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Les tables de la loi libérale


Serge

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Posté

Pas de jaloux, tout le monde en prend pour son grade !

Le Divin Marché - La révolution culturelle libérale

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

Après L'Empire du moindre mal de Jean-Claude Michéa (Flammarion) et La Perversion ordinaire (Denoël) du psychologue Jean-Pierre Lebrun, voici l'essai du philosophe et professeur en sciences de l'éducation Dany-Robert Dufour, Le Divin marché : la révolution culturelle libérale. Un livre à marquer d'une pierre blanche pour comprendre notre époque en plein bouleversement. S'il y a bien une chose qui intéresse Dany-Robert Dufour, c'est la réalité, mais notre époque a décidé de la nier, de faire comme si elle n'existait pas ! En véritable désillusionniste, le philosophe tente de nous faire voir ce que nous ne voulons pas voir.

En dix chapitres solidement charpentés et argumentés, Dany-Robert Dufour poursuit son exploration des métamorphoses du sujet postmoderne, à la suite de L'Art de réduire les têtes (2003) et On achève bien les hommes (2005). Ces dix chapitres font allusion aux fameux dix commandements, aux tables de la loi, mais il s'agit ici des tables de la loi libérale. Comme le souligne l’excellent titre, nous ne sortons pas de la religion, comme le croient certains, mais nous y retournons (si on en était un tant soit peu sorti) avec le néo-libéralisme ! Le Marché est le nouveau Dieu, mais un Dieu spécial, un Dieu athée qui ne veut pas se faire passer pour un Dieu !

Le point fort du livre est la cohérence de la pensée. L'ouvrage indique d'abord que l’époque n’est pas individualiste mais égoïste. Nuance importante : un individualiste est seul alors que la postmodernité se caractérise par une massification généralisée et sans précédent des comportements, appelée ici "formations ego-grégaires". Croire que la dérégulation libérale n'atteint pas le champ symbolique et intime de l'individu est faire preuve d'une grande naïveté. C'est dire que le Marché a su téléguider nos faits et gestes jusqu'à nos manières de ressentir. Pour cela, il faut en comprendre le concept de base, l'égoïsme déjà à l'œuvre dans l'idéologie libérale de Mandeville (La Fable des abeilles) et d'Adam Smith (La Richesse des nations) où il est dit en substance qu'en renforçant l'égoïsme de chacun, on assure le bonheur de l'intérêt général (la fameuse "main invisible" du marché.).

Pour réaliser pareille entreprise, il fallait progressivement délester l’individu de toute fixation familiale ou éducative, de tout nœud qui fasse obstacle au mécanisme fluide d’horlogerie que le Marché tente d’obtenir progressivement de cet animal humain qu'est le consommateur, histoire d'avoir une emprise sur sa sphère spirituelle, pulsionnelle et affective. Que la famille ou l’école soient un poids, on en conviendra aisément mais saccager ces modèles en les considérant seulement comme des lieux de pouvoir et non de savoir (paralogie), et l’individu se retrouve flottant, englué dans une flexibilité identitaire, adaptable au tout venant, à n'importe quelle addiction de n'importe quel produit du Marché. Prenant l'exemple de l'université, Dany-Robert Dufour s'insurge contre cette fabrication libérale de "crétins" : «A l'université, on voit tout un courant de recherche pédagogique postmoderne se mettre en place. Il ne faut surtout pas demander aux «jeunes» de penser. Il faut d'abord les distraire, les animer, ne pas les assommer avec des cours mais les laisser «démocratiquement» zapper d'un sujet à l'autre à leur guise au gré des interactions. Il faut simplement leur faire raconter leur vie, leur montrer que les acquis de la logique ne sont que des abus de pouvoir des «intellectuels» ou de la pensée «occidentale». Il faut surtout montrer qu'il n'y a rien à penser, qu'il n'y a pas d'objet de pensée hors de la gestion gagnante de leur intérêt égoïste. Bref, je le répète après l'avoir déjà écrit dans L'Art de réduire les têtes, il s'agit de «fabriquer des crétins procéduriers, adaptés à la consommation». Je précise, après que l'on a voulu entendre que j'accusais indûment ces malheureux jeunes gens, que je cherche seulement à les prévenir des projets qui leur sont destinés, en espérant qu'ils ne tomberont pas dans le panneau — et ce qui me rassure, c'est que beaucoup résistent." (pp.241-242)

Le philosophe montre comment les principaux repères ont éclaté (différence générationnelle et différenciation sexuelle) et que la télévision ("le troisième parent") a joué un rôle majeur dans l'éducation de l'individu postmoderne qui croit se divertir alors qu'il est sans arrêt sondé, analysé et regardé. C'est là le fruit d’un long travail méthodique entrepris et perfectionné entre autres dans les années 30 par le neveu de Freud, Edward Bernays, le père des Relations publiques, qui a adapté dans le secteur de l'économie de marché les recherches de son célèbre oncle vis-à-vis de la libido. On n'oublie pas non plus l'invention de la pin-up (dont une représentante orne la couverture du livre) dans ces mêmes années par les dessinateurs G. Petty et A. Vargas pour vendre tout et n'importe quoi. Dany-Robert Dufour, au fil des chapitres, montre ainsi que le libéralisme a organisé la mise à bas de toute autorité et de tout transcendantal (parents, professeur, langage, art…) au profit d'une immanence totale, parfait ancrage pour le consommateur contemporain, au risque de mettre en péril la démocratie elle-même (voire la planète entière). L'individu postmoderne est ainsi devenu un petit Dieu égoïste tout en faisant croire qu'il est responsable, autonome et qu'il a aboli toute divinité. Enfermé dans la cage de son moi et de son ressenti, il tente de s'autofonder intellectuellement et affectivement pour sortir de l'humanité (le temps, le sexe, l'imperfection, la mort). Autrement dit, éliminer le réel en le redessinant à l'image de son plaisir.

Or, la ruse est que l'individu, malgré son égoïsme, se croit rebelle et hors du troupeau alors qu'il est surtout conformiste (gay-pride, loveparade, rolleristes, rappeurs, raveurs etc.), faisant de l'"Autrisme" (croire qu'on est ouvert 24/24h sur l'autre) alors qu'il réclame du même, un autre déguisé en lui. Par cercles concentriques, et souvent avec humour, le philosophe élargit cette cellule égo-grégaire de base pour bien montrer que le Marché n’a plus besoin de brimer l’individu mais, tout à l'inverse, qu'il le renforce dans son fantasme d’autonomie, son égoïsme. Celui-ci ne se croit plus brimé mais pense aller contre le Marché ! Il se croit en pleine libération (émancipation) alors qu'il est en pleine libéralisation (libéralisme économique). La chose à comprendre est que cette emprise pousse les êtres humains dans une voie perverse. Voilà le point clef du livre qui effectue un renversement complet et décoiffant. L'on comprend mieux pourquoi le néo-libéralisme a envahi toute la sphère de l'intime, a recoloré le réel, rempli le quotidien de fêtes et de mots d'ordre humanitaristes. Une nouvelle forme d'oppression festive. Il n'est donc guère étonnant que l'industrie culturelle (fictions, jeux, etc.) soit devenue dominante et que le mot culture ait été dissout dans la moindre expression (rap, techno, tag). De la pullulation des artistes auto-revendiqués et des rebelles rémunérés, tout cela allant de pair avec un hyperjeunisme et une hyperconsommation dans la société par exploitation de la subjectivité humaine et de la chimie des émotions prise comme matière première.

En un mot, le néo-libéralisme est la "subversion" même ! Croire que l'idéologie libertaire est opposée au libéralisme (alors qu'elle en est le cheval de Troie) est le fourvoiement historique non seulement d'une génération mais de toute une métaphysique de la révolte et de l'émancipation. Karl Marx avait déjà mis en garde ses contemporains contre les bouleversements sociaux sans cesse opérés par le Capital ! Adieu bougisme ! Dany-Robert Dufour, avec une audace certaine, démontre que les trois penseurs de mai 68, Deleuze, Foucault et Bourdieu, n'ont fait qu’élargir la voie égotiste initiée par un Adam Smith. Est-il étonnant de voir que l'époque où le «Jouissez sans entraves» est devenue réalité concrète soit celle du libéralisme total et mondial ? L’on comprend pourquoi l'idéologie libertaire n’a jamais pu enrayer le libéralisme et qu’il était «logique» que d’anciens trotskistes deviennent sans problème publicitaires ! Le capitalisme n'est plus patriarcal, fondé sur la répression du désir mais il est devenu progressiste, permissif et hédoniste. Il suffit de regarder les publicités. "Autant dire que le schizo deleuzien est le sujet idéal du Marché, c'est un sujet désinhibé, sans culpabilité, sans surmoi, qui doit savoir sans cesse jongler, changer de formes, d'identités personnelles, d'identités sexuelles et de localisation. C'est un sujet apte à maximiser rapidement ses gains ici même pour pouvoir les rejouer et les réinvestir ailleurs au pied levé. La forme idéale de ce nouveau saint est le schizo dans la vie sociale, le hacker en informatique et le raider dans la finance." (pp.108-109)

Le néo-libéralisme a donc entrepris un vaste programme de décloisonnement et de déterritorialisation généralisée, faisant perdre tout repère, rendant les individus mous et mobiles, nomades et fluctuant. La dérégulation libérale est conjointe à la dérégulation symbolique de l'être humain, ascension d'une post-humanité perméable au Marché. Corps sans frontière, sans identité… comme les capitaux. Ainsi le philosophe bat en brèche le sociologisme libéral à la Bourdieu en rappelant que la division sexuelle est d'abord une distinction biologique avant d'être une construction culturelle. Il renvoie ainsi les revendications des associations en tous genres (transsexuel, homoparentalité etc.) à leurs délires postmodernes quand elles veulent "jouer le genre contre le sexe", un programme libéral dans cette volonté démiurgique de tout déréguler. Même égoïsme de base à l'œuvre contre la réalité. "Ce qui compte aujourd'hui en effet, ce n'est plus la nature qui m'est échue, c'est mon choix ! Je parle, je veux, donc j'ai le droit - y compris le droit d'être une femme si je suis un homme. Le choix du genre voudrait s'imposer au destin du sexe. (…) Ce qui revient à dire que je n'ai plus à m'arranger comme je le peux avec ce qui m'est échu, le sexe, mais que je peux décider de ma nature. Et aller jusqu'à, depuis ma culture ou plutôt depuis mon bla-bla, la remettre en question.» (pp.71-72)

Que faire donc devant ce néo-libéralisme écologiquement dangereux et anthropologiquement impossible ? Seul moyen de s'en sortir selon Dany-Robert Dufour, le transcendantal. Car face au laisser-aller ou au laisser-faire (la jouissance) du néo-libéralisme à l'instar de Mandeville et Adam Smith, il faut brider la pulsion (pour accéder au désir) comme le recommandaient Kant ou Freud (domestiquer les passions, rôle de l'école). Le seul moyen d'enrayer pareille course à la consommation est la pensée critique et l'art qui pourront nous aider à être et à préserver ce monde désormais menacé. Avec Michéa et quelques autres, Dany-Robert Dufour fonde une pensée novatrice dans la compréhension de la postmodernité en nous faisant voir l’impasse suprême : si libéralisme et libertaire sont bien deux mots, ils ne forment qu'une seule et même chose. Moderne contre moderne dirait Philippe Muray ("étripage de clones"). Ce retour à la réalité est donc bel et bien une voie qui s'ouvre vers la liberté.

Yannick Rolandeau

www.parutions.com - Mis en ligne le 17/12/2007

Posté
Dites les gars, vous n'en avez jamais marre de lire des conneries d'intellocreux francophones 100% has been ?

+1

Néanmoins, on croirait lire nos amis conservateurs sur nos amis "…". C'est amusant.

Disclaimer: je n'ai pas tout lu cependant.

Posté

Franchement, si on prend un peu de hauteur (!!!) je trouve qu'on est cerné entre ceux qui critiquent le marché sans rien y comprendre, et ceux qui trouve qu'aucune critique ne serait acceptable ou meme utile, au contraire. Finalement, ce n'est pas si évident de trouver un discours équilibré sur le marché. C'est a dire un discours qui n'est pas critique a priori, mais qui s'autorise a critiquer réellement le marché.

Posté

Ça alors, il en fait, des choses, ce néo-libéralisme. Où est-ce que je peux le rencontrer pour discuter avec lui ?

Posté
Ça alors, il en fait, des choses, ce néo-libéralisme. Où est-ce que je peux le rencontrer pour discuter avec lui ?

Demande à rencontrer le maître des lieux pendant nos banquets de bouffeurs d'enfants.

Posté
Dites les gars, vous n'en avez jamais marre de lire des conneries d'intellocreux francophones 100% has been ?

C'est anglophone et c'est de la même veine.

La mélancolie du libéralisme

Les habits neufs de la politique mondiale. Néolibéralisme et néo-conservatisme.

Wendy Brown

Résumé :Le néolibéralisme et le néo-conservatisme sont des arts de gouverner et de réguler les comportements. Ce livre est une hypothèse sur leur articulation.

Le rêve démocratique est-il révolu ? Faut-il douter, aujourd’hui, de la nécessité du lien entre Occident et promotion de l’État de droit ? Et peut-on élaborer une critique radicale du présent sans céder à la "haine de la démocratie" ? Ces questions prennent sens à la suite de ce qu’il faut bien appeler l’illusion post-1989. Nombre d’intellectuels ont interprété la chute du mur de Berlin comme la prémisse d’une démocratisation sans obstacle du monde. Mais la suite de l’histoire a montré que les obstacles viennent de là où on ne les attend plus, en l’occurrence de nos démocraties elles-mêmes dont Wendy Brown dresse un portrait sans concessions.

L’auteur, professeur à l’université de Berkeley, forge le concept de "dé-démocratisation" pour aborder un phénomène paradoxal : l’abandon des exigences démocratiques au nom du principe de liberté. L’analyse, qui porte pour l’essentiel sur le cas américain, ne cède ni à la théorie du complot, ni à celle du devenir oligarchique de la démocratie. Il ne s’agit pas non plus d’ouvrir une nouvelle carrière au concept d’idéologie en dénonçant le "mensonge libéral" dont l’administration Bush (et, pour nous, la présidence Sarkozy) serait le dévoilement enfin irréfutable. La "dé-démocratisation" désigne un processus plus troublant, où le libéralisme traditionnel se voit contredit par ceux-là mêmes qui en revendiquent l’héritage, et où la démocratie est atteinte dans ses principes au nom de l’impératif qui porte sur sa généralisation. Emphase du discours sécuritaire, démantèlement de l’État providence, moralisation du discours public et référence soutenue à une religiosité intolérante : comment penser l’unité d’une telle évolution ?

L’ouvrage est composé de deux articles parus séparément : "Le néolibéralisme et la fin de la démocratie" et "Le cauchemar américain" . Si le premier porte sur le néolibéralisme, le second tente d’expliquer comment la valorisation d’un individualisme radical (et tendanciellement libertaire) a pu s’accompagner, aux États-Unis, du renforcement des dispositifs répressifs au nom du néo-conservatisme. De la promotion de l’individu entrepreneur de lui-même et responsable de chaque parcelle de son existence à la remise en cause du droit des minorités et de la législation sur l’avortement, la conséquence est-elle la bonne ? Pour répondre à cette question, l’auteur refuse d’aborder le lien entre néolibéralisme et néo-conservatisme comme celui d’une doctrine économique et de son idéologie. Il s’agit plutôt de deux formes de "rationalités politiques" au sens de Foucault , c’est-à-dire des "ordres discursifs de la raison qui informent les sujets et les institutions politiques" . Le néolibéralisme et le néo-conservatisme sont des arts de gouverner et de réguler les comportements individuels. Ce livre est une hypothèse sur leur articulation contemporaine.

Distinguer le néolibéralisme du libéralisme

L’auteur rappelle les caractéristiques du néolibéralisme : la soumission de l’action individuelle et publique à la rationalité économique (l’individu calculant, l’État entrepreneur), la promotion unilatérale de la "concurrence" dans toutes les sphères de la société, un étatisme renforcé mis au service du marché et un horizon d’"égale inégalité pour tous". Plus originale est l’insistance de Brown sur les écarts entre cette rationalité politique et le libéralisme traditionnel. Là où ce dernier se présentait comme une doctrine naturelle et anthropologique (la théorie du "laissez faire" suppose la naturalité du marché), le second est normatif et suppose l’intervention constante de l’État en faveur d’un marché économique qui perd son évidence de fait. Le néolibéralisme est la doctrine d’auteurs contemporains de la révolution bolchevique et de la montée du nazisme (Hayek, Röpke, Rueff). De ces expériences, ils ont conclu que le marché était fragile et qu’il était nécessaire de le renforcer par tout un appareil législatif.

La méfiance traditionnelle du libéralisme à l’égard du gouvernement s’efface donc au profit d’une doctrine qui confère à l’État la prérogative d’informer les vies dans le sens de la mise en concurrence. Cela n’est pas sans conséquences sur la conception que le néolibéralisme se fait du droit. Celui-ci, autre différence capitale avec le libéralisme classique, n’est plus envisagé comme un principe de limitation du pouvoir, mais comme un instrument de transformation de la société. L’auteur remarque qu’aux États-Unis (mais cela vaudrait ailleurs), l’"homme d’affaires" a remplacé l’"homme de loi" aussi bien dans la sociologie du personnel politique qu’au niveau de l’idéal social. Cela suffit à rendre inopérantes les critiques (venues de la gauche) contre l’idéologie des droits de l’homme et celles (venues de la droite) contre le "pouvoir des juges". Les théories du soupçon sont anachroniques : elles supposent la vitalité d’un ennemi (le libéralisme) que l’on déteste au point de ne pas remarquer qu’il est en train de disparaître.

Le néolibéralisme n’est donc ni un "avatar historique inévitable du capital", ni un simple effet de la généralisation de la "rationalité instrumentale" . C’est le bénéfice de la référence à Foucault que de permettre d’agencer l’économisme marxiste à la sociologie de Weber : le néolibéralisme est un dispositif authentiquement politique, même s’il émane de la société et non d’un pouvoir tutélaire. De ce point de vue, la distinction (largement usitée en France) entre un "bon" libéralisme (politique) et un "mauvais" libéralisme (économique), si elle peut comporter un intérêt stratégique, n’est d’aucune pertinence théorique. Mieux vaut distinguer entre l’ancien libéralisme fondé sur la liberté individuelle et sur l’échange des biens, et un néolibéralisme interventionniste et concurrentiel. Mais, dans les deux cas, nous avons bien affaire à des formes de "rationalités politiques", et non à l’expression idéologique de rapports sociaux.

Comment penser l'alliance du néolibéralisme au néo-conservatisme ?

Reste alors l’énigme : comment expliquer qu’un idéal marchand et individualiste ait pu, aux États-Unis, s’associer aussi aisément au moralisme étroit des néo-conservateurs. L’hypothèse de Wendy Brown est particulièrement convaincante : si le néolibéralisme est une politique de régulation des individus fondée sur leur liberté, le meilleur moyen de canaliser cette liberté est de la moraliser. Le néo-conservatisme remplit cette fonction : il interpelle les citoyens en termes moraux et religieux. Il fait l’apologie des contraintes nécessaires pour éviter les excès de la liberté d’entreprendre.

Le livre de Wendy Brown nous explique, en somme, que le grand malheur vient de ce que, depuis le début des années 1980, les réactionnaires sont devenus optimistes. En d’autres termes, les néo-conservateurs ont épousé pour un laps de temps le néolibéralisme. Il est vrai que les néo-conservateurs américains constituent un groupe disparate qui regroupe "des intellectuels et des anti-intellectuels, des juifs laïcs et des chrétiens évangéliques, des musiciens de chambre devenus soviétologues, des professeurs de théorie politique convertis en conseillers politiques, des Blancs en colère et des Noirs vertueux" . Mais tous ont profité de l’affaiblissement des institutions libérales par le néolibéralisme pour promouvoir leur moralisme anti-juridique et leur religiosité messianique.

Wendy Brown s’en défendrait peut-être, mais le néo-conservatisme apparaît tout de même comme le renfort idéologique du néolibéralisme, la manière dont, aux États-Unis, ce dernier à répondu à l’exigence d’un "supplément d’âme". Cet agencement demeure américain et il conviendrait de se demander ce qui, dans chaque situation nationale, a joué le rôle de discours de la légitimation. En France, où la religion a depuis longtemps perdu sa force mobilisatrice, c’est peut-être du côté du discours "républicain" qu’il faudrait rechercher la caution paradoxale du démantèlement de l’État providence. Dans tous les cas, il apparaît que le capitalisme a toujours besoin d’un "esprit" qui confère à la recherche du profit un peu de charme moral .

Dépasser la rhétorique anti-libérale

Force est de constater que cet "esprit" n’a, aujourd’hui, plus rien de libéral et qu’il faudrait prendre la mesure de cette évolution. Ce livre constitue donc aussi une invitation faite à la gauche. À la gauche "radicale" d’abord, dont l’auteur continue à se réclamer, et à qui elle suggère d’abandonner la rhétorique anti-libérale dont le néolibéralisme s’est toujours fort bien accommodé. Au moment même où il est le plus affaibli, le libéralisme s’impose comme "ce que l’on ne peut pas ne pas vouloir", et les salves constantes contre lui apparaissent de plus en plus comme des tirs dérisoires sur une ambulance. À l’adresse de ses amis, Brown s’excuse presque de ressentir "une certaine sollicitude pour la démocratie bourgeoise" , un sentiment qui invite les ennemis du libéralisme à se sentir responsables de ce qu’ils n’ont jamais aimé, mais qui menace de disparaître. Mais la leçon de ce livre concerne aussi la gauche "réformiste" puisque "lorsque les principes démocratiques de gouvernance, les codes civils, voire la moralité religieuse, sont soumis au calcul économique (…), alors disparaissent non seulement les foyers d’opposition à la rationalité capitaliste, mais aussi les foyers réformistes" .

Accepter d’aimer le libéralisme au moment où il disparaît ou dénoncer le néolibéralisme au nom du libéralisme : l’alternative n’a sans doute rien de réjouissant. Cette conclusion est même excessivement mélancolique, puisqu’il semble parfois que, pour l’auteur, l’effacement de la démocratie libérale soit définitif. Mais, pour espérer reconquérir, il faut savoir ce que l’on a perdu.

Michaël FOESSEL

www.nonfiction.fr- [17/12/07]

Posté

Je ne comprends pas la définition qui est donnée au néolibéralisme. Et s'il y en a une, j'ai du mal à voir le rapport avec le libéralisme. Enfin…bref. Y a du noyage de poisson derrière toute cette belle éloquence.

Posté
C'est anglophone et c'est de la même veine.

(Suit le résumé des idées de Wendy Brown)

:D:boxe::icon_up::warez::doigt::pong::warez::ninja::blink::yang:

Maiscommentc'estpossibledeneriencomprendreàrienàcepointlà !!!

Posté

Ce qui est décrit et nommé néolibéralisme ca existe, c'est Sarkozy, c'est Jospin, c'est l'UE. On ne peut que déplorer le choix du mot pour décrire ce qui n'est rien d'autre que de la soc-dem technocratique bien classique.

Posté
Je ne lis jamais rien de quelqu'un qui se prénomme Wendy.

tu manques alors l'excellente Wendy McElroy.

Posté
Je suis globalement d'accord avec ce qui est écrit.

En effet, en dehors du vocabulaire pompeux je trouve le premier texte globalement juste. Le second nage en revanche dans le n'importe quoi.

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