

=> découverte pour un libéral :icon_up:

"Je défends ici un individualisme de type non pas atomique mais structurel. Les systèmes sociaux ont une structure. Cette structure fixe (de manière plus ou moins claire et définitive selon les cas) les contraintes sous lesquelles les individus agissent. Ces contraintes définissent pour les agents du système les limites du possible."

=> une suite de trivialités, observables par tous. La vie ne serait pas une entreprise s'il n'existait pas de contraintes. Reste que s'il n'avait pas disséqué l'individualisme, il se serait évité bien des détours et aurait peut-être pu étudier la société comme la résultante des entreprises individuelles.

"Il est en tout cas un point dont j'ai réussi, à tort ou à raison, à me convaincre moi-même, c'est que le sociologue ne peut pas négliger la place de la liberté sans s'exposer à de sérieux déboires".
=> pour un auteur proche des idées libérales, cela me semble le minimum :doigt:
"En bref, les contradictions ne débouchant sur aucune synthèse et les conflits chroniques me paraissent devoir être beaucoup plus caractéristiques des sociétés industrielles que la programmation souhaitée par certains et redoutée par d'autres. […] La grande faiblesse [de la théorie de Rawls] réside dans sa sous-estimation des effets pervers. Rawls paraît d'autre part ne pas voir que ces effets sont, toutes choses égales d'ailleurs, d'autant plus importants que la liberté individuelle a une place plus large, entendant par "liberté individuelle" la liste des comportements que l'individu peut adopter de son propre chef, sans obtenir l'approbation au moins tacite d'autrui".
(page 13, chapitre "sociologie et liberté")

Il me semble bien que ce paragraphe insinue que plus l'individu est libre de contrainte dans ses décisions, plus les conflits sociaux sont nombreux… En bref, RB juge que les individus ne sont pas capables de prendre des décisions sans entraîner des effets pervers si désastreux qu'ils débouchent sur des conflits insolubles : il s'agit de la rengaine libéralisme = chaos.

Je pense que RB a tort d'affirmer que les contradictions ne débouchent sur aucune synthèse : ce sont bien ces synthèses qui permettent à la société de progresser vers le libéralisme. Ces synthèses sont produites par ceux des sciences humaines qui prennent le risque de proposer des lois, au contraire de RB. RB me semble consciencieusement éviter la synthèse qui permettrait de tirer des lois (et non seulement des paradigmes) de ses études. Et s'il écarte du champ de la sociologie la recherche de lois en faveur de paradigmes, je juge ses recherches inutiles parce que d'autres lois de sciences humaines devraient permettre d'expliquer l'apparition de ces paradigmes, y compris de ceux non observables ou non encore observés. Cela me fait penser aux chimistes qui passent leur temps à regarder des molécules (alors que d'autres apprennent à les créer)… travail pas forcément inutile pour "défricher le terrain" aux "faiseurs de synthèse", mais qui l'est dans le cas de Boudon qui ne s'attaque qu'à des sujets déjà largement traités par d'autres, comme l'atteste la trivialité de ses conclusions.

Il n'est pas impossible que je juge durement ces bouquins parce que 'les traits de génie' de RB me semblent triviaux (peut-être ma culture scientifique ?). J'en relève 3:

- le parti pris rationaliste - selon ses mots - qui est de considérer que les individus font généralement des choix rationnels

- l'explication des structures sociales par les actions individuelles

- la "découverte" que des actions menées pour de "bonnes raisons" (ie décidée en appliquant une rationalité limitée, au sens de Hayek, repris par Boudon - RB ne crée pas de concept) peuvent produire des effets inattendus par les acteurs (les "effets pervers").

Est-ce que d'autres éléments qui vont ont semblés essentiels m'auraient échappé ou bien Boudon n'est qu'un éclaireur consciencieux en territoires déjà conquis ?

J'avoue que si notre ami n'avait pas autant de galons intellectuels, je ne me poserais peut-être pas même la question : y a t'il quelqu'un pour sauver Boudon ?

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Je sais que j'en ai mis une tartine … mais il n'y a vraiment personne qui apprécie Boudon (à l'excpetion de Fabrice qui est très occupé) sur ce site ?

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Je sais que j'en ai mis une tartine … mais il n'y a vraiment personne qui apprécie Boudon (à l'excpetion de Fabrice qui est très occupé) sur ce site ?

Je viens de recevoir l'Art de se Persuader, je t'en dirai des nouvelles lorsque je l'aurai lu (dans longtemps !)

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Je viens de recevoir l'Art de se Persuader, je t'en dirai des nouvelles lorsque je l'aurai lu (dans longtemps !)

C'est sans doute le meilleur (ou le moins mauvais :icon_up: ?).

thx

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Ce qui me dérange chez Boudon c'est qu'il critique les catégories fondamentales de l'économie, et nottament la notion de rareté dont découle directement les notions de valeur d'usage, de coût d'opportunité et de profit.

Boudon faisait remarquer l'année dernière dans un article de la revu MAUSS (mouvevement anti-utilitariste en science sociale, si je ne me trompe pas) que l'un des principaux propagateur de ces catégories économiques est le professeur Ludwig Von Mises.

Ces idées sont par exemple diffusées dans ce livre d'un disciple de Boudon :

L'auteur Pierre demelanere critique entre autre la notion de rareté (et ce qui en découle) chez Von Mises.

Adopter certaines idées de Boudon revient à nier toute recherche économique comme celle dévelloppée par les économistes autrichiens.

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On trouve exposées les idées de Boudon en ce qui concerne la théorie du choix rationnel (sur laquelle s'appuit toute la microéconomie) dans cet ouvrage :

Ce livre est assez compliqué à comprendre. Je trouve les explications peu claires.

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On trouve exposées les idées de Boudon en ce qui concerne la théorie du choix rationnel (sur laquelle s'appuit toute la macroéconomie ) dans cet ouvrage :

Ce livre assez compliqué à comprendre. Je trouve les explications peu claires.

Microéconomie tu veux dire, non ? (oui je sais, maintenant on fait de la macro aux fondements micro mais c'est quand même un peu… bidon)

Sinon, c'est clair de l'individualisme méthodologique de Boudon s'éloigne de la théorie du choix rationnel des économistes. Hier, je lisais d'ailleurs un de ces papiers dans la revue du MAUSS (n° 24) où il remettait en cause l'individualisme méthodo à la Mises ou à la Friedman…

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Microéconomie tu veux dire, non ? (oui je sais, maintenant on fait de la macro aux fondements micro mais c'est quand même un peu… bidon)

Oui je me suis trompé, je voulais dire microéconomie :icon_up:

Je m'en vais corrigé ça tout de suite.

Sinon, c'est clair de l'individualisme méthodologique de Boudon s'éloigne de la théorie du choix rationnel des économistes. Hier, je lisais d'ailleurs un de ces papiers dans la revue du MAUSS (n° 24) où il remettait en cause l'individualisme méthodo à la Mises ou à la Friedman…

Oui voilà c'est bien à cet article de Boudon parue dans le numéro 24 de la revue du MAUSS que je faisais référence :

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Je sais que j'en ai mis une tartine … mais il n'y a vraiment personne qui apprécie Boudon (à l'excpetion de Fabrice qui est très occupé) sur ce site ?

Bonjour, personnellement j'apprécie Boudon et le livre dont vous nous parlez. C'est un ouvrage que j'ai lu pour mon plaisir mais aussi pour qu'il m'apporte quelques notions sur les effets de système dans le domaine des Relations Internationales, où ses dires peuvent être juxtaposés à ceux de Thomas Schelling ("La tyrannie des petites décisions") et de Robert Jervis ("System Effects"), auteurs qui évoquent parfois les mêmes problèmes théoriques.

Je ne pense pas qu'il regorge non plus de trivialité…

L'idée que "l'individu n'est pas le produit de structure sociale", ou que "les structures délimitent le monde du possible, mais ne sont pas suffisantes pour déterminer le réel" ne sont pas acceptées par tout un chacun, je l'ai constaté dans de nombreuses discussions.

Par ailleurs, en ce qui concerne la sociologie de l'acteur rationnel de Boudon, celle-ci n'est pas compatible avec toutes les perspectives sociologiques (si on se place dans un cadre bourdieusien, par exemple).

En outre, j'aime beaucoup les passages de Boudon concernant de près ou de loin ce que l'on appelle dilemme du prisonnier, et les différents modèles sont bien expliqués.

Et puis sa critique de Rawls est très pertinente, profonde, complexe et intéressante aussi.

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/suite/

Ces idées sont par exemple diffusées dans ce livre d'un disciple de Boudon :

L'auteur Pierre demelanere critique entre autre la notion de rareté (et ce qui en découle) chez Von Mises.

Adopter certaines idées de Boudon revient à nier toute recherche économique comme celle dévelloppée par les économistes autrichiens.

Ah oui tiens, je l'ai eu comme prof.

Est-ce que le livre contient d'autres éléments qui peuvent être instructifs d'un point de vue libéral ?

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Ah oui tiens, je l'ai eu comme prof.

Est-ce que le livre contient d'autres éléments qui peuvent être instructifs d'un point de vue libéral ?

Et bien c'est intéressant dans le sens où il y a de très bons textes clés de Hume, Smith, Pareto, Mises, Coleman… Et l'auteur se pose de bonnes questions. Mais malheureusement il se trompe trop souvent à mon goût.

Donc rien que pour ça ça peut valoir le coup de lire ce livre au moins en partie.

Je dois dire pour être clair que ce livre n'est en rien une diatribe contre la science économique écrite par un de ces auteurs qui ny connait rien, comme on en trouve trop souvent dans les librairies. Pierre Demelanere est un auteur sérieu.

Posté
Et bien c'est intéressant dans le sens où il y a de très bons textes clés de Hume, Smith, Pareto, Mises, Coleman… Et l'auteur se pose de bonnes questions. Mais malheureusement il se trompe trop souvent à mon goût.

Donc rien que pour ça ça peut valoir le coup de lire ce livre au moins en partie.

Je dois dire pour être clair que ce livre n'est en rien une diatribe contre la science économique écrite par un de ces auteurs qui ny connait rien, comme on en trouve trop souvent dans les librairies. Pierre Demelanere est un auteur sérieu.

Merci c'est noté ! :icon_up:

Posté
Je dois dire pour être clair que ce livre n'est en rien une diatribe contre la science économique écrite par un de ces auteurs qui ny connait rien, comme on en trouve trop souvent dans les librairies. Pierre Demelanere est un auteur sérieu.

Tu penses à qui?

O. Todd?

Posté

Je pense à des tas de sociologues qui ne connaissent strictement rien à la science économique mais qui se permettent d'en parler à toute les sauces.

Quant à Olivier Todd je n'ai jamais lu de livre de lui.

Posté

J'ai lu un bouquin de Todd ("Après l'empire"). Au delà de ces positions idéologiques (qui ne m'intéressent guère), le truc intéressant chez lui est qu'il essaye d'expliquer les systèmes économiques par certains facteurs institutionnels non-économiques (c'est le genre de thématique sur lequel je bosse). En l'occurence, pour lui, le facteur structurant de toute société et économie c'est l'institution familiale et les différentes formes qu'elle peut prendre. Je crois savoir par exemple qu'il s'était basé sur des données démographiques pour prédire la chute de l'Union soviétique.

En soi, cette démarche est très intéressante. Mais le problème de Todd, comme de beaucoup d'autres intellectuels de ce type, est double :

1) il prend son explication mono-causale trop au sérieux. Or comme toute explication mono-causale, elle est forcément réductrice.

2) il ne connait quasiment rien à l'économie et pourtant il prétend donner des leçons aux économistes.

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J'ai lu un bouquin d'Emmanuel Todd ("Après l'empire"). Au delà de ces positions idéologiques (qui ne m'intéressent guère), le truc intéressant chez lui est qu'il essaye d'expliquer les systèmes économiques par certains facteurs institutionnels non-économiques (c'est le genre de thématique sur lequel je bosse). En l'occurence, pour lui, le facteur structurant de toute société et économie c'est l'institution familiale et les différentes formes qu'elle peut prendre. Je crois savoir par exemple qu'il s'était basé sur des données démographiques pour prédire la chute de l'Union soviétique.

En soi, cette démarche est très intéressante. Mais le problème de Todd, comme de beaucoup d'autres intellectuels de ce type, est double :

1) il prend son explication mono-causale trop au sérieux. Or comme toute explication mono-causale, elle est forcément réductrice.

2) il ne connait quasiment rien à l'économie et pourtant il prétend donner des leçons aux économistes.

J'ai lu ce bouquin. Et j'en tire les mêmes conclusions que toi. Et dire qu'à l'époque des tas de gens ont fait l'éloge de cet ouvrage !

De plus le problème avec ce genre d'analyse c'est qu'elles oublient trop souvent l'apparition du "nouveau" dans les sociétés : ce n'est pas parce-que c'était comme ça avant que ce sera forcément comme ça dans l'avenir. Les sociétés évoluent.

Posté

En fait c'est moi qui ait écrit trop vite. J'ai eu les avis que j'attendais.

Posté
J'ai lu un bouquin de Todd ("Après l'empire"). Au delà de ces positions idéologiques (qui ne m'intéressent guère), le truc intéressant chez lui est qu'il essaye d'expliquer les systèmes économiques par certains facteurs institutionnels non-économiques (c'est le genre de thématique sur lequel je bosse). En l'occurence, pour lui, le facteur structurant de toute société et économie c'est l'institution familiale et les différentes formes qu'elle peut prendre. Je crois savoir par exemple qu'il s'était basé sur des données démographiques pour prédire la chute de l'Union soviétique.

En soi, cette démarche est très intéressante. Mais le problème de Todd, comme de beaucoup d'autres intellectuels de ce type, est double :

1) il prend son explication mono-causale trop au sérieux. Or comme toute explication mono-causale, elle est forcément réductrice.

2) il ne connait quasiment rien à l'économie et pourtant il prétend donner des leçons aux économistes.

C'est aussi mon avis. J'ai lu "la troisième planète" ou il dit des choses très intéressantes sur l'influence que les structures familiales ont sur la genèse de certains faits sociaux. Après la "chute finale" qui a fait sa renommée, que je n'ai pas lu mais dont j'avais entendu parler, je prenais Todd pour un type sérieux. Puis l'opinion que j'avais de lui s'est progressivement dégradée. A l'heure actuelle je le trouve dénué de toute espèce d'intérêt.

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