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Communisme Et Millénarisme


Bastien

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J'ai toujours pensé que le communisme était plus qu'une idéologie du 19eme siécle. Je crois que le succès du communisme renvoit à un atavisme de l'espèce humaine. D'une certaine manière, le communisme s'inscrit dans la suite des millénarismes religieux du moyen-âge. On y retrouve de nombreux points communs: L'idée d'un sens de l'histoire qui conduit l'humanité vers un monde utopique. La notion de peuple élu qui régénère le monde (les prolétaires).

Bref, le communisme n'est il pas un millénarisme sans dieu?

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C'était aussi la thèse de Raymond Aron, qui qualifiait le communisme de religion séculière dès 1944. Encore un coup de génie de Raymond, qui groupait à la fois communisme, nazisme et socialisme sous l'étiquette de "religions de salut collectif".

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Le messianisme

Maurice Fayolle, dernière partie de sa brochure Réflexions sur l'anarchisme :

Le messianisme est, par définition, l'attente du Messie - du Sauveur - qui doit délivrer l'humanité de tous ses maux. Par extension, le messianisme se traduit par une projection de l'esprit humain qui, partant d'un présent déterminé et réel, mais insatisfaisant dans sa forme, imagine un avenir indéterminé dans sa forme : la perfection.

Curieusement, deux grandes philosophie des temps modernes se rejoignent dans cet esprit messianique, dans cette représentation spirituelle d'un monde parfait : le christianisme, qui situe cette perfection dans "l'autre vie", c'est-à-dire au Ciel, et le marxisme, qui la situe sur cette, grâce à l'instauration de la société communiste.

Curieusement; ai-je écrit, car ces deux philosophies, pour aboutir à des résultantes, sinon identiques, du moins parallèles, partent de postulats diamétralement opposés, contradictoires et inconciliables.

Toute la théologie chrétienne est basée sur cette affirmation première de sa cosmologie, à savoir que Dieu, Être suprême, éternel et parfait, préexistant à toute matière, a créé le monde. Mais ce monde, création d'un être parfait, n'offre pas l'image de la perfection. Pour justifier cette contradiction, la théologie chrétienne nous offre l'explication du péché originel: l'humain et l'humain seul est responsable de sa propre déchéance. Dès lors, son existence terrestre ne saurait être que l'expiation de sa faute première: son bonheur n'est pas de ce monde. Pour obtenir le pardon divin et gagner la Cité lumineuse de la béatitude éternelle, le pécheur doit professer la plus profonde humilité, accepter la souffrance comme une punition méritée et suivre la voie du renoncement total, dont la mort terrestre constitue la suprême étape: qu'importe le corps, l'âme seule est à sauver. Cette conception philosophique débouche sur le fixisme (ce qui a été, est : ce qui est, sera) qui impose l'acceptation, la résignation - c'est-à-dire l'immobilité.

À l'opposé, la philosophie marxiste repose sur le matérialisme de l'évolution. Pas d'être suprême et, partant, pas de création. La matière, préexistante de toute éternité, se transforme, la vie surgit à un certain stade de son évolution et l'esprit lui-même n'est qu'une forme de la matière. Toute la philosophie marxiste repose donc sur la notion de mouvement (ce qui a été, n'est plus: ce qui est, ne sera plus), c'est-à-dire sur le changement, la transformation, l'évolution. Ainsi, à l'opposé de la philosophie chrétienne, qui est statique, la philosophie marxiste est dynamique.

D'où vient alors que ces deux philosophies, si divergentes dans leurs conceptions, se sont rejointes dans le même esprit messianique et que, à quelques siècles de distance, Staline ait marché sur les traces sanglantes de Torquemada ? Pourquoi, aux grésillements des sinistres bûchers de la Saint Inquisition, l'Histoire a-t-elle fait écho en faisant claquer dans la Russie marxiste les détonations des pelotons d'exécution et des coups de revolvers dans la nuque ? Pourquoi la lente agonie des "traîtres" dans les camps de concentration sibériens a-t-elle fait suite à l'agonie des "hérétiques" dans les cachot de la Sainte Église ?

Le socialisme marxiste se qualifie de "scientifique" par opposition à la philosophie hégélienne, d'où il a tiré sa substance, et au socialisme dit "utopique", tous deux condamnés sous l'infâme accusation "d'idéalisme". Or, si Marx a tiré du passé de l'Histoire une méthode (le matérialisme historique), qui permettait, au moins dans une certaines mesure, d'expliquer l'évolution de ce passé, il a voulu (et plus encore ses successeurs que lui-même) prophétiser l'avenir en conférant à cette méthode les vertus infaillibles d'une vérité éternelle. Ce faisant Marx tournait le dos à la méthode scientifique à laquelle il prétendait. Car la méthode scientifique ne repose que sur l'expérience, se refuse à la prophétie et s'en tient aux vérités relatives du moment, considérées comme des "hypothèses" vraisemblables, comme des outils de travail, comme des éléments de recherches qui permettent de progresser vers de nouvelles découvertes, c'est-à-dire de nouvelles "vérités".

La sociologie, science parmi les autres sciences, ne saurait procéder d'une discipline sans, précisément, tourner le dos à la science. En prétendant déterminer l'avenir en fonction du passé et du présent, Marx et ses disciples abandonnaient la méthode scientifique pour se jeter dans le prophétisme - rejoignant ainsi par un singulier détour la philosophie chrétienne. Ce faisant, ils jetaient les bases, non d'une science, mais d'une religion. Car l'avenir, surtout à long terme, est insaisissable et Marx ne pouvait prévoir, au siècle dernier, les prodigieux développements de la technique, d'où une série de prédictions erronées qu'est venue démentir l'évolution accélérée du monde.

Mais si la science reconnaît ses erreurs en les dépassant, la religion, elle, s'y refuse obstinément, Ce qui est dit, est dit. Dès lors, elle prétend plier la réalité présente à sa conception prophétique du devenir: au dieu céleste du christianisme, Marx a substitué le dieu historique du matérialisme. Les conséquences ne pouvaient plus que s'identifier: sacrifier le présent au nom de l'avenir. Torquemada brûlait les corps pour mieux vouer les âmes aux béatitudes du bonheur céleste. Staline décimait ses contemporains pour mieux vouer leurs descendants aux béatitudes futures du bonheur terrestre: dans les deux cas et pour les mêmes raisons, la révolte contre l'injustice plongeait dans le meurtre du présent au nom d'une justice à venir.

C'est l'aboutissement inévitable de tout messianisme religieux ou social. À partir du moment où l'on schématise l'avenir dans le cadre précis d'un devenir déterminé, on nie la science - qui ne peut admettre que l'expérience - au nom d'une Vérité, dont le propre est, précisément de refuser l'expérience et ses enseignements: tout messianisme débouche nécessairement sur le Dogme, l'immobilité et le refus de la réalité.

C'est l'aventure - et la contradiction - du marxisme qui, partant de postulats valables : le matérialisme et le mouvement, a débouché sur la négation du matérialisme en exaltant le culte de la personnalité et la négation du mouvement en fixant un terme à ce mouvement: la perfection atteinte (en langage marxiste: la fin des contradictions). Christianisme et marxisme se rejoignent ainsi dans la prophétie de la Terre Promise, au Ciel pour les uns, sur la Terre pour les autres, mais toujours au-delà - au-delà du présent.

Toute les philosophie sociale, toute sociologie véritablement scientifique doivent prendre garde de tomber dans ce piège : définir une fin. Prédire une société parfaite, c'est fixer un terme fictif à l'Histoire - qui ne saurait avoir d'autre terme naturel que la disparition de l'espèce humaine. C'est, finalement, tomber dans cette contradiction absurde de nier le mouvement de demain au nom du mouvement d'aujourd'hui, de refuser l'Histoire présente au nom de l'Histoire à venir !

Une sociologie scientifique ne peut se fonder que sur l'étude du passé, l'expérience du présent et l'hypothèse de l'avenir. Elle doit se refuser à toute vérité. prophétique au profit des vérités relatives, tout dogme au profit d'un inventaire des possibilités et des probabilités: seule, en définitive, l'expérience pourra dire si elles étaient valables ou fausses. En d'autres termes, la vie sociale doit être considérée comme un laboratoire permanent où, dans un présent en mouvement, les chercheurs étudient ce qui peut être en fonction de ce qui a été: le résultat de leurs recherches ne peut, en aucun cas, prendre l'abusive valeur du dogme, mais doit seulement être considéré comme hypothèse vraisemblable, qu'il reste à vérifier.

En cédant au vertige finaliste, christianisme et marxisme ont identiquement sombré dans le messianisme et plongé dans le meurtre collectif du présent au nom d'un avenir prophétique: c'est seulement en se refusant de définir une fin qu'on peut garder la liberté de choisir les moyens.

C'est dans cette perspective que doit s'élaborer un socialisme authentiquement scientifique - un socialisme qui demeurera à la mesure de l'humain vivant.

________________________

N.B. - Au moment où je termine cet article, je lis dans "Le Monde" du 6 mars 1964 un article de Roger Garaudy relatif aux semaines de la Pensée Marxiste de Paris et de Lyon.

En tentant, après la sanglantes tragédie stalinienne (qui ne fut pas un dissertation philosophique, mais une réalité historique), une réhabilitation du marxisme et de ses "authentiques valeurs spirituelles", M. Garaudy dit d'excellentes choses. Entre autres: "Le communisme, pour les marxistes, n'est pas la fin de l'histoire, mais la fin de la préhistoire" et que le marxisme "procède d'hypothèses rectifiées en hypothèses rectifiables". Bravo! Malheureusement pour M. Garaudy, ce qui fut rectifié en Russie marxiste, ce ne furent pas les hypothèses, mais quelques millions d'individus, exterminés, justement, pour ne pas avoir reconnu à ces "hypothèses" la valeur d'une vérité immuable et pour ne pas avoir considéré le marxisme léninisme comme un credo annonçant la société idéale… Et ceux qui échappèrent à l'inquisition marxiste ne durent leur salut qu'au silence ou au reniement.

Durant ces semaines de la Pensée Marxiste, chrétiens et marxistes se sont, paraît-il, couverts de fleurs. Rien d'étonnant: qui se ressemble en dogmatisme, se rassemble aux pieds des potences.

  • 2 weeks later...
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Ironique celui qui est à la base de l'idéologie du communisme(cf:Karl Marx) a analyser la religion comme étant l'opium du peuple,le communisme s'en inspirerait-il?

Posté
D'une certaine manière, le communisme s'inscrit dans la suite des millénarismes religieux du moyen-âge. On y retrouve de nombreux points communs: L'idée d'un sens de l'histoire qui conduit l'humanité vers un monde utopique. La notion de peuple élu qui régénère le monde (les prolétaires).

Bref, le communisme n'est il pas un millénarisme sans dieu?

Au moyen age la religion agitait l'utopie d'un monde meilleur, un peu à l'image du communisme, mais c'était quand même fondamentalement différent. La religion agitait cette idée que d'un point de vue spirituel, "après la mort nous serons tous égaux devant dieu", par contre sur le plan temporel la religion faisait preuve d'une grande hypocrisie, justifiant le pouvoir de droit divin, de plus le haut clergé était très riche, et exploitait sans vergogne le tiers état; et je ne pense pas qu'il y avait au seins de la religion la notion de peuple élu qui regénère le monde (sauf pour les protestants).

Le communisme, par contre agite une utopie à vocation temporelle, les effets sont donc plus dangereux.

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En tout cas, il semble que c'était grosso modo la thèse de Rothbard en ce qui concerne le communisme de Marx: Karl Marx: Communist as Religious Eschatologist

J'ai défendu cette thèse récemment, dans le fil sur le mariage homosexuel.

Les contradicteurs m'ont opposé deux arguments, que j'ai trouvés assez spécieux et pas vraiment convaincants. Je vous laisse en juger par vous-mêmes:

1) "Son Royaume (JC) n'est pas de ce monde. Et donc le millénarisme à la Joachim de Flore et compagnie (ou encore les actuels illuminés de la droite chrétienne pro-sioniste aux USA), c'est de la pure hérésie."

2) "Non, alors que le premier (Marx) prétend ouvrir l'avenir à une classe unique bien définie JC propose une ouverture universelle. C'est toute la différence entre les deux conceptions de l'individu."

Posté
J'ai défendu cette thèse récemment, dans le fil sur le mariage homosexuel.

Les contradicteurs m'ont opposé deux arguments, que j'ai trouvés assez spécieux et pas vraiment convaincants. Je vous laisse en juger par vous-mêmes:

1) "Son Royaume (JC) n'est pas de ce monde. Et donc le millénarisme à la Joachim de Flore et compagnie (ou encore les actuels illuminés de la droite chrétienne pro-sioniste aux USA), c'est de la pure hérésie."

2) "Non, alors que le premier (Marx) prétend ouvrir l'avenir à une classe unique bien définie JC propose une ouverture universelle. C'est toute la différence entre les deux conceptions de l'individu."

Tiens il y a eu ce débat il y a peu (mais je ne retrouve plus le fil et puis je suis paresseux et pas sur mon PC), les deux arguments sont àma à repousser.

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J'ai défendu cette thèse récemment, dans le fil sur le mariage homosexuel.

Les contradicteurs m'ont opposé deux arguments, que j'ai trouvés assez spécieux et pas vraiment convaincants. Je vous laisse en juger par vous-mêmes:

1) "Son Royaume (JC) n'est pas de ce monde. Et donc le millénarisme à la Joachim de Flore et compagnie (ou encore les actuels illuminés de la droite chrétienne pro-sioniste aux USA), c'est de la pure hérésie."

Cette mienne phrase que vous citez répondait au rapprochement que vous faisiez entre christianisme et marxisme. J'ai essayé d'expliquer que les messianismes à la Joachim de Flore, taborites, anabaptistes et consorts avaient été combattus par l'Eglise. Donc, oui, il existe un lien fort entre ces utopies pré-socialistes et le messianisme marxiste ; mais aucun rapport avec la doctrine catholique en particulier.

Donc, vous m'avez cité pour me faire dire le contraire de ce que j'ai voulu expliquer. Vous avez tapé à côté de la plaque.

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Cette mienne phrase que vous citez répondait au rapprochement que vous faisiez entre christianisme et marxisme. J'ai essayé d'expliquer que les messianismes à la Joachim de Flore, taborites, anabaptistes et consorts avaient été combattus par l'Eglise. Donc, oui, il existe un lien fort entre ces utopies pré-socialistes et le messianisme marxiste ; mais aucun rapport avec la doctrine catholique en particulier.

Donc, vous m'avez cité pour me faire dire le contraire de ce que j'ai voulu expliquer. Vous avez tapé à côté de la plaque.

Merci de ne pas me prêter des intentions imaginaires.

J'ai pris votre argument pour ce qu'il est, sans intention malveillante, à savoir un essai de réfutation de ma thèse. Cette thèse consistait en une analogie entre l'eschatologie chrétienne et l'eschatologie marxiste. J'ai d'ailleurs laissé libres nos lecteurs d'en juger par eux-mêmes, sans les orienter.

Mais votre argument sur ce point me semble un peu faible, car si on replace la dialectique marxiste comme une forme particulière de la dialectique hegelienne, on voit que la société communiste n'est pas non plus de ce monde. Ou plutot, elle ne peut venir qu'à la fin de l'histoire. Or il n'y a pas de fin de l'histoire d'après les lois de la dialectique, car le processus de négativité caractérisant un stade historique donné (auto-suppression par les contradictions internes puis négation) est infini.

Autrement dit, la lutte des classes (ou la dialectique du maître et du serviteur) est en principe sans fin.

C'est pour cette raison que Marx était pris au piège de sa propre dialectique. Si l'avènement du communisme est le résultat d'un processus historique déterminé qui obéit à des lois, la révolution est parfaitement inutile et superflue. Il n'y a donc aucun sens à encourager la classe des prolétaires à se révolter, le moteur de l'histoire étant autonome par rapport à leurs représentations. Une révolution prolétarienne ne ferait qu'engendrer son contraire.

D'où l'évolution doctrinaire du marxisme vers le léninisme, doctrine de la prise de pouvoir à rebours des circonstances historiques, comme la révolution de 17.

Pour être franc, je trouve d'ailleurs que votre combat pour rendre complémentaires christianisme et libéralisme ne manque ni de courage, ni de panache. Je crois toutefois qu'il est perdu d'avance, du moins en Europe, car l'européen moyen est devenu un individu nomade géographiquement aussi bien que spirituellement.

Quant à votre combat pour les valeurs, je le partage dans une certaine mesure, puisque je crois souhaitable de séparer vigoureusement l'éthique et la religion, de même que l'éthique et la politique.

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Le fil en question est " Le Mariage Homosexuel, Une analyse intéressante de Thomas Sowell" dans politique et société, qui a quelques jours, tout à la fin du fil (dernière page).

Posté
2) "Non, alors que le premier (Marx) prétend ouvrir l'avenir à une classe unique bien définie JC propose une ouverture universelle. C'est toute la différence entre les deux conceptions de l'individu."

Je crois que l'individu n'a pas grand chose à faire la dedans.

Tout ceci n'est que le lointain écho de la querelle de deux courants du judaisme du 1er siécle de notre ére.

Le judaisme doit il être réservé au peuple élu (judaisme classique) ou doit on l'ouvrir aux autres (ce qui donnera plus tard le christianisme). Or Marx, bien qu'officiellement protestant trimballait toujours avec lui sa mystique juive que l'on retrouve dans son systéme, le peuple devenant simplement le prolétariat.

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