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La Turquie au bord de l'implosion


Taranne

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La Turquie au bord de l'implosion, par Ahmet Altan

Point de vue

LE MONDE | 12.06.07 | 14h36

La Turquie se dirige vers un grand règlement de comptes final. Cette situation n'est pas due, comme on pourrait le craindre, à un conflit de race ou de religion. Le pays est traversé d'une fracture plus fondamentale et plus dangereuse.

Nous avons aujourd'hui d'un côté une grande masse de gens qui ôtent leurs chaussures avant d'entrer dans une maison, des femmes qui se couvrent la tête, des garçons qui fréquentent les cafés pendant que les filles sont soumises à des règles extrêmement oppressives, des gens dont les foyers sont éclairés par des ampoules nues, qui apprécient une musique à mi-chemin entre la chanson populaire et l'arabesque, qui n'ont peut-être jamais lu un livre, n'ont jamais dansé, des hommes qui ne sont jamais allés au restaurant avec leur femme, n'ont jamais été au théâtre, ont très peu d'éducation et professent de fort sentiments religieux.

De l'autre côté, il y a ceux - et celles, puisque l'établissement comporte un lycée de filles - qui ont fait leurs études au prestigieux Robert College d'Istanbul, qui y ont dansé à l'occasion de mariages ou de soirées, qui vont au cinéma, lisent - parfois - des livres, ont un assez bon niveau d'éducation, des goûts musicaux qui vont de la pop au classique, des maisons décorées avec un certain goût et des femmes qui ne se couvrent pas la tête. Ce sont des gens qui n'autorisent peut-être pas leur fille à fréquenter un garçon, mais qui détournent la tête quand cela se produit. Ils croient en Dieu mais prient rarement, boivent de l'alcool dans des soirées mixtes, suivent la presse, regardent les talk-shows et vivent plus ou moins selon les normes occidentales.

Les styles de vie de ces deux groupes ne se ressemblent en rien. A la différence de ce qui se passe en Occident, où des éléments tels que la musique d'église, l'iconographie religieuse et les histoires bibliques, adaptées y compris à l'écran, créent une sensibilité partagée par toutes les classes, il n'existe en Turquie aucun terrain culturel commun susceptible de les unir. Leurs existences, leurs goûts et leurs croyances sont totalement différents. Et même antagonistes.

Le premier groupe a été méprisé, discrédité et mal traité durant les années de la République. A présent, numériquement important, il s'est organisé politiquement et dispose d'une puissance politique lui permettant de gagner toutes les élections. Mais il ne parviendra au pouvoir qu'en acceptant certains critères occidentaux, il tente donc de s'approprier les valeurs démocratiques et d'améliorer ses rapports avec l'Occident.

Le second groupe est minoritaire et, parce qu'il sait qu'il ne reviendra jamais au pouvoir s'il respecte les règles politiques occidentales, il devient peu à peu hostile aux valeurs démocratiques de l'Occident.

L'armée joue un rôle important dans cette désagrégation culturelle. Elle est composée d'enfants du premier groupe qui coopèrent avec le second groupe, lequel lui est hostile. En un certain sens, l'armée trahit ses propres racines.

L'élection présidentielle a exposé au grand jour les intentions des deux parties et révélé à quel point leur conflit était aigu. Le second groupe, soutenu par l'armée, ne veut plus d'élection. Et chaque jour qui passe voit enfler les rumeurs d'un possible coup d'Etat. On reparle de junte. Or que se passerait-il en cas de coup d'Etat ?

Le groupe dont le style de vie se rapproche du mode de vie occidental accédera au pouvoir avec le soutien de l'armée, mais perdra celui de l'Occident. L'Europe se prononcera résolument contre un coup militaire. Les Etats-Unis auraient pu accepter un coup d'Etat en échange d'un soutien à sa politique dans le nord de l'Irak et dans l'ensemble du Moyen-Orient. Mais un pays qui a occupé l'Irak en clamant qu'il voulait y apporter la "démocratie" serait bien en mal d'expliquer au monde et à son propre peuple qu'il soutient un putsch militaire en Turquie. Ils devront donc, bon gré mal gré, s'opposer à un coup d'Etat. Mais alors que fera ce pays qui bénéficie de financements occidentaux et dont l'armée est dotée d'armes fournies par l'Occident, s'il doit rompre ses liens avec celui-ci ?

Si la Turquie connaît un coup d'Etat, le monde assistera à un phénomène qui ne s'est encore jamais produit : la Turquie cherchera à établir un partenariat avec la Russie et l'Iran. Elle obtiendra de ces deux pays armes, énergie et financements. Le gaz naturel, le pétrole et l'énergie nucléaire de la Russie et de l'Iran suffiront à maintenir la Turquie la tête hors de l'eau, même si ce n'est que pour une brève période. Et un bloc formé de la Russie, de la Turquie et de l'Iran ne manquera pas de modifier l'équilibre global. Il prendra le contrôle total du Moyen-Orient. Il emprisonnera l'Europe dans les frontières de son petit continent. Il attirera dans son orbite le Caucase, l'Afghanistan et le Pakistan. Il nouera des relations étroites avec le monde musulman. Il sera même en mesure de proposer un partenariat à la Chine. Ce nouveau bloc disposerait d'une puissance considérable sur les plans militaire, financier et énergétique. La fissure turque conduirait ainsi à une fracture globale.

Si une troisième guerre mondiale devait advenir, je pense qu'elle pourrait surgir de cette crevasse. J'aimerais que ce scénario soit étudié par les deux camps qui se font face en Turquie. Par l'Europe, qui se comporte de manière insolente avec un pays dont l'héritage impérial est à la fois magnifique et pathétique, et qui tente de repousser la Turquie hors de son aire, et par l'Amérique, qui croit jouer au plus malin en menant double jeu dans sa politique à l'égard de la Turquie.

Que le conflit sanglant qui semble se profiler en Turquie puisse mettre le feu au monde entier n'est pas une éventualité si éloignée que vous le pensez. La première guerre mondiale a bien commencé par deux coups de revolver.

——————————————————————————--

Traduit de l'anglais par Gilles Berton

Ahmet Altan, commentateur politique au quotidien "Hurriyet", auteur de fictions

Article paru dans l'édition du 13.06.07

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a defaut de pouvoir tirer la chasse des WC.

Bofbof…

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L'auteur a quand même l'air à côté de la plaque. Les Etats-Unis entretiennent de bonnes relations avec l'AKP et ce dernier n'est pas non plus un parti islamique révolutionnaire, c'est d'ailleurs le parti le plus pro-UE.

Et de toutes façons, l'armée turque est trop dépendante de l'armement américain pour passer du jour au lendemain à du russe et vice versa dans une région aussi chaude et importante, démocratie ou pas il serait difficile pour les Etats-Unis de laisser filer un allié aussi fort que la Turquie dans le camp adverse.

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L'auteur a quand même l'air à côté de la plaque. Les Etats-Unis entretiennent de bonnes relations avec l'AKP et ce dernier n'est pas non plus un parti islamique révolutionnaire, c'est d'ailleurs le parti le plus pro-UE.

Et de toutes façons, l'armée turque est trop dépendante de l'armement américain pour passer du jour au lendemain à du russe et vice versa dans une région aussi chaude et importante, démocratie ou pas il serait difficile pour les Etats-Unis de laisser filer un allié aussi fort que la Turquie dans le camp adverse.

L'aspect géopolitique est effectivement assez douteux, mais le diagnostic sociologique me paraît, lui, assez pertinent. La Turquie est le seul pays musulman où ce sont les laïques qui refusent les règles du jeu démocratique, et cela pourrait bien très mal se terminer.

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On pourrait même dire que le fossé se creuse entre une logique sociologique et une logique géopolitique, ce qui n'augure rien de bon.

Posté
L'aspect géopolitique est effectivement assez douteux, mais le diagnostic sociologique me paraît, lui, assez pertinent. La Turquie est le seul pays musulman où ce sont les laïques qui refusent les règles du jeu démocratique, et cela pourrait bien très mal se terminer.

Bof. En règle générale dans le monde arabo-islamique, ce sont les plutôt les forces qui se disent laïques (baathistes, panarabes, armées, bureaucraties d'Etat…) qui sont les secteurs les plus antidémocratiques. Les mouvements islamistes ou musulmans conservateurs sont moins hostiles au jeu démocratique qui souvent leur permettrait d'arriver au pouvoir.

Posté
Bof. En règle générale dans le monde arabo-islamique, ce sont les plutôt les forces qui se disent laïques (baathistes, panarabes, armées, bureaucraties d'Etat…) qui sont les secteurs les plus antidémocratiques. Les mouvements islamistes ou musulmans conservateurs sont moins hostiles au jeu démocratique qui souvent leur permettrait d'arriver au pouvoir.

Pour une fois, je suis d'accord avec toi.

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Ce que je ne comprend pas, c'est pourquoi ce jornaleux dit que le "premier groupe" va faire un putsh militaire alors qu'il a dit qu'ils étaient majoritaire. C'est donc la démocratie qui sert le mieux leurs intérét, alors pourquoi un Putsh?

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L'aspect géopolitique est effectivement assez douteux, mais le diagnostic sociologique me paraît, lui, assez pertinent.

Effectivement, des amis turcs m'ont déjà parlé de cette différence culturelle de plus en plus marquée dans la société turque. Mais je pense qu'en Turquie, l'héritage d'Ataturk (quoi qu'on en pense) a eu le temps de marquer les esprits et rares sont les personnes des deux catégories dont parle l'article qui souhaitent faire table rase. Ca permet d'être moins pessimiste, surtout si le statu quo entre l'AKP et l'armée se maintient.

Ce que je ne comprend pas, c'est pourquoi ce jornaleux dit que le "premier groupe" va faire un putsh militaire alors qu'il a dit qu'ils étaient majoritaire. C'est donc la démocratie qui sert le mieux leurs intérét, alors pourquoi un Putsh?

Non, c'est le deuxième groupe qui serait plutot favorable à un putsch :icon_up:

Posté

Non, c'est le deuxième groupe qui serait plutot favorable à un putsch
:icon_up:

Ok, j'ai mal lu.
:doigt:

J'aimerai bien qu'il fasse un putsh, comme ça juste pour voir les pro-démokratie occidentaux se retrouver à défendre des islamistes, ca pourrait être marrant. Surtout qu'ils seront un peu obligés, c'est ca ou voir la Turquie se tourner vers l'Orient.

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[…] Les mouvements islamistes ou musulmans conservateurs sont moins hostiles au jeu démocratique qui souvent leur permettrait d'arriver au pouvoir.

[Auto-caricature]

Les islamistes ne sont favorables à la démocratie que dans le cadre de l'adage politique "un homme, une voix, une fois".

[/Auto-caricature]

Posté

Ok, j'ai mal lu.
:icon_up:

J'aimerai bien qu'il fasse un putsh, comme ça juste pour voir les pro-démokratie occidentaux se retrouver à défendre des islamistes, ca pourrait être marrant. Surtout qu'ils seront un peu obligés, c'est ca ou voir la Turquie se tourner vers l'Orient.

Les faits importent peu. Ils soutiendront l'autre camp, soit-en sûr.

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[Auto-caricature]

Les islamistes ne sont favorables à la démocratie que dans le cadre de l'adage politique "un homme, une voix, une fois".

[/Auto-caricature]

Heureusement que tu précises que c'était de l'autocaricature, parce que sinon j'aurais pu te citer l'exemple de l'Iran, en sus de la Turquie d'Erdogan (législatives dimanche prochain).

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[Auto-caricature]

Les islamistes ne sont favorables à la démocratie que dans le cadre de l'adage politique "un homme, une voix, une fois".

[/Auto-caricature]

C'est que les démocrates européens interprètent mal cet adage.

Ankh-Morpork, une démocratie sur le modèle "Un Homme, une Voix". Le Patricien est l'Homme, il a la Voix.
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Erdogan et l'AKP souhaitent intégrer l'union européenne pour casser le contre-pouvoir militaire local et selon des vues antidémocratiques, il s'agit d'un sinistre malentendu.

Pour rappel, la démocratie selon Erdogan

“Pour nous, la démocratie n’est pas un objectif mais un moyen. Un moyen comme un tramway. Nous prendrons ce tram et nous nous dirigerons vers notre objectif. Le système que nous souhaitons instaurer ne peut pas être contraire aux règles dictées par Allah. Car notre référence c’est l’Islam"
Posté

Il faut vraiment être socialiste pour croire que la démocratie est une fin et un objectif en soi.

Sinon, trop fort le coup du "contre-pouvoir militaire". Je suppose qu'en URSS, le politburo était aussi un "contre-pouvoir" ?

Posté

Bah, au pire, les militaires feront un coup d'État, un peu de ménage pendant 2 - 3 ans, puis retour à la démocratie. C'est pas comme si c'était la première fois, ils commencent à avoir l'habitude en Turquie.

Posté
Ahmet Altan, commentateur politique au quotidien "Hurriyet", auteur de fictions

On avait remarqué.

Les styles de vie de ces deux groupes ne se ressemblent en rien. A la différence de ce qui se passe en Occident, où des éléments tels que la musique d'église, l'iconographie religieuse et les histoires bibliques, adaptées y compris à l'écran, créent une sensibilité partagée par toutes les classes, il n'existe en Turquie aucun terrain culturel commun susceptible de les unir. Leurs existences, leurs goûts et leurs croyances sont totalement différents. Et même antagonistes.

:icon_up:

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[Auto-caricature]

Les islamistes ne sont favorables à la démocratie que dans le cadre de l'adage politique "un homme, une voix, une fois".

[/Auto-caricature]

:icon_up:

Alors que le dictateur du coin, ce serait plutôt:

On est pour la démocratie, à condition de rester au pouvoir.

Ah oui, nos opposants ils sont pas laïcs. Inchallah ils le seront un jour

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Heureusement que tu précises que c'était de l'autocaricature, parce que sinon j'aurais pu te citer l'exemple de l'Iran, en sus de la Turquie d'Erdogan (législatives dimanche prochain).
  1. En Turquie, les islamistes (modérés) ne se sentent pas tout permis, face à une grande part de la population et aux institutions.
  2. En Iran, le Guide Suprême n'est pas élu, et nomme la moitié du Conseil des Gardiens de la Constitution, le chef du système judiciaire, ainsi que le Conseil de discernement de l'intérêt supérieur du régime (bigre, quel nom).

Bref, :icon_up:

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le Conseil de discernement de l'intérêt supérieur du régime (bigre, quel nom).

Bref, :icon_up:

En France, il avait ça avant, ça s'appelait commissariat au plan.

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En France, il avait ça avant, ça s'appelait commissariat au plan.

Ah bon ? Ya pu ? En Belgique, nous avons toujours notre Bureau du Plan (purement consultatif, il est vrai).

Posté
En France, il avait ça avant, ça s'appelait commissariat au plan.

Oh, ça existe toujours, ça a seulement changé de nom.

Posté
En France, il avait ça avant, ça s'appelait commissariat au plan.

Ca n'avait pas le même rôle. Le Conseil de discernement arbitre les disputes entre la chambre basse, élue, et la chambre haute, nommée par le Guide Suprême. Par contre, ces deux corps ont en commun un rôle consultatif (encore que : le Conseil de Discernement est saisi en mode pull, alors que le Commissariat Général au Plan propose en mode push une ribambelle de plans, quinquennaux ou autres), et permettent tous deux de recaser des amis fidèles. :icon_up:

Posté
Ca n'avait pas le même rôle. Le Conseil de discernement arbitre les disputes entre la chambre basse, élue, et la chambre haute, nommée par le Guide Suprême. Par contre, ces deux corps ont en commun un rôle consultatif (encore que : le Conseil de Discernement est saisi en mode pull, alors que le Commissariat Général au Plan propose en mode push une ribambelle de plans, quinquennaux ou autres), et permettent tous deux de recaser des amis fidèles. :doigt:

Voyons, la compétence planificatrice des membres des ces honorables institutions n'est pas à remettre en cause :icon_up:

  • 3 years later...
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State lender warns on further increase in Turkey’s required reserves

Tuesday, May 3, 2011 GÖKHAN KURTARAN ISTANBUL - Hürriyet Daily News

The Turkish Central Bank increased bank reserve requirements three times in the past year to 16 percent from 10 percent in 2010, in a struggle against the rapid credit growth and current account deficit.

Turkish Central Bank’s Monetary Policy Committee hiked reserve requirements for short-term foreign currency deposits last month. Starting from May 13, banks will be required to park 12 percent of such deposits at the Central Bank, without earning interest. Previously, the rate was 11 percent.

Les taux monétaires sont à 6,25% !

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