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La propriété privée est-elle fondamentale et inaliénable dans la pensée libérale ?


Karmai

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Invité Arn0
Posté
En pratique, dans le monde réel, il est vraisemblable que beaucoup de propriétés aient effectivement, à un moment ou un autre de leur histoire, été acquises illégitimement. De là à dire que toute propriété est un vol, il y a un pas énorme.

Quoi qu'il en soit, en dehors de toute plainte, on doit présumer que le statu quo est légitime faute d'avoir les moyens de prouver le contraire (et pour des raisons d'ordre public, évidemment).

En outre, même devant un tribunal et avec une preuve indiscutable, ce n'est pas si simple : il faut prendre en compte par exemple des questions de prescriptions (si ça fait 200 ans que ma famille occupe paisiblement une maison sans que personne ne trouve à y redire et que soudain quelqu'un sort de nulle part un titre de propriété, faut-il qu'il ait gain de cause ?).

D'autant que régler ce genre de litige ce n'est pas forcément transférer ou refuser de transférer un bien foncier ou immobilier. Un tribunal peut prononcer le versement de dommages et intérêt plutôt qu'une restitution, ou à l'inverse une restitution avec une compensation pour les anciens possesseurs ayant valorisé le bien, ou enfin un partage de la propriété selon des modalités diverses.

Posté
Merci, c'est plus clair que quand je le dis, et pour préciser ma position, je trouve que la règle de la prescription acquisitive est une bonne règle.

En tout cas elle évite le déclenchement de la guerre de tous contre tous. Et cette clause permet de resituer la propriété comme un moyen de pacification sociale, une condition de la civilisation, et non comme une fin en soi qui justifierait le conflit permanent des prétendants. Reste de nombreux cas d'injustice, notamment en Amérique du sud.

A ce sujet, quelqu'un sait-il ce qu'a donné la politique de restitution des terres aux indiens en Bolivie, depuis que Moralès a mis fin aux propriétés latifundiaires? Je sais qu'au Zimbabwe et en Afrique du sud, le résultat de la redistribution des propriétés des fermiers blancs aux indigènes a été catastrophique en détruisant un secteur agricole florissant.

Posté
Tu parles ici de propriété terrienne ou bien de la propriété en général ?

Mon sujet initial est surtout axé sur la propriété foncière car dans mon secteur (l'agriculture) c'est souvent cette forme de propriété qui pose problème. A voir si il est possible de généraliser à la propriété de maniere generale mais dans un deuxieme temps.

J'ai du mal à comprendre ce que ce "redistribuer" implique, concrètement.

Dans le cas que nous avons élaboré ensemble. Ça implique une restitution de la propriété foncière aux détenteurs légitimes suite à une décision de justice.

Sinon quand je dis que la propriété est un rapport de force et un vol, c'est par généalogie. Qu'avec les siècles (prescription possible en effet), l'usage (des familles de colons qui sont là depuis 300 ans et il vaut mieux dédommager que d'enlever une propriété ou du travail a également été mêlé au sol depuis l'appropriation il y a 300 ans), la conquête (des bandes armées qui forment des Etats et se declarent souverain de ces terres, la propriété semble très loin de cet état de fait, il semble que l'origine première de la propriété est un rapport de force. Un peu comme le mouvement des enclosures en Grande Bretagne il me semble (je peux faire une erreur sur cet episode historique).

Posté
La propriété est un vol, mais elle est un vol pour un monde meilleur.

Vol de concept que cette formule. Et l'on ne peut rien faire de bon avec un vol de concept.

Poser que la propriété c'est avant tout un rapport de force.

Pas davantage que la justice.

Posté
Jusqu'a un certain point, ce principe dans sa pureté reviens a rejeter toute propriété réelle en se réfugiant dans un modèle robinsonien qui, si il a un pouvoir explicatif, n'a aucun sens historique.

Je ne connait pas de terres qui n'ai étés conquises, je ne connait pas de production industrielle qui n'ai plus ou moins directement touché de l'argent volé, la propriété que je défends, que beaucoup de libéraux défendent, c'est la propriété réelle, celle qui sers l'humanité, pas uniquement la propriété d'un robinson sur son ile, même si la propriété du deuxième est plus 'légitime'.

Il ne faut pas confondre le mythe et le modèle de société, le premier informe le second, mais on ne cherche pas a rendre parfaitement conforme la société au mythe sans courir joyeusement vers les camps de la mort.

:icon_up::doigt:

Disons tout de même (pour le cas qui m'intéresse) qui si c'est la légitimité de la propriété d'une terre qui permet de savoir si oui ou non on a le droit de redistribuer cette terre. La question de la définition précise de cette légitimité est centrale.

Soyons prudents : «redistribuer» implique de recourrir à nouveau à la force. Ce n'est qu'avec une extrême prudence qu'il faut recourrir à la force si le but que l'on poursuit est l'établissement de la justice.

Pas davantage que la justice.

Je crains de devoir avouer que j'ai toujours considéré que le droit n'avait qu'une seule source : la force.

Et que la mission fondamentale de la justice était de chercher à établir le rapport de force, afin d'aboutir à une situation paisible, du fait précisément de l'équilibre des forces.

NB : le mot «force» que j'emploie ci-dessus ne désigne pas uniquement la violence mais inclut également la légitimité, laquelle permet de mobiliser le concours des autres êtres humains.

Posté
Sinon quand je dis que la propriété est un rapport de force et un vol, c'est par généalogie. Qu'avec les siècles (prescription possible en effet), l'usage (des familles de colons qui sont là depuis 300 ans et il vaut mieux dédommager que d'enlever une propriété ou du travail a également été mêlé au sol depuis l'appropriation il y a 300 ans), la conquête (des bandes armées qui forment des Etats et se declarent souverain de ces terres, la propriété semble très loin de cet état de fait, il semble que l'origine première de la propriété est un rapport de force. Un peu comme le mouvement des enclosures en Grande Bretagne il me semble (je peux faire une erreur sur cet episode historique).

Concernant la propriété de façon générale, ses sources les plus communes sont la production et l'échange. Concernant la propriété foncière, sa source fondamentale est souvent immémorielle mais en tout état de cause, sa source directe est un échange ou un héritage conforme au droit.

Peut-être fais-tu référence à l'idée qu'une caste aurait pris illégitimement un avantage loin dans le passé et le perpétuerait dans des formes légales. D'abord il faut signaler que cette théorie n'est qu'une vilaine rationalisation de la haine des riches puisqu'elle ne sert au fond qu'à soutenir qu'ils sont des voleurs. Ensuite il faut voir que, à supposer le vol originaire réel, la société s'est largement réorganisée depuis, dans la paix et dans le respect de la loi. Que cet état est un bien. Enfin toute tentative de redistribution implique la dictature et on peine à imaginer dans quelles circonstances cette dictature serait préférable à l'état précédent. D'autant plus qu'au petit jeu de la dictature, celui qui ouvre la boite de Pandore n'est pas souvent celui qui en profite.

Invité Berti
Posté
Je crois que c'est un cas assez intéressant car pour moi qui ait de la sympathie pour les idées libérales, je butte surtout sur cette question de la propriété qui est trop sacralisé à mon gout.

Rassure toi, il y a des libéraux qui sont d'accord avec toi (moi).

Les géolibertariens par exemple pensent (à juste titre selon moi) que les ressources naturelles sont à tout le monde mais que chacun est le seul propriétaire des fruits de son travail (ce qui n'est pas forcément facile à concilier).

Un texte de Frédéric Bastiat ou il essaie de justifier la propriété du sol (sans y parvenir, il le reconnait lui même) :

http://bastiat.org/fr/propriete_fonciere.html

L'intérêt de ce texte est qu'il balaie cette question qui a apparemment (voir le texte donc) été abordée par de nombreux penseurs.

Sinon, la page du wikibéral sur les géolibertariens :

http://www.wikiberal.org/wiki/index.php?ti…libertarianisme

Posté
Les géolibertariens par exemple pensent (à juste titre selon moi) que les ressources naturelles sont à tout le monde…

Les ressources naturelles, ça n'existe pas.

Invité Berti
Posté
Les ressources naturelles, ça n'existe pas.

L'oxygène que tu respires n'existe donc pas ?

Invité Berti
Posté
L'air, sur la Terre, c'est pas une ressource. Sur la Lune, oui.

En somme, quand elle existe, elle n'existe pas et quand elle n'existe pas elle existe.

Autre exemple, les indiens d'amérique vivaient autrefois "peinards" de chasse et de ceuillette.

Mais de quoi vivaient-ils puisque les ressources naturelles n'existent pas selon toi ?

Posté

Berti il faudrait définir ce que tu entends par ressource naturelle.

Si je devais donner un exemple, je dirais que dans l'Antiquité, le sel avait une grande valeur et le pétrole pratiquement pas, sans même parler de l'uranium. De nos jours, c'est l'inverse (on n'a pas encore vu, au XXème siècle, de guerre entre Etats pour le contrôle de mines de sel). Du coup, une définition qui voit ce qu'elle regroupe changer en fonction du temps est à mon avis au moins à préciser, si ce n'est à abandonner.

Posté
En somme, quand elle existe, elle n'existe pas et quand elle n'existe pas elle existe.

Les "ressources naturelles", ça n'existe pas. Ce qui existe, c'est le travail de l'homme. Sur Terre, l'air n'est pas une ressource, car immédiatement disponible. Sur la Lune ou dans un sous-marin, l'air est une ressource car nécessitant le travail de l'homme. Avant la fin du 19e siècle, le pétrole n'a jamais été une ressource, mais un malédiction pour celui qui voyait sa terre pourrie part cette poisse. Le pétrole n'est devenu une ressource que parce que le génie et le travail de l'homme a transformé cette merde géologique en or. Etc.

Invité Berti
Posté

Autre exemple.

Je découvre demain un nouveau continent vierge de toute vie humaine et richement pourvu de tout le reste (pétrole, fer, uranium, gibier, etc…), comme l'Amérique sans les indiens en somme.

J'ai le droit de planter une cloture tout autour de mon continent (qui pourrait faire vivre 2 milliards d'être humains) et d'inviter seulement quelques copines pour manger des lapins, des baies, se balader dans mon grand jardin et plus si affinités (sinon je les met dehors bien sur) ?

Après tout, je ne vole personne puisque les ressources naturelles n'existent pas et que ce n'est que grace à mon travail et à mon génie que j'ai compris que les lapins pourraient faire un bon civet.

Posté
Autre exemple.

Je découvre demain un nouveau continent vierge de toute vie humaine et richement pourvu de tout le reste (pétrole, fer, uranium, gibier, etc…), comme l'Amérique sans les indiens en somme.

J'ai le droit de planter une cloture tout autour de mon continent (qui pourrait faire vivre 2 milliards d'être humains) et d'inviter seulement quelques copines pour manger des lapins, des baies, se balader dans mon grand jardin et plus si affinités (sinon je les met dehors bien sur) ?

Après tout, je ne vole personne puisque les ressources naturelles n'existent pas et que ce n'est que grace à mon travail et à mon génie que j'ai compris que les lapins pourraient faire un bon civet.

Cette analogie est spécieuse. L'exploitation privée des ressources naturelles n'est pas un acte égoïste : c'est le travail par lequel qqn met à disposition des autres les ressources dont ils ont besoin, ce contre juste rétribution. Il est absurde de croire que ces ressources auraient une valeur intrinsèque extérieure aux processus de production et d'échanges humains, et partant décider que la collectivité devrait prélever une part des revenus du producteur. En fait je crois qu'on attribue les problèmes du monopole à l'exploitation des ressources naturelles.

Pour revenir à ton exemple, je signale que s'octroyer un continent n'est pas très naturel, que ce ne sera donc naturellement pas respecté par des tiers qui débarqueraient par ailleurs, et que tu ne pourras pas davantage compter sur l'Etat donc ta belle propriété fera long feu.

Invité Berti
Posté
Pour revenir à ton exemple, je signale que s'octroyer un continent n'est pas très naturel, que ce ne sera donc naturellement pas respecté par des tiers qui débarqueraient par ailleurs, et que tu ne pourras pas davantage compter sur l'Etat donc ta belle propriété fera long feu.

Comment !? Vous de vrais libéraux pur sucre, vous me laisserez dépouiller de ma propriété légitimement gagnée par des ordures communistes !?

CQFD

(la propriété des ressources naturelles n'est pas indiscutable dans la pensée libérale)

Posté
Autre exemple.

Je découvre demain un nouveau continent vierge de toute vie humaine et richement pourvu de tout le reste (pétrole, fer, uranium, gibier, etc…), comme l'Amérique sans les indiens en somme.

J'ai le droit de planter une cloture tout autour de mon continent (qui pourrait faire vivre 2 milliards d'être humains) et d'inviter seulement quelques copines pour manger des lapins, des baies, se balader dans mon grand jardin et plus si affinités (sinon je les met dehors bien sur) ?

Après tout, je ne vole personne puisque les ressources naturelles n'existent pas et que ce n'est que grace à mon travail et à mon génie que j'ai compris que les lapins pourraient faire un bon civet.

A la louche, le périmètre du territoire des USA hors Alaska fait 15 000 km, soit 15 millions de mètres. D'après un calcul minimal (prix trouvés sur le net), ta clôture te coûtera la bagatelle de 1 milliards d'euros au minimum (sans compter le transport du matériel d'un bout à l'autre des USA, dont on peut imaginer qu'il mutiplie par 5 ou 10 le prix). A supposer que tu poses 100 m de clôture par jour, ça te prendra environ 410 ans pour la poser.

Pour revenir à ton exemple, je signale que s'octroyer un continent n'est pas très naturel, que ce ne sera donc naturellement pas respecté par des tiers qui débarqueraient par ailleurs, et que tu ne pourras pas davantage compter sur l'Etat donc ta belle propriété fera long feu.

Ah oui tiens, j'ai oublié le coût de défense de sa propriété. Comme j'imagine que Berti n'a pas le donc d'ubiquité, le temps qu'il se rende compte, étant sur la côte est, que quelqu'un fait la même chose que lui côte ouest, il sera trop tard.

Invité Berti
Posté
A la louche, le périmètre du territoire des USA hors Alaska fait 15 000 km, soit 15 millions de mètres. D'après un calcul minimal (prix trouvés sur le net), ta clôture te coûtera la bagatelle de 1 milliards d'euros au minimum (sans compter le transport du matériel d'un bout à l'autre des USA, dont on peut imaginer qu'il mutiplie par 5 ou 10 le prix). A supposer que tu poses 100 m de clôture par jour, ça te prendra environ 410 ans pour la poser.

Bon OK (je n'y connais pas grand chose en cloture).

Mais le nouveau continent, je n'aurais pas trop de mal à le trouver en revanche ! Non ?

Invité Berti
Posté
Ah oui tiens, j'ai oublié le coût de défense de sa propriété. Comme j'imagine que Berti n'a pas le donc d'ubiquité, le temps qu'il se rende compte, étant sur la côte est, que quelqu'un fait la même chose que lui côte ouest, il sera trop tard.

Mais non, c'est vous les libéraux pur sucre qui me protègerez des injustes agressions des envieux communistes !

Non ?

Donc vous êtes d'accord que toute appropriation des ressources naturelles n'est pas nécessairement légitime, qu'elle peut être abusive.

Posté
Rassure toi, il y a des libéraux qui sont d'accord avec toi (moi).

Les géolibertariens par exemple pensent (à juste titre selon moi) que les ressources naturelles sont à tout le monde mais que chacun est le seul propriétaire des fruits de son travail (ce qui n'est pas forcément facile à concilier).

Je pense que l'approche géolibertarienne n'échappe pas à la tragédie des biens communs et ne peut être effective sans une importante dose de coercition, mais il est important de noter qu'il existe plusieurs philosophies libertariennes de l'appropriation, donc de la justice et éventuellement de la compensation. La divergence tient essentiellement au rapport de l'homme à la nature et au travail, via la théorie de la valeur (on y revient). Pour y voir plus clair je vous propose d'en démêler les noeuds grâce à cette excellente conférence de François Facchini qui devrait intéresser Karmai.

Libertarianisme de gauche et propriété commune des ressources naturelles

http://laep.univ-paris1.fr/030708/Facchini%20PRN.pdf

Extrait :

-1.2- Libertarianisme de gauche et usage légitime de la force contre l’appropriation privative de la terre

Afin de situer la discussion des libertariens de gauche dans son contexte on peut mobiliser la présentation qu’avait faite S.C. Kolm (1985, p.133) des différents principes de distribution des ressources naturelles présents dans la littérature. Il est possible de distribuer les ressources naturelles selon -1- le principe du premier occupant, -2- le principe de compensation, le principe du -3- à chacun une part égale, -4- à chacun selon ses besoins, -5- à chacun selon ses capacités ou -6- à chacun selon ses mérites. Tous ces principes peuvent, ensuite, être couplés les uns aux autres et donner lieu à un nouveau principe. Kolm (1985, p.157) considère que John Locke dans son Second Traité du Gouvernement propose le critère suivant : « vous avez le droit de vous approprier toute terre non possédée (critère de première occupation), en quantité nécessaire pour satisfaire vos besoins de vie (critère de besoin), dans la limite de ce que vous pouvez cultiver (critère de capacité), et à condition d’en laisser « autant et aussi bonne » pour les autres (critère d’égalité) ». Nozick adhère plutôt à un principe strict de compensation. « La personne qui perçoit une ressource naturelle compense les autres du fait qu’elles ne la reçoivent pas » (Kolm 1985, p.159).

Les libertariens de gauche sont proches du principe de compensation. Ils partagent l’indignation de Jean-Jacques Rousseau dans son livre Des Inégalités parmi les hommes14 vis-à-vis des individus qui s’approprient la terre, mais acceptent l’exploitation pour justifier cette exploitation des ressources naturelles. Ils ne retiennent pas généralement le principe de consentement.

Deux arguments sont avancés contre ce principe. -1- Il serait trop coûteux de demander à tous pour respirer l’air et cultiver la terre (argument en termes de coût de transaction) (Vallentyne 1999). -2- Il serait impossible de demander l’autorisation à tous les propriétaires, car les propriétaires ne sont pas seulement les générations vivantes. Ce sont aussi les générations futures. Demander le consentement des générations futures rend tout transfert de droit sur la terre impossible (Magni-Berton 2006, p.74).

Les libertariens de gauche sont, en revanche, très critique vis-à-vis du principe d’occupation comme fondement du droit. Occuper un bien ne donne aucun droit. Ils acceptent l’exploitation privative des ressources naturelles, mais défendent l’idée que ceux qui consomment la nature doivent payer des droits à ceux qui ne l’utilisent pas. Ce principe est fondé sur plusieurs principes de justice. Gosserie (2006, p.58) puise dans la littérature un certain nombre de principe de distribution : -1- laisser à autrui au moins autant que ce dont il aurait pu bénéficier dans l’état de nature (Nozick 1974, p.178, 1988)15, -2- laisser à autrui au moins autant de ressources externes qu’il n’en aurait eu aujourd’hui en mon absence, -3- laisser à autrui au moins autant de ressources externes que ce dont je bénéficie moi même en termes d’accès aux ressources externes et -4- laisser à autrui au moins autant en ressources externes que ce qui serait nécessaire pour égaliser le panier constitué à la fois des ressources externes et internes de chacun (Otsuka 2003, p.20, cité par Gosserie 2006).Cette dernière proposition d’Otsuka consiste à traiter inégalement les inégaux afin de limiter les inégalités de résultat. Elle s’oppose au principe de traitement égal des inégaux qui inspire les georgistes comme Steiner.

Les libertariens de gauche écartent donc le principe de consentement et du premier occupant pour développer des principes originaux de compensation. (…)

-2- Critiques des positions libertariennes de gauche sur les ressources naturelles

Affirmer que les ressources naturelles et la terre en particulier doivent rester propriété commune peut choquer à plus d’un titre un économiste. D’une part parce qu’il est acquis que la propriété privée est bonne pour le développement économique. D’autre part, parce que la tragédie des pâtures communes nous apprend que la propriété commune peut conduire à des formes plus ou moins intenses de surexploitation. Enfin, parce que l’absence de droits de propriété privée interdit toute forme de calcul économique. Ce qui prive les agents de l'information prix et détériore la qualité de la coordination entre les offreurs et les demandeurs sur les marchés. Les conséquences économiques d’un retour à la propriété commune sur la terre seraient, pour toutes ces raisons, une plus grande inefficacité économique, une moindre prospérité. Ce n’est pas, cependant, sur le plan de la création de richesse que nous souhaitons discuter des thèses des libertariens de gauche. Nous voudrions, au contraire, nous placer sur le plan de la justice.

La question que nous posons est : que doit-on faire en cas de litiges sur les limites de la propriété ? Est-ce qu’un individu qui s’est approprié la terre doit la rendre si quelqu’un lui demande de le faire ? La question qui nous préoccupe est donc concrète. Il ne s’agit pas de critiquer un système économique ou un ordre légal, mais de savoir ce qui est dû à chacun lorsqu’un entrepreneur s’approprie une ressource naturelle. Pour répondre à cette question nous n’allons pas faire référence aux travaux de la philosophie lockienne mais la théologie chrétienne de la propriété. Nous pouvons, en effet, montrer qu’ elle avance des arguments tout à fait pertinents et contemporains en faveur du principe d’occupation. Cet apport de la théologie chrétienne de la propriété aux débats initiés par la philosophie libertarienne contemporaine s’articule, ensuite, parfaitement à la théorie de la valeur subjective et la théorie du profit pur telle qu’elle a été proposée par Israel Kirzner (1978).

Nous allons sur ces bases soutenir qu’il serait injuste de demander à un individu qui s’approprie un res nullius de reverser une partie de ces bénéfices à la communauté. Ce serait injuste parce que si la justice consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû l’homme qui transforme la nature en ressource a le droit de s’approprier la nature parce qu’il transforme le plomb en or. L’articulation des théories de la justice platonicienne, de la valeur subjective et de l’entrepreneur redonne donc au principe d’occupation sa place.

La terre n’appartient pas à tous mais à chacun : les apports de la théologie chrétienne de la propriété

La théologie chrétienne de la propriété traite de la manière dont Dieu lègue le monde aux hommes. Il y a le domaine de Dieu et le domaine des hommes. Le domaine des hommes traite de la question de la propriété de la terre. Dieu est Dominus et le monde est au Dieu qui l’a fait. Le domaine divin résulte pour les théologiens de la création parce qu’il semble naturel d’attribuer le domaine du monde à celui qui l’a fait (Renoux-Zagamé 1987, p.42) 17. Le monde appartient à son créateur. Les hommes ont, néanmoins, le devoir de continuer son oeuvre. Le domaine des hommes est construit alors à l’image du Domaine de dieu.

C’est sur la base de ces deux principes que la théologie chrétienne de la propriété a été débattue et que Thomas d’Aquin a élaboré ce qui est devenu la position officielle de l’église. Sa doctrine fonde le domaine de l’homme (propriété) sur la volonté de Dieu et l’ordre naturel (Renoux-Zagamé 1987, pp.72-78). Dieu crée le monde, mais donne aux hommes le devoir de participer à sa création, d’une part, parce qu’il est créé à son image et d’autre part parce qu’après le pêché originel décrit dans la genèse il ne peut pas faire autrement. Avant le pêché d’Adam les choses étaient soumises à l’homme. Après l’homme doit amener les choses à le servir (Renoux-Zagamé 1987, p.77). Cette thèse préserve l’autonomie du temporel et du spirituel et inspire la pensée de la seconde scolastique qui fût à l’origine des positions modernes de l’Eglise et de sa doctrine sociale. En faisant de la création la propriété de Dieu la relation création – occupation devient naturelle. C’est parce que Dieu créait le monde qu’il en est propriétaire. Dans un raisonnement sécularisé comme celui des purs libertariens le principe est le même. Il suffit, ensuite, de ne pas faire de contresens sur la théorie de la valeur pour affecter la propriété aux hommes qui créaient la valeur.

La théologie chrétienne de la propriété nous donne aussi une réponse particulièrement intéressante pour le problème qui nous occupe. Les libertariens de gauche et les georgistes en particulier reposent le problème du partage de la création de Dieu. Si le monde appartient à tous, accepter qu’un homme se l’approprie privativement n’est-ce pas accepter d’exclure tous les hommes d’une chose pour l’attribuer à l’un d’entre eux, alors, que Dieu l’a donné à tous. Comment retirer aux hommes ce qui leur a été donné par Dieu ? Autrement dit comment attribuer à l’un d’entre eux ce qui est à tous. Une partie de la théologie chrétienne de la propriété a soutenu l’idée qu’il fallait exiger le consentement de tous. Cette solution a été avancée dés le XV° siècle (Renoux-Zagamé 1987, p.293). Pour que l’appropriation devienne légitime il faut que les hommes s’accordent pour renoncer tous ensemble à leur domaine collectif. Seul l'accord des volontés pouvait permettre l’apparition des domaines particuliers (Renoux-Zagamé 1987, p.293). Une telle solution conduisait à donner une place à l’Etat dans l’application des droits. L’Etat était celui qui faisait respecter les contrats.

Une autre partie a préféré affirmer la justesse du principe d’occupation. L’occupation confère le domaine ou la propriété. Ils soutiennent l’idée suivante. La thèse est élégante. Il s’agit de soutenir que « le domaine conféré par Dieu à l’homme est commun, non parce qu’il appartient à tous les hommes considérés comme un ensemble, mais parce qu’il appartient entièrement à chaque être humain » (Renoux-Zagamé 1987, p.295). « Puisque les choses ont été créées pour l’homme et qu’elles sont ainsi communes, chacune d’entre elles est destinées à servir l’homme en général, c’est-à-dire n’importe quel homme particulier. C’est donc selon Covarrubias la même loi de nature qui rend les choses communes et qui les livre au premier occupant » (Renoux-Zagamé 1987, p.300). La terre appartient à chaque homme. L’homme, ensuite, se sert librement de tout ce qui s’offre à lui. C’est la loi qui rend chaque individu maître du monde. Elle donne le droit de s’emparer de toutes choses.

La théologie chrétienne ne se réduit pas à ces réponses. Ces dernières montrent, néanmoins, que les débats des libertariens contemporains sont assez proche des débats théologiques sur la distribution par Dieu de la terre aux hommes. La théologie chrétienne oscille entre le principe selon lequel Dieu avait conféré des droits sur le monde aux hommes sans dire qui avait ces droits et le principe selon lequel Dieu avait donné le monde en commun aux hommes. A partir du XVI° siècle il a été avancé l’idée que Dieu n’avait pas donné un droit sur la terre à tel ou tel individu, mais qu’il avait donné à tous et chacun une faculté d’exploiter la terre. Elle a posé, ainsi, l’égalité de faculté. Les hommes ont tous les mêmes facultés. Ils leur restent, ensuite, à les utiliser.

La théologie chrétienne de la propriété est intéressante à plus d’un titre. Elle permet de rompre, tout d’abord, avec l’idée anglo-saxonne que tout débute avec Locke18. Locke et l’ensemble de la philosophie politique ne sont que les héritiers de la théologie. Ils ne font que séculariser les raisonnements des théologiens. Ce qui n’apporte pas forcément quelque chose aux débats. Elle donne, ensuite, une réponse concrète aux litiges qui pourraient naître d’un acte d’appropriation de la nature. Elle estime que l’homme n’est redevable de rien, car -1- la terre n’est pas à tous mais à chacun, -2- parce que tout le monde à la faculté de découvrir dans la nature une ressource pour satisfaire un besoin humain19 et -3- parce que l’homme a le devoir de finir la création de Dieu.

L’homme est créé à l’image de Dieu. Il peut, de ce fait, revendiquer un droit sur ses créations comme Dieu est jugé propriétaire du monde parce qu’il en est le créateur. Ce dernier argument a été considérablement renforcé par les apports de la théorie subjective de la valeur et d’auteurs comme Kirzner qui en ce sens ne sont que les dignes porteurs d’une tradition séculaire. Il explique pourquoi il est injuste de demander aux usagers des ressources naturelles un loyer abondant un fonds social, car rien n’est dû aux individus qui ne font pas de la nature une ressource.

Invité Berti
Posté
Libertarianisme de gauche et propriété commune des ressources naturelles

Encore des imbéciles qui n'ont pas compris que les ressources naturelles n'existent pas et qui partent en vrille quand on leur montre qu'ils ont tort.

(Merci pour le lien)

Posté
Encore des imbéciles qui n'ont pas compris que les ressources naturelles n'existent pas et qui partent en vrille quand on leur montre qu'ils ont tort.

(Merci pour le lien)

Quelle mauvaise foi…

Posté
Encore des imbéciles qui n'ont pas compris que les ressources naturelles n'existent pas et qui partent en vrille quand on leur montre qu'ils ont tort.

Et qui osent tout.

Posté
Je pense que l'approche géolibertarienne n'échappe pas à la tragédie des biens communs et ne peut être effective sans une importante dose de coercition, mais il est important de noter qu'il existe plusieurs philosophies libertariennes de l'appropriation, donc de la justice et éventuellement de la compensation. La divergence tient essentiellement au rapport de l'homme à la nature et au travail, via la théorie de la valeur (on y revient). Pour y voir plus clair je vous propose d'en démêler les noeuds grâce à cette excellente conférence de François Facchini qui devrait intéresser Karmai.

Libertarianisme de gauche et propriété commune des ressources naturelles

http://laep.univ-paris1.fr/030708/Facchini%20PRN.pdf

Extrait :

Ah bah tiens, ça faisait longtemps que je n'avais pas vu cité Serge-Christophe Kolm, dont j'ai lu Le Contrat Social Libéral il y a déjà fort longtemps. Ce monsieur est un social-libéral contractualiste.

Cf. cette présentation du livre par Raymond Boudon : http://www.persee.fr/web/revues/home/presc…1_0423_0000_000

Posté
Encore des imbéciles qui n'ont pas compris que les ressources naturelles n'existent pas et qui partent en vrille quand on leur montre qu'ils ont tort.

(Merci pour le lien)

Mais comme je ne veux pas que le barman m'accuse de lui avoir cassé son jouet, je m'empresse de préciser que l'auteur rejoint son idée selon laquelle l'homme est comme maître et possesseur de la nature et que sa seule ressource réside au fond dans son intelligence et son travail de transformation.

"… l’homme n’est redevable de rien, car -1- la terre n’est pas à tous mais à chacun, -2- parce que tout le monde à la faculté de découvrir dans la nature une ressource pour satisfaire un besoin humain et -3- parce que l’homme a le devoir de finir la création de Dieu.

L’homme est créé à l’image de Dieu. Il peut, de ce fait, revendiquer un droit sur ses créations comme Dieu est jugé propriétaire du monde parce qu’il en est le créateur. Ce dernier argument a été considérablement renforcé par les apports de la théorie subjective de la valeur…"

Donc Lucilio a raison et il me doit un coup à boire.

Invité Berti
Posté
Lucilio a raison.

Lucilio a toujours raison.

Surtout quand il a tort.

Invité Arn0
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Les "ressources naturelles", ça n'existe pas. Ce qui existe, c'est le travail de l'homme. Sur Terre, l'air n'est pas une ressource, car immédiatement disponible. Sur la Lune ou dans un sous-marin, l'air est une ressource car nécessitant le travail de l'homme. Avant la fin du 19e siècle, le pétrole n'a jamais été une ressource, mais un malédiction pour celui qui voyait sa terre pourrie part cette poisse. Le pétrole n'est devenu une ressource que parce que le génie et le travail de l'homme a transformé cette merde géologique en or. Etc.

Ça marche dans les deux sens. Sans travail les ressources ne sont pas valorisables, mais tout le travail du monde ne peut pas valoriser le néant.

Si le pétrole est utile c'est certes grâce à l'usage qui lui a été trouvé et qui sont des purs produits de l'intelligence humaine, mais c'est aussi parce qu'à la base c'est un combustible : c'est là une propriété naturelle du pétrole, indépendante de l'être humain.

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Si j'ai bien lu Rothbard et au risque d'être redondant, la propriété découle de l'usage. Dans le cadre de ce fil, le paysan ne possèderait globalement pas la terre qu'il cultive mais il serait le propriétaire de l'exploitation, c'est à dire de la partie de territoire et les moyens qui lui sont nécessaires pour y faire ce que bon lui semble ; à lui de la défendre et de l'entretenir ou de la faire défendre ou entretenir par qui accepte librement de le faire pour lui. Une parcelle de terre laissée à l'abandon, visiblement vierge de toute exploitation (maison, culture, puit…) pourrait devenir gratuitement la propriété du premier qui s'en empare et qui l'exploite.

Ainsi les ressources naturelles sont bien là mais ne sont pas appropriables en soi parce qu'elles sont là, mais seulement par leur exploitation. C'est le travail et les moyens mis en oeuvre pour exploiter une ressource (la terre, le sous-sol, l'espace…) qui légitiment l'appropriation d'un terrain par un exploitant. S'il cesse de l'exploiter et/ou de l'entretenir il prend le risque de s'en voir exproprié.

Ainsi pour reprendre l'exemple de l'air, ce dernier devient la propriété de celui qui l'exploite par exemple en le mettant en bouteille mais nulle ne peut prétendre être propriétaire de l'air en général ; pour la terre c'est pareil.

En cas de litige c'est la justice qui tranche.

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