Invité Posté 1 février 2010 Signaler Posté 1 février 2010 A l’occasion du 50ième anniversaire de la mort d’Albert Camus, je tiens à rendre hommage à cet homme qui part sa pensée et son style à marqué l’histoire littéraire et idéologique de son temps. Voilà déjà 5 mois que je me suis plongé dans la vie, l’univers et la pensée de cet homme, de ce « petit voyou d’Alger » comme disait Sartre, qui néanmoins, par sa grandeur d’esprit et sa générosité, nous a laissé une œuvre de moins en moins ignorée et toujours autant d’actualité. Il s’agit dans ce topic de mettre en lumière seulement un aspect particulier de sa vie, ou plutôt de sa pensée ; sa lutte contre le communisme. On ne pourra pas reproché à Camus d’être de droite, sympathisant anarcho syndicaliste libertaire, Camus a certes fréquenté un court moment le PC d’Alger puis l’intelligentsia gauchisante de l’époque sous l’égide de Sartre, avant de s’en éloigner radicalement. Cette fracture idéologique, Camus la magnifie et la sacralise dans une œuvre à la fois poétique et remarquable, détenteur d’une vérité visionnaire pour l’époque, je veux parler bien sûr de L’Homme Révolté. Toutes les citations qui mettront ainsi en lumière la pensée et la critique camusienne du communisme seront tirées de cette œuvre colossale qui tente de démontrer que le communisme, théoriquement idéal, n’en reste pas moins intrinsèquement destructeur. Tout d’abord il convient de reconnaitre que si Camus reste très sévère sur Marx, il affirme explicitement que, tout comme Nietzsche, sa pensée a été trahie. Mais cette trahison prend sa source dans le dysfonctionnement même des racines métaphysiques et philosophiques du communisme. Camus insiste sur un paradoxe, un cercle affreusement vicieux qui nous est finalement bien connu. Le fait que le communisme promette et invoque le bonheur universel et un idéal humaniste accélère d’autant plus le fanatisme, ce que Camus appelle « totaliser » le monde au lieu de « l’unifier » : « Les révolutions régicides et celles du XXIème siècle, ont ainsi accepté, consciemment, une culpabilité, de plus en plus grande dans la mesure où elles se proposaient d’instaurer une libération de plus en plus totale. » Il ajoute qu’après la « mort de Dieu », le nihilisme a triomphé, puisque Dieu est mort, l’homme n’a plus de valeur à observer devant lui, il n’est plus responsable, il est donc dans son essence même innocent. La valeur disparait avec « le meurtre de Dieu ». Le communisme étant athée, il ne peut trouver sa foi dans Dieu, il a besoin d’un autre support pour se développer. En refusant Dieu, le communisme, tout comme la Révolution française, choisit l’histoire. Mais qu’est ce que cela signifie concrètement ? Camus le précise : « Le mouvement de révolte, à l’origine tourne court. Il n’est qu’un témoignage sans cohérence. La révolution commence au contraire à partir de l’idée. Précisément, elle est l’incération de l’idée dans l’expérience historique quand la révolte est seulement le mouvement qui mène de l’expérience individuelle à l’idée. […] Une révolution est une tentative pour modeler l’acte sur une idée, pour façonner le monde dans un cadre théorique. C’est pourquoi la révolte tue des hommes, et la révolution tue à la fois des hommes et des principes. » La révolution est donc le mouvement ultime qui se veut de façonner le monde à son image. En cela elle force le réel. Dieu est mort, il faut changer et organiser le monde par les forces de l’homme. Or cette idée que porte la révolution est la liberté, en ce sens, comme l’avait déjà noté Proudhon « le gouvernement ne puisse être jamais révolutionnaire et cela pour la raison simple qu’il est gouvernement ». La révolution est donc censée être à la fois la première et la dernière, ou sinon elle n’est pas révolution, elle n’est que meurtre. Or le communisme, en reprenant la dialectique Hégélienne qui nie toute transcendance de la valeur, crée ce que Camus appel l’historicisme ou l’histoire. Autrement dit, le communisme prône des valeurs qui ne sont pas les moyens de l’action, mais le but de l’action, puisque le communisme mène à la fin de l’histoire, puisqu’une fois que la révolution sera faite l’Utopie sera réalisée, nous pouvons tout sacrifier. Sacrifice qui est approuvé par Marx dans sa genèse philosophique même : le matérialisme qui conduit au meurtre de Dieu et au nihilisme : « Un autre ordre devra s’établir, qui réclamera au nom de l’histoire un nouveau conformisme. Quant aux moyens, ils sont les mêmes pour Marx et Maistre : le réalisme politique, la discipline et la force. » Je vous épargne ici le parallèle établit entre Marx et Maistre et entre le christianisme et le communisme qui est tout simplement prodigieux. Ce qui est intéressant, c’est que cette reprise de la dialectique hégélienne, ce que Marx appelle « le matérialisme historique », purement déterministe, perd l’individu dans l’hypothétique, le futur à accomplir, mais qui n’est pas encore fait. « L’histoire sans valeur qui la transfigure, est régie par la loi de l’efficacité. Le matérialisme historique, le déterminisme, la violence, la négation de toute liberté qui n’aille pas dans le sens de l’efficacité, le monde du courage et du silence sont les conséquences légitimes d’une pure philosophie de l’histoire. » Et c’est précisément cette logique purement matérialiste qui conduit Marx à une forme de nihilisme : « Les jacobins détruisent la transcendance divine mais la remplacent par la transcendance des principes. Marx fonde l’athéisme contemporain en détruisant aussi la transcendance des principes (il affirme lui-même que la pensée n’est que réflexion du mouvement réel), la fois en 1789 est remplacé par la raison, mais cette raison est elle-même transcendante. Marx détruit la transcendance de la raison et la précipite dans l’histoire. […]» Du coup, tout est permis pour que la fin soit atteinte. Pour bien faire comprendre cette idée, Camus a une formule que je trouve magnifique : « La révolution consiste à aimer un homme qui n’existe pas encore ». Pour Marx « les lois de l’histoire reflètent la réalité matérielle », ainsi peu importe les moyens, puisque la fin nous est garantie. En ces termes « le socialisme est ainsi une entreprise de divinisation de l’homme et a pris quelques caractères des religions traditionnelles. » Ainsi : « Marx prédisait l’accomplissement inévitable de la cité sans classes, dans la mesure où il établissait aussi la bonne volonté de l’histoire, tout retard dans la marche libératrice devait être imputé à la mauvaise volonté de l’homme. Marx a réintroduit dans le monde déchristianisé la faute et le châtiment, mais en face de l’histoire. Le marxisme est une doctrine de la culpabilité quant à l’homme, d’innocence quant à l’histoire. Loin du pouvoir, sa traduction historique était la violence révolutionnaire, au sommet du pouvoir, elle risquait d’être la violence légale. C'est-à-dire la terreur et le procès ! […] Dans le système capitaliste l’homme qui se dit neutre est réputé favorable. En régime d’Empire, l’homme qui est neutre est réputé hostile au régime. Il est contre l’histoire, il est blasphémateur. La foi confessée du bout des lèvres ne suffit pas, il faut vivre et agir pour la servir, consentir aux dogmes. » L’idéologie marxiste est donc intrinsèquement violente, elle impose, elle est une nouvelle religion. Il est de fait faux de dire que le socialisme réformiste, et les mouvements communistes (qui de fait n’en sont pas) démocrates sont les vrais héritiers de Marx : « Marx est le prophète de la production et il est permis de penser qu’il fait passer le système avant la réalité. Il n’a jamais cessé de défendre Ricardo, économiste du capitalisme manchestérien, contre ceux qui l’accusaient de vouloir la production pour elle-même (« Avec raison ! » s’écrie Marx), et de la vouloir sans se soucier des hommes. « C’est justement son mérite » répond Marx, avec la même désinvolture que Hegel. Qu’importe en effet le sacrifice des hommes s’il doit servir le salut de l’humanité entière ! « Marx exclut au contraire toutes réformes dans la mesure où elles risqueraient d’atténuer l’aspect catastrophique de l’évolution, et par conséquent de retarder la véritable issue. La logique d’une pareille attitude voudrait qu’on approuvât ce qui peut accroitre la misère ouvrière. Il ne faut rien donner à l’ouvrier pour qu’il puisse avoir tout un jour » Autrement dit, il faut pousser par la misère, passé par le capitalisme, pour que l’histoire se réalise, sinon on en détourne les lois. Ces déclarations font froid dans le dos ; la misère ouvrière deviendrait un impératif pour qu’elle provoque la révolution, mais cette révolution vise l’Etat. Camus note ici que Marx ne cesse de se contre dire, on comprend mal s’il adhère ou non à cette idée de quiétisme pour pousser à la révolution. Plus mystérieux encore est le rôle de l’Etat dans ce glissement révolutionnaire. Comment réaliser la transition ? Marx et Bakounine semble paradoxalement d’accord sur ce point : « S’il fallait demander la réponse à Bakounine, elle ne serait pas douteuse. Bien qu’il soit opposé en toutes circonstances, et avec une extrême lucidité, au socialisme autoritaire, des l’instant où il définit lui-même la société de l’avenir, il la présente, sans se soucier de la contradiction, comme une dictature. Les statuts de la Fraternité Internationale établissent déjà la subordination absolue de l’individu au comité central. Il espère pour la Russie libérée un « fort pouvoir dictatorial… un pouvoir entouré de partisans, éclairé de leurs conseils, raffermi par leur libre collaboration, mais qui ne soit limité par rien ni par personne. ».Bakounine autant que Marx, son ennemi, a contribué à la doctrine léniniste […] qui a été réalisé par Staline. » Ou encore Camus en citant Bakounine : « La prochaine guerre mondiale fera disparaitre de la surface de la terre non seulement des classes et des dynasties réactionnaires, mais encore des peuples réactionnaires entiers. Cela fait partie aussi du progrès. » A cela Camus cite encore une fois Marx : « L’abolition de l’Etat n’a de sens QUE chez les communistes comme le résultat nécessaire de la suppression des classes. Le communisme résout le mystère de l’histoire et il sait qu’il le résout ! » On sent bien la fracture qu’opère Marx avec la tradition libérale et surtout anarchiste/libertaire. L’Etat est devenu l’instrument, et puisqu’il n’y a plus de principe, puisque le salut est dans l’histoire à venir, l’Etat peut tout. Camus complète : « S’il est sûr que la royaume arrivera, qu’importent les années ? Qu’importe que cela soit par la dictature et la violence ? Dans cette Jérusalem bruissante de machines merveilleuses, qui se souviendra encore du cri de l’égorgé ? » Marx ajoute lui-même de l’eau à son moulin par cette phrase terrible, et qui montre une fois encore à quel point la fin justifie les moyens et que Lénine n’a rien inventé de nouveau : « Ce que tel ou tel prolétaire ou même le prolétariat tout entier imagine être son but n’importe pas ! » La dictature du prolétariat est donc en fait une dictature sur le prolétariat. Et non seulement les moyens non plus des limites, mais les fins ne seront jamais atteinte. Camus s’en explique, les raisons ne sont pas seulement d’ordre économique, elles sont d’ordre humain, sociologique, philosophique et métaphysique. Lénine lui-même constaté bien l’échec de l’idéologie : « Quelle sera la rapidité du développement vers la phase supérieur du communisme ou chacun prendra ses besoins ? « cela nous ne le savons pas et nous ne pouvons pas le savoir… nous n’avons pas de données nous permettant de trancher ces questions […] il n’est jamais venu à l’esprit d’aucun socialiste de promettre l’avènement de la phase supérieure du communisme. » » La fin justifie les moyens, telle est le germe viscérale du nihilisme dont s’inspire le communisme, on notera d’ailleurs l’aspect purement belliciste de Marx, qui pour des raisons sanguinairement pratiques déclarait dans une lettre à Engels souhaiter la victoire de la Prusse sur la France : « la prépondérance du prolétariat allemand sur le prolétariat français serait en même temps la prépondérance de notre théorie sur celle de Proudhon ». Prolétaires de tous les peuples unissez-vous ? pas si sûr. A Camus de conclure : « Quand les prédictions s’effondraient, la prophétie restait le seul espoir. Il en résulte qu’elle est la seule à régner sur notre histoire. » « La pensée historique (marxiste) devait délivrer l’homme de la sujétion divine ; mais cette libération exige de lui la soumission la plus absolue au devenir » Ainsi parle le communisme : « Nous n’étions pas, mais nous devions être par tous les moyens. Notre révolution est une tentative pour conquérir un être neuf, par le faire, hors de toute règle morale. » Voilà, je ne vous expose pas les solutions préconisées par Camus ni le parallèle que Camus opère entre fascisme et communisme. Ceci n’est qu’un aspect de l’œuvre, et le communisme s’il est un sujet prépondérant n’est pas le thème central de l’ouvrage. Il s’agissait d’étudier la Révolte et la Révolution dans sa globalité. L'intérêt ici est qu'un homme de gauche lui même, à démontré philosophiquement que le marxisme est une idéologie violente et totalisante, contrairement à ce que nous disent les cocos à longueur de journée. A vous :
ernest Posté 1 février 2010 Signaler Posté 1 février 2010 Il s’agit dans ce topic de mettre en lumière seulement un aspect particulier de sa vie, ou plutôt de sa pensée ; sa lutte contre le communisme. On ne pourra pas reproché à Camus d’être de droite, sympathisant anarcho syndicaliste libertaire, Camus a certes fréquenté un court moment le PC d’Alger puis l’intelligentsia gauchisante de l’époque sous l’égide de Sartre, avant de s’en éloigner radicalement. Cette fracture idéologique, Camus la magnifie et la sacralise dans une œuvre à la fois poétique et remarquable, détenteur d’une vérité visionnaire pour l’époque, je veux parler bien sûr de L’Homme Révolté. Les nazis ont aussi persécuté les juifs pendant un court moment - à l'échelle de l'histoire de l'humanité. L'Homme révolté n'a aucun souffle, ni aucune consistance philosophico-politique par rapport aux quatre essais de Rand - pour rester dans le même domaine et la même époque. Sinon Camus est drôle à entendre et à voir réciter ses textes à la télé.
Invité Posté 1 février 2010 Signaler Posté 1 février 2010 Les nazis ont aussi persécuté les juifs pendant un court moment - à l'échelle de l'histoire de l'humanité. Ouais, moi aussi quand j'étais jeune j'étais communiste et je mérite le buché. L'Homme révolté n'a aucun souffle, ni aucune consistance philosophico-politique par rapport aux quatre essais de Rand - pour rester dans le même domaine et la même époque. Je te crois sur parole, je n'ai pas encore lu Rand, et je trouve que Hayek est bien plus efficace, quoi que moins philosophique et moins poétique que Camus, dans sa dénonciation du communiste. Ce qui est intéressant, c'est qu'un homme de gauche s'adonne à une telle dénonciation à travers un argumentaire de gauche. A la limite j'aurai pu faire un condensé de la dénonciation du communisme par Hayek, mais sur libéraux.org ça n'aurait eut aucun intérêt. Sinon Camus est drôle à entendre et à voir réciter ses textes à la télé. Je le trouve très peu naturel… ^^
Johnnieboy Posté 2 février 2010 Signaler Posté 2 février 2010 Ouais, moi aussi quand j'étais jeune j'étais communiste et je mérite le buché. Je te crois sur parole, je n'ai pas encore lu Rand, et je trouve que Hayek est bien plus efficace, quoi que moins philosophique et moins poétique que Camus, dans sa dénonciation du communiste. Ce qui est intéressant, c'est qu'un homme de gauche s'adonne à une telle dénonciation à travers un argumentaire de gauche. A la limite j'aurai pu faire un condensé de la dénonciation du communisme par Hayek, mais sur libéraux.org ça n'aurait eut aucun intérêt. Je le trouve très peu naturel… ^^ Je crois que chacun à "son" philosophe favori en ce qui concerne le dénonciation du communisme. La critique de Mises sera considéré comme la plus intéressante pour les personnes versées en économie, ou les personnes qui ont un sens de la logique plus aiguë. Hayek, dans son approche, plaira plus aux lecteurs de philosophie politique, aux scientifiques. Et Rand, aux ado qui viennent de lire Nietzsche Enfin, c'est juste une impression, et je ne demande qu'à être contredit.
MMorateur Posté 8 février 2010 Signaler Posté 8 février 2010 L'Homme révolté n'a aucun souffle, ni aucune consistance philosophico-politique par rapport aux quatre essais de Rand - pour rester dans le même domaine et la même époque. En principe, le mauvais goût ne s'étale pas.
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