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Mourez, L'état Fera Le Reste


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La chronique de Pierre Marcabru : Mourez, l'État fera le reste

En un temps où on visite les morts et où on leur apporte des fleurs, il est bon de se souvenir avec quelle désinvolture on les traite. Ou, plus exactement, comment les traitent les pouvoirs qui, de l'Église à l'État, depuis des siècles, disposent d'eux à leur guise, les transportant de-ci, de-là, sans jamais les laisser en repos, les boutant hors des villes et les enfouissant dans les catacombes. Sans compter les familles qui, souvent, ne savent que faire de ces restes encombrants qu'elles aimeraient bien abandonner derrière elles comme quelques meubles devenus inutiles. La mort inquiète, agace, dérange les humains que nous sommes. Aujourd'hui, on lui préfère la maladie qui fait florès à la télévision, on veut oublier au plus vite cette dérangeante personne à la faux aiguisée. Jadis, on vivait avec elle tant bien que mal. On contemplait, non sans curiosité, des têtes de mort amicales, et on en faisait le portrait qu'on accrochait dans sa chambre pour se rappeler que tout est vanité. Elle était une conclusion logique à laquelle il était bon, parfois, de penser. On se préparait de belles morts. On y songeait, on y rêvait. Aujourd'hui, on ne meurt plus, on disparaît, comme escamoté par quelque coup de baguette magique. Tout s'efface en un instant, et la Camarde est, même, mal vue dans les églises. Les morts qui les entouraient sont souvent déterrés, et leurs pierres tombales abattues, car, comme disait un jeune prêtre candide, ils attristent les paroissiens quand ils vont à la messe. On les jette donc sans particulières précautions dans quelque cimetière communal entouré de béton où ils ne font plus peur à personne.

L'époque est, d'ailleurs, aux exhumations effrontées. La stratégie politicienne, plus que la piété, le veut ainsi. On aimerait un noir au Panthéon ? On va chercher Alexandre Dumas dans le cimetière de Villers-Cotterêts qu'il avait choisi, et où il dormait tranquillement près d'une forêt qui lui était chère. Veut-on y ajouter une femme ? Ce qui ferait bien.

On exhumera George Sand de sa tombe berrichonne où elle était chez elle, en paix, pour la conduire en grande pompe dans ce lieu sinistre où les grands hommes, ou prétendus tels, meurent, une seconde fois, d'ennui. Ce sont des exhumations de circonstance pour prouver, si quelqu'un en doutait encore, que la France n'est ni raciste ni misogyne. Qu'importe ce que souhaitaient les jouets de ces macabres comédies, ils ne s'appartiennent plus et leurs dernières volontés comptent pour rien. Ainsi Rousseau fut-il chassé par ses admirateurs de son tombeau d'Ermenonville où il pouvait se promener la nuit, en toute quiétude, dans les bois qu'il avait tant courus. Son ombre n'a plus que la rue Soufflot et la place du Panthéon pour ses errances nocturnes. Il ne s'agit là que de gestes symboliques, car symbolique rime avec politique, qui ne flattent et ne servent que les glorieux qui règnent et qui décident. Les morts, les pauvres morts, disait Baudelaire ont de grandes douleurs, c'est, le plus souvent, aux vivants qu'ils les doivent. Veut-on, comme Chateaubriand, trouver une sépulture qui plaise à son coeur, et dans un paysage choisi ? Il n'en est plus question. Si vous n'êtes pas riche ou célèbre, l'administration fera grise mine. Il faut s'appeler Paul Claudel pour avoir le droit d'être enterré dans le parc de son château, ou Chaplin dans sa propriété vaudoise.

Le modeste citoyen, lui, finira, quasiment anonyme, dans ces immenses nécropoles suburbaines où il sera aussi serré, couché, qu'il l'était, au coeur de la ville, de son vivant, debout. La société des morts, comme celle des vivants, est de plus en plus niveleuse et égalitaire. Finie l'époque où tout paysan pouvait espérer rester à jamais sur ses terres. On voit encore en Languedoc, en Saintonge, dans les vignes et dans les prairies, des tombeaux, entourés de quelques cyprès, qui se dressent calmes et isolés. Ce sont souvent des tombeaux de protestants. Ils donnent à la campagne une grâce romaine. Une noblesse imprévue qui tient à l'intrusion inattendue du sacré dans le champêtre. Il n'y a plus guère qu'en Corse, privilège insulaire, qu'on peut encore construire des tombeaux selon ses goûts et les placer où il vous plaît.

Il reste l'incinération et les cendres. Mais deux députés, l'un socialiste, l'autre UMP, en une consensuelle alliance, en ont décidé autrement. Les cendres ne seront plus remises aux familles, mais elles devront être dispersées dans un jardin du souvenir - on se croirait sous Robespierre ! - où, sans doute, elles seront mêlées en un démocratique fouillis. Il reste encore la possibilité de les disperser dans la nature. Mais pour combien de temps ? Et comment ? Et par qui ? Qui ira répandre celles de Montherlant sur le Forum ou jeter à la mer celles de Gabin ? Mais vous pourrez encore, pour vous consoler, garder chez vous les cendres de votre chien.

Les temps sont durs pour les morts. Bientôt ils ne disposeront même plus de leur corps, il deviendra marchandise dont on vendra les organes à l'encan. Du don d'organes, parfaitement justifié, à la vente d'organes, injustifiable, le chemin est court, et parfaitement praticable. C'est là qu'il faudrait légiférer, mais on est plus craintif, en France, quand il s'agit de commerce lucratif que de respect humain, et le commerce des cadavres a un bel avenir, car tout, nous dit-on, en ce bas monde à un prix, le vivant comme le mort, et le mort se laisse plus facilement vendre que le vivant. Il ne dit mot, et qui ne dit mot consent.

Posté
Le dernier paragraphe me paraît soulever, au contraire, un point intéressant.

Je ne suis pas par principe opposé à la vente d'organes ou de produits sanguins. Mais comme tous les marchés, ce marché demanderait à être régulé.

Invité jabial
Posté

J'ai déja dit à ma famille que si d'aventure il m'arrivait un accident, je refusais qu'on donne mes organes sauf dans les cas suivants

  • pour un membre de ma famille
  • pour un ami ou une connaissance appréciée d'un membre de ma famille
  • contre de l'argent

Devant ceux qui osent exiger dans de telles circonstances, le refus s'impose.

Posté
Le dernier paragraphe me parait soulever, au contraire, un point intéressant.

Si je peux me permettre!

Comme ne diraient pas nos collègues d'ATTAC, "le monde est une marchandise". Bien sûr que tout peut se vendre, à condition de respecter les règles minimales du marché (pas de ventes forcées et respect de la propriété). Et c'est au mort de décider de son prix (s'il y a testament) ou alors ses ayant-droits. En aucun cas de l'Etat, c'est à dire d'un ensemble de personnes qui ne sont en aucun cas concernées par l'affaire en question.

A vous!

Posté
Si je peux me permettre!

Comme ne diraient pas nos collègues d'ATTAC, "le monde est une marchandise". Bien sûr que tout peut se vendre, à condition de respecter les règles minimales du marché (pas de ventes forcées et respect de la propriété). Et c'est au mort de décider de son prix (s'il y a testament) ou alors ses ayant-droits. En aucun cas de l'Etat, c'est à dire d'un ensemble de personnes qui ne sont en aucun cas concernées par l'affaire en question.

A vous!

Tout ce qui est une chose peut devenir objet de commerce; mais tout n'est pas une chose.

Posté

Voir l'excellente chronique de LMDM sur la vente d'organes.

Imparable: la seule considération s'y opposant demeure morale et non logique.

Posté

Les funerailles d'antan

Georges Brassens

Jadis, les parents des morts vous mettaient dans le bain

De bonne grâce ils en f'saient profiter les copains

" Y a un mort à la maison, si le cœur vous en dit

Venez l'pleurer avec nous sur le coup de midi… "

Mais les vivants aujourd'hui n'sont plus si généreux

Quand ils possèdent un mort ils le gardent pour eux

C'est la raison pour laquell', depuis quelques années

Des tas d'enterrements vous passent sous le nez

Mais où sont les funéraill's d'antan ?

Les petits corbillards, corbillards, corbillards, corbillards

De nos grands-pères

Qui suivaient la route en cahotant

Les petits macchabées, macchabées, macchabées, macchabées

Ronds et prospères

Quand les héritiers étaient contents

Au fossoyeur, au croqu'-mort, au curé, aux chevaux même

Ils payaient un verre

Elles sont révolues

Elles ont fait leur temps

Les belles pom, pom, pom, pom, pom, pompes funèbres

On ne les r'verra plus

Et c'est bien attristant

Les belles pompes funèbres de nos vingt ans

Maintenant, les corbillards à tombeau grand ouvert

Emportent les trépassés jusqu'au diable vauvert

Les malheureux n'ont mêm' plus le plaisir enfantin

D'voir leurs héritiers marron marcher dans le crottin

L'autre semain' des salauds, à cent quarante à l'heur'

Vers un cimetièr' minable emportaient un des leurs

Quand, sur un arbre en bois dur, ils se sont aplatis

On s'aperçut qu'le mort avait fait des petits

Mais où sont les funéraill's d'antan ?

Les petits corbillards, corbillards, corbillards, corbillards

De nos grands-pères

Qui suivaient la route en cahotant

Les petits macchabées, macchabées, macchabées, macchabées

Ronds et prospères

Quand les héritiers étaient contents

Au fossoyeur, au croqu'-mort, au curé, aux chevaux même

Ils payaient un verre

Elles sont révolues

Elles ont fait leur temps

Les belles pom, pom, pom, pom, pom, pompes funèbres

On ne les r'verra plus

Et c'est bien attristant

Les belles pompes funèbres de nos vingt ans

Plutôt qu'd'avoir des obsèqu's manquant de fioritur's

J'aim'rais mieux, tout compte fait, m'passer de sépultur'

J'aim'rais mieux mourir dans l'eau, dans le feu, n'importe où

Et même, à la grand' rigueur, ne pas mourir du tout

O, que renaisse le temps des morts bouffis d'orgueil

L'époque des m'as-tu-vu-dans-mon-joli-cercueil

Où, quitte à tout dépenser jusqu'au dernier écu

Les gens avaient à cœur d'mourir plus haut qu'leur cul

Les gens avaient à cœur de mourir plus haut que leur cul

Posté
Je ne suis pas par principe opposé à la vente d'organes ou de produits sanguins. Mais comme tous les marchés, ce marché demanderait à être régulé.

qui va réguler le marché?

Posté
qui va réguler le marché?

Un concept tout nouveau : l'offre et la demande.

A moins que vous pensiez qu'un fonctionnaire, un juge, un médecin, ou vous-même puisse être plus qualifié pour savoir si, oui ou non, il est dans mon intérêt de vendre mon rein, ou de m'acheter une cornée.

Posté
qui va réguler le marché?

Qui régule la vente et l'achat des stylos à bille ?

Posté
Les zombies, ça ne devrait pas être pire que l'état.

Exact : eux, au moins, arrêtent de nous pomper le sang une fois décérébrés.

Posté
…don d'organes, parfaitement justifié, à la vente d'organes, injustifiable…

…don de boissons, parfaitement justifié…vente de boissons, injustifiable…

…don de musique, parfaitement justifié…vente de musique, injustifiable…

…don de cours, parfaitement justifié…vente de cours, injustifiable…

L'argent, c'est mâââl…

Posté
L'argent, c'est mâââl…

Je crois que la problématique est un poil plus complexe que ça.

Sinon, c'est tout de même amusant que le dernier paragraphe de l'article de Macabru soit le seul à retenir à l'attention alors que ce qui précède est tout aussi intéressant et pertinent d'un point de vue libéral: quid de la "propriété de soi" si les morts ne s'appartiennent plus?

Posté
Je crois que la problématique est un poil plus complexe que ça.

Tu diras ça à Macabru. Et tu en profiteras pour lui demander alors pourquoi donner un organe, c'est bien, mais le vendre, c'est mal.

…quid de la "propriété de soi" si les morts ne s'appartiennent plus…

D'abord la "propriété de soi", c'est du pipeau. Ensuite, les morts ne possèdent plus rien. C'est comme ça, c'est la vie. :icon_up:

Posté
Tu diras ça à Macabru. Et tu en profiteras pour lui demander alors pourquoi donner un organe, c'est bien, mais le vendre, c'est mal.

Parce que la question se pose?

D'abord la "propriété de soi", c'est du pipeau.

La formule ne me satisfait pas non plus, c'est pourquoi j'ai mis des guillemets. Mais je pense tout de même que chacun doit être maître de sa destinée et cela inclut pour moi le sort de sa dépouille mortelle. Si l'Etat a le droit de déterrer mes restes quand et si ça lui chante, cela pose un problème sur lequel les libéraux doivent se pencher.

Ensuite, les morts ne possèdent plus rien. C'est comme ça, c'est la vie. :icon_up:

On se demande bien pourquoi on tient compte de leurs dernières volontés alors.

Invité Arn0
Posté
C'est dans quel volume du "Capital" encore ?
Second traité du gouvernement civil (1690) :
chaque homme est cependant propriétaire de sa propre personne

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