Serge Posté 30 avril 2006 Signaler Posté 30 avril 2006 Le Front populaire : Les surlendemains qui déchantentRelancer la consommation, lutter contre le chômage sont les deux priorités du gouvernement Blum. Mais les hausses du coût du travail, répercutées sur les prix, entraînent l'inflation. Les slogans « la paix, le pain et la liberté » ou « contre les 200 familles » ont émaillé la campagne du Front populaire. La politique économique menée par Pierre Laval était alors l'objet de vives controverses. Tout comme ses prédécesseurs, le président du Conseil (de janvier 1935 à janvier 1936) avait réduit la capacité de production et les dépenses de l'Etat afin d'enrayer la baisse des prix et de lutter contre la crise. Au début de 1936, cette politique de déflation est décevante. La France est en plein marasme. Certes, les prix ont été artificiellement maintenus mais ils sont trop élevés pour les consommateurs et pas assez pour les producteurs qui ne peuvent entamer aucune modernisation. Pour rétablir l'équilibre budgétaire, les impôts ont été augmentés et les traitements des fonctionnaires, ainsi que les pensions de retraite, réduits de 10 % par des décrets-lois très impopulaires. Les salaires stagnent ou diminuent. Aucune reprise de la production n'est en vue alors que pour d'autres pays, comme la Grande-Bretagne, la crise est déjà passée. Le Front populaire insiste donc, dans sa campagne, sur son projet économique et social : restaurer le pouvoir d'achat, réduire le chômage, diminuer la durée du travail. La solution préconisée par Léon Blum est nouvelle en France. S'inspirant du New Deal de Roosevelt - mis en oeuvre aux Etats-Unis en 1932 - il pense pouvoir lutter contre la crise par une augmentation des dépenses de l'Etat, des prix et des salaires, exactement l'inverse de ce qui avait été pratiqué jusqu'alors. Pourtant, à la différence des Etats-Unis, cette politique de relance par la demande ne va pas réussir à sortir la France de la crise économique. Un an après son élection, lorsque Léon Blum démissionne du gouvernement le 22 juin 1937, la situation a nettement empiré. Les difficultés économiques sont telles que l'on peut à juste titre se demander si elles n'ont pas été la cause principale de l'échec du Front populaire. Mais qui porte la responsabilité d'un tel échec ? Est-ce la sanction d'une politique économique irréaliste ou l'opposition du « mur de l'argent » ? La réalité tient un peu des deux. Lorsqu'elle parvient au pouvoir, la coalition électorale radicalo-socialo-communiste est divisée sur les questions économiques. Si les socialistes veulent lancer un vaste programme de relance par la demande, les radicaux restent attachés à la libre entreprise et ne souhaitent pas toucher aux structures du capitalisme. La politique doit être nouvelle, mais sans atteinte à la liberté ni risque pour la monnaie. Le slogan est « ni déflation ni dévaluation ! ». La référence reste le libéralisme, à tel point que le programme ne prévoit ni contrôle des prix, ni contrôle des changes, ni protectionnisme. Léon Blum va réaliser très vite combien il est difficile de concilier ces exigences contradictoires. Les ouvriers, par leurs occupations d'usines, l'amènent à conclure les accords de Matignon dès le 7 juin 1936. Les salaires augmentent de 7 à 15 %. La loi du 20 juin accorde 12 jours ouvrables de congés payés. Avec celle du 21 juin, le temps de travail hebdomadaire passe de 48 à 40 heures sans diminution de salaire. D'autres mesures suivent pendant l'été : le soutien des prix du blé, le lancement d'une politique de grands travaux, la tutelle de l'Etat sur la Banque de France et quelques nationalisations (armement et aéronautique). Dans cette politique d'inspiration keynésienne, Léon Blum fait le choix d'une diminution du temps de travail plutôt que d'une hausse des salaires. Pour l'employeur, le coût réel d'une heure de travail augmente de près de moitié, mais ces charges nouvelles ne se traduisent pas directement en pouvoir d'achat supplémentaire pour les salariés. En effet, les heures supplémentaires sont strictement réglementées. La diminution du temps de travail n'entraîne pas non plus de baisse du chômage, car les entreprises, dont les coûts salariaux ont augmenté, ne disposent pas des marges pour embaucher. Les hausses du coût du travail, répercutées sur les prix, génèrent une poussée inflationniste. Plus grave, des entreprises se retrouvent dans l'incapacité de répondre à certaines commandes faute de pouvoir investir ou embaucher. Certaines branches, moins atteintes par le chômage, manquent d'ouvriers qualifiés et doivent réduire leur production. Paradoxalement, à l'instar de celle de ses prédécesseurs, la politique économique de Blum aboutit donc à limiter les capacités de production. L'inflation se conjugue alors avec la stagnation, « stagflation » qui préfigure celle de la fin des années 1970, après les chocs pétroliers. Mais le problème le plus visible est d'ordre monétaire. La fuite des capitaux commence avant même l'arrivée au pouvoir du Front populaire, elle s'accélère ensuite : 17 milliards de francs Poincaré quittent la France, en 1936. Contrairement à ce qu'il avait promis, le gouvernement doit dévaluer dès le 1er octobre. Les prix continuent cependant d'augmenter et la dévaluation ne peut compenser la différence entre les prix français et étrangers. Le gouvernement consent à instaurer un contrôle des prix, mais refuse tout contrôle des changes, les exportations ne reprennent pas et la balance commerciale se détériore. La production reste anémiée, de sorte que les impôts ne rentrent pas et le déficit budgétaire se creuse. En désespoir de cause, Léon Blum demande au Parlement les pleins pouvoirs pour lutter contre la crise monétaire, mais le Sénat les lui refuse. Le président du Conseil préfère alors démissionner. Neuf jours après, le 30 juin 1937, son successeur, Camille Chautemps, doit procéder à une nouvelle dévaluation. Elle sera suivie d'une troisième, le 12 novembre 1938, à l'instigation de Daladier. Alors, quel bilan ? Pour les uns, le salaire réel a diminué, la monnaie s'est effondrée, le chômage s'est maintenu, le déficit de la balance commerciale s'est creusé et les caisses de l'Etat ont été vidées. Pour les autres : aucune véritable catastrophe. Ni multiplication des faillites, ni diminution de la production, ni recrudescence du chômage. On enregistre même une certaine reprise en 1937 avec une légère amélioration de l'emploi. La peur de l'effondrement de l'économie, qui avait entraîné la fuite des capitaux, relèverait plus d'un effet de panique face à l'arrivée d'un gouvernement élu avec l'appui communiste que d'une appréciation objective de la situation. Quoi qu'il en soit, la hausse des prix et la fuite des capitaux ont été les deux difficultés majeures du gouvernement. Comment éviter en effet que l'inflation n'annule les effets économiques des augmentations de salaire ? Comment empêcher aussi, dans un contexte de libre-échange, que la politique qui vise à ranimer la demande intérieure n'aboutisse à accroître les importations et à creuser les déficits ? Un gouvernement de coalition hétéroclite ne pouvait abandonner les principes du libéralisme pour lutter contre ces fléaux. Dès lors, toute politique de relance perdait de son efficacité. Selon l'expression d'Alfred Sauvy, « on ne saurait regonfler un pneu percé ». Je vois des similitudes avec l'époque actuelle… et une différence de taille, le carcan monétaire. Existe-t-il encore aujourd'hui des marges de manoeuvre pour les partisans de l'interventionnisme ?
WALDGANGER Posté 30 avril 2006 Signaler Posté 30 avril 2006 Je vois des similitudes avec l'époque actuelle… et une différence de taille, le carcan monétaire.Existe-t-il encore aujourd'hui des marges de manoeuvre pour les partisans de l'interventionnisme ? ça me fait toujours rire l'histoire économique vue par les historiens; tous les économistes se prennent la tête pour essayer de comprendre des évènements aussi complexes et eux ils arrivent avec leur boite à outil keynesienne magique. Noter que c'est par le même biais que la plupart des journalistes commentent l'actualité économique.
Calembredaine Posté 1 mai 2006 Signaler Posté 1 mai 2006 ça me fait toujours rire l'histoire économique vue par les historiens; tous les économistes se prennent la tête pour essayer de comprendre des évènements aussi complexes et eux ils arrivent avec leur boite à outil keynesienne magique. Noter que c'est par le même biais que la plupart des journalistes commentent l'actualité économique. Notons que c'est encore le libéralisme qui est à la base de la catastrophe. Le libéralisme de Blum
Serge Posté 1 mai 2006 Auteur Signaler Posté 1 mai 2006 Notons que c'est encore le libéralisme qui est à la base de la catastrophe. Le libéralisme de Blum Oui, j'avais pris la peine de souligner en gras le passage récurrent et compromettant pour le libéralisme ça me fait toujours rire l'histoire économique vue par les historiens; tous les économistes se prennent la tête pour essayer de comprendre des évènements aussi complexes et eux ils arrivent avec leur boite à outil keynesienne magique. Noter que c'est par le même biais que la plupart des journalistes commentent l'actualité économique. Dont acte.
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