Etienne Posté 17 avril 2006 Signaler Posté 17 avril 2006 Je pense que l'on peut proposer une classification politique plus pointue et exacte que l'opposition binaire droite/gauche ou le diagramme de Nolan, qui, quoiqu'on en dise, est d'avantage là pour flatter nos opinions que pour proposer une grille de lecture opérante des différentes tendances politiques. Je ne prétends rien inventer, et même un peu tordre les concepts "traditionnels". Un des traits constitutifs du libéralisme - comme le rappelle Hayek, Némo ou pas mal d'autres - est de concevoir l'ordre social comme le produit d'un "ordre spontané", d'une composition d'actions d'individus qui pourtant échappe in fine (en partie) à leurs volontés. Le concept d'un ordre social qui "s'autonomise" par rapport aux individus bien qu'étant issus de leurs actes, précisement parce qu'ils ne maitrisent pas totalement la portée de ces derniers, est quelque chose que l'on retrouve chez la quasi-intégralité des empiristes écossais des Lumières (Smith, Ferguson) et chez bon nombre d'autrichiens. Conception qui tend à favoriser une certaine indépendance, autonomie de cet ordre social et donc la liberté des individus. A cette conception s'oppose les dichotomies traditionnelles issues de la Gréce antique, qui concoivent la société soit comme ordre naturel, ou comme ordre purement artificiel - au sens de "articifice", c'est-à-dire au sens de pâle apparence sans fondement affirmé. On retrouve donc chez les personnes qui conçoivent la société comme issue d'un ordre naturel un certain enclin à privilégier la tradition, la hiérarchie, le "chacun-à-sa-place" dans l'ordre harmonieux du cosmos. A l'inverse, les partisans de la seconde interprétation ont plutôt tendance à s'autoriser à modeler la société par un acte de volonté puisque, de fait, la société est issue, à leurs yeux, du même type d'acte de volonté : ce que la main de l'homme a fait, elle peut le défaire et le recomposer à son grès. Il me semble que les libéraux ont trop souvent tendance à vouloir catégoriser le clivage droite/gauche en fonction de ces différentes conceptions de la société en disant : libéralisme = ordre spontané ; droite = ordre naturel ; gauche = ordre artificiel. Je m'explique, mais d'abord : quel rapport avec René Rémond ? Je ne rappelle pas sa thèse qui divise la "droite" en France selon trois composantes : légitimiste, bonapartiste et orléaniste. Voir ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_droites_en_France. Il me semble que l'on pourrait rattacher la droite légitimiste, qui cherche à favoriser la hiérarchie et les doctrines de l'Ancien Régime, à la conception de la société comme ordre naturel ; on pourrait rapprocher le bonapartisme par sa tendance à attendre un homme messianique, ordonnant le chaos présent devant lui, d'une conception de la société comme ordre artificiel ; et, pour finir, la droite orléaniste du libéralisme, dont elle a été, objectivement, la plus porteuse parmi les trois droites en présence. Je pense ici qu'il est difficile de dire, en assimilant la gauche et les tenants de la société comme ordre artificiel, que le bonapartisme est une droite de gauche Je pense qu'une dénomination plus appropriée serait plutôt celle de "démiurge" (le mot est peut-être trop fort.) De même, pour les tenants de la société comme ordre naturel, je pense qu'un terme comme "traditionnaliste" serait plus convenable. Quoiqu'il en soit, ma question est double : 1°/ Si on retrouve le triptyque démiurge/traditionnaliste/libéral à droite, je pense qu'on peut la retrouver à gauche, mais en ce cas, comment faire les distinctions ? On peut ainsi arriver à recomposer tout le paysage politique selon cette distinction en trois termes, en comprenant alors que les démiurges de droite et de gauche ne s'opposent pas tant dans leurs conceptions de la société que dans leurs finalités, entre, par exemple, les communistes/troskystes et les bonapartistes, et de même entre les traditionnalistes, qui s'opposent car ils ne distinguent pas les mêmes traditions. Notez qu'ainsi, les seuls qui pourraient s'accorder serait les libéraux de droite comme de gauche, précisement parce qu'ils ne s'opposent pas sur les fins. 2°/ Petit problème néanmoins : qu'est-ce qui fait alors l'unité de la droite, ou l'unité de la gauche ? (En tant que concepts.) Ces questions sont à mon sens importantes tant d'un point de vue pratique - qui les libéraux sont-ils succeptibles de convaincre "d'avantage" ? - que d'un point de vue théorique - ne pas utiliser les termes droite/gauche et socialistes à tout bout de champ et pas forcément à propos.
Cédric Posté 17 avril 2006 Signaler Posté 17 avril 2006 1°/ Si on retrouve le triptyque démiurge/traditionnaliste/libéral à droite, je pense qu'on peut la retrouver à gauche, mais en ce cas, comment faire les distinctions ? Je ne sais pas si cela a toujours été le cas, mais on peut trouver empiriquement les trois tendances aujourd'hui : - démiurge : les trotskystes, stalinistes, "républicains sociaux", qui croient que c'est le pouvoir qui fera advenir la justice - traditionnaliste : les "décroissants" et les "écologistes" qui voient l'ordre dans la "nature", disons dans une représentation figée de celle-ci, un passé rêvé. Alors, par certains aspects ça ressemble aussi à de l'ordre spontané, mais l'ordre spontané sans "l'erreur de la nature" qu'est l'homme - libéral : les gens du PS qui sont convaincus que l'économie de marché fonctionne, mais que pour être élu il faut quand même distribuer des sous. 2°/ Petit problème néanmoins : qu'est-ce qui fait alors l'unité de la droite, ou l'unité de la gauche ? (En tant que concepts.) Précisément, il n'y a pas d'unité conceptuelle de l'une ou de l'autre, ce ne sont que des regroupements stratégiques d'intérêts relativement proches, ou au moins convergents. C'est plus une affaire de clientèle je crois.
Dardanus Posté 17 avril 2006 Signaler Posté 17 avril 2006 La distinction droite/gauche est électorale et parlementaire. La nécessité d'assurer les reports de voix au second tour et de constituer une majorité de gouvernement entraîne des alliances formelles ou informelles. De plus les Français sont très conservateurs et l'on continue d'utiliser des étiquettes périmées. Ainsi le parti socialiste abrite à la fois des tenants de l'ordre spontané et des tenants de l'ordre artificiel mais qui cohabitent sous le masque apparent d'une idéologie défunte. Il y a des libéraux de fait (même chez ceux qui se qualifient d'écologistes) et les partisans des solutions autoritaires, soit pour rétablir l'ordre naturel, soit pour instaurer un ordre meilleur.
Largo Winch Posté 17 avril 2006 Signaler Posté 17 avril 2006 Ton triptyque ne revient-il pas peu ou prou à la disctinction classique entre conservateurs / "progressistes" (dans le sens de constructivistes) / libéraux ? Notez qu'ainsi, les seuls qui pourraient s'accorder serait les libéraux de droite comme de gauche, précisement parce qu'ils ne s'opposent pas sur les fins. On peut tout à fait avoir des groupes de libéraux ayant des finalités différentes aussi : entre ceux qui souhaitent surtout renforcer la liberté économique et ceux qui souhaientent renforcer la liberté "sociétale", ou entre les utilitaristes et les "humanistes", etc.
Ronnie Hayek Posté 17 avril 2006 Signaler Posté 17 avril 2006 Plus fondamentalement, il me semble qu'il importe de prendre en compte les deux tendances politiques principales : absolutisme (dans lequel se retrouvent aussi bien traditionalistes que socialistes) et libéralisme. Cela demande évidemment à être raffiné, mais je crois qu'il faut partir de là.
Patrick Smets Posté 17 avril 2006 Signaler Posté 17 avril 2006 je dirais plutot absolutisme vs anarchie. à laquelle rajouter une distinction immobilité/changement volontaire. La grande question, c'est de savoir ce qu'on veut expliquer. Une grille d'analyse est toujours une réduction de la réalité. Elle n'a d'intérêt que par rapport à un projet d'explication d'un phénomène particulier.
Etienne Posté 17 avril 2006 Auteur Signaler Posté 17 avril 2006 Précisément, il n'y a pas d'unité conceptuelle de l'une ou de l'autre, ce ne sont que des regroupements stratégiques d'intérêts relativement proches, ou au moins convergents. C'est plus une affaire de clientèle je crois. J'aurais tendance à être a priori d'accord avec ceci, mais je me demande pas si c'est trop réducteur. L'opposition droite/gauche a structuré le débat et les alliances politiques depuis plus d'un siècle, et j'ai du mal à avouer qu'il n'y ait pas tout de même un sens profond dernière cela, autre qu'une logique : "vous êtes avec nous ou contre nous". Ton triptyque ne revient-il pas peu ou prou à la disctinction classique entre conservateurs / "progressistes" (dans le sens de constructivistes) / libéraux ? En fait, non. Je pense que cette division-là est inadaptée parce qu'elle a tendance à assimiler conservateurs et droite ; progressistes et gauche, et donc à placer le libéralisme on ne sait trop où. Le problème, à mon avis, c'est qu'on a tendance en utilisant uniquement ces catégories à regrouper des choses qui n'ont rien à voir, par ex., entre bonapartistes et communistes… ce qui nuit sensiblement à la compréhension. Plus fondamentalement, il me semble qu'il importe de prendre en compte les deux tendances politiques principales : absolutisme (dans lequel se retrouvent aussi bien traditionalistes que socialistes) et libéralisme. Cela demande évidemment à être raffiné, mais je crois qu'il faut partir de là. Je ne suis pas opposé à ce type de classification, mais, à mon sens, cela révèle une lecture liberalo-centrée de la politique, qui n'est pas forcément bien compréhensible à l'extérieur des cercles libéraux. Il y a, au fond, un peu lecture "avec nous ou contre nous" du point de vue des libéraux, mais cela ne rend pas compte des oppositions au sein des opposants au libéralisme…
Toast Posté 17 avril 2006 Signaler Posté 17 avril 2006 1°/ Si on retrouve le triptyque démiurge/traditionnaliste/libéral à droite, je pense qu'on peut la retrouver à gauche, mais en ce cas, comment faire les distinctions ? Les distinctions opérées par Cédric me semblent intéressantes (gauche "libérale" acceptant le marché, l'Etat n'étant là que pour le "corriger" ou "l'assister" ; gauche traditionnaliste prônant le retour à la nature voire l'abandon du progrès matériel ; gauche "démiurge" pensant le progrès par une organisation autoritaire de la société) 2°/ Petit problème néanmoins : qu'est-ce qui fait alors l'unité de la droite, ou l'unité de la gauche ? (En tant que concepts.) Deux faits (liés) réalisent àmha l'unité de la droite et l'unité de la gauche : 1) Un accord dans les fins ultimes : la droite s'attache plutôt à l'ordre, tandis que la gauche s'attache plutôt à l'exigence de progrès humain. 2) Une position par rapport à l'Histoire : la droite s'attache plutôt à des concepts issus de l'Ancien Régime, tandis que la gauche défend des idées et des valeurs plus ou moins issues de la Révolution (et de ses répercutions tout au long du XIXème) Cela n'entre pas en contradiction, je pense, avec le portrait que tu as dressé de la droite et celui que l'on peut se faire de la gauche : la droite légitimiste et bonapartiste mettent l'exigence d'une société ordonnée en premier lieu en avant, la gauche traditionnaliste et révolutionnaire mettent en avant le progrès. La différence entre libéraux de droite et libéraux de gauche est une simple nuance : les premiers insistent plus sur l'aspect d'une société ordonnée (d'où un renforcement souhaité des fonctions régaliennes de l'Etat, voire une restriction des libertés individuelles, par peur du chaos provoqué par la nouveauté - interdiction de la drogue, etc.), tandis que les seconds insistent plutôt sur l'exigence du progrès humain (d'où une intervention étatique tolérée dans certains cas, pour permettre l'accès à tous à certaines ressources).
Ronnie Hayek Posté 17 avril 2006 Signaler Posté 17 avril 2006 En fait, non. Je pense que cette division-là est inadaptée parce qu'elle a tendance à assimiler conservateurs et droite ; progressistes et gauche, et donc à placer le libéralisme on ne sait trop où. Le problème, à mon avis, c'est qu'on a tendance en utilisant uniquement ces catégories à regrouper des choses qui n'ont rien à voir, par ex., entre bonapartistes et communistes… ce qui nuit sensiblement à la compréhension. Je ne suis pas opposé à ce type de classification, mais, à mon sens, cela révèle une lecture liberalo-centrée de la politique, qui n'est pas forcément bien compréhensible à l'extérieur des cercles libéraux. Il y a, au fond, un peu lecture "avec nous ou contre nous" du point de vue des libéraux, mais cela ne rend pas compte des oppositions au sein des opposants au libéralisme… Je revendique haut et fort le libéralo-centrisme de cette catégorisation, vu que le libéralisme est la philosophie politique la plus juste. Certes, comme je l'ai dit, cela demande à être raffiné, mais l'important est de bien conserver ces deux pôles.
Chitah Posté 17 avril 2006 Signaler Posté 17 avril 2006 La grande question, c'est de savoir ce qu'on veut expliquer. Une grille d'analyse est toujours une réduction de la réalité. Elle n'a d'intérêt que par rapport à un projet d'explication d'un phénomène particulier. Exact, c'est pourquoi ce serait pas mal que l'on traite un cas particulier, par exemple (je dis n'importe quoi), comment la mondialisation est vue et a été vue par les différents groupes dont parle Eti-N.
Etienne Posté 18 avril 2006 Auteur Signaler Posté 18 avril 2006 Je revendique haut et fort le libéralo-centrisme de cette catégorisation, vu que le libéralisme est la philosophie politique la plus juste. Certes, comme je l'ai dit, cela demande à être raffiné, mais l'important est de bien conserver ces deux pôles. Qu'il y ait à un pôle le libéralisme, certes. Mais regrouper ceux qui ne sont pas libéraux sous une seule catégorie, c'est avoir une vision biaisée et donc une analyse infirme de toute situation politique quelqu'elle soit. Ce qui conduit à se planter sur ses diagnostics, sur les moyens de "limiter la casse" ou autres choses moins réjouissantes dont il faut tout de même se préoccuper un peu.
Ronnie Hayek Posté 18 avril 2006 Signaler Posté 18 avril 2006 Qu'il y ait à un pôle le libéralisme, certes. Mais regrouper ceux qui ne sont pas libéraux sous une seule catégorie, c'est avoir une vision biaisée et donc une analyse infirme de toute situation politique quelqu'elle soit. Ce qui conduit à se planter sur ses diagnostics, sur les moyens de "limiter la casse" ou autres choses moins réjouissantes dont il faut tout de même se préoccuper un peu. Tu ne m'as pas bien lu, je crois. S'il y a deux pôles, cela signifie qu'il existe d'autres catégories intermédiaires. Sans compter qu'il ne s'agit que d'une classification politique. Autrement dit, je n'inclus pas dans mes critères les gens qui ne s'intéressent tout bonnement pas à la politique.
melodius Posté 18 avril 2006 Signaler Posté 18 avril 2006 Un des traits constitutifs du libéralisme - comme le rappelle Hayek, Némo ou pas mal d'autres - est de concevoir l'ordre social comme le produit d'un "ordre spontané", d'une composition d'actions d'individus qui pourtant échappe in fine (en partie) à leurs volontés. Le concept d'un ordre social qui "s'autonomise" par rapport aux individus bien qu'étant issus de leurs actes, précisement parce qu'ils ne maitrisent pas totalement la portée de ces derniers, est quelque chose que l'on retrouve chez la quasi-intégralité des empiristes écossais des Lumières (Smith, Ferguson) et chez bon nombre d'autrichiens. Conception qui tend à favoriser une certaine indépendance, autonomie de cet ordre social et donc la liberté des individus. Je n'aime pas beaucoup cette définition qui ne mentionne pas deux éléments essentiels, le droit et l'isonomie. Sans droit, et donc sans garde-fou à l'action des individus, il est impossible d'aboutir à une situation d'ordre. Sans isonomie, pas de libéralisme. J'imagine que pour toi cela tombe sous le sens, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. De plus, une conception d'ordre spontané me semble plus conservatrice que libérale, dès lors qu'elle tend à valoriser ce qui existe parce qu'il existe. Pour ma part, et je crois pourtant être libéral, je n'adhère pas à cette vision qui me semble adéquate pour décrire certains phénomènes mais insuffisante d'un point de vue prescriptif..
Etienne Posté 18 avril 2006 Auteur Signaler Posté 18 avril 2006 Pour ma part, et je crois pourtant être libéral, je n'adhère pas à cette vision qui me semble adéquate pour décrire certains phénomènes mais insuffisante d'un point de vue prescriptif.. Effectivement, je suis d'accord. Néanmoins, il me semblait que j'avais d'avantage évoqué cette conception dans un sens descriptif, i.e. pour signifier la manière dont les libéraux voient la "société". Bien loin de moi l'idée de vouloir coller de l'ordre spontané à toutes les sauces… A propos du droit et de l'isonomie, j'aurai tendance à dire que les autres conceptions ont tendance à les rejeter de par leur nature même : en ce qui concerne les "démiurges", on peut bien comprendre que leurs "manipulations" de l'ordre social qu'implique leur vision les conduit à ne pas se préoccuper de l'isonomie "formelle" ; en ce qui concerne les "traditionnalistes", la croyance dans une société hiérarchisée implique ici de créer des groupes "fonctionnels" et différents droits en fonction de ces groupes. Pourtant, tu n'as pas tord de me reprocher de ne pas parler de droit et d'isonomie et je te concéde que ceux qui voient la société comme partiellement automone du législateur n'intégrent pas nécessairement les conditions d'isonomie et de droit… @ RH : OK, j'avais mal compris.
Citrouille Posté 18 avril 2006 Signaler Posté 18 avril 2006 - traditionnaliste : les "décroissants" et les "écologistes" qui voient l'ordre dans la "nature", disons dans une représentation figée de celle-ci, un passé rêvé. Alors, par certains aspects ça ressemble aussi à de l'ordre spontané, mais l'ordre spontané sans "l'erreur de la nature" qu'est l'homme Ne confondons pas les premiers écologistes et les écologistes libéraux qui ont en marre de se faire traités de gauchos Tiens la nature est belle et l 'homme moderne est méchant, un tableau du douanier Rousseau sans doute (humour léger pour ceux qui n'ont pas compris ! hélas )
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