Après lecture de l'article, je dois avouer que je le trouve particulièrement peu convaincant. On sent bien que Fabrice Hadjadj tient sa thèse : l'Occident va a sa perte par manque de transcendance. Mais celle-ci n'est vraiment pas neuve. Elle sent même un peu la naphtaline post-Révolution française. Pour étayer ses propos, l'auteur base sa réflexion sur le fait que trois individus ayant commis des actes terroristes inspirés par la religion étaient des Français, si pas "de souche", du moins de parfaits produits de la société française.
D'abord, mettons les choses en perspective. Selon les chiffres d'Europol :
dans l'Union européenne en 2013, on a comptabilisé 152 attaques terroristes impliquant 313 personnes, 70% de ces attaques étaient le fait de groupes séparatistes ou d'extrême-gauche ;
en France, 52 attaques terroristes, représentant 92% du total, étaient dues à des séparatistes ;
dans l'Union européenne, seulement un tiers des condamnations pour des faits de terrorisme concernaient des actes inspirés par la religion ;
la peine moyenne d'une condamnation pour fait de terrorisme inspiré par la religion est de 4 ans, contre une moyenne de 18 ans pour les faits de terrorisme d'extrême-gauche et de 13 ans pour le terrorisme séparatiste.
On voit donc que le terrorisme inspiré par l'intégrisme islamiste est très loin de représenter une menace majeure pour l'Europe. Au contraire, les actes terroristes les plus nombreux, les plus violents et sanctionnés par les peines les plus lourdes concernent bien des mouvements de pensée purement occidentaux : le socialisme et le nationalisme. Par ailleurs, les convertis à l'islam représentent déjà plus de 100 000 personnes en France qui, jusqu'à plus ample informé, vivent bien et paisiblement au sein de la société française du 21e siècle. Dès lors, on voit mal comment, sur base de trois individus, Coulibaly et les frères Kouachi, Hadjadj peut élaborer une vision aussi générale et englobante que celle d'une société occidentale qui n'aurait plus de spiritualité à offrir et condamnée à disparaître pour ne plus avoir de cause pour laquelle mourir. Est-ce qu'il ne serait pas plus honnête de reconnaître qu'au fond on ne sait pas trop ce qui a pu motiver trois paumés à se lancer dans la violence ? Et éviter de tirer des conclusions générales à partir d'une anecdote de statistique criminelle ?
Comme ses prédécesseurs réactionnaires, Hadjadj réfléchit par polarisations extrêmes : d'un côté, nous avions la société d'antan qu'il ne décrit pas trop bien, mais que l'on doit deviner plus stable, pleine de vraies valeurs transcendantes et surtout d'une seule vraie religion, la catholique apostolique romaine ; de l'autre, nous avons notre société du 21e siècle remplie de mariage gay et d’euthanasie. Pire encore : de plats surgelés ! Comme il nous indique que les femmes françaises se divisent en deux groupes : celles en burqa et celles en mini-jupes. (Étonnante, cette obsession de l'auteur quant au sexe mêlé à la religion. À croire qu'il se fait le miroir des visions les plus rétrogrades de certains intégristes musulmans.) Ce mode de raisonnement est très commode et permet de manière rhétorique de caricaturer notre société et ses vrais problèmes au profit de la défense d'une société fantasmée et ses pseudos valeurs et bénéfices. La société française est un continuum d'individus qui s'étale sur un très large spectre, du junkie réduit à l'état d'épave jusqu'à la jeune communiante élevée dans une famille provinciale nombreuse et pratiquante, en passant par des bobos gauchistes qui se consacrent à leur famille au quotidien ou des musulmans qui s'impliquent dans des actions humanitaires. Et dans ce continuum, on peut parier qu'un très grand nombre axent leur vie d'une manière ou d'une autre autours de certaines valeurs. Alors, sans doute, ne plaisent-elles pas à Hadjadj, mais elles n'en existent pas moins pour autant. Et qu'un grand nombre de contemporains de ce dernier ne partagent pas sa vision de la société ne signifie nullement que celle-ci est condamnée à périr.
Car, pour le dire franchement, tout le laïus de Hadjadj sur le "suicide" démographique de l'Europe est bien ridicule. Et il ferait bien de rester prudent quand il aborde cette branche statistique si délicate qui voit régulièrement les démographes se tromper. La génération précédente, on prévoyait déjà une majorité de musulmans en France à l'heure actuelle. Par ailleurs, on observe un effondrement des taux de fécondité dans les pays "musulmans". De plus, il est assez audacieux, pour le dire gentiment, de lier faible taux de fécondité à perte de transcendance dans une société. Les pays au taux de fécondité le plus élevé au monde sont les pays d'Afrique noire. Est-ce dû à leur supériorité spirituelle et leur vision plus transcendantale du monde ? Ou à la misère ? Plus près de chez nous, un des plus bas taux de fécondité dans l'Union européenne est celui de la très catholique Pologne. Alors que des pays perdus de progressisme comme la Suède ou les Pays-Bas présentent des scores plus élevés.