Chitah Posté 6 novembre 2007 Signaler Posté 6 novembre 2007 En cette veille du 20ème anniversaire de la prise par Zine el Abidine Ben Ali du pouvoir en Tunisie, un petit article détaillant le quotidien des tunisiens : La Tunisie des illusions perdues"On y a tous cru. Ben Ali, c'était le sauveur. Le 7 novembre 1987, je me suis dit : "Quel que soit le régime à venir, on va respirer !" On n'en pouvait plus de trente ans de bourguibisme. L'arrivée de Ben Ali, ça a constitué un formidable espoir !" Il s'arrête, fouille dans ses souvenirs, puis reprend : "On a assez vite déchanté. La réalité ne collait pas avec les engagements. Au début, on s'est rassurés en se disant qu'il y avait des tiraillements au sein du pouvoir. Puis il y a eu les arrestations des islamistes. Puis le musellement de la gauche, puis de tous les démocrates. Et ça n'a jamais cessé…" Les propos de Lotfi, pharmacien dans un village proche de Monastir, on les entend à l'infini en Tunisie, en ce 20e anniversaire de l'arrivée au pouvoir de Zine El-Abidine Ben Ali. Le 7 novembre 1987, celui qui est à l'époque premier ministre évince en douceur le vieux chef de l'Etat, Habib Bourguiba, devenu sénile. Pas une goutte de sang. La population n'en a alors que plus de gratitude pour le nouveau venu qui promet la démocratie et déclare : "On ne saurait être président à vie." Vingt ans plus tard, les propos sont amers. Si les Tunisiens admettent, du bout des lèvres, que le pays s'est développé et que le niveau de vie a augmenté, ils expriment, pour la plupart, mal-être et frustration. La Tunisie d'aujourd'hui, c'est le pays des illusions perdues. Coupés de la population, les touristes qui se bronzent sur les plages de Mahdia et Monastir sont loin de pouvoir l'imaginer. Les droits de l'homme ? Ici, au Sahel, à quelque 250 kilomètres au sud de Tunis, on s'en préoccupe peu. "C'est un luxe, pour nous", disent les habitants. Leur souci majeur, ce n'est pas tant le pouvoir autoritaire du président Ben Ali que leur situation socio-économique. "Le miracle tunisien ? Parlez plutôt de mirage ! Les données macroéconomiques sont peut-être bonnes, mais notre vie quotidienne, elle, va de mal en pis !", grogne Salah, enseignant et père de trois enfants, qui croule sous les dettes comme la quasi-totalité de ses compatriotes. "Le problème fondamental, en Tunisie, ce n'est pas la création de la richesse - il y en a - c'est la répartition de cette richesse", souligne Hassine Dimassi, professeur d'économie à l'université de Sousse. Si les Tunisiens sont mécontents, c'est, dit-il, parce qu'ils se sentent "globalement lésés", même quand leur situation n'est pas, objectivement, catastrophique. En Tunisie, plus encore que dans les autres pays du Maghreb, le fléau des "diplômés chômeurs" ronge la société. Il explique en partie les jacqueries qui surviennent ici et là, comme à Bizerte, il y a quelques mois, où une cohorte de jeunes ont brûlé des voitures et tout pillé sur leur passage à la sortie d'un match de football. Dans chaque famille, on compte un diplômé chômeur, voire deux ou trois. Pour les parents, qui ont fait des sacrifices considérables pour payer des études à leurs enfants, c'est intolérable, et le ressentiment à l'égard du pouvoir est énorme. Chaque année, le nombre des diplômés (60 000) dépasse de deux fois la capacité d'absorption de l'économie du pays, selon le professeur Dimassi, qui accuse les autorités d'utiliser le système éducatif comme "un outil de gouvernance démagogique" depuis près de vingt ans et de délivrer des diplômes "à des quasi-analphabètes". Quitter la Tunisie pour trouver du travail et échapper, dans le meilleur des cas, à un emploi précaire et mal payé, c'est l'idée fixe de la plupart des jeunes, encouragés par leurs parents. Si le cas de Nejib sort de l'ordinaire, il est révélateur du degré de désespoir de certains. Depuis 2000, ce jeune de 29 ans a tenté à quatre reprises de quitter la Tunisie pour rejoindre l'Italie à bord d'embarcations de fortune. Les trois premières fois, il avait payé un passeur. La dernière fois, c'était lui le passeur. A chaque fois, en raison de la vigilance des gardes-côtes ou d'avaries, il a échoué. Grand, mince, nerveux, Nejib s'exprime avec une rage butée : "Je veux aller vivre en Europe, et j'y arriverai ! En Tunisie, l'homme n'a pas de valeur. On est des esclaves modernes." A-t-il conscience qu'il risque sa vie chaque fois qu'il prend la mer ? "Ici, je suis déjà mort !", répond-il, laconique. Lui et ses copains disent n'avoir qu'une devise : "Chacun pour soi !" Beaucoup s'inquiètent de cet abandon du combat collectif. Hamida Dridi, médecin à Monastir, très engagée dans des mouvements de défense des libertés, raconte que l'un de ses fils lui dit souvent : "Tu as un travail et un salaire. De quoi te plains-tu ? Moi, je ne fait pas de politique. Le prix à payer est trop élevé. Je veux vivre. Le reste, je m'en fous !" Cette dépolitisation affecte l'ensemble de la population. Pourtant, les actes de résistance individuels se multiplient, y compris dans les coins les plus reculés de Tunisie. Tel professeur de philosophie ou d'arabe ouvre régulièrement des discussions, en classe, avec ses élèves, et les incite à réfléchir. "Dans mon école, il y en a trois comme lui. Ils n'hésitent pas, par exemple, à qualifier les élections en Tunisie de mascarade", raconte un élève de terminale. A Ksiebet, village perché réputé pour son esprit frondeur, Rafik et Abderahmane, enseignants, et Mohammed, agriculteur, se battent pour faire vivre leur petite association, Les Amis du livre et de la liberté, et réclament inlassablement la réouverture de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, interdite d'activité dans tout le pays depuis plus de deux ans. Si la peur recule au fur et à mesure que le mécontentement grandit, la prudence reste la règle. On se méfie toujours du voisin et des innombrables indicateurs. La population est de plus en plus caustique à l'égard du clan au pouvoir - en particulier la famille Trabelsi, du nom de l'épouse du chef de l'Etat, accusée de piller le pays -, mais elle est paralysée par un sentiment d'impuissance. "On en a tous marre ! Mais que peut-on faire ?", soupirent les gens, accablés par ce qui se prépare. "Ben Ali pour l'éternité" ! Ce n'est pas de la science-fiction. Le slogan a fait son apparition, il y a quelques mois, sur une banderole déployée sur la façade d'une entreprise publique, à l'initiative du tout-puissant parti au pouvoir, le Rassemblement pour la Constitution et la démocratie. Chaque jour, la presse publique vante "l'image rayonnante de la Tunisie, fruit de la pensée clairvoyante de Ben Ali". Personne n'est dupe. Pas même ceux qui chantent la gloire du président et le "supplient", dans une surenchère burlesque, de briguer un nouveau mandat en 2009. Aujourd'hui comme hier, certains se satisfont de la situation. Ils sont de plus en plus rares. D'autres s'en désespèrent. D'autres encore, estimant stérile d'entrer dans une confrontation directe avec le pouvoir, luttent de l'intérieur pour faire bouger les choses. Le président Ben Ali ne pourra pas toujours rester arc-bouté sur le statu quo, font-ils valoir. Il sera contraint, tôt ou tard, de desserrer la vis pour que la Tunisie aille de l'avant. Mais la grande force de ce régime, n'est-ce pas, en fin de compte, son extraordinaire capacité à entretenir l'illusion ? Chaque 7 novembre, les Tunisiens reprennent espoir. Ils se remettent à rêver : l'annonce d'une ouverture démocratique, une amnistie générale, un miracle… Voilà vingt ans qu'ils attendent. Florence Beaugé Voir aussi ce fil de discussion sur un livre discutant du modèle tunisien.
Invité jabial Posté 8 novembre 2007 Signaler Posté 8 novembre 2007 Tout ça ne me dit rien sur la cause du chômage en Tunisie. Ce serait pourtant très intéressant.
jmserigny Posté 9 novembre 2007 Signaler Posté 9 novembre 2007 La tunisie est une dictature politique, mais que ce passerait'il si la pression se relâchait et laisserait ainsi la porte ouverte aux islamistes? Autrement dit n'est elle pas le moindre mal, en espérant qu'il soit le plus court possible ?
Rincevent Posté 9 novembre 2007 Signaler Posté 9 novembre 2007 La tunisie est une dictature politique, mais que ce passerait'il si la pression se relâchait et laisserait ainsi la porte ouverte aux islamistes? C'est quelque chose que j'entends souvent, et j'aimerais justement entendre l'opinion de Chitah à ce sujet. A priori, j'ai tendance à croire que rien n'interdirait à Zaba de permettre la plupart des libertés économiques et une bonne part des libertés civiles, si il tenait juste à supprimer la liberté politique. Mais si j'ai bien compris, le clan Ben Ali (lui, sa coiffeuse de femme, ses filles, ses gendres, ses protégés et toute la smala) se goinfre allégrement et de toutes les manières imaginables.
Chitah Posté 10 novembre 2007 Auteur Signaler Posté 10 novembre 2007 C'est quelque chose que j'entends souvent, et j'aimerais justement entendre l'opinion de Chitah à ce sujet. A priori, j'ai tendance à croire que rien n'interdirait à Zaba de permettre la plupart des libertés économiques et une bonne part des libertés civiles, si il tenait juste à supprimer la liberté politique. Mais si j'ai bien compris, le clan Ben Ali (lui, sa coiffeuse de femme, ses filles, ses gendres, ses protégés et toute la smala) se goinfre allégrement et de toutes les manières imaginables. C'est une légende cette menace islamiste, le parti Ennhada (dit islamiste, mais c'est à peu près l'équivalent des démocrates chrétiens en Europe) est un tout petit truc, qui a dû faire même pas 10% aux élections de 89 quand ce parti était autorisé. D'autant que c'est un parti qui n'a strictement rien à voir avec le FIS algérien. Maintenant, il n'est plus autorisé ce parti, et Amnesty international dénonce les emprisonnement massifs en Tunisie, qui est un des pays qui compte le plus de détenus politiques par habitants. Et pour le reste, la racaille autour de Ben Ali se gave effectivement dans des proportions hallucinantes.
ULYSSE Posté 11 novembre 2007 Signaler Posté 11 novembre 2007 LE FIGARO : Comment expliquez-vous alors que l’on parle de la Tunisie comme d’un Etat policier ? BEN ALI : Certains semblent préférer les idées préconçues à la réalité des choses. Bien sûr, la police veille à la sécurité de nos citoyens et de nos visiteurs, comme c’est le cas dans tous les pays du monde. Mais cela ne fait pas de ces pays ou du nôtre un Etat policier. D’ailleurs, par tête d’habitant, il y a quatre fois moins de policiers en Tunisie qu’en Suisse. Jamais une personne n’a été détenue ou poursuivie en justice en Tunisie pour ses opinions et aucun journal n’a été suspendu ou interdit depuis 1987. Et sachez que je ne signerai jamais l’exécution de condamnés à mort. Enfin, la Croix-Rouge visite les prisons régulièrement. Mais je me suis fait à l’idée que quoi qu’il arrive, pour certains, ce sera de ma faute ou celle de la police. LE FIGARO : On dit aussi que les droits de l’homme y sont bafoués ? BEN ALI : C’est faux. La promotion de la culture des droits de l’homme est l’une de nos priorités. Nous pouvons affirmer aujourd’hui que le respect des droits de l’homme est un vécu quotidien. Cependant, et comme dans tous les pays du monde, il reste toujours quelque chose de plus à faire dans ce domaine. LE FIGARO : En vingt ans de gouvernance, avez-vous un regret ? BEN ALI : Nous avons beaucoup fait pour asseoir les bases d’une vie politique pluraliste. Mais nous aurions souhaité l’émergence d’une opposition plus dynamique et plus constructive. Certains journaux n’hésitent pas à m’attaquer franchement tout en se plaignant paradoxalement du manque de liberté d’expression. Le seul slogan de certains est : « Plus de démocratie et l’alternance ». Mais alternance ne signifie pas « ôte-toi de là que je m’y mette ». L’opposition signifie avant tout, à mon avis, élaboration de programmes et d’alternatives crédibles. Enorme ! la suite : http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/20…la-critique.php
Cochon Posté 11 novembre 2007 Signaler Posté 11 novembre 2007 LE FIGARO : Comment expliquez-vous alors que l’on parle de la Tunisie comme d’un Etat policier ?BEN ALI : Certains semblent préférer les idées préconçues à la réalité des choses. Bien sûr, la police veille à la sécurité de nos citoyens et de nos visiteurs, comme c’est le cas dans tous les pays du monde. Mais cela ne fait pas de ces pays ou du nôtre un Etat policier. D’ailleurs, par tête d’habitant, il y a quatre fois moins de policiers en Tunisie qu’en Suisse. Jamais une personne n’a été détenue ou poursuivie en justice en Tunisie pour ses opinions et aucun journal n’a été suspendu ou interdit depuis 1987. Et sachez que je ne signerai jamais l’exécution de condamnés à mort. Enfin, la Croix-Rouge visite les prisons régulièrement. Mais je me suis fait à l’idée que quoi qu’il arrive, pour certains, ce sera de ma faute ou celle de la police. LE FIGARO : On dit aussi que les droits de l’homme y sont bafoués ? BEN ALI : C’est faux. La promotion de la culture des droits de l’homme est l’une de nos priorités. Nous pouvons affirmer aujourd’hui que le respect des droits de l’homme est un vécu quotidien. Cependant, et comme dans tous les pays du monde, il reste toujours quelque chose de plus à faire dans ce domaine. LE FIGARO : En vingt ans de gouvernance, avez-vous un regret ? BEN ALI : Nous avons beaucoup fait pour asseoir les bases d’une vie politique pluraliste. Mais nous aurions souhaité l’émergence d’une opposition plus dynamique et plus constructive. Certains journaux n’hésitent pas à m’attaquer franchement tout en se plaignant paradoxalement du manque de liberté d’expression. Le seul slogan de certains est : « Plus de démocratie et l’alternance ». Mais alternance ne signifie pas « ôte-toi de là que je m’y mette ». L’opposition signifie avant tout, à mon avis, élaboration de programmes et d’alternatives crédibles. Enorme ! la suite : http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/20…la-critique.php Enorme effectivement! Soit dit en passant la complaisance française vis à vis de ce dictateur grotesque (99% des voix aux dernières élections? Ah, non, plus encore!) est vraiment minable. Ah, oui, j'allais oublier: Ben Ali est dans la catégorie "dirigeant-laïc-qui-libère-la-femme-islamique-du-voile-et-de-toute-façon-si-c'est-pas-lui-c'est-les-islamistes-et-les-arabes-faut-pas-leur-donner-trop-de-libertés" (marche aussi avec les irakiens, les égyptiens, libyens, syriens, et avec quelques variantes avec les asiatiques et les noirs). La tunisie est une dictature politique, mais que ce passerait'il si la pression se relâchait et laisserait ainsi la porte ouverte aux islamistes?Autrement dit n'est elle pas le moindre mal, en espérant qu'il soit le plus court possible ? Depuis 30 ans, tous les dictateurs de la région massacrent, tuent, déportent, et s'accrochent au pouvoir avec cet unique argument: sans nous ce sont les islamistes. Franchement, le PJD marocain ne fera jamais pire que les très socialiste et (officiellement) laïc FLN ou Parti national démocratique (sic) d'Egypte. Sans parler des humanistes du Baath
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