phantom_opera Posté 25 septembre 2007 Signaler Posté 25 septembre 2007 Eh bien dans ce cas, on peut également défendre la liberté d'expression pour ceux qui ont envie de dire que les caricaturistes sont des c……Je ne cherche pas à avoir raison, je constate que sur ce sujet, il y a un manque de cohérence général. Il n'y a aucune incohérence d'un point de vue du Droit. Les caricaturistes, Dieudonnée, les manifestations de néonazis et Bernard Campan (n'oublions pas mon petit exemple ) doivent être protégés, personne ici ne souhaite qu'ils paient ou qu'ils aillent en prison, il n'est nullement question de remettre en cause la liberté d'expression et je ne remettrai jamais en question cette liberté qui doit être absolue. Le problème qu'on se pose est de savoir si oui ou non ces gens ont fait de bons ou de mauvais choix par rapport à l'ordre libéral et je voulais juste dire que ce n'était pas toujours évident. Je voulais juste remettre en cause notre capacité à tout découvrir. Pour l'exemple des caricatures, je me mets à la place de Charlie Hebdo, le monde est en feu à cause d'abrutis qui manifestement n'avaient pas notre humour, était-il nécessaire d'en rajouter une couche en republiant ces caricatures? C'est une énorme responsabilité à prendre avec une issue incertaine, il y avait un risque énorme que je n'aurais pas pris. Heureusement tout s'est bien passé, mais comment pouvait-on savoir si la republication allait reconsolider ou remenacer l'ordre libéral? Pas évident. Bon là j'ai pris un exemple assez "simple" et "gros", mais dans la vie de tous les jours, dans les relations entre amis, avec sa compagne, etc. il y a aussi toujours de grandes responsabilités à prendre et faire le bon choix n'est pas toujours facile. Heureusement quelques institutions préexistent pour ne pas trop se casser la tête, mais bon…
Ronnie Hayek Posté 25 septembre 2007 Signaler Posté 25 septembre 2007 Pour l'exemple des caricatures, je me mets à la place de Charlie Hebdo, le monde est en feu à cause d'abrutis qui manifestement n'avaient pas notre humour, était-il nécessaire d'en rajouter une couche en republiant ces caricatures? Je dois être un abruti alors, parce que je n'ai toujours pas saisi où était la plaisanterie dans la caricature de Mahomet portant une bombe dans le turban.
Brock Posté 25 septembre 2007 Signaler Posté 25 septembre 2007 il y a plein de gens qui confondent moquerie irrespectueuse et humour, specialement quand il est question de religion, tout est permis … (et je ne suis pas religieux pour deux sous. - edit: mais je connais plein de gens bien qui le sont ) …il me faudrait une signature pour remplir tout ca.
Coldstar Posté 25 septembre 2007 Signaler Posté 25 septembre 2007 Je dois être un abruti alors, parce que je n'ai toujours pas saisi où était la plaisanterie dans la caricature de Mahomet portant une bombe dans le turban. C'est parce que tu ne saisis pas l'humour moderne. Exemple: "où était la plaisanterie dans la caricature de Mahomet portant une bombe dans le turban?" … DTC
phantom_opera Posté 25 septembre 2007 Signaler Posté 25 septembre 2007 Je dois être un abruti alors, parce que je n'ai toujours pas saisi où était la plaisanterie dans la caricature de Mahomet portant une bombe dans le turban. Arf, c'est vrai que c'était plus une provocation gratuite que de l'humour…
Ronnie Hayek Posté 25 septembre 2007 Signaler Posté 25 septembre 2007 C'est parce que tu ne saisis pas l'humour moderne. Exemple:"où était la plaisanterie dans la caricature de Mahomet portant une bombe dans le turban?" … DTC Et après, tu ne voudrais pas que je sois réac' ?
Roniberal Posté 27 septembre 2007 Signaler Posté 27 septembre 2007 J'ai terminé la lecture du bouquin de Michéa, voici ce que j'en ai retiré: http://chacun-pour-soi.blogspot.com/2007/0…-invite-la.html Il est vraiment bien, ce billet, j'aime beaucoup!
Ronnie Hayek Posté 27 septembre 2007 Signaler Posté 27 septembre 2007 Merci, ô fidèle lecteur de CPS !
Punu Posté 8 octobre 2007 Signaler Posté 8 octobre 2007 http://www.chronicart.com/webmag/article.php?id=1406 Dans "L'Empire du moindre mal", Jean-Claude Michéa livre une critique radicale de la civilisation libérale, dans sa version économiste "de droite" comme dans sa version libertaire "de gauche". Pas tout à fait d'accord avec lui, notre chroniqueur revient sur les questions de la nature humaine, de la neutralité de l'Etat et de l'homme nouveau.Selon Jean-Claude Michéa, libéralisme politique et libéralisme économique appartiennent à la même matrice : le premier s'appuie sur le droit, entretient la logique d'émancipation infinie des individus et des groupes et a aujourd'hui la faveur de la gauche bien-pensante (sous la forme de lutte contre toutes les exclusions et discriminations) ; le second s'appuie sur le marché, réclame l'extension de la logique d'échange à toutes les strates de la société et jouit aujourd'hui des préférences de la droite bien-gérante (sous la forme d'un culte de la croissance qui suppose la liquidation de toute résistance au changement et l'adhésion au consumérisme laborieux - travailler plus pour consommer plus). Droite et gauche ne s'opposeraient donc qu'en apparence : ces deux libéralismes du droit et du marché se fonderaient en fait sur une même anthropologie moderne, née à l'époque où les guerres de religion déchiraient l'Europe. Cette vision du monde s'articule autour d'une analyse pessimiste de l'homme (naturellement porté à l'envie et à l'égoïsme, car soucieux de son image et de son intérêt), d'un idéal scientifique d'approche objective et rationnelle, d'une volonté de se rendre maîtres et possesseurs de la nature et d'un refus prudent des grands idéaux, valeurs et autres obsessions du " Bien commun " menant si facilement à la guerre ; de ces prémisses anthropologiques naîtront donc le droit et le marché, deux mécaniques idéales de régulation des rapports interindividuels dans le cadre d'un espace public "neutre" (chacun peut posséder une vision du bien dans sa vie privée, mais personne n'impose la sienne aux autres dans la vie publique). Ce libéralisme ne vise pas à instaurer le " Bien " sur Terre (contrairement aux utopies totalitaires de la Cité de Dieu ou de la Cité du Soleil), mais à développer une "civilisation du moindre mal", c'est-à-dire à faire en sorte que les individus survivent à travers des cadres impersonnels de coexistence, pas dans une communauté rassemblée par une vision substantielle et partagée du bien. Le pire des mondes ? Pour Michéa, d'inspiration orwellienne on le sait (Orwell se définissait comme "anarchist tory", et l'on pourrait sans trop d'erreur qualifier Michéa de "socialiste conservateur"), cette approche instrumentale se traduit par une disparition de la "common decency" (valeurs morales de sens commun, propres aux expériences quotidiennes de "la base", c'est-à-dire les gens tels qu'ils vivent dans leur "socialité primaire"), par le sacrifice de la générosité et de l'honnêteté (logique du don et contre-don) à l'esprit de calcul et l'égoïsme (logique de l'intérêt) et, finalement, par une guerre permanente contre la nature et contre l'humanité elle-même (exploitation technologique et industrielle). Car, et c'est là que se conclut son essai, "l'empire du moindre mal" pourrait bien basculer demain dans le meilleur des mondes (les projets totalitaires), contre lequel il s'est pourtant construit : la vision pessimiste de l'homme induirait en effet la volonté implicite de changer la nature humaine, de fabriquer un "homme nouveau" compatible avec la logique libérale du droit et du marché, c'est-à-dire un homme rationnel, égoïste et performant, dénué des "défauts" évidents des hommes ordinaires, si souvent rétifs au tableau idyllique que le capitalisme marchand dresse de lui-même dans ses publicités. Désaccord Il y a évidemment beaucoup de choses vraies dans le propos de Jean-Claude Michéa. Mais on reste sur sa faim à cause de son approche assez polémique et de sa critique souvent saturée de préjugés idéologiques (tout en reprochant à son objet libéral de l'être aussi). A titre d'exemple, les débats nord-américains entre libéraux, communautariens, conservateurs et républicains civiques ont permis ces trois dernières décennies des évolutions peu "bruyantes", mais très solides de la philosophie politique et morale. Chez Michéa, les notions de libéralisme, de démocratie et de modernité semblent parfois confondues, en tout cas non problématisées dans leurs apports respectifs : est-il par exemple crédible de réduire la transformation moderne du monde à l'accomplissement du projet philosophique libéral, comme il le suggère dès les premières pages, alors que ce processus de modernisation s'est volontiers accommodé de cadres idéologiques non-libéraux (fascisme, nazisme, communisme, socialisme, etc.), de sorte que sa dynamique peut sembler autonome par rapport aux discours qui la légitiment ? La supposée indifférence du libéralisme à la morale paraît également une étrange critique sous la plume de Michéa, quand on sait la place omniprésente que tiennent les leçons de bonne conduite dans les pratiques et représentations de nos sociétés, et quand on sait aussi l'importance que les fondateurs de la pensée libérale, Adam Smith en tête (avant, avec et après lui les sensualistes, les utilitaristes ou les déontologistes), accordaient à la réflexion morale. De même, si le libéralisme du droit et le libéralisme du marché sont présentés comme les deux faces d'un même Janus idéologique, leur articulation n'est pas toujours clairement posée. Par exemple, il existe ou il a existé des régimes libéraux économiquement, mais non politiquement. Par ailleurs, si l'attention portée à l'individu contre le collectif semble le point commun des deux libéralismes, est-on si certain que les pratiques des sociétés libérales ne laissent pas, finalement, une large place à diverses formes de socialité (néotribale, association communautaire ou autres) ? Voici, pour nous, trois points de désaccord avec les analyses de Jean-Claude Michéa : les questions de la nature humaine, de la neutralité de l'Etat, de l'homme nouveau. La question de la nature humaine Le libéralisme est né au XVIIe siècle, à l'époque où l'Europe était déchirée par les guerres de religion. Ce contexte historique a grevé son développement ultérieur en imposant une vision très négative de la nature humaine : l'homme serait un être agressif (le loup hobbesien), la société une zone de conflit permanent.Cette violence devrait être canalisée vers le commerce et l'industrie, activités qui permettent aux hommes de défendre leurs intérêts tout en défoulant leurs instincts de domination. En qualifiant cette anthropologie de "pessimiste" (et d'implicitement fausse), Michéa suggère qu'il possède la bonne définition de la fameuse "nature humaine" sur laquelle se fondent en dernier ressort nos représentations politiques et morales. Hélas, les chapitres consacrés à cette question (V et VI) brillent surtout par l'absence de synthèse et par des divertissements psychanalytiques dont la valeur explicative est assez douteuse. La définition des contours de la nature humaine est l'objet d'innombrables recherches depuis quelques décennies (les sciences de l'évolution et du développement, de la cognition et du comportement), mais Michéa semble ne quasiment pas les connaître (en dehors de quelques travaux sur la théorie des jeux, présentés d'ailleurs de manière assez sommaire et partiale). Or, il apparaît que l'anthropologie scientifique ne cautionne pas plus le pessimisme libéral que ses critiques plus optimistes. En fait, le point qui semble le mieux assuré, c'est l'étonnante diversité des hommes, au point que la "nature humaine" pourrait être un concept problématique si les philosophes se décidaient à la repenser à partir des observations de la science expérimentale. Il existe bien sûr des universaux biologiques, comme, parmi bien d'autres, la propension à apprendre un langage, à comprendre des symboles ou à vivre en société. Mais au-delà de ça, les philosophies politico-morales à visées plus normatives auront du mal à trouver dans la science une vision univoque d'homo sapiens susceptible de fonder ce qui est bon ou mauvais pour l'homme sur ce qui est naturel ou non-naturel en lui. Bien des traits (presque tous, à vrai dire) sont ainsi distribués dans les populations de manière gaussienne (c'est-à-dire continue) : pour prendre un exemple proche du sujet qui nous occupe ici, on trouvera dans toute population des individus très égoïstes, des individus très altruistes et des individus (la majorité) dont le comportement est un mixte d'égoïsme et d'altruisme. Partant de là, la supposée "nature humaine" ne fournit aucune réponse interne à la question de l'organisation des sociétés humaines : on peut aussi bien insister sur la dimension égoïste et conflictuelle (bien réelle) que sur la dimension altruiste et fusionnelle (tout aussi réelle) des individus. En d'autres termes, si le choix de l'anthropologie libérale a une part d'arbitraire, tout autre choix présente le même défaut. Par exemple, et puisque Michéa oppose volontiers la logique du don / contre-don à celle de l'intérêt, l'homme n'est pas plus un calculateur intéressé qu'un donateur généreux : il peut être l'un ou l'autre, voire les deux ensemble selon les séquences de son existence (c'est d'ailleurs une question qui a passionné la théorie des jeux, notamment les solutions au dilemme du prisonnier ; nous sommes toujours en situation d'incertitude sur le comportement futur de notre voisin). Aussi étrange que cela puisse sembler de la part d'une discipline portée à édifier des discours de vérité universelle, la science confirme plutôt les visions relativistes de l'homme et de la société, en mettant en relief la grande variété interne du stock humain, issue notamment du caractère aléatoire de certains mécanismes évolutifs. D'où l'on déduit, d'une part, un grand éventail de possibilités sur ce que l'on souhaite valoriser dans ledit stock humain et, d'autre part, le caractère contingent (politiquement et historiquement) de cette valorisation. Avec sa vision parfois caricaturale d'un homme intéressé, calculateur et asocial, le libéralisme s'est donc souvent trompé ; ais les critiques du libéralisme sont dans l'erreur s'ils imaginent que la simple inversion des dogmes libéraux les rapproche d'une vérité définitive sur notre humanité (et aussi s'ils imaginent que la pression de l'environnement suffit à façonner l'homme dans tel ou tel sens désiré). Concernant la question de la conflictualité, les recherches récentes en anthropologie ne cautionnent pas la caricature d'un état de nature où règne la guerre de tous contre tous, mais ne légitiment pas plus les visions iréniques où les groupes sociaux coexistent pacifiquement. L'être humain n'échappe pas aux règles darwiniennes organisant le vivant : l'accès aux ressources, à l'énergie, aux partenaires (sexuels) est l'objet de conflits incessants, physiques ou symboliques. Le cerveau humain semble avoir été partiellement câblé pour entrer dans cette compétition, notamment dans le conflit intergroupes (c'est ainsi que la morale ou la religion, par exemple, ont essentiellement servi à diviser les hommes entre "eux" et "nous" plus qu'à les rapprocher dans une concorde universelle ou à les séparer dans une indifférence universelle). La crainte de la discorde, la certitude implicite qu'elle peut surgir à tout moment dans un groupe institué (ou entre groupes) n'est d'ailleurs pas l'apanage de penseurs libéraux rendus pessimistes par le spectacle des guerres religieuses et nationales dans l'Europe de l'âge classique : on la trouve aussi au fondement de certaines réflexions antiques (et bien peu libérales) sur la Cité. La question de la neutralité De sa vision pessimiste de l'homme, rappelle Michéa, le libéralisme a déduit la nécessaire neutralité de l'Etat et de l'espace public : en gros, les hommes sont portés à défendre leur vision du bien et à l'imposer aux autres, ce qui se traduit par des conflits incessants ; la bonne manière de faire coexister ces penchants est de les refouler dans la vie privée des individus (ou des communautés) et de faire que leur vie commune s'organise autour de mécanismes les plus impersonnels et les plus neutres possible. L'Etat libéral idéal est donc vide de croyances, de morale, d'idéologie, de religion… C'est-à-dire de toute vision substantielle du " bien ".Il se contente à la rigueur d'assurer le "juste" (la distribution équitable des biens dans la société, comme le préconise Rawls, par exemple), voire de ne rien assurer du tout (selon diverses pensées libertariennes de suppression partielle ou totale des prérogatives étatiques). Il organise par le droit une morale minimale fondée sur la défense de la liberté de l'individu dans le respect de la liberté des autres individus. Et en dessous de l'Etat, mal nécessaire, la société se présente comme une simple collection d'individus ou de groupes ayant des croyances et des intérêts contradictoires (voire n'existe même pas, comme le disait Margaret Thatcher dans un discours célèbre suggérant que les individus et leurs familles sont les seules réalités tangibles sur lesquelles le politique doit agir). Ce principe de neutralité (on devrait dire "processus de neutralisation", dans un sens un peu différent de celui que lui donnait Carl Schmitt) est ce qui nous apparaît comme le plus difficilement critiquable dans la théorie libérale. Nous avons vu précédemment que la nature humaine, problématique en soi, s'assoit sur une grande diversité biologique à la base, faisant que tous les traits physiques ou psychologiques présentent en réalité des variations, parfois importantes, d'un individu à l'autre. Au-delà de la biologie (ou peut-être à cause d'elle, c'est une autre question), il n'est pas moins évident que l'humanité développe une vaste diversité historico-culturelle et axio-normative, dans un mouvement qui a eu tendance à s'amplifier depuis les premiers groupes probablement homogènes du paléolithique jusqu'aux sociétés plus complexes consécutives aux explosions techniques et démographiques du néolithique, puis de la modernité. Ainsi, 150 personnes vivant dans une tribu de chasseurs-cueilleurs ont de bonnes chances d'être assez semblables sur bien des points (en dehors de certaines différences interindividuelles biologiques précitées) ; mais inversement, 150 personnes vivant dans un immeuble d'une ville moderne ont de bonnes chances d'avoir relativement peu de points communs, c'est-à-dire pas les mêmes déterminations biologiques, mais aussi pas les mêmes origines, les mêmes croyances, les mêmes psychologies, les mêmes occupations, les mêmes désirs, les mêmes codes, les mêmes choix sexuels, etc. (au passage, nous n'avons pas choisi ce chiffre de 150 au hasard : d'après les travaux de Dunbar, Hill, Knight, Barrett et quelques autres anthropologues, il s'agit de la taille du réseau social "optimal" pour lequel le cerveau humain a été façonné par son évolution récente ; or, le libéralisme et les autres idéologies modernes ont émergé lorsque les évolutions sociales, politiques et technologiques ont conduit à penser la coexistence de plusieurs millions d'individus dans une même société, cas de figure évidemment assez nouveau). Cette pluralité interne des sociétés est un fait massif dans le monde occidental, et elle a tendance à gagner les mondes non-occidentaux à mesure qu'ils se modernisent. Dans cette réalité-là (et non dans un monde clos et fixe parfois idéalisé, en tous cas révolu, qui inspirait les critiques conservatrices, socialistes ou anarchistes de la pensée libérale au XIXe siècle), il paraît difficile d'organiser l'espace public (ou l'Etat) autour d'une vision substantielle du bien ou d'une morale forte sans léser immédiatement les visions ou les morales non compatibles au sein de la société. Accorder à tous les individus (ou au plus grand nombre) les moyens d'accomplir leurs fins peut être un idéal partagé ; mais imposer une fin parmi d'autres risque de mener au conflit ou à l'oppression (ce qui était d'ailleurs le contexte des guerres de religion où naquit la pensée libérale). Qui a vraiment envie aujourd'hui de se voir imposer par une instance surplombante (l'Etat) une vision substantielle du bien ayant des effets concrets sur tel ou tel domaine de sa vie privée ? Certaines minorités de type sectaire ou intégriste continuent de véhiculer ce rêve autoritaire d'une société homogène soumise à un pouvoir homogénéisateur mais, à l'évidence, la plupart des individus modernes s'accommode très bien de l'éclatement des styles de vie et des valeurs qui les entourent. On portera donc sur ce point le diagnostic inverse de celui de Michéa. Pour faire référence à l'actualité, les dirigeants des démocraties libérales (Bush ou Sarkozy) et leurs majorités démocratiques au sein de l'appareil d'Etat ne nous paraissent pas assez neutres, c'est-à-dire que le processus de neutralisation n'a pas été poussé assez loin par notre modernité dans son travail de sape de toutes les certitudes établies par des pouvoirs coercitifs. A l'âge de la mobilité généralisée et de l'information diffuse, des milliers de micro-politiques peuvent éclore, rassemblant des individus autour d'idéaux partagés sur certains aspects de leur existence, alors que la macro-politique se destine à une gestion assez neutre des grandes questions mondialisées, sous l'angle d'une expertise de plus en plus nécessaire compte-tenu de l'imbrication et de la complexité des problèmes posés par le développement humain. Ce double jeu d'une démocratie de plus en plus locale / sectorielle et d'une technocratie de plus en plus globale apparaîtra bien sûr à certains comme le régime le plus indésirable qui soit. Mais il nous semble porté par la dynamique d'information, de diversification et de complexification à l'œuvre depuis quelques siècles, et l'on ne voit pas bien par quel retour de manivelle des individus déjà séparés par la transformation moderne du monde en viendraient à penser et agir comme leurs ancêtres le faisaient, dans le cadre matériel et symbolique qui était le leur.A notre sens, et pour revenir à la question initiale du rapport neutralité-conflit, il faut donc reconnaître ce succès relatif : notre époque a effectivement réduit la portée de la violence et la guerre au sein ou entre les sociétés, et cela sous la pression sans précédent de l'explosion démographique moderne (autre découverte récente de l'anthropologie, par exemple : aucun conflit du XXe siècle n'atteint la mortalité des conflits intertribaux paléolithiques ou interurbains néolithiques, en proportion de la population, et ce malgré des moyens techniques démesurés de l'âge moderne). La modernité libérale (syntagme qu'il faudrait préciser, pour savoir si l'on critique la "modernisation" ou la "libéralisation") a certes été violente dans son processus de conquête du monde, mais elle a aussi développé une autocritique interne constante de cette violence. On peut faire l'hypothèse, comme Michéa, que cette pacification se traduit par des violences faites à la Terre (à la "nature" domestiquée par l'industrie) ; on peut aussi penser que les hommes préfèrent majoritairement un système qui dirige sa violence contre le non-humain, donc que la "civilisation libérale" de neutralisation des conflits de valeur et des rapports de force possède une résonance certaine dans les populations humaines qui en font l'expérience. Ce qui précède ne doit pas masquer notre accord partiel avec Michéa dans la critique des simplifications ou des mystifications libérales. Il est faux de penser que tous les individus passent leur temps à calculer leur intérêt personnel, de même qu'il est faux de penser que tous les individus peuvent ou veulent vivre en dehors d'une communauté partageant leur vision substantielle du bien. Mais c'est précisément parce que tous les individus n'ont pas les mêmes modes d'interaction ni les mêmes hiérarchies de valeur qu'il est difficile d'imaginer une métamorale (ou une métapolitique ou une métasociété) moderne autre que neutre, ou tout du moins tendant vers le maximum de neutralité dans des conditions historiques données. A charge pour chaque individu ou chaque communauté de s'auto-organiser dans le cadre commun donnant les moyens matériels (techniques et économiques) de cette auto-organisation (dans quelle mesure une telle auto-organisation est possible et interagit avec son cadre fonctionnel, économique ou juridique, d'existence, c'est un autre et vaste débat de savoir). Ajoutons pour finir une pointe plus légère, plus polémique et plus incarnée contre les nostalgies des sociétés solidement ancrées à des "morales fortes". Lorsque Michéa critique les propositions de certains juristes libéraux, comme Iacub ou Borillo, sur le libre développement de toutes les pratiques sexuelles (prostitution ou sadomasochisme en l'occurrence), on devine facilement comment la "morale de sens commun" peut devenir l'alibi d'un retour à l'esprit de clocher et à la normalisation du comportement individuel par la "moyenne comportementale" des populations où vivent ces individus. Michéa étant assez intelligent pour ne pas prêter le flanc à un simple procès d'intention réactionnaire, il suggère que la libéralisation appliquée aux pratiques sexuelles va donner naissance à des conflits incessants, de nature juridique, entre personnes dont la sensibilité est offusquée ou non par lesdites pratiques. Ce qui est en effet le cas, à la marge. Mais cet exemple est révélateur : pour notre part, nous préférons un système qui donne à certains individus le droit de combattre d'autres individus (les prostituées, les homosexuels ou les sadomasochistes) devant les tribunaux à un autre système qui leur donne le droit de brûler, de lapider ou d'exiler les mêmes "déviants". Et si le système libéral de neutralisation est fidèle à ses principes, on ne doute pas un instant que le droit finira ici par se montrer accueillant vis-à-vis de toutes les pratiques privées, tolérant aussi bien les sévices sadomasochistes entre adultes consentants que la lecture familiale de la Bible (quoique dans ce dernier exemple, des mineurs subissent une forte pression psychique…). La question de l'homme nouveau Nous accorderons peu de place à ce dernier thème, car il paraît surajouté dans l'essai de Michéa, sous la forme d'une lecture rapide d'un auteur secondaire (Fukuyama, en l'occurrence). Michéa suggère que la "civilisation libérale" est en train de se métamorphoser peu à peu d'"empire du moindre mal" en "meilleur des mondes", notamment au prix d'une fabrication de l'homme nouveau (ou transformation de la nature humaine) par les biotechnologies. Sa critique s'articule ainsi : le système libéral s'avise empiriquement que son anthropologie est fausse, constate du coup qu'il rencontre des résistances chez l'humanité telle qu'elle est issue de l'évolution naturelle ; il souhaite vaincre ces résistances (les "conservatismes") non seulement de l'extérieur (par l'éducation ou la propagande ou la publicité marchandes), mais éventuellement de l'intérieur, par la sélection biologique d'un homo sapiens plus conforme à ce qui est présenté par ailleurs comme la marche irrésistible du Progrès. S'il paraît inutile d'insister sur ce point, c'est que cet horizon reste largement fantasmatique. Il est probable que la reprise à nouveaux frais de l'auto-domestication de l'humanité (Sloterdijk) grâce aux moyens inédits de manipulation du vivant (mais aussi des symboles, c'est-à-dire des représentations mentales de la réalité) sera une grande problématique des prochaines décennies ou des prochains siècles. Mais au stade actuel des moyens disponibles et des débats ouverts, il paraît difficile d'incriminer spécifiquement le libéralisme dans ce processus, ou de penser que le système libéral sera a priori le plus nocif pour accompagner les évolutions technoscientifiques. Ainsi, les penseurs développant les approches les plus libérales en bioéthique (Hottois, Engelhardt, Rorty, etc.) sont aussi ceux qui conviennent le plus volontiers des bénéfices du pluralisme et de la nécessité de laisser aux individus ou aux familles le plus large éventail de choix dans leurs modes de reproduction. Il est difficile d'y voir les prodromes d'un "meilleur des mondes" totalitaire (au sens où Orwell critiquait les expériences modernes du totalitarisme) et de la fabrication en série d'un homo oeconomicus homogène, satisfaisant enfin les robinsonnades libérales. Selon nous, il s'agit d'un tout autre débat, relatif notamment à la place de la technique dans le processus d'hominisation, et excédant en tout état de cause la seule dimension libérale du processus de modernisation. Ce qui nous mène à une ultime observation critique, en forme de conclusion : le libéralisme n'est jamais qu'une idéologie, c'est-à-dire un nom, une représentation, une formule ou une méthode que l'humanité a donné de manière réflexive au développement concret de certains processus internes (sociaux ou techniques). Les enjeux liés à la transformation du réel et du mode de perception du réel excèdent de loin la représentation libérale qui l'a en partie accompagnée. Il existe un après et un avant modernité. On ne peut réellement penser que depuis l'après. A moins de vouloir fabriquer des légendes qui endorment la pensée. Charles Muller L'Empire du moindre mal, essai sur la civilisation libérale, de Jean-Claude Michéa (Climats)
Chitah Posté 8 octobre 2007 Signaler Posté 8 octobre 2007 Ce passage claque pas mal : La question de la neutralitéDe sa vision pessimiste de l'homme, rappelle Michéa, le libéralisme a déduit la nécessaire neutralité de l'Etat et de l'espace public : en gros, les hommes sont portés à défendre leur vision du bien et à l'imposer aux autres, ce qui se traduit par des conflits incessants ; la bonne manière de faire coexister ces penchants est de les refouler dans la vie privée des individus (ou des communautés) et de faire que leur vie commune s'organise autour de mécanismes les plus impersonnels et les plus neutres possible. L'Etat libéral idéal est donc vide de croyances, de morale, d'idéologie, de religion… C'est-à-dire de toute vision substantielle du " bien ".Il se contente à la rigueur d'assurer le "juste" (la distribution équitable des biens dans la société, comme le préconise Rawls, par exemple), voire de ne rien assurer du tout (selon diverses pensées libertariennes de suppression partielle ou totale des prérogatives étatiques). Il organise par le droit une morale minimale fondée sur la défense de la liberté de l'individu dans le respect de la liberté des autres individus. Et en dessous de l'Etat, mal nécessaire, la société se présente comme une simple collection d'individus ou de groupes ayant des croyances et des intérêts contradictoires (voire n'existe même pas, comme le disait Margaret Thatcher dans un discours célèbre suggérant que les individus et leurs familles sont les seules réalités tangibles sur lesquelles le politique doit agir). Ce principe de neutralité (on devrait dire "processus de neutralisation", dans un sens un peu différent de celui que lui donnait Carl Schmitt) est ce qui nous apparaît comme le plus difficilement critiquable dans la théorie libérale. Nous avons vu précédemment que la nature humaine, problématique en soi, s'assoit sur une grande diversité biologique à la base, faisant que tous les traits physiques ou psychologiques présentent en réalité des variations, parfois importantes, d'un individu à l'autre. Au-delà de la biologie (ou peut-être à cause d'elle, c'est une autre question), il n'est pas moins évident que l'humanité développe une vaste diversité historico-culturelle et axio-normative, dans un mouvement qui a eu tendance à s'amplifier depuis les premiers groupes probablement homogènes du paléolithique jusqu'aux sociétés plus complexes consécutives aux explosions techniques et démographiques du néolithique, puis de la modernité. Ainsi, 150 personnes vivant dans une tribu de chasseurs-cueilleurs ont de bonnes chances d'être assez semblables sur bien des points (en dehors de certaines différences interindividuelles biologiques précitées) ; mais inversement, 150 personnes vivant dans un immeuble d'une ville moderne ont de bonnes chances d'avoir relativement peu de points communs, c'est-à-dire pas les mêmes déterminations biologiques, mais aussi pas les mêmes origines, les mêmes croyances, les mêmes psychologies, les mêmes occupations, les mêmes désirs, les mêmes codes, les mêmes choix sexuels, etc. (au passage, nous n'avons pas choisi ce chiffre de 150 au hasard : d'après les travaux de Dunbar, Hill, Knight, Barrett et quelques autres anthropologues, il s'agit de la taille du réseau social "optimal" pour lequel le cerveau humain a été façonné par son évolution récente ; or, le libéralisme et les autres idéologies modernes ont émergé lorsque les évolutions sociales, politiques et technologiques ont conduit à penser la coexistence de plusieurs millions d'individus dans une même société, cas de figure évidemment assez nouveau). Cette pluralité interne des sociétés est un fait massif dans le monde occidental, et elle a tendance à gagner les mondes non-occidentaux à mesure qu'ils se modernisent. Dans cette réalité-là (et non dans un monde clos et fixe parfois idéalisé, en tous cas révolu, qui inspirait les critiques conservatrices, socialistes ou anarchistes de la pensée libérale au XIXe siècle), il paraît difficile d'organiser l'espace public (ou l'Etat) autour d'une vision substantielle du bien ou d'une morale forte sans léser immédiatement les visions ou les morales non compatibles au sein de la société. Accorder à tous les individus (ou au plus grand nombre) les moyens d'accomplir leurs fins peut être un idéal partagé ; mais imposer une fin parmi d'autres risque de mener au conflit ou à l'oppression (ce qui était d'ailleurs le contexte des guerres de religion où naquit la pensée libérale). Qui a vraiment envie aujourd'hui de se voir imposer par une instance surplombante (l'Etat) une vision substantielle du bien ayant des effets concrets sur tel ou tel domaine de sa vie privée ? Certaines minorités de type sectaire ou intégriste continuent de véhiculer ce rêve autoritaire d'une société homogène soumise à un pouvoir homogénéisateur mais, à l'évidence, la plupart des individus modernes s'accommode très bien de l'éclatement des styles de vie et des valeurs qui les entourent. On portera donc sur ce point le diagnostic inverse de celui de Michéa. Terrible ce texte. Ouh, et la partie sur l'Homme Nouveau est pas mal non plus. Pas l'air d'avoir aimé le bouquin de Michéa apparemment…
melodius Posté 8 octobre 2007 Signaler Posté 8 octobre 2007 Pour Michéa, d'inspiration orwellienne on le sait (Orwell se définissait comme "anarchist tory", et l'on pourrait sans trop d'erreur qualifier Michéa de "socialiste conservateur"), cette approche instrumentale se traduit par une disparition de la "common decency" (valeurs morales de sens commun, propres aux expériences quotidiennes de "la base", c'est-à-dire les gens tels qu'ils vivent dans leur "socialité primaire"), par le sacrifice de la générosité et de l'honnêteté (logique du don et contre-don) à l'esprit de calcul et l'égoïsme (logique de l'intérêt) et, finalement, par une guerre permanente contre la nature et contre l'humanité elle-même (exploitation technologique et industrielle). Car, et c'est là que se conclut son essai, "l'empire du moindre mal" pourrait bien basculer demain dans le meilleur des mondes (les projets totalitaires), contre lequel il s'est pourtant construit : la vision pessimiste de l'homme induirait en effet la volonté implicite de changer la nature humaine, de fabriquer un "homme nouveau" compatible avec la logique libérale du droit et du marché, c'est-à-dire un homme rationnel, égoïste et performant, dénué des "défauts" évidents des hommes ordinaires, si souvent rétifs au tableau idyllique que le capitalisme marchand dresse de lui-même dans ses publicités. Ca c'est une vraie baffe je trouve. Sinon la critique - très bien-pensante de gauche sans être idiote pour autant - est au moins aussi éclairante que le bouquin semble l'être. Je vais me l'acheter tout à l'heure tiens.
Chitah Posté 8 octobre 2007 Signaler Posté 8 octobre 2007 Je crois (surtout d'après l'excellent billet de RH à ce sujet) que c'est une traduction fidèle de ce que dit Michéa. Sauf quelques lignes plus loin, on voit : Désaccord Ce texte me semble assez bien démolir la façon dont Michéa traite trois concepts (nature humaine, neutralité, homme nouveau). Mais nous aurons le temps d'en reparler!
melodius Posté 8 octobre 2007 Signaler Posté 8 octobre 2007 La critique me semble pour ma part assez tendancieuse : s'agissant de la nature humaine, je ne vois pas pourquoi une remise en question de l'anthropologie libérale devrait passer par une anthropologie de remplacement. Et lorsque Technicart nous dit ce qu'est la nature humaine, on est en plein dans les vieux fantasmes de la gauche qui ne reconnait aucune nature humaine tout en invoquant la science, mais à la manière d'une idole, sans amener le moindre élément de preuve. A moins de considérer que le truisme selon lequel les hommes sont différents entre eux serait cette preuve évidemment… Pour la neutralité, la critique est encore plus "idolâtre"; les tribunaux n'ont qu'à trancher les conflits que nous-mêmes sommes incapables de résoudre. Comme si les tribunaux étaient un genre de Deus ex machina. En réalité, et c'est là évidemment que se situe la difficulté, toute société oscille entre deux états de guerre qui finalement se confondent : la tyrannie et l'anomie. On peut tourner le problème dans tous les sens, mais au final nous ne pouvons vivre seuls, et toute société doit posséder un minimum de cohésion pour durer. Je ne prétends pas avoir trouvé la solution, mais je trouve hardi (pour ne pas dire plus) de faire mine de croire que ce serait un problème qu'on résout par un tour de passe-passe, soit la juridisation de tout ce qui bouge. Et si on juridise tout, on va devoir régler un autre problème; qu'est-ce qui justifiera les décisions de justice ? Le dernier point, celui de l'homme nouveau, relève par contre carrément de la pétition de principe : le "libéralisme" serait le meilleur accompagnement des biotech parce qu'il laisse faire tout le monde. C'est possible (bien que pour ma part j'en doute, à plusieurs niveaux) mais en tout cas ce n'est pas sérieux de prétendre évacuer la question de cette manière.
Chitah Posté 8 octobre 2007 Signaler Posté 8 octobre 2007 Mais nous aurons le temps d'en reparler! Bon ça y est c'est fini. Soyons sérieux deux minutes. La critique me semble pour ma part assez tendancieuse : s'agissant de la nature humaine, je ne vois pas pourquoi une remise en question de l'anthropologie libérale devrait passer par une anthropologie de remplacement. Et lorsque Technicart nous dit ce qu'est la nature humaine, on est en plein dans les vieux fantasmes de la gauche qui ne reconnait aucune nature humaine tout en invoquant la science, mais à la manière d'une idole, sans amener le moindre élément de preuve. A moins de considérer que le truisme selon lequel les hommes sont différents entre eux serait cette preuve évidemment… En effet, c'est le passage le moins convaincant : cependant, je crois que Gadrel pourrait nous parler de tous ces trucs, je crois me rappeler que cela l'intéresse. Ce texte ne semble pas aller dans le détail scientifique (trop barbant sûrement), mais il aurait gagné à avoir quelques footnotes. Par contre, je ne relève rien qui ressemble à de l'idôlatrie
melodius Posté 8 octobre 2007 Signaler Posté 8 octobre 2007 L'idolâtrie consiste à dire "La Science dit que" et de croire que ça suffit. Ben non, "La Science" n'existe pas et on fait oeuvre scientifique en démontrant ses affirmations, pas en les mettant sur un piédestal où on espère qu'aucune critique ne pourra les toucher.
Chitah Posté 8 octobre 2007 Signaler Posté 8 octobre 2007 Pour la neutralité, la critique est encore plus "idolâtre"; les tribunaux n'ont qu'à trancher les conflits que nous-mêmes sommes incapables de résoudre. Comme si les tribunaux étaient un genre de Deus ex machina. [..]je trouve hardi (pour ne pas dire plus) de faire mine de croire que ce serait un problème qu'on résout par un tour de passe-passe, soit la juridisation de tout ce qui bouge. Et si on juridise tout, on va devoir régler un autre problème; qu'est-ce qui justifiera les décisions de justice ? Pas d'accord du tout, voici ce qui est dit : . Au-delà de la biologie (ou peut-être à cause d'elle, c'est une autre question), il n'est pas moins évident que l'humanité développe une vaste diversité historico-culturelle et axio-normative, dans un mouvement qui a eu tendance à s'amplifier depuis les premiers groupes probablement homogènes du paléolithique jusqu'aux sociétés plus complexes consécutives aux explosions techniques et démographiques du néolithique, puis de la modernité. Ainsi, 150 personnes vivant dans une tribu de chasseurs-cueilleurs ont de bonnes chances d'être assez semblables sur bien des points (en dehors de certaines différences interindividuelles biologiques précitées) ; mais inversement, 150 personnes vivant dans un immeuble d'une ville moderne ont de bonnes chances d'avoir relativement peu de points communs, c'est-à-dire pas les mêmes déterminations biologiques, mais aussi pas les mêmes origines, les mêmes croyances, les mêmes psychologies, les mêmes occupations, les mêmes désirs, les mêmes codes, les mêmes choix sexuels, etc. (au passage, nous n'avons pas choisi ce chiffre de 150 au hasard : d'après les travaux de Dunbar, Hill, Knight, Barrett et quelques autres anthropologues, il s'agit de la taille du réseau social "optimal" pour lequel le cerveau humain a été façonné par son évolution récente ; or, le libéralisme et les autres idéologies modernes ont émergé lorsque les évolutions sociales, politiques et technologiques ont conduit à penser la coexistence de plusieurs millions d'individus dans une même société, cas de figure évidemment assez nouveau).Cette pluralité interne des sociétés est un fait massif dans le monde occidental, et elle a tendance à gagner les mondes non-occidentaux à mesure qu'ils se modernisent. Dans cette réalité-là (et non dans un monde clos et fixe parfois idéalisé, en tous cas révolu, qui inspirait les critiques conservatrices, socialistes ou anarchistes de la pensée libérale au XIXe siècle), il paraît difficile d'organiser l'espace public (ou l'Etat) autour d'une vision substantielle du bien ou d'une morale forte sans léser immédiatement les visions ou les morales non compatibles au sein de la société. Accorder à tous les individus (ou au plus grand nombre) les moyens d'accomplir leurs fins peut être un idéal partagé ; mais imposer une fin parmi d'autres risque de mener au conflit ou à l'oppression (ce qui était d'ailleurs le contexte des guerres de religion où naquit la pensée libérale). Et dans ce contexte, il n'est pas du tout fait mention de surjudiciarisation de quoi que ce soit. En réalité, et c'est là évidemment que se situe la difficulté, toute société oscille entre deux états de guerre qui finalement se confondent : la tyrannie et l'anomie. On peut tourner le problème dans tous les sens, mais au final nous ne pouvons vivre seuls, et toute société doit posséder un minimum de cohésion pour durer. Ah bon. Je crois que c'est peut-être ce point qu'on devrait creuser. Qu'en dis-tu? Le dernier point, celui de l'homme nouveau, relève par contre carrément de la pétition de principe : le "libéralisme" serait le meilleur accompagnement des biotech parce qu'il laisse faire tout le monde. C'est possible (bien que pour ma part j'en doute, à plusieurs niveaux) mais en tout cas ce n'est pas sérieux de prétendre évacuer la question de cette manière. Euh, là par contre, j'avoue ne pas trop comprendre ce passage, ni d'ailleurs celui qu'il est censé commenter. Il est difficile d'y voir les prodromes d'un "meilleur des mondes" totalitaire (au sens où Orwell critiquait les expériences modernes du totalitarisme) et de la fabrication en série d'un homo oeconomicus homogène, satisfaisant enfin les robinsonnades libérales. Selon nous, il s'agit d'un tout autre débat, relatif notamment à la place de la technique dans le processus d'hominisation, et excédant en tout état de cause la seule dimension libérale du processus de modernisation. Ce qui nous mène à une ultime observation critique, en forme de conclusion : le libéralisme n'est jamais qu'une idéologie, c'est-à-dire un nom, une représentation, une formule ou une méthode que l'humanité a donné de manière réflexive au développement concret de certains processus internes (sociaux ou techniques). Les enjeux liés à la transformation du réel et du mode de perception du réel excèdent de loin la représentation libérale qui l'a en partie accompagnée. Il existe un après et un avant modernité. On ne peut réellement penser que depuis l'après. A moins de vouloir fabriquer des légendes qui endorment la pensée. L'idolâtrie consiste à dire "La Science dit que" et de croire que ça suffit.Ben non, "La Science" n'existe pas et on fait oeuvre scientifique en démontrant ses affirmations, pas en les mettant sur un piédestal où on espère qu'aucune critique ne pourra les toucher. Oui, y'a un processus scientifique d'analyse des faits et d'élaboration de théories, on est d'accord là-dessus je pense, ce qui fait que, du coup je suis d'accord "La Science", ça n'existe pas. Donc OK pour le point. Cependant, ce Muller ne relève pas de cette définition tout de même, ou du moins n'en ai-je pas l'impression….
Ronnie Hayek Posté 8 octobre 2007 Signaler Posté 8 octobre 2007 Pas d'accord du tout, voici ce qui est dit : Voici ce qui est dit de la juridisation : Ajoutons pour finir une pointe plus légère, plus polémique et plus incarnée contre les nostalgies des sociétés solidement ancrées à des "morales fortes". Lorsque Michéa critique les propositions de certains juristes libéraux, comme Iacub ou Borillo, sur le libre développement de toutes les pratiques sexuelles (prostitution ou sadomasochisme en l'occurrence), on devine facilement comment la "morale de sens commun" peut devenir l'alibi d'un retour à l'esprit de clocher et à la normalisation du comportement individuel par la "moyenne comportementale" des populations où vivent ces individus. Michéa étant assez intelligent pour ne pas prêter le flanc à un simple procès d'intention réactionnaire, il suggère que la libéralisation appliquée aux pratiques sexuelles va donner naissance à des conflits incessants, de nature juridique, entre personnes dont la sensibilité est offusquée ou non par lesdites pratiques. Ce qui est en effet le cas, à la marge. Mais cet exemple est révélateur : pour notre part, nous préférons un système qui donne à certains individus le droit de combattre d'autres individus (les prostituées, les homosexuels ou les sadomasochistes) devant les tribunaux à un autre système qui leur donne le droit de brûler, de lapider ou d'exiler les mêmes "déviants". Et si le système libéral de neutralisation est fidèle à ses principes, on ne doute pas un instant que le droit finira ici par se montrer accueillant vis-à-vis de toutes les pratiques privées, tolérant aussi bien les sévices sadomasochistes entre adultes consentants que la lecture familiale de la Bible (quoique dans ce dernier exemple, des mineurs subissent une forte pression psychique…).
Chitah Posté 8 octobre 2007 Signaler Posté 8 octobre 2007 Voici ce qui est dit de la juridisation : Oui, sauf que ce dont il parle est d'un exemple volontairement extrême, pour renvoyer Michéa dans ses 22. Qui serait assez ridicule pour porter devant les tribunaux un "Monsieur le Juge, y'a Chitah qui s'est prostitué, c'est pas normal il doit être puni, en plus c'était du SM et c'est un homo"? C'est un effet de tribune. Tu le sais bien voyons Muller n'écrit pas du tout (et là, si il l'avait fait, j'aurai été d'accord) : "A l'inverse du modèle michéen, je prône plutôt un mode d'organisation sociale, de régulation, où l'ensemble de tous les conflits sans exception aucune (mouches écrasées, génocide, viols, vol de kinders, etc….) seront réglés par des tribunaux professionnels".
Punu Posté 8 octobre 2007 Signaler Posté 8 octobre 2007 La partie la plus intéressante est précisément celle sur la neutralité, que melodius balaie un peu vite en ne s'intéressant qu'à une minuscule partie traitant des tribunaux. Je pense que les déterminismes biologiques sont bien plus puissants que la culture (au sens large) et que le projet de revitalisation de la société par la cohésion retrouvée grâce à … (la religion ?) est appelé à connaître un échec. Toutefois, l'homme n'est pas un neutron, donc je pense que la solution passe par une multiplication des systèmes cohésifs de petite dimension, chose que seul l'anarcho-capitalisme propose, justement. Les vastes sociétés sont mortes avec l'immigration et l'égalitarisme, il faut en prendre note. Par contre, la partie sur la nature humaine n'est pas exacte, mais il faut dire qu'il se base sur des recherches ethnologiques au lieu de recherches biologiques. Enfin, je n'ai aucun avis sur la question de la modification de la nature humaine, j'ignore si la technique permettra de le faire un jour, dans quelle mesure, et si cela arrivera. Certaines inventions provoquent un tel effroi qu'elles ne sont jamais utilisées. nb : la question de l'anthropologie libérale est très intéressante. J'ai malheureusement lu bien plus de penseurs libéraux du XXè que du XIXè, mais je ne parviens pas à voir une attitude négative vis-à-vis de l'homme dans la limitation des pouvoirs de l'état. Pour moi, on les limite parce qu'on considère que les individus sont les mieux indiqués pour mener leur barque à bon port, donc c'est une vision positive de l'être humain.
Chitah Posté 8 octobre 2007 Signaler Posté 8 octobre 2007 La partie la plus intéressante est précisément celle sur la neutralité, que melodius balaie un peu vite en ne s'intéressant qu'à une minuscule partie traitant des tribunaux. Je pense que les déterminismes biologiques sont bien plus puissants que la culture (au sens large) et que le projet de revitalisation de la société par la cohésion retrouvée grâce à … (la religion ?) est appelé à connaître un échec. Toutefois, l'homme n'est pas un neutron, donc je pense que la solution passe par une multiplication des systèmes cohésifs de petite dimension, chose que seul l'anarcho-capitalisme propose, justement. Les vastes sociétés sont mortes avec l'immigration et l'égalitarisme, il faut en prendre note. Exactement, c'est cela que j'attendais pour rebondir. Il n'y a pas besoin d'un seul ciment de cohésion pour "sauver" une société de l'anomie ou de la tyrannie : on peut partager juste certaines valeurs (exemple au Café Liberté, j'ai commencé par cotoyer des gens sur la base de l'attrait pour la discussion, et peu à peu des liens se tissent), mais pas toutes. Et quand melodius dit ceci, je suis d'accord : En réalité, et c'est là évidemment que se situe la difficulté, toute société oscille entre deux états de guerre qui finalement se confondent : la tyrannie et l'anomie. On peut tourner le problème dans tous les sens, mais au final nous ne pouvons vivre seuls, et toute société doit posséder un minimum de cohésion pour durer. C'est par la multiplication de petits (ou grands d'ailleurs, voir les fêtes en France suite à la victoire des Bleus ) systèmes cohésifs qu'une société se maintient ! Par contre, la partie sur la nature humaine n'est pas exacte, mais il faut dire qu'il se base sur des recherches ethnologiques au lieu de recherches biologiques. Enfin, je n'ai aucun avis sur la question de la modification de la nature humaine, j'ignore si la technique permettra de le faire un jour, dans quelle mesure, et si cela arrivera. Certaines inventions provoquent un tel effroi qu'elles ne sont jamais utilisées. OK, j'attendais ta réaction dessus, j'en prends bonne note. Que proposerais-tu pour corriger ce passage, tiens?
Jesrad Posté 8 octobre 2007 Signaler Posté 8 octobre 2007 Je note que, dans ce texte pas plus que dans celui de Michéa, ne se trouve la moindre trace de notion d'objectivité appliquée aux concepts discutés.
melodius Posté 9 octobre 2007 Signaler Posté 9 octobre 2007 La partie la plus intéressante est précisément celle sur la neutralité, que melodius balaie un peu vite en ne s'intéressant qu'à une minuscule partie traitant des tribunaux. Je crois que nous avons une approche différente; moi ce qui m'intéresse le plus ce sont les solutions. Et toute cette démonstration pour en arriver à "un tiers impartial doit trancher les conflits" je trouve ça faiblard. Le conflit doit être l'exception, pas la règle. Ce forum offre d'excellents exemples de ce qui arrive quand on renverse les proportions… Je note que, dans ce texte pas plus que dans celui de Michéa, ne se trouve la moindre trace de notion d'objectivité appliquée aux concepts discutés. Parce que c'est impossible. Eh oui. La politique pour les robots, on n'a pas encore inventé.
Taisei Yokusankai Posté 9 octobre 2007 Signaler Posté 9 octobre 2007 Et lorsque Technicart nous dit ce qu'est la nature humaine, on est en plein dans les vieux fantasmes de la gauche qui ne reconnait aucune nature humaine tout en invoquant la science, mais à la manière d'une idole, sans amener le moindre élément de preuve. Attention, ce n'est pas Technicart, mais Chronicart, publication de nettement meilleur niveau et qui ne donne pas dans la gauche bobo à la Télérama et Inrocks ou dans la provoc' stupide à la Technikart. Au niveau critique musique / ciné / littérature, c'est ce qui a de meilleur en France actuellement dans les publications généralistes. Au niveau philosophique et politique, je suis rarement d'accord mais c'est toujours "thought-provoking". J'avais lu l'article sur Michéa l'autre jour et je le trouve bien plus intéressant que ceux postés auparavant sur ce fil-ci. Je ne suis pas étonné que ça ait attiré l'attention de Gadrel, pour tout dire. Le type qui a écrit ça anime par ailleurs un site sur le réchauffement climatique qui a l'air pas mal: "Climat Sceptique". http://www.climat-sceptique.com/
Punu Posté 9 octobre 2007 Signaler Posté 9 octobre 2007 Chronicart est en effet un excellent webzine. Il n'est toujours pas vendu en Belgique, mais leur site est bien foutu. Toutefois, les critiques ciné se la pètent un peu trop pour le moment, je me demande parfois s'ils parlent du film critiqué ou se regardent écrire des phrases compliquées.
Roniberal Posté 9 octobre 2007 Signaler Posté 9 octobre 2007 http://www.climat-sceptique.com/ Ah oui, je connais bien ce site et c'est sans doute le meilleur site web francophone consacré au réchauffement climatique.
Patrick Smets Posté 9 octobre 2007 Signaler Posté 9 octobre 2007 Attention, ce n'est pas Technicart, mais Chronicart, publication de nettement meilleur niveau et qui ne donne pas dans la gauche bobo à la Télérama et Inrocks ou dans la provoc' stupide à la Technikart. Au niveau critique musique / ciné / littérature, c'est ce qui a de meilleur en France actuellement dans les publications généralistes. Au niveau philosophique et politique, je suis rarement d'accord mais c'est toujours "thought-provoking". J'avais lu l'article sur Michéa l'autre jour et je le trouve bien plus intéressant que ceux postés auparavant sur ce fil-ci. Je ne suis pas étonné que ça ait attiré l'attention de Gadrel, pour tout dire. Je suis assez admiratif du niveau de la critique (indépendamment de savoir si on est d'accord ou pas) Ca se trouve en Belgique, ce magazine ? EDIT: ok, Gadrel répond. Je vais voir si il y a moyen de faire commander.
melodius Posté 9 octobre 2007 Signaler Posté 9 octobre 2007 Attention, ce n'est pas Technicart, mais Chronicart, Mon clavier a glissé chef. Chronicart est en effet un excellent webzine. Il n'est toujours pas vendu en Belgique, mais leur site est bien foutu. Toutefois, les critiques ciné se la pètent un peu trop pour le moment, je me demande parfois s'ils parlent du film critiqué ou se regardent écrire des phrases compliquées. Bref, ils sont Français. Rien à faire.
L'affreux Posté 31 octobre 2007 Signaler Posté 31 octobre 2007 J'ai lu son livre. D'abord je précise que je n'ai pas des masses apprécié le style, vindicatif, confus, et non-méthodique. Sur le besoin de morale, l'approche de Charles Taylor est beaucoup plus construite. L'ouvrage de JC Michéa s'adresse aux militants socialistes, il souhaite manifestement les faire réagir en les traitants de libéraux. Ce livre est en réalité une critique des progressistes, dont les actuels socialistes sont une branche, de même que nos progressistes d'ici. Je vous en fais un résumé. *** Jean-Claude Michéa commence par avertir qu'au travers de son ouvrage, il jugera le libéralisme sur ses conséquences et non sur ses intentions. Il précise qu'il entend par « libéralisme » le projet moderne de société occidentale, lequel a été mis en place en France après la révolution. Il distingue deux sources majeures de ce projet moderne, situées dans les siècles qui précèdent la révolution : 1) Les avancées des sciences expérimentales ont donné du crédit à un monde gouverné par la Raison. Deux conséquences. a) L'idée de Progrès est rendue possible, qui crée une conception de l'histoire sous forme de succession : la modernité a commencé. b ) La croyance dans une « physique sociale » qui fonctionnerait toute seule à la manière des mécanismes de poids et de contre-poids du monde physique. 2) Le traumatisme historique provoqué par les guerres. Et en particulier, par les guerres civiles idéologiques, dont les guerres de religion, considérées comme « le plus grand des maux ». Aussi, la croyance dans le Progrès trouve moins sa source dans la chrétienté – ou sur des processus historiques inéluctables – que dans l'aspiration à la « vie tranquille », à vivre en paix dans un monde raisonnable. Ce qui caractérise le projet moderne est une idéologie de la lassitude. Une aspiration à éviter le désastre des guerres idéologiques. Jean-Claude Michéa entend ainsi par « libéral » un partisan de la civilisation du moindre mal et de tout ce que cela implique, comme il le développe par la suite. Le libéral préfère donc ce qui est Juste à ce qui est Vrai, pense que l'altruisme est une exception, fait la promotion de l'égoïsme et de la « vie tranquille », etc. Les mécanismes proposés par les libéraux se passent de vertu (de nature morale donc idéologique), utilisent des vices (par « réalisme »). Il en existe deux qui se renforcent mutuellement : 1) Le Droit. C'est un ensemble de règles communes, un Etat limité chargé de chercher ce qui est Juste et non ce qui est Bien. Ici la justice rompt avec celle des anciens régimes, la morale devient privée, elle est bannie de la vie publique. Il s'agit désormais moins de justice que d'ajustement pour viser de moindres maux. La non-nuisance à autrui devient la ligne à suivre. 2) Le Marché. Il est la seule manière, dans cette optique pessimiste, de créer une société pacifique et solidaire. Il génère une croissance, et la croissance des niveaux de vie, en retour, devrait générer une amélioration de la moralité. La croissance est sans limite idéologique car une limite serait nécessairement d'ordre morale. La promotion de la tolérance dans nos sociétés ouvertes est ainsi, en réalité, moins une incitation à l'ouverture d'esprit qu'une manière minimale et nécessaire de coexister. Le mythe progressiste d'une société construite sur une vision positive, fille de l'Humanisme de la Renaissance, est une illusion rétrospective. Le marché fonctionne d'autant mieux que les comportements sont égoïstes et que les vertus morales sont ignorées. Ce qui conduit les libéraux soucieux du bien commun à s'obliger à un comportement égoïste. L'auteur note en passant une contradiction dans un argumentaire de Bastiat : si la croissance a besoin d'égoïsme, et si elle génère une meilleure moralité, alors elle ne peut durer. Une contradiction plus dangereuse car suicidaire, basée sur des connaissances ethnologiques. Le marché libéral fonctionne grâce à des relations « donnant-donnant ». Ces relations impliquent une certaine confiance réciproque, de la loyauté. La confiance repose sur une assise culturelle, la « socialité primaire » créée par des contre-dons. Les contre-dons n'existent que dans un cadre de dons. Les relations exclusivement « donnant-donnant » du marché sont donc en train de saper les conditions anthropologiques qui ont permis le marché. [NdM: J'adhère évidemment. C'est le sujet de ce papier.] L'auteur s'aventure aussi dans des considérations psychologiques. La domination « patriarcale » de l'Etat (frontale, répressive, visible) est remplacée par la domination « matriarcale » des mécanismes libéraux (indirecte, suggestive par l'amour et la culpabilisation, invisible). Pour finir, l'auteur remarque que l'empire du moindre mal prétend depuis récemment devenir le « meilleur des mondes ». Il explique ce renversement par deux causes : les avancées du progrès technique est une source d'optimisme qui, même si elle ne porte pas sur la capacité de l'humain à vivre en société, reste un résultat positif. La seconde raison est toute autre. Dans une économie de marché, en perpétuel changement, l'idéologie libérale demande aux travailleurs de continuellement accepter de s'adapter. Or les gens ordinaires sont plutôt conservateurs, ils s'obstinent à vouloir « rester humains ». C'est pourquoi l'aboutissement de l'idéologie libérale n'est plus le pessimisme, mais la création positive et idéale, au final, d'un « homme nouveau ».
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