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"Un capitalisme dégénéré" de Bruno Walther


Marchange

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http://brunowalther.com/2010/03/16/1699/

Un capitalisme dégénéré

Expliquer la crise par un excès de libéralisme, une absence de règles, une dictature du marché tout puissant est devenu un lieu commun.

C’est une explication commode et rassurante.

Rassurante parce qu’elle laisse à croire qu’il suffirait de quelques sommets internationaux, de quelques lois pour régler, que dis-je, réguler le système.

Commode parce qu’elle évite aux nations qui ont bâti le capitalisme industriel de se poser des questions brutales sur l’inefficience de leurs modèles.

La réalité est que jamais dans notre histoire, les Etats ont été aussi puissants. Jamais le pouvoir politique n’a eu autant d’impacts sur la gouvernance des entreprises. Jamais les entreprises n’ont autant pioché dans la haute administration et le personnel politique pour constituer leurs comités de direction. Jamais les Etats n’ont autant collaboré pour contrôler le fonctionnement de l’économie.

Les Etats sont aujourd’hui à la fois capable de s’endetter massivement pour injecter des sommes massives dans des industries moribondes, que d’engager des actions de guerres sur des territoires particulièrement hostiles, que de dicter le code de conduite interne des entreprises ou que de vous imposer de manger cinq fruits et légumes par jour et de faire trente minutes de marche quotidienne.

La réalité est que la crise que nous traversons n’est pas une crise financière qui trouvera sa réponse dans de nouvelles formes de gouvernance et de régulation.

Simplement parce que nous sommes face à un capitalisme dégénéré.

Un capitalisme, qui à la grande surprise de l’Histoire, s’est littéralement socialisé. Et oui l’occident, par une facétie de l’histoire, a inventé un modèle infernal : le capitalisme socialisé. La rencontre dangereuse entre la forme la plus cupide et brutale du capitalisme avec la figure bureaucratique et déresponsabilisante du socialisme.

Comment en est-on arrivé là ? Par une dynamique improbable mais implacable.

D’un côté les administrations et les politiques qui, pour justifier leurs existences et gagner la sympathie du plus grand nombre, ont étendu leurs influences jusqu’aux éléments les plus intimes de nos vies. Peu à peu s’est imposée une société de la déresponsabilisation individuelle où l’Etat est en charge de tout, y compris de nous faire manger des fruits et des légumes. Dès lors, la solidarité n’est plus une affaire de cœur mais un impôt. L’emploi n’est plus question économique mais sociale. La lutte contre la violence n’est plus une responsabilité civique mais une action de coercition. L’éducation n’est plus une question de valeurs mais de statistiques.

De l’autre, la montée en puissance d’un capitalisme où la propriété des entreprises a été socialisée. Un capitalisme sans patron. Depuis les années 50, les fonds de pensions des salariés (essentiellement anglo-saxons) ont engrangé des capitaux inouïs. À force de prises de participations, les fonds ont peu à peu pris le contrôle des entreprises. C’est un paradoxe mais ce sont les salariés qui ont imposé, indirectement via les fonds de pensions, la règle des 15% de retour sur fonds propres, la gestion des entreprises aux quarters, les plans de délocalisation, les coupes dans les budgets d’investissements à long terme.

Les fonds de pension ont non seulement chassé les entrepreneurs qui les dirigeaient mais changeaient la nature même de la gouvernance des entreprises privées.

Ils ont non seulement imposé, comme dans toutes les économies socialisées, des règles et des ratios bureaucratiques. J’adore la notion de clean staff cost ou de clean operating profit (les coûts de ressources humaines où le profit nettoyait des coûts de licenciements) qui est quand même une vision un peu baroque du compte de résultats. Mais surtout ils ont déshumanisé les entreprises en déresponsabilisant les dirigeants locaux qui doivent appliquer des règles autoritaires souvent absurdes. Ici c’est un travel freeze (une interdiction de voyager), ailleurs un hiring freeze (une interdiction d’embaucher), là une ouverture de severing cost (dépêchez-vous de licencier dans le trimestre nous prenons en charge les coûts de licenciement).

Je pense sincèrement que ce capitalisme socialisé est condamné.

Condamné dans sa forme étatique, avec des Etats qui doivent à la fois affronter, dans le même temps, la baisse de compétitivité de leurs économies et une dette souveraine qui devient explosive.

Mais aussi et surtout condamné dans sa forme corporate. Trop lentes, trop centralisées, trop bureaucratiques, trop déconnectées de la société réelle, les corporations sont condamnées dans leur essence même. Elles ne résisteront pas aux doubles chocs du digital et de la mondialisation.

Et pendant que les biens pensants en Occident rêvent d’un monde encore plus régulé et inventent des systèmes de gouvernance aussi kafkaïens que complexes, les anciens communistes Chinois, les non-alignés Indiens où les geeks californiens sont entrain de régénérer un capitalisme originel. Un capitalisme d’entrepreneurs où la sueur et l’innovation sont récompensées.

C’est bien le paradoxe de notre époque. Le capitalisme est entrain d’être réinventé par des gens qui ont grandi entre une console Atari et le petit livre rouge.

Posté

Yeah.

Bien que des voix commencent à parler du lien entre ce "capitalisme sans capitalistes" -pour citer Salin- et le management comptable au nom de la performance et de la "création destructive".

Posté

Hé oui d'ailleurs il y a plus de capitalistes en Russie qu'en France même si c'est loin d'être parfait dans les stats alors que la France était a l'ouest et la Russie l'URSS.

Posté

Je tombe plus ou moins au hasard sur cette étude:

http://www-935.ibm.com/services/at/bcs/pdf…an-yin-yang.pdf

Morceaux choisis:

IBM Institute for Business Value

IBM Global Business Services, through the IBM Institute for Business Value, develops fact-based strategic insights for senior executives around critical public

and private sector issues. This executive brief is based on an in-depth study by the Institute’s research team. It is part of an ongoing commitment by IBM Global Business Services to provide analysis and viewpoints that help companies realize business value.

The yin yang of financial disruption

Maxims for forging a path to financial stability and healthy financial innovation

New era of interdependence

No doubt, the global financial system, a primary engine for the wider economy, is under severe threat.

[…]

While interconnectedness of the financial system can lead to greater efficiency of capital allocation among savers, investors and users, it may also create more extreme levels of volatility. The world now recognizes that the global economy and its financial underpinnings are highly integrated, while not necessarily attuned to the underlying structural drivers of risk.

[…]

As we have seen within the context of the financial crisis, the market has demonstrated a natural inclination to overprioritize returns – and some would say haphazard forms of innovation – while underpricing risk at the expense of soundness, particularly when times are good.

[…]

The new era requires new maxims for progress

New maxims will characterize the era of interdependence and the path that organizations and individuals must forge to move forward meaningfully, seize opportunities and prosper.

Over time, the maxims help create the climate for market participants to strike the right balance across the structural tensions.

[…]

With the impetus of current economic turmoil and the political will to address the current situation, speed is of the essence. It will be a long and sometimes painful journey, but since the “as was” alternative is unacceptable, now is the time for us to work together to address the fundamentals and innovate.

Et pour bien rigoler, je recommande la figure 4 (p12).

Ce texte illustre assez bien les problèmes du management actuel: la confusion intellectuelle complète. Zéro connaissance économique, application farfelue de la théorie Yin/yang, aucune distances par rapport au politique, surtout ne pas penser par soi-même mais suivre les "maximes" du management.

Et pourtant, ce sont des experts !

Authors

Suzanne Duncan (formerly Dence) is responsible for research and thought leadership for the Financial Markets industry within the IBM Institute for Business Value. She has presented research at numerous conferences around the world, including the Economist Forum, China International Banking Convention and

Seoul Financial Forum. She is also the author of several papers on the financial markets industry, the most recent being: “Get global. Get specialized. Or get out,” “The trader is dead, long live the trader” and “Asset managers turn up the heat.” Her work has been cited by a broad range of media outlets, including CNBC, BBC, The Economist, The Wall Street Journal and The Financial Times. Prior to joining IBM, Suzanne worked in the investment management and asset servicing divisions of multiple global financial institutions. Suzanne can be reached at sduncan@us.ibm.com.

Wendy Feller leads the Financial Services Sector practice across the financial markets, banking and insurance industries for the IBM Institute for Business Value. She spearheads the team’s strategy-oriented research, exploring pressing issues facing today’s financial services organizations. Ms. Feller has

over 11 years of experience in the financial services industry, having previously worked as a strategy consultant advising many of today’s leading organizations. She has authored multiple studies and is a frequent speaker at conferences across the globe on topics such as the future of financial markets and globalization and specialization of the industry. Wendy can be reached at wefeller@us.ibm.com.

Lynn Reyes is a Senior Managing Consultant in IBM’s Institute for Business Value. She has over ten years of experience in industry and as a strategy and change consultant. She combines that experience with her background in economic development, strategy and business transformation to develop and

share IBM thought leadership focusing on the Public Sector, particularly government. Lynn is currently focusing on topics such as innovation, collaboration and emerging business models at the intersections of the public, private and civil society sectors, including the transformative possibilities of value networks.

She can be reached at lynn_reyes@us.ibm.com.

Ce texte pourrait être un canular.

Posté
Je tombe plus ou moins au hasard sur cette étude:

http://www-935.ibm.com/services/at/bcs/pdf…an-yin-yang.pdf

Morceaux choisis:

Et pour bien rigoler, je recommande la figure 4 (p12).

Ce texte illustre assez bien les problèmes du management actuel: la confusion intellectuelle complète. Zéro connaissance économique, application farfelue de la théorie Yin/yang, aucune distances par rapport au politique, surtout ne pas penser par soi-même mais suivre les "maximes" du management.

Et pourtant, ce sont des experts !

Ce texte pourrait être un canular.

Le IBM Institute for Business Value se veux être une sorte de Havard Business Review.

Il y a des choses intérressantes sur l'état / les enjeux de différents secteurs d'activité.

Mais on y trouve aussi des documents stratégico-stratosphériques sur le sens du monde qui tourne au bullshit comme dans le HBR.

Posté

Ce que j'en retiens de cet article c'est que ce qui est à déplorer dans ces nouvelles évolutions du système capitaliste (surtout à cause des règles bureaucratiques imposées par les fonds de pension, bien plus qu'à cause des Etats) c'est la perte de responsabilité des dirigeants. Rien de nouveau sous le soleil : l'argent roi, ça toujours été le cas, celui qui paie commande. L'influence des fonds de pensions qui concentrent les capitaux utiles aux innovations, c'est tout de même mieux qu'un excès de gouvernances et régulations étatiques. Il semblerait que l'arrivée du nouveau modèle chinois doive nous rassurer à ce niveau là. J'en doute….

Posté

Comment peut-on résoudre libéralement de problème des fonds de pension, si problème il y a? Ces dommages collatéraux d'une réglementation quelconque ou c'est vraiment un problème inhérent au système capitaliste moderne?

Posté

Faudrait parvenir à responsabiliser les dirigeants des fonds de pensions…. multiplier leurs nombres, introduire de la transparence, pour qu'eux-mêmes soient mis en concurrence…. et côtés en bourse… voilà du pain sur la planche ! :icon_up:

Posté
Comment peut-on résoudre libéralement de problème des fonds de pension, si problème il y a? Ces dommages collatéraux d'une réglementation quelconque ou c'est vraiment un problème inhérent au système capitaliste moderne?

Il faudrait libéraliser le système financier (qui vient de se faire intégralement collectiviser en Europe)… les problèmes du capitalisme moderne prennent leur source dans les régulations financières.

Posté

Pour revenir au texte de depart, l'auteur du texte considere que la Chine serait en train de re inventer un capitalisme sain ? :icon_up:

Posté
Faudrait parvenir à responsabiliser les dirigeants des fonds de pensions….

En France, ça sera chaud : ce sont tous ou presque des syndicalistes.

  • 2 weeks later...
Posté
Il faudrait libéraliser le système financier (qui vient de se faire intégralement collectiviser en Europe)… les problèmes du capitalisme moderne prennent leur source dans les régulations financières.

Le problème vient des interventions discrétionnaires excessives des Etats (en particulier une création monétaire excessive) et non de la régulation financière. Quelles réglementations financières auraient-elles causé les problèmes du capitalisme ?

Posté
Quelles réglementations financières auraient-elles causé les problèmes du capitalisme ?

Au hasard, toutes celles qui imposent une monnaie plus qu'une autre. Ou encore celles qui poussent l'économie à se financer par le crédit. Ou mieux : l'ensemble de la réglementation, dont le seul poids avantage les acteurs gros et anciens sur le marché.

Posté
Au hasard, toutes celles qui imposent une monnaie plus qu'une autre. Ou encore celles qui poussent l'économie à se financer par le crédit. Ou mieux : l'ensemble de la réglementation, dont le seul poids avantage les acteurs gros et anciens sur le marché.

Je ne connais aucune réglementation qui poussent l'économie à se financer par le crédit. Le entreprises et les ménages sont libres de se financer comme ils le souhaitent. "L'ensemble de la réglementation", c'est très vague. En quoi avantage-t-elle les acteurs gros et anciens ?

Posté
Je ne connais aucune réglementation qui poussent l'économie à se financer par le crédit. Le entreprises et les ménages sont libres de se financer comme ils le souhaitent. "L'ensemble de la réglementation", c'est très vague. En quoi avantage-t-elle les acteurs gros et anciens ?

On en parle sans arrêt sur ce forum, faut suivre :icon_up:

La fiscalité des entreprise avantage le financement par le crédit par rapport aux fonds propres.

La fiscalté des placements avantage les investissements par le crédit par rapport aux fonds propres.

La raison d'être d'une banque centrale est de baisser artificiellement les taux d'intérêt, donc d'avantager le crédit par rapport aux fonds propres.

Je vous recommande la lecture de ces articles :

http://www.objectifliberte.fr/2008/11/capital-vs-cred.html

http://www.objectifliberte.fr/2009/12/dist…ds-propres.html

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