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La mort de l'économie comportementale ?


F. mas

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Le 11/08/2024 à 19:02, Lancelot a dit :

Le problème fondamental pour Hayek (c'est ce qu'il raconte dans l'introduction du bouquin) est qu'il existe un ordre physique/externe (c'est à dire en gros les choses en tant qu'elles interagissent entre elles en essayant de faire abstraction de l'observateur) et un ordre sensoriel/phénoménal (c'est à dire en gros la manière dont ces mêmes choses nous apparaissent) et que l'un ne peut pas se réduire à l'autre (la même stimulation d'un point de vue physique peut être perçue différemment, différentes stimulations peuvent être perçues comme la même chose). Et donc sa solution est un modèle interne (il cite notamment Helmholtz comme grande source d'inspiration) fondé sur une sorte de système d'assemblées de neurones dynamiques à la Hebb

Pour le problème, c'est un problème qui dépasse largement Hayek, et qui est celui de la sous- ou sur-détermination du contenu mental, et qui motive divers étagements de la sémantique (bidimensionalisme, tridimensionalisme etc):

  • d'un côté, la sur-détermination du contenu sémantique (de la "signification" frégéenne) par rapport à son extension (la "référence" frégéenne): les Frege cases. Par exemple, je peux trouver plusieurs modes de présentation (MOPs) pour un même objet, et utiliser ces MOPs pour individuer mes contenus mentaux (ce qui peut se justifier dans la sémantique de l'ascription de croyance, où l'identité de l'objet à travers ses MOPs n'est pas toujours épistémiquement "transparente": je peux croire que x est y mais pas que x est z, même si x est effectivement y et z) Gottlob-Frege.jpg
  • d'un autre côté, la sous-détermination du contenu cognitif ("étroit" au sens fodorien) par rapport à ses extensions possibles (ses "mondes" logiques, càd des sortes de contextes): les Putnam cases. Par exemple, je peux avoir un contenu de croyance sur l'eau qui est le même que l'eau soit de l'H2O ou une autre composition chimique dans un autre "contexte" (XYZ, pour simplifier), par exemple que l'eau (H2O ou XYZ) est potable. NB: Le contenu "large" est celui dans lequel l'apport contextuel figure (i.e. où le contenu est relativisé à un contexte/monde, càd est "complété" de manière à être évaluable). Hilary-Putnam.jpg

On aura remarqué que ces deux classes de "cases" tirent dans des directions opposées (tl;dr: ymmv), et contraignent la sémantique dans la direction du bidimensionalisme (pourquoi? parce qu'un seul truc ne va pas pouvoir faire deux jobs quand ces jobs sont contradictoires): d'où leur influence, en particulier contre des approches fonctionalistes (identifiant le contenu mental à son rôle conceptuel/inférentiel) ou réductionnistes (identifiant le contenu mental à un pattern d'activation neuronal).

 

Je ne suis pas en train de dire que c'est le dogme: lire Clark permet précisément de se rendre compte que les réseaux de neurones dynamiques modélisés par le connectionisme dès les années 90 laissaient la place à une forme de sensibilité au contexte des tokens susceptibles d'évaluation sémantique (sans représentation symbolique intensionnelle: l'information sémantique (information n'est pas le bon terme) pour un terme (l'"eau", pour reprendre l'exemple putnamien) est distribuée dans le réseau, et "lâchement" unifiée par des ressemblances de famille (Clark 1993, Smolensky 1991). Résultat: effondrement de la distinction entre contenu étroit, et effondrement plus fondamental encore de la type/token distinction (abandon, donc, de l'approche "symboliste"). L'approche fonctionaliste a beaucoup de popularité, mais moins d'avenir intellectuel à mon avis, pas parce que les rôles inférentiels/conceptuels ne composent pas (critique fodorienne, qui s'applique également aux modèles connectionnistes, pour la raison que je viens de dire--en fait, c'est difficile (pas impossible) d'être contextualiste et de satisfaire le principe de compositionnalité), mais... pour d'autres raisons que je ne vais pas développer ici (mais voir indications plus bas).

 

Having said that,

 

Rien de tout ça ne nous oblige à considérer que le contenu mental et son extension appartiennent à des "ordres" différents (pour reprendre la terminologie hayekienne, semblerait-il), si par là on entend une rupture du monisme de rigueur d'un point de vue méthodologique naturaliste. Or le schéma hayekien me paraît bizarre: pourquoi ne pas ajouter, justement, le schéma d'activation neuronal, et corréler non pas les phénomènes "extérieurs" (si ça veut dire qqch) à la phénoménologie de l'observateur, mais le véhicule (les neurones) et le contenu (mental). A ce moment, on se retrouve sur un problème de type contenu large/contenu étroit (qui fonctionne comme véhicule du contenu large, si tant est qu'on en puisse trouver une instanciation neuronale: voir Stich 1991). Et si on entend rien de ça par là, je préfère garder le framework conceptuel de la philosophie de l'esprit et du langage classique des années 70/80, qui permet de poser les problèmes avec beaucoup de rigueur.

 

Révélation

Clark, Andy. (1993). Associative Engines. Connectionism, Concepts, and Representational Change. Cambridge, MA: MIT Press/Bradford Books, Ch. 2

Smolensky, Paul. (1991). Connectionism, constituency, and the language of thought. In: B. Loewer, G. Rey (eds.) Meaning in Mind: Fodor and His Critics. Cambridge, MA: Blackwell, 201-29

Stich, Stephen P. (1991). Narrow content meets fat syntax. In: B. Loewer, G. Rey (eds.) Meaning in Mind: Fodor and His Critics. Cambridge, MA: Blackwell, 239-55

 

Stich montre dans son influent article que celui des deux contenus mentaux qui va pouvoir être étudié psychologiquement, ce n'est pas le contenu large, parce qu'il est constitué de, et individué en fonction de composants externes (contextuels, mind-independent: y a-t-il de l'H2O ou de l'XYZ autour de toi?), mais le contenu étroit. La question est le rapport entre la "grosse syntaxe" (qui désigne en fait le rôle conceptuel/inférentiel) et le contenu étroit, et la découverte de Stich est que l'implication va dans un sens (même syntaxe, même contenu), mais pas dans l'autre (le contenu étroit découpe les états mentaux en tranches beaucoup plus larges que la syntaxe conceptuelle-inférentielle). Cette découverte est argumentée à l'aide d'exemples qui se servent de la multimodalité: l'état mental de Helen Keller qui croit (véridiquement) qu'il y a un chat dans la pièce, et le mien, partagent le même contenu étroit, mais pas la même syntaxe. On se retrouve donc avec trois types de contenu (le contenu étroit restant le moins discriminant).

 

Désolé, mes références sont archéologiques. J'ai un an de pré-thèse pour me mettre sérieusement à jour

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En ce sens, l'analogie n'est pas entre l'EMT et Hayek sur l'utilisation de la connaissance dans la société de marché, mais entre la distribution de l'information (je répète ma réticence sur ce terme) dans un réseau de neurones tel que ceux fabriqués par les connectionistes et la connaissance hayekienne.

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Tu as conscience j'espère (mais je ne crois pas) que tout ça part d'une remarque en passant de ma part sur Hayek qui défend un modèle interne et que c'est rigolo vu que tu te remémorais les discussions sur Hayek où je t'avais donné la référence de Clark, mais que ça n'a globalement aucun rapport avec ce que raconte l'article. C'est de ma faute, je ne me suis pas souvenu de me méfier des remarques en passant quand tu es l'interlocuteur :mrgreen:

 

(et donc je vais m'empresser de ne pas saisir ce hameçon)

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De mon point de vue la discussion part d'un article sur le rapport entre Hayek et l'EMT/4E cognition. J'ai écrit un message pour expliquer, sans partir de Hayek, en quoi il me semblait que, quitte à faire des ponts entre Hayek et l'Extended Epistemology, le rapport le plus pertinent me semblait être celui avec les réseaux de neurones du connectionisme/PDP. Je plaide coupable pour la longueur, mais bon

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Note que je ne dis pas que ce n'est pas intéressant, mais (1) ce n'est plus le sujet si l'économie comportementale passe à la trappe, (2) je ne veux pas me retrouver coincé dans le rôle d'exégèse/défenseur de Hayek (ou n'importe qui d'autre) parce que c'est un exercice dans lequel je suis très mauvais.

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