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Le paléo-libertarianisme


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Depuis que j'ai découvert le libertarianisme, mon attention s'est portée sur ceux qu'on appelle les paléo-libertariens et dont les thèses me paraissaient les plus abouties, mais j'avoue être de plus en plus dans le flou quant à la façon de caractériser cette pensée.

Derrière ce nom à rallonge, on trouve un grand nombre de penseurs libertariens qui gravitent principalement autour de l'excellent Mises Institute, et dont le chef de file est Lew Rockwell. D'après ce que j'en ai compris, la dénomination de ce courant de pensée a été forgée dans un but stratégique, à l'époque où Rothbard a tenté de s'allier avec les paléo-conservateurs, alliance qui semble avortée depuis, puisque Pat Buchanan, le leader des paléocon, ne passe pas pour être un grand adepte du laissez-faire. Mais au-delà de cette alliance c'est un courant de pensée intéressant qui est né, composé majoritairement d'anarcaps qui remettent en avant l'influence du catholicisme sur les idées libertariennes.

Le souci c'est qu'on a du mal à cerner les contours de ce mouvement. Selon certains, l'idée générale est de combiner l'anarcho-capitalisme, le conservatisme culturel et l'isolationnisme mais Rockwell explique que le paléo-libertarianisme s'est surtout formé en opposition aux "néo-libertariens", c'est à dire les libertariens favorables à la participation aux élections, aux réformes progressives ainsi qu'à l'interventionnisme militaire (et je suppose que les gens du Cato Institute sont implicitement visés, on ne peut donc pas exclure que les conflits personnels, notamment leurs différends avec Rothbard, viennent encore embrouiller la situation).

J'aimerais donc connaitre votre avis éclairé sur ce mouvement, notamment 1) son corpus idéologique et 2) ce qu'il peut apporter aux idées libertariennes.

Ce qui m'attire personnellement est d'abord le fait que l'influence du catholicisme soit explicitement revendiquée. J'ai du mal à imaginer qu'on puisse comprendre le libéralisme sans étudier ses relations au catholicisme, et à ce titre les bouquins de Rothbard sur l'histoire de la pensée économique me semblent constituer indirectement une contribution majeure au paléo-libertarianisme, en montrant l'influence du catholicisme sur le libéralisme économique, en opposition au protestantisme, contrairement aux idées qu'on se faisait depuis Weber. Deuxièmement, le conservatisme culturel couplé à une lutte sans merci contre l'étatisme permet de répondre aux critiques conservatrices en montrant que l'État ne se confond pas avec la société.

Voilà, en guise de référence, on peut se reporter par exemple à Democracy : TGTF de Hoppe, notamment le chapitre "On Conservatism and Libertarianism", qui me semble bien refléter les idées paléo-libertariennes.

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Voilà, en guise de référence, on peut se reporter par exemple à Democracy : TGTF de Hoppe, notamment le chapitre "On Conservatism and Libertarianism", qui me semble bien refléter les idées paléo-libertariennes.

Laissez tomber HHH et autres axiomatiques illuminés (même s'il y a des articles intéressant chez Lew Rockwell), lisez plutôt ici-même de bons paléolibertariens français comme f.mas, neuneu2k ou moi.

Pour les relations entre libéralisme et christianisme, il y a Philippe Nemo, mais autant lire de vrais théologiens comme Rémi Brague.

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Laissez tomber HHH et autres axiomatiques illuminés (même s'il y a des articles intéressant chez Lew Rockwell), lisez plutôt ici-même de bons paléolibertariens français

Tout à fait, j'allais l'écrire.

comme f.mas, neuneu2k ou moi.

Oui oui, par exemple free jazz a la même modestie intellectuelle que F.mas, et la capacité de dialogue contradictoire de neuneu2k.

Blague à part, Lucilio est également quelqu'un à lire de ce point de vue-là, même si je ne suis pas sûr qu'il se reconnaisse complètement dans le paléo-libertarianisme.

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f.mas est quand-même le seul qui me fasse régulièrement découvrir des auteurs passionnants et inconnus au bataillon, dans ce courant il vous conseillera Anthony de Jasay, encore que ce dernier ne soit pas facilement étiquetable.

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f.mas est quand-même le seul qui me fasse régulièrement découvrir des auteurs passionnants et inconnus au bataillon, dans ce courant il vous conseillera Anthony de Jasay, encore que ce dernier ne soit pas facilement étiquetable.

Jasay, inconnu au bataillon ? Allons, je connais son existence depuis des années, grâce à la lecture de Simonnot (qui le mentionne dans ses 39 leçons).

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Intéressant, comment les liborgiens partisans de ce courant de pensée le définiraient-ils ? Comment se manifeste ce fameux conservatisme culturel ?

Sinon, free jazz, je te trouve un peu dur avec Hoppe sur le coup, dans Democracy : TGTF il s'éloigne tout de même de l'axiomatique rothbardienne pour adopter une perspective plus historique et culturelle, d'ailleurs il est très peu question d'éthique dans ce bouquin.

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Jasay, inconnu au bataillon ? Allons, je connais son existence depuis des années, grâce à la lecture de Simonnot (qui le mentionne dans ses 39 leçons).

Ah mais c'est que tout le monde n'est pas aussi maso pour se farcir les leçons de Mr Simonnot, dont l'analyse économique de la religion est quand-même du grand n'importe quoi.

Intéressant, comment les liborgiens partisans de ce courant de pensée le définiraient-ils ?

Pour ma part je le définirais non par la translation illusoire d'un courant de pensée américain hors sol, mais comme un retour aux sources européennes de la critique pragmatique, c'est-à-dire par une défiance envers les idéologies abstraites (humanisme, universalisme, républicanisme); le primat de l'expérience, des valeurs civilisées contre l'esprit de système.

Comment se manifeste ce fameux conservatisme culturel ?

Personnellement par une franche moquerie à l'égard des initiatives loufoques de Festivus et un esprit de résistance entretenu contre les projets de transformation de la société en bordel nihiliste sous l'oeil bienveillant de l'agence humanitaire centrale.

Sinon, free jazz, je te trouve un peu dur avec Hoppe sur le coup, dans Democracy : TGTF il s'éloigne tout de même de l'axiomatique rothbardienne pour adopter une perspective plus historique et culturelle, d'ailleurs il est très peu question d'éthique dans ce bouquin.

Oui, j'exagère un peu car il ne faut pas prendre au sérieux les axiomatiques ; il y a de bonnes choses dans ce bouquin, mais à mon sens cela n'apporte rien de nouveau par rapport à la critique de la démocratie de Platon, Burke ou Pareto.

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Intéressant, comment les liborgiens partisans de ce courant de pensée le définiraient-ils ? Comment se manifeste ce fameux conservatisme culturel ?

Ce conservatisme culturel se traduit concrètement, pragmatiquement diraient certains, par une série d'émissions de fatwas condamnant tel ou tel comportement. Si l'idée est en général bonne, il faut observer que l'étendue et l'impact desdits comportements sont très largement exagérés par le paléo-libertarien. Ses écrits doivent être assez longuement critiqués, et après quelque résistance, le paléo-libertarien finit par admettre "oui, en fait, ce n'est que mon avis personnel".

Mais en général, c'est intéressant à lire et je suis sincère, car pour défendre des thèses aussi minces, il faut sortir l'artillerie lourde, et au détour de tel ou tel argument, on découvre un fait, une affirmation, etc. tout à fait intéressants. :)

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Troller tous les fils n'est pas une obligation, quelques uns suffiraient à entretenir ta réputation, économise-toi.

S'il fallait émettre des fatwas à chaque fois qu'on voit ou lit des projets multiculturels égalitaristes, absurdes et nuisibles, il faudrait rapidement embaucher des ayatollahs en masse.

En tout cas si les fumistes volaient tu serais chef d'escadrille.

nb: mon conservatisme culturel, c'est surtout la bonne bouffe, les produits de terroir et les bons vins.

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Il y a autant de paléo-libertarianismes qu’il n’y a de dinosaures, mais je vais essayer de donner ma vision de la chose.

Pour faire court: (genre je peux faire court…)

  • Le bien et le mal existent en tant qu’absolus, la finalité de l’homme est de tendre vers le bien (être vertueux).
  • La finalité de la société est de favoriser la vertu.
  • Il existe un ordre naturel, une hiérarchie naturelle qui est optimale pour cette finalité.
  • La raison pratique permet de découvrir cet ordre naturel, mais la faiblesse de l’homme doit l’inciter à la prudence et au respect de l’ensemble du travail de recherche déjà réalisé par ses aïeux.
  • La vertu n’existe que par le libre arbitre.
  • L’homme est une créature faillible.

Des trois derniers points, la conclusion politique est quasiment évidente, la liberté doit être la finalité de l’action politique , mais n’est qu’un moyen (nécessaire et inévitable) pour accéder a l’ordre naturel et a la finalité de l’homme.

Donc si on se restreint au rapport au pouvoir coercitif, la conclusion est précisément la même que celle du libertarianismes général, si on se restreint uniquement a ce domaine, il n’y a pas de différence qui justifie un libellé différent et des guerres de chapelles, le paléo-libertarianisme a avant tout émergé du paléo-conservatisme et en réaction au néo-conservatisme, pas en réaction au libertarianisme.

Par contre, si on réfléchit en terme de relations sociales, en terme de relations de pouvoir et de hiérarchie en général et non de relations de pouvoir basées sur la coercition physique (ou la menace de celle-ci), il y a des divergences qui vont du détail a l’opposition frontale et irréductible entre les paléo et le reste des libertariens (ou libéraux en général d’ailleurs).

D’un point de vue historique, les paléo-libertariens prennent des lumières les découvertes de l’individualisme politique (l’individualisme moral étant un héritage principalement catholique) et de la séparation des pouvoirs, mais pas le rejet de la tradition et la destruction des corps intermédiaires qui transforme l’individualisme en atomisme.

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Si l'idée est en général bonne, il faut observer que l'étendue et l'impact desdits comportements sont très largement exagérés par le paléo-libertarien.

Un exemple récent te concernant free jazz : http://www.liberaux.org/topic/48843-en-finir-avec-la-transphobie/page__view__findpost__p__739495

Faut pas le prendre pour une attaque personnelle, mais comme une remarque : j'ai constaté que, si ce biais d'observation se retrouve pour tous les sujets, lorsqu'il s'agit de domaine sensibles (sexualité, morale, etc.) il est encore amplifié.

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Faut pas le prendre pour une attaque personnelle, mais comme une remarque : j'ai constaté que, si ce biais d'observation se retrouve pour tous les sujets, lorsqu'il s'agit de domaine sensibles (sexualité, morale, etc.) il est encore amplifié.

Ca, l'obsidionalité est le propre de tout mouvement extrêmement minoritaire…

Mais ce n’est pas parce qu’on est cliniquement paranoïaques qu’il n’y a pas de complots contre nous :D

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Un exemple récent te concernant free jazz : http://www.liberaux….post__p__739495

Faut pas le prendre pour une attaque personnelle, mais comme une remarque : j'ai constaté que, si ce biais d'observation se retrouve pour tous les sujets, lorsqu'il s'agit de domaine sensibles (sexualité, morale, etc.) il est encore amplifié.

Dixit le mec qui n'arrête pas de dire que la France est une annexe du IIIè Reich où des politiciens racistes font rien qu'à voter des lois contre les noirs et les arabes. Non mais lol quoi, faut arrêter la coke.

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Le paléo-libertarianisme rassemble les libertariens amateurs de Jurrassic Park, à ne pas confondre avec les dinosaures préhistoriques partouzeurs de droite. Aucun de ces deux types est fréquentable, ce sont des gens à éviter.

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Le paléo-libertarianisme rassemble les libertariens amateurs de Jurrassic Park. Des gens à éviter.

J'invoque en ces lieux Saucer, pour une punition exemplaire !

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Dixit le mec qui n'arrête pas de dire que la France est une annexe du IIIè Reich où des politiciens racistes font rien qu'à voter des lois contre les noirs et les arabes. Non mais lol quoi, faut arrêter la coke.

… Tremendo c'est pas drôle rend ce clavier à Free Jazz.

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J'invoque en ces lieux Saucer, pour une punition exemplaire !

Me punir ? Introduction de dinosaures en plastique ? :crying:

Le plus dur c'est de les retirer.

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De toute façon il faut bien voir que ces étiquettes paléo, néo ou crypto libertariens sont assez creuses et n'ont aucun sens dans le contexte européen continental, hors de quelques sectes originales. Vu de France, ces groupes apparaissent bien souvent comme un courant d’extrémistes ultralibéraux et réactionnaires comme seule l’Amérique peut en produire. Vu d'Amérique, c'est surtout une dénomination prise dans le contexte postmoderne pour se démarquer des hippies, hédonistes, transhumanistes et autres décadents partisans de la pédophilie consentie qui formaient le gros des troupes du parti libertarien, puis former une alliance avec la vieille droite jeffersonienne, isolationniste et hostile à l'intervention du gouvernement dans l'économie.

Sur le modus operandi, lire le mea culpa de Walter Block : http://herve.dequeng…lock/Block1.htm

Pourquoi, alors, en tant que conservateur culturel, suis-je l’adversaire des libertaires ? D’abord et avant tout parce qu’ils sont immoraux : rien ne peut être plus clair que le fait que ces perversions sont contraires à l’intérêt et à l’amélioration de l’humanité. Comme il s’agit de mon critère de moralité, il s’ensuit que je trouve ces activités immorales. De plus, les libertaires étalent la "vertu" de leurs pratiques et s’en félicitent. Si une place bien basse est réservée en enfer à ceux qui sont trop faibles pour résister à ces activités immorales, une place encore plus basse doit être réservée à ceux qui non seulement s’y adonnent, mais, en outre, s’en glorifient et encouragent les autres à les suivre.

D’autres raisons peuvent également être fournies. Considérons la tradition. A une époque, je me serais moqué de l’idée de faire quelque chose uniquement parce qu’elle est traditionnelle, et de me retenir de la faire parce qu’elle ne l’est pas. Mon instinct aurait été de faire précisément le contraire de ce que demande la tradition.

Mais c’était avant que je n’apprécie pleinement la pensée de F.A. Hayek. En lisant plusieurs de ses ouvrages (par exemple, Hayek, 1973), j’ai réalisé que les traditions perturbatrices et nuisibles tendent à disparaître, que ce soit par des changements volontaires ou, plus tragiquement, par la disparition des sociétés qui vivent selon elles. On peut ainsi présumer que, si une tradition a survécu, c’est qu’elle possède une certaine valeur positive, même si nous ne pouvons pas la voir. C’est une "présomption fatale" (Hayek, 1989) de remettre en question tout ce pour quoi on ne possède pas immédiatement de bonne et suffisante explication. Comment pourrions-nous sinon justifier l’habitude "aveuglément docile" de porter des cravates et des cols, par exemple ? [Ce passage me semble pouvoir se rapporter à certains libéraux français, qui ne voient pas l’utilité de porter la cravate à l’Assemblée ! NdT]

La tradition, cependant, n’est qu’une présomption, non une divinité à adorer. Il reste raisonnable de modifier ou d’abolir les traditions qui ne marchent pas. Mais ceci est fait pour le mieux avec une attitude de respect, et non d’hostilité, pour ce qui a fonctionné pendant des années.

Les croyances religieuses fournissent une autre raison de s’opposer aux libertaires : peu de secteurs de la société ont condamné aussi fermement la perversité. Au début des années 1970, pour moi, cependant, la religion était synonyme de guerre, de meurtres et d’injustice. C’était une "peu sainte alliance" des Croisades, de l’Inquisition, des guerres de religion, de sacrifices de vierges, et de bûchers de "sorcières", d’astronomes, de non croyants, de libres penseurs et d’autres personnes inopportunes. A présent, je vois les choses très différemment. Oui, tout ceci s’est passé, et de soi-disants religieux en étaient responsables. Mais, certainement, il y a une certaine loi de prescription historique, au moins parce que les pratiquants actuels ne peuvent nullement être tenus pour responsables des actes de leurs prédecesseurs. La religion me semble actuellement l’un des meilleurs espoirs pour la société, car il s’agit d’une des principales institutions pouvant encore lutter courageusement contre un gouvernement excessif et trop puissant [7].

Pour analyser rapidement notre situation actuelle : nous souffrons de bien trop d’ingérence de l’Etat. L’un des remèdes est d’appliquer des mesures morales au gouvernement. Un autre est de faire plus confiance aux institutions de "médiation", comme l’entreprise, le marché, la famille et le groupe social, particulièrement la religion organisée. Ces organisations - reposant sur une vision morale et des valeurs spirituelles - peuvent répondre bien mieux aux besoins de l’humanité que ne le peuvent les régimes politiques.

Une autre raison pour laquelle je m’oppose aux libertaires est plus personnelle. J’en suis venu à croire que chacun d’entre nous possède une âme, une nature intérieure, un esprit vivant, une personne, une pureté, un respect de soi, une pudeur, appelez cela comme vous voulez. Je crois que certains actes - ceux précisément dont nous parlons - s’élèvent contre cette entité intérieure. Ils sont une sorte de destruction mentale et spirituelle. Et le résultat pratique de ces actes, pour ceux capables de ressentir ces choses, est le vide. Ils peuvent au final conduire au suicide physique. Cette destruction de la personne individuelle a de graves répercussions pour toute la société.

Pour ma part, je préfère me rattacher à la tradition burkéenne, disons critique du projet cosmopolitique des Lumières, pas réactionnaire pour autant, exerçant un droit d'inventaire sur le bilan du libéralisme, en particulier sur le plan moral et culturel, conduit par ma réflexion à l'évidence que ce qu'on appelle le progrès des moeurs et la liberté sont désormais antagonistes.

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Pour ma part, je préfère me rattacher à la tradition burkéenne, disons critique du projet cosmopolitique des Lumières, pas réactionnaire pour autant, exerçant un droit d'inventaire sur le bilan du libéralisme, en particulier sur le plan moral et culturel, conduit par ma réflexion à l'évidence que ce qu'on appelle le progrès des moeurs et la liberté sont désormais antagonistes.

Critique oui, c'était mon propos, ne pas tout prendre dans les lumières, mais ne pas non plus céder a la tentation de tout jeter d'un bloc, Burke et non Kirk.

Sinon, oui, ces étiquettes sont avant tout utiles dans le contexte américain, mais les états unis sont, qu’on le veuille ou non, le centre de la réflexion politique depuis les années 50.

Sur le modus operandi, lire le mea culpa de Walter Block

Héhé, je savais qu'il s'était retourné, mais pas que c'était a ce point, sans déconner, on est en train de gagner <–<

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Je ne sais pas si l’étiquette « paléo-libertarien » me convient tant que ça, d’abord parce que je n’aime pas beaucoup les étiquettes, ensuite parce que ce courant idéologique est très largement tributaire de l’évolution récente, voire contemporaine des mouvements libertarien et conservateur américains. On peut mettre beaucoup de choses derrière l’expression « socialement conservateur » comme le suggère la précision de FJ, et la physionomie du paysage politique et culturel européen est bien différente de celui outre-atlantique. Par contre, Chitah, je ne pense pas qu’on puisse réduire « socialement conservateur » à une version droitière du libéralisme : la critique sociale n’est pas réductible à l’aplat de slogans à destination d’un public de militants. D’ailleurs, la plupart des paléo sont des intellectuels imprégnés de kulturpessimismus (ce qui fera plaisir à FJ) plus que des idéologues engagés dans des structures militantes électoralistes (je pense ici à des types comme Paul Gottfried ou Samuel Francis). Ils prennent bien souvent libertariens et conservateurs à rebrousse poil, ce qui les placent en général dans une position extrêmement marginale (vox clamantis in deserto ! pourrait être leur signe de ralliement).

Je distingue deux significations de l’expression « socialement conservateur » quand elle est accolée au paléolibertarianisme. Selon Rothbard et ses disciples, le libertarisme est avant tout une doctrine politique, qui ne s’occupe que d’une toute petite partie de la conduite humaine (celle qui est en lien avec l’exercice public de la justice et de la propriété). De son point de vue (par opposition au point de vue des individus qu’elle coordonne), le libertarisme est aveugle aux préférences éthiques particulières (qu’il repose sur l’intérêt bien compris ou le droit naturel). Il est un ensemble juridique et un dispositif moral neutre qui convient autant au croyant qu’à l’athée, au dépravé qu’au puritain. Le paléolibertarisme est alors l’acceptation de la doctrine libertarienne couplée à un comportement éthique (donc subjectif et personnel) classé « conservateur », que ce soient catho, juif, musulman, protestant, ou autres. Chacun complètera comme il voudra, selon sa convenance.

Il y a une autre signification du paléo-libertarianisme que Hoppe développe dans le sillage de la critique rothbardienne du « modal libertarian ». Pour les paléos, le libertarianisme présuppose un comportement et une mentalité qui se retrouvent essentiellement chez les conservateurs (voire les réactionnaires) : dans une situation d’extrême liberté (qui est aussi celle d’extrême responsabilité individuelle), les individus qui travaillent, épargnent, entretiennent leur famille comme filet de sécurité en cas de coup dur et respectent les règles de juste conduite ont plus de chance de prospérer que les dilettantes incapables de se donner aucune règle de vie ou d’entretenir les solidarités naturelles qui les portent.

Je remarque aussi que dans les deux cas, le libertarisme n’est pas démocratique, ce qui se marie plutôt bien avec la frange la plus réactionnaire du conservatisme (celui contre-révolutionnaire).

Je remarque également que les paléos ne sont pas forcément cathos. Toutefois, si on se reporte à ce que dit Guido Hulsmann dans l’ouvrage sur le libéralisme européen dirigé par Nemo, la formation thomiste des économistes autrichiens (notamment Menger) est pour beaucoup et dans l’originalité de leur réflexion, et dans leur méconnaissance quasi complète des économistes anglais disciples d’Adam Smith.

Il est possible de faire de la synthèse paléolibertarienne un retour à la vieille droite américaine d’avant l’éclosion du conservatisme à la Kirk-Buckley, retour rendu possible par l’échec politique (et non intellectuel ou culturel) à la fois du libertarisme et de l’aile droite du parti républicain. Rothbard y revient après ses déconvenues avec la new left et l’évolution électoraliste et groupusculaire du parti libertarien. Patrick Buchanan, après avoir caressé le rêve d’incarner l’aile droitière et populiste du gop (puis de créer un tiers parti sur le modèle du Front national français), est confiné au débat d’idées à la périphérie du parti.

Les deux courants ont en commun d’avoir développer une aversion (à mon avis en partie justifiée) pour le conservatisme et le libertarisme meanstream post-reaganien. Il y a là ce que Free Jazz et Michel Foucault appelleraient un effet de pouvoir : le mouvement conservateur en accédant à la tête e l’Etat s’est transformé, et a fini par se couler dans le moule du gouvernement fédéral, cela au détriment des critiques les plus radicales du big governement. Pour gouverner, on a mis sur la touche les libertariens radicaux, les conservateurs authentiques, la droite religieuse un peu trop allumée, et on a fait appel aux plus governement friendly, en gros les néoconservateurs et ce type particulier de fusionisme qu’est le conservatisme mainstream (l’alliance entre moralisme, libéralisme économique à l’intérieur du pays et impérialisme militaire à l’extérieur). Buchanan, après s’être fait vidé du parti républicain, s’est fait éjecté par la national review pour un-americanism. Depuis, il s’est rapproché des libertariens et s’occupe d’une petite revue d’excellente qualité, The American Conservative.

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D’un point de vue historique, les paléo-libertariens prennent des lumières les découvertes de l’individualisme politique (l’individualisme moral étant un héritage principalement catholique) et de la séparation des pouvoirs, mais pas le rejet de la tradition et la destruction des corps intermédiaires qui transforme l’individualisme en atomisme.

Et justement, à cet égard, les paléo-libertariens sont capables de répondre à une critique conservatrice que je trouve absolument fondée, et qu'on trouve par exemple sous la plume de Robert Nisbet :

Les libertariens semblent voir l’autorité sociale et morale et le pouvoir politique despotique comme un élément d’un seul spectre, comme une continuité ininterrompue. Selon leur argument, si nous voulons éviter le Léviathan, nous devons remettre en cause n’importe quelles formes d’autorité, y compris celles qui sont inséparables du lien social. Il me semble que les libertariens accordent de moins en moins de reconnaissance à la différence substantielle entre la coercition de la famille, de l’école, de la communauté locale et celle de l’Etat bureaucratique centralisé. Pour moi, c’est une généralisation prouvée de nombreuses fois dans l’Histoire que l’apparition d’un pouvoir politico-militaire de plus en plus extrême a comme prélude nécessaire l’érosion et l’effondrement des autorités constitutives du lien social. Celles-ci servent à donner à l’individu un sentiment d’identité et de sécurité, empêchent tout monopole et, dans leur diversité, constituent les remparts indispensables contre l’invasion du pouvoir politique centralisé. Mais je ne trouve pas aujourd’hui chez les libertariens une reconnaissance claire de la remarque que je viens de faire.

Le paléo-libertarien insiste sur l'importance des corps intermédiaires, importance d'autant plus grande que le pouvoir de l'État diminue. Il montre également son opposition à l'idée libertaire de "Ni Dieu, ni maître" car il accepte le pouvoir lorsque celui-ci est exercé non par la contrainte étatique mais par les corps intermédiaires tels que l'Église, la famille, le quartier…

Je remarque également que les paléos ne sont pas forcément cathos. Toutefois, si on se reporte à ce que dit Guido Hulsmann dans l’ouvrage sur le libéralisme européen dirigé par Nemo, la formation thomiste des économistes autrichiens (notamment Menger) est pour beaucoup et dans l’originalité de leur réflexion, et dans leur méconnaissance quasi complète des économistes anglais disciples d’Adam Smith.

A ce sujet Emil Kauder a montré l'importance de l'influence du catholicisme sur la théorie de la valeur des autrichiens (dans A History of Marginal Utility Theory) :

Instead of work, moderate pleasure-seeking and happiness form the center of economic actions, according to Aristotelian and Thomistic philosophy. A certain balanced hedonism is an integrated part of the Aristotelian theory of the good life. If pleasure in a moderate form is the purpose of economics, then following the Aristotelian concept of the final cause, all principles of economics including valuation must be derived from this goal. In this pattern of Aristotelian and Thomistic thinking, valuation has the function of showing how much pleasure can be derived from economic goods.

A l'opposé les Anglais, à la suite de Smith et influencés par le protestantisme, ont donné naissance au concept de valeur-travail (et ainsi ouvert la voie du marxisme).

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Et justement, à cet égard, les paléo-libertariens sont capables de répondre à une critique conservatrice que je trouve absolument fondée, et qu'on trouve par exemple sous la plume de Robert Nisbet :

Texte qui mérite d'être plus amplement cité, on le trouve publié par l'excellent Institut Coppet. L'auteur y décrit fort clairement les points de convergence et de divergence. Deux conceptions de la liberté : responsabilité contre absence de coercition; réalisme contre utopie; deux conceptions irréductibles de l'individu, l'une relationnelle impliquant reconnaissance, fidélité et médiation des autorités, qui s'oppose au monadisme et au nomadisme libertarien, son idéal d'atomicité, sa finalité d'autonomie, son éthique minimaliste, sa position de neutralité envers les facteurs d'avilissement moral et culturel des civilisations. L'association restera compliquée parce que les conservateurs continueront à soupçonner l'idéal d'émancipation des libertariens de préparer le terrain aux socialistes tandis que les libertariens continueront à soupçonner les conservateurs de vouloir imposer leurs vues morales par la coercition.

Conservateurs et libertariens : des cousins difficiles

Par Robert Nisbet

Traduction Xavier Corfa

On s’accorde souvent à dire que le conservatisme moderne, en tant que philosophie politique, est issu d’Edmund Burke, principalement de ses Réflexions sur la Révolution en France publiées en 1790. Ce livre est bien sûr plus qu’une brillante analyse prédictive de la Révolution et de ses nouveaux modes de pouvoirs néfastes pour la vie de chaque individu ; les Réflexions constituent également, à travers ses digressions, un des plus profonds traités jamais écrits sur la nature de la légitimité politique. Le conservatisme politique moderne, tel que nous le trouvons dans une tradition philosophique européenne depuis 1800, tire ses origines dans l’insistance de Burke sur les droits de la société et de ses groupes historiquement formés, tels que la famille, le voisinage, les guildes et les églises, contre le « pouvoir arbitraire » d’un gouvernement politique. Burke soutient que la liberté individuelle – et cela demeure aujourd’hui la thèse conservatrice – est seulement possible dans un contexte de pluralité d’autorités sociales, de codes moraux et de traditions historiques, qui, dans une articulation organique, servent d’ « auberges et de lieux de repos » à l’âme humaine et de résistance intermédiaire au pouvoir de l’Etat sur l’individu. L’influence des Réflexions de Burke fut immédiate. Tous les travaux majeurs du conservatisme philosophique Européen du début du XIXème siècle, ceux de Bonald, de Maistre, du jeune Lamennais, de Hegel, de Haller, de Donoso Cortes, de Southey et de Coleridge, parmi d’autres, sont enracinés, comme tous ces auteurs sans exception le reconnaissaient, dans l’ouvrage séminal de Burke.

(…)

Passons maintenant à la fondation du libertarianisme contemporain, du libéralisme classique. Si nous le souhaitons, nous pouvons remonter au moins jusqu’au Second traité de John Locke, aux écrits de Montesquieu dans la France du XVIIème siècle, à ceux de Jefferson en Amérique ou d’Adam Smith en Angleterre. Mais la source la plus sûre et la plus vivante du libertarianisme me semble se trouver dans De la liberté de John Stuart Mill, publié en 1859, la même année que l’Origine des espèces de Darwin (qui a sa propre relation au libéralisme classique, et ainsi au libertarianisme contemporain, à travers la thèse centrale de la sélection naturelle, version biologique de ce que le libéralisme classique appelait le libre marché, utilisant cette expression dans son sens le plus large). Au début de son fameux essai sur la liberté, Mill formule le fameux « principe très simple ». Il écrit : « Ce principe veut que les hommes ne soient autorisés, individuellement et collectivement, à entraver la liberté d’action de quiconque que pour assurer leur propre protection. (…) Contraindre quiconque pour son propre bien, physique ou moral, ne constitue pas une justification suffisante. » Je suggère que le « le principe très simple » de Mill constitue le cœur du libertarianisme contemporain. Cependant, il est nécessaire de noter les réserves immédiates de Mill à ce principe, qui peuvent être ou pas acceptées par la majorité des libertariens d’aujourd’hui. Ainsi nous apprenons que ce principe ne s’applique pas aux personnes n’ayant pas la majorité légale, un raccourci qu’un grand nombre de lycéens et d’étudiants trouveraient aujourd’hui ridicule et rejetteraient. Ce principe ne tient pas non plus pour ceux que Mill identifie de façon plutôt énigmatique comme étant « dépendants des soins d’autrui », un état qui doit inclure tous ceux qui bénéficient des aides sociales dans notre société, ainsi que ceux dont Mill a probablement à l’esprit, les malades chroniques et les déficients mentaux. Mill exclut catégoriquement de ce principe de liberté tous les peuples sur Terre qui vivent dans ce qu’il appelle les « âges arriérés de la société ». Pour eux, il déclare que le despotisme, aussi éclairé que possible, reste nécessaire tant qu’ils n’ont pas atteint à travers leur évolution sociale le niveau de civilisation de l’Occident moderne.

Par la suite, Mill va plus loin en refusant le principe de liberté pour ceux autour de nous qui sont, selon ses propres termes, des « nuisances » pour les autres. Et il poursuit : « personne ne prétend que les actions doivent être aussi libres que les opinions. » Dans sa simple exposition, le principe de Mill pourrait très certainement donner une légitimité à la pornographie contemporaine dans toutes les sphères aussi bien qu’aux manifestations de rues bruyantes, troublant l’ordre public et potentiellement violentes. Mais avec les réserves que nous venons de citer, il est loin d’être évident que la vision de Mill de la liberté légitime puisse approuver la licence contemporaine, qu’elle soit morale, politique, religieuse ou autre. Il est impossible de ne pas croire que, même dans son expression la plus épurée, le principe simple et unique de Mill était destiné à n’être appliqué qu’aux individus formés intellectuellement et moralement tel que lui-même l’était. Mais de telles observations n’affectent pas le pouvoir pur et simple qu’a exercé le principe de Mill, spécialement durant les cinquante dernières années, en philosophie, sciences sociales, théologie, droit et plus récemment dans la moralité populaire. (En regardant autour de nous, qui peut douter sérieusement que la contre-culture a gagné d’importantes batailles dans sa guerre contre la morale américaine traditionnelle qui a débuté dans les années 1950 pour atteindre son apogée dans les années 1960 ? Et par essence ces batailles ont été livrées dans l’esprit du principe très simple de Mill. Il avait peut-être pris au sérieux les contrôles et les limites qu’il avait prescrits. Mais d’autres, considérant le principe dans sa forme séparée, abrégée et catégoriquement impérative comme l’a formulé Mill, ne se sont pas sentis tenus par des obligations similaires.)

II

Assez parlé des racines du conservatisme et du libertarianisme. Nous allons maintenant nous intéresser aux développements les plus importants issus de ces racines et qui nous entourent aujourd’hui. Quels sont-ils ? Quelles sont leurs ressemblances ? Quelles sont leurs différences au regard des critères respectifs de l’esprit conservateur et libertarien ? Pour des raisons de clarté, je commencerai par ce que ces deux esprits semblent avoir en commun.

Premièrement, le rejet de l’intervention du gouvernement, plus particulièrement celle du gouvernement national et centralisé dans la vie économique, sociale, politique et intellectuelle des citoyens. Edmund Burke était tout aussi inflexible sur ce point (voir dans ses Réflexions ses critiques sévères sur la centralisation et la nationalisation en France) que Mill ou tout autre libéral classique l’était ou pouvait l’être. Cette position s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui. Les conservateurs sont sans doute plus disposés que les libertariens à considérer exceptionnellement la nécessité d’une suspension ou d’une abrogation de cette position envers le gouvernement national – comme à l’égard de la défense nationale sur laquelle je reviendrai plus tard. Mais, en général et sur une période importante, le conservatisme peut vraiment être considéré comme une philosophie ancrée dans l’opposition à l’étatisme aussi clairement que libertarianisme. En comparaison avec ce qui passe aujourd’hui pour le libéralisme, le progressisme, le populisme et la social-démocratie ou le socialisme, il y a certainement très peu de différences qui peuvent être trouvées entre les libertariens et les conservateurs dans leur position respective envers l’Etat.

Deuxièmement, toujours en comparaison avec les autres groupes que je viens de citer, il y a un grand consensus entre les conservateurs et les libertariens sur ce en quoi devrait consister l’égalité légitime dans la société. Une telle égalité est en un mot légale. Une fois de plus, nous devons revenir à Burke et Mill sur cette question. Pour l’un comme pour l’autre, l’égalité devant la loi était vitale au développement de la liberté individuelle. Je ne vois rien dans les écrits contemporains des libertariens et des conservateurs pour suggérer qu’il existerait quelque chose de plus qu’une nuance ou une insistance occasionnelle séparant les deux groupes sur la question de l’égalité. Il y a une même condamnation de ce qu’il est convenu d’appeler l’égalité des résultats, des conditions sociales, des revenus ou des richesses.

Troisièmement, il y a une conviction partagée sur la nécessité de la liberté, notamment de la liberté économique. Une fois encore, dans les faits, il apparaît que les conservateurs semblent plus disposés que les libertariens à accepter des infractions occasionnelles à la liberté économique individuelle à travers des lois et des agences de réglementations conçues pour protéger ou soutenir un groupe ou un autre qui est désavantagé. On pense au torysme du XIXème siècle ou au sénateur Robert Taft sur le logement public à la fin des années 1940. Dans la mesure où l’on peut constater qu’aucun libertarien n’a encore été confronté dans la haute fonction publique à ce type de pression venant de groupes exigeants un droit ou une exemption, il n’est pas possible de comparer les libertariens et les conservateurs en termes de démonstration d’adhésion à des principes philosophiques lorsque les pratiques et le long-terme politique sont impliqués.

Quatrièmement, il y a un rejet commun de la guerre et, plus particulièrement, la société de guerre que les Etats-Unis ont connu en 1917-1918 sous Woodrow Wilson et à nouveau sous Franklin D. Roosevelt lors de la Seconde guerre mondiale. Les libertariens peuvent protester avec raison contre cela étant donné qu’un parfait libertarien est certainement plus susceptible de résister de façon manifeste qu’un conservateur – pour qui le respect de la nation et du patriotisme est probablement décisif même lors d’une guerre à laquelle il s’oppose. Malgré cela, je pense qu’il y a un terrain d’entente suffisant, au moins au regard du respect du principe, pour rassembler les conservateurs et les libertariens. Souvenons-nous qu’à partir de la guerre Hispano-américaine, à laquelle s’opposa fortement le conservateur McKinley, et tout au long des guerres de ce siècle, dans lesquelles les Etats-Unis ont été impliqués, la principale opposition à l’entrée en guerre de l’Amérique venait de ces éléments de l’ordre économique et social qui étaient généralement identifiés comme conservateurs. Que ce soit les « isolationnistes du Middle West », les républicains traditionnels, l’ethnie d’Europe Centrale, les petits entrepreneurs, ou quelque soit la manière dont nous souhaitons désigner une telle opposition. Je ne suis certainement pas indifférent à l’opposition libertarienne à la guerre pouvant provenir d’un Max Eastman ou d’un Eugene Debs, et de manière générale de nombreux objecteurs de conscience libertariens pendant les deux guerres mondiales. Mais l’opposition solide et vraiment redoutable contre l’entrée en guerre de l’Amérique venait de ceux qui étaient étroitement liés aux affaires économiques, à la communauté locale, la famille et la morale traditionnelle. (Tocqueville a correctement identifié en Amérique cette classe réticente à s’engager dans une guerre étrangère en raison de son impact prévisible principalement sur les entreprises et le commerce, mais également sur d’autres activités sociales et morales) Woodrow Wilson et Franklin D. Roosevelt devaient convaincre cet élément de la société américaine, et non la minuscule résistance libertarienne. Ils devaient séduire, convaincre, soumettre à la propagande, convertir et, dans certains cas, pratiquement terroriser afin d’ouvrir la voie à un éventuel engagement des forces militaires américaines en Europe et en Asie.

Comme le suggèrent certains passages qui précèdent, il y a une aversion partagée par les libertariens et les conservateurs pour ce qui passe pour être aujourd’hui le libéralisme (« liberalism »[1]), celui qui est largement admis dans les écoles, les Eglises établies, les universités et par-dessus tout dans les médias et de manière plus spectaculaire dans les médias électroniques. Au passage, j’aimerais rappeler qu’historiquement le conservatisme a fait plus que le libertarianisme pour s’opposer, mettre en échec ou vaincre les manifestations spécifiques de ce soi-disant libéralisme. Je me souviens de des nombreux conservateurs des années 1930 se prononçant contre la sécurité sociale, l’Agricultural Adjustement Act, le National Recovery Association et l’arrogante National Education Association avec sa canonisation d’un libéralisme progressiste destiné aux enfants des maternelles. Peut-être qu’il y avait également des libertariens actifs mais je ne m’en souviens pas. Toutefois, je n’ergote pas. L’histoire décide de ces choses. Il y avait bien plus de conservateurs, ou du moins des conservateurs identifiés et politiquement actifs, que de libertariens dans l’Amérique de cette époque. Dans une décennie ou deux, les choses pourraient bien s’inverser dans ce domaine.

III

Maintenant, passons aux différences, ou à quelques unes en tout cas. Celles-ci sont importantes, très importantes ! Tout pour le moment laisse penser que les différences entre le conservatisme, en général ou néo-, et le libertarianisme, anarcho- ou constitutionnel, vont apparaître de plus en plus larges et discordantes. Bientôt, je pense qu’il sera impossible pour les expressions « libertarien-conservateur » ou « conservateur-libertarien » d’être autre chose que des oxymores, comme un optimiste triste ou une bonté cruelle. Ici, je vais également éviter les cas spécifiques et me cantonner aux principes et aux points de vue.

La première différence réside dans la façon contrastée par laquelle les deux groupes perçoivent la population. Les conservateurs, depuis Burke, ont eu plutôt tendance à voir la population à la manière des légistes du Moyen-âge ou des philosophes réalistes (en contraste avec les nominalistes) : composée directement non pas par les individus, mais par les groupes naturels dans lesquels ces mêmes individus vivent invariablement : la famille, la localité, l’église, la région, la classe sociale, la nation, etc. Bien entendu, les individus existent mais ils ne peuvent pas être considérés comme des identités sociales distinctes de ces groupes et de ces associations. Si le conservatisme moderne a vu le jour essentiellement à travers les Réflexions sur la Révolution de France de Burke, c’est parce que la Révolution, – au nom de l’individu et de ses droits naturels, a souvent détruit ou diminué les groupes traditionnels – les guildes, l’aristocratie, la famille patriarcale, l’Eglise, l’école, les provinces, etc. que Burke considérait comme étant les molécules irréductibles et constitutives de la société. Des conservateurs de la première heure comme Burke, Bonald, Haller et Hegel (de La philosophie du Droit) et des libéraux conservateurs tels que le mature Lamennais et bien entendu Tocqueville, considéraient que la doctrine absolue de l’individualisme représentait une menace pour l’ordre social et la vraie liberté tout autant que la doctrine absolue du nationalisme. En effet, ils soutenaient que c’est la pulvérisation de la société en un tas de sable composé de particules individuelles, revendiquant chacune des droits naturels, qui rendait inévitable l’apparition du nationalisme collectiviste.

Les libertariens ne ferment pas les yeux sur l’existence de groupes et d’associations, ni sur les traditions et les coutumes qui constituent leur ciment, et il serait absurde de caractériser les libertariens comme des ennemis sans discernement de toute forme d’association. Ils ne proposent pas un retour à l’état de nature vanté par les Lumières. Il est rare qu’un libertarien soit un clone de Max Stirner. Ils sont aussi dévoués au principe de libre association que n’importe quel conservateur. Nous ne devrions pas oublier que l’anarchisme libertaire d’un Proudhon ou d’un Kropotkine était fondé sur un ordre social composé de groupes et non sur des abstractions comme les individus godwiniens. Pourtant, en lisant les journaux et les commentaires libertariens de ces dernières années, je suis convaincu qu’il y a plus d’hormone égoïste dans la physiologie libertarienne que dans celle conservatrice. On a de plus en plus l’impression que pour les libertariens d’aujourd’hui, comme pour les théoriciens du droit naturel au XVIIème siècle, les individus seuls sont réels ; les institutions ne sont que leurs ombres. Je crois qu’un état d’esprit se développe au sein des libertariens dans lequel les coercitions de la famille, de l’église, de la communauté locale et de l’école semblent aussi hostiles à la liberté que celles du gouvernement politique. Si c’est le cas, le fossé se creusera certainement encore plus entre les libertariens et les conservateurs.

Cela me conduit à une seconde différence majeure entre les deux groupes. La philosophie conservatrice de la liberté procède de la philosophie conservatrice de l’autorité. C’est l’existence de l’autorité dans l’ordre social qui empêche les empiètements du pouvoir de la sphère politique. Depuis Burke, le conservatisme perçoit la société comme une pluralité d’autorités. Il y a celles des parents sur l’enfant, du prêtre sur le communiant, du professeur sur l’élève, du maître sur l’apprenti, et ainsi de suite. Telle que nous pouvons l’observer actuellement, la société est un réseau ou un tissu de telles autorités. Elles sont vraiment innombrables si nous pensons aux différents types d’autorité qui s’étendent au sein du plus petit groupe ou réseau de relation humains. Une telle autorité peut être lâche, douce, protectrice et conçue pour produire l’individualité, cependant cela reste de l’autorité. Pour le conservateur, la liberté individuelle réside dans les interstices de l’autorité morale et sociale.

C’est seulement grâce aux effets directeurs et restrictifs d’une telle autorité qu’il devient possible pour les êtres humains de maintenir un gouvernement politique libéral tel que les Pères fondateurs l’avaient conçu pour ce pays et qui a prospéré en Angleterre à partir de la fin du XVIIème siècle. Supprimez les liens sociaux, comme le proposent depuis William Godwin les plus zélés et les plus intransigeants des individualistes libertariens, et vous vous retrouvez avec un peuple non pas libre mais chaotique, constitué d’individus non pas créatifs mais impuissants. Comme l’a correctement écrit Balzac, la nature humaine ne peut supporter le vide moral. Prétendre, comme certains libertariens l’ont fait, qu’un ensemble solide et fort d’autorité au sein de la société est incompatible avec la créativité individuelle revient à ignorer ou à mal interpréter l’histoire culturelle. Pensez à l’effervescence culturelle dans l’Athènes du Vème siècle avant JC, dans la Rome augustinienne du Ier siècle, dans l’Europe du XIIIème siècle, sous le règne de Louis XIV et dans l’Angleterre élisabéthaine. Toutes furent des périodes d’ordre social et moral puissamment soutenu par des codes moraux et des institutions politiques. Mais Eschyle, Sénèque, Roger Bacon, Molière et Shakespeare prospérèrent néanmoins. Loin de se sentir opprimé par l’autorité hiérarchique l’entourant, Shakespeare – dont on ne peut mettre en doute la copieuse individualité – est l’auteur d’un passage mémorable qui commence par « Brisez la hiérarchie, détendez cette corde, Aussitôt quelle dissonance ! Tout se heurte »[2]. Comme l’a souligné et détaillé A. L. Rowse, la structure sociale de l’Angleterre shakespearienne était solide, son autorité toujours évidente, mais rien ne faisait plus peur au peuple que l’idée que l’autorité – surtout celle conçue pour repousser les ennemis extérieures et débusquer les traîtres – puisse être trop lâche et ténue. Bien sûr, une telle autorité pouvait parfois devenir trop insistante et des moyens ingénieux furent trouvés par les dramaturges et les essayistes pour déjouer les censeurs du gouvernement. Après tout, les esprits créatifs vivaient sous une autorité sociale et morale forte, mais ce n’était pas le gouvernement oppressif, politico-bureaucratique, envahissant et totalitaire du XXème siècle.

Finalement, il convient de remarquer qu’à ce jour les plus grands auteurs de la littérature occidentale du XXème siècle ont presque tous été des défenseurs de la tradition et de l’autorité culturelle. Eliot, Pound, Joyce, Yeats et d’autres ont tous à travers leurs poèmes rendu hommage à l’autorité et tous, sans exception, voyaient la mort éventuelle de la culture occidentale découler de l’anéantissement de cette autorité au nom de l’individualisme et de la liberté.

Il est certain, et cela est pleinement reconnu par les conservateurs, qu’il existe un degré de liberté en deçà duquel aucune création significative ne peut être réalisée. Sans ce degré de liberté, pas de Shakespeare, pas de Marlowe, pas de Newton. Mais ce que diraient les conservateurs, c’est qu’on se rend moins souvent compte qu’il existe un degré de liberté au delà duquel aucune création significative ne peut être réalisée. Les écrivains de la fin du XXème siècle ont composé leur œuvre littéraire dans l’air le plus libre qu’ils aient jamais respiré. Mais il est évident que la confusion misérable du narcissisme, de l’abus de soi, de l’auto-titillation et du désir juvénile, régressif, pour le scatologique et l’obscène ont raréfié cette atmosphère en lui faisant perdre son oxygène.

Tout bien considéré, je suis tenté de dire que, pour les libertariens, la liberté individuelle est dans presque tous les domaines concevables la plus élevée des valeurs sociales – sans tenir compte des formes et des niveaux d’avilissement moral, esthétique et spirituel s’avérant être les conséquences involontaires d’une telle liberté. D’autre part, pour les conservateurs, la liberté, bien qu’importante, n’est que l’une des nombreuses valeurs nécessaires d’une société bonne ou juste. Non seulement elle peut mais doit être limitée lorsqu’elle affaiblit ou met en danger la sécurité nationale ou lorsqu’elle fait violence à l’ordre moral et au tissu social. Pour les libertariens et les conservateurs, l’ennemi commun est ce que Burke appelait le pouvoir arbitraire. Mais du point de vue conservateur, ce genre de pouvoir devient quasiment inévitable quand une population vient à ressembler à celle de Rome durant les décennies conduisant à l’ascension d’Auguste en 31 avant J.C., celle de Londres de la période antérieure aux Puritains et à Cromwell, celle de Paris avant l’ascension de Napoléon comme dirigeant de la France, celle de Berlin durant la période de Weimar et, certains diraient, celle New York dans les années 1970. Les conservateurs devraient et doivent affirmer que ce n’est pas la liberté mais le chaos et la licence qui viennent à dominer quand les autorités sociales et morales – celles de la famille, du voisinage, de la communauté locale, du travail et de la religion – ont perdu de leur attrait pour les êtres humains. Est-il probable que l’époque actuelle, celle des quarante dernières années et, aussi loin que nous pouvons l’entrevoir, au minimum les vingt prochaines années, soit déclarée plus tard par les historiens comme une ère culturelle majeure ? Certainement pas. Et peut-on sérieusement penser à l’âge de The Naked Lunch, Oh ! Calcutta, The Hustler, Brodway Sex Live et Explicit que notre médiocrité décadente, en tant que culture, sera un jour représentée en termes d’excès d’autorité morale et sociale ?

En revanche, les libertariens semblent voir l’autorité sociale et morale et le pouvoir politique despotique comme un élément d’un seul spectre, comme une continuité ininterrompue. Selon leur argument, si nous voulons éviter le Léviathan, nous devons remettre en cause n’importe quelles formes d’autorité, y compris celles qui sont inséparables du lien social. Il me semble que les libertariens accordent de moins en moins de reconnaissance à la différence substantielle entre la coercition de la famille, de l’école, de la communauté locale et celle de l’Etat bureaucratique centralisé. Pour moi, c’est une généralisation prouvée de nombreuses fois dans l’Histoire que l’apparition d’un pouvoir politico-militaire de plus en plus extrême a comme prélude nécessaire l’érosion et l’effondrement des autorités constitutives du lien social. Celles-ci servent à donner à l’individu un sentiment d’identité et de sécurité, empêchent tout monopole et, dans leur diversité, constituent les remparts indispensables contre l’invasion du pouvoir politique centralisé. Mais je ne trouve pas aujourd’hui chez les libertariens une reconnaissance claire de la remarque que je viens de faire.

Il y a un dernier domaine dans lequel la différence entre les conservateurs et les libertariens est susceptible de croître de façon constante : la nation. Je maintiens tout ce que j’ai affirmé à l’appui de l’autorité, de la diversité et du pluralisme social en opposition à la concentration du pouvoir national. Je n’ai pas besoin de prouver le nombre de fois où la guerre et la mobilisation pour la poursuite de la guerre, ont conduit à des concentrations et des nationalisations temporaires qui hélas se révélèrent définitives. Plus que toutes les autres forces dans l’Histoire, la guerre est au fondement de la centralisation et de la collectivisation des ordres sociaux et économiques. Aucun conservateur ne peut apprécier, encore moins rechercher, la guerre et la militarisation des sphères sociales et civiles de la société qui l’accompagnent.

Malheureusement, nous ne vivons pas dans un monde clément en ce qui concerne les idéaux conservateurs et libertariens. C’est un monde dans lequel des despotismes aussi gigantesques et puissants que l’Union soviétique ou la Chine survivent et prospèrent – au moins dans le domaine politique et diplomatique. Pour les Etats-Unis, ignorer ou se déclarer indifférent à leurs actes d’agression, ainsi que ceux des autres despotismes militaires agressifs, serait suicidaire. Comme Montesquieu l’a écrit dans un contexte différent : il faut un pouvoir pour contenir un pouvoir. Rien de moins qu’une nation américaine forte, bien armée, vigilante et énergique peut éventuellement contenir la nation soviétique, chinoise ou cubaine.

A ma connaissance, aucun conservateur n’a jamais vilipendé ou renoncé à la nation, conçue comme une entité culturelle, spirituelle ainsi que politique. Burke adorait la nation. En contraste avec les Jacobins de son époque, il voyait simplement la nation comme une communauté de communautés, se construisant sur la diversité de ce qu’il appelait « les plus petites patries » telles que la famille ou le voisinage. Voilà comment, dans leur plus grande majorité, les conservateurs ont choisi de voir la nation. Mais ce qu’ils observent également à notre époque, avec une acuité qui manque aux libertariens, c’est la condition précaire de la nation américaine, ainsi que celle de l’Angleterre et de la France. Il y a un bon et un mauvais nationalisme. Mais, à notre époque, même le bon nationalisme est devenu à la fois un objet de nostalgie ou de révulsion. Le patriotisme, ciment de la nation, a fini par devenir une chose presque honteuse. La faiblesse actuelle du gouvernement américain dans le monde des nations, une faiblesse qui attire de plus en plus le mépris et la méfiance des nations avec lesquelles nous souhaitons une étroite coopération, et le manque de leadership en Amérique, sont enracinés dans une nation qui montre des signes croissants d’agonie.

Les libertariens, que je considère ici comme des Américains aussi loyaux et patriotiques que n’importe quels conservateurs, ne voient pas, selon moi, le monde et la nation tels que je viens de les décrire. Pour eux, l’image essentielle n’est pas celle d’une nation affaiblie, ramollie et menacée par l’Union soviétique, la Chine et leurs satellites, mais plutôt une nation américaine qui, gonflée par les jus du nationalisme, de l’interventionnisme et du militarisme, n’a rien à craindre de l’étranger. Dans l’ensemble, les conservateurs restent attachés à des patriotismes plus petits tels que la famille, l’église, le quartier, le travail et l’association volontaire, mais ils ont tendance à les considérer comme périssables et destinés à la destruction à moins que la nation, dans laquelle ils existent, puisse retrouver un certain degré de renommée et d’autorité internationale qu’elle n’a plus depuis les années 1950. En revanche pour les libertariens, à en juger par leurs écrits et leurs discours, tout se passe comme si les mesures nécessaires au rétablissement de la renommée et de l’autorité internationale de la nation américaine étaient plus dangereuses pour les Américains et leurs libertés que n’importe quel totalitarisme agressif et impérialiste dans le monde. Les conservateurs sont, ou en tout cas devraient, être attentifs à ces dangers et chercher de toute leur force à les réduire tout en retrouvant le leadership perdu de la nation américaine, tant en politique intérieure que dans les affaires internationales. Mais pour les conservateurs, le danger suprême sera, je l’imagine et je l’espère, celui de la faiblesse américaine actuelle dans un monde de despotismes militaires dangereusement agressifs. Rien pour le moment ne laisse penser que cette considération sera primordiale pour les libertariens. Et c’est sur cet écueil, davantage que tous les autres que j’ai mentionné, que les conservateurs et les libertariens ne manqueront pas de rompre ce qui a été depuis le départ une relation difficile.

http://www.institutc…ins-difficiles/

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Je pense que l'erreur de la position conservatrice est de croire que la coercition étatique peut maintenir l'ordre social (et Nisbet l'a visiblement compris, puisque l'État est très peu évoqué dans ce texte comme moyen de régulation sociale). Une réponse que l'on pourrait faire aux conservateurs serait de montrer que l'État est contre-productif pour atteindre cet objectif, car, comme le remarque Albert Jay Nock (dans Our Enemy, the State) :

It is unfortunately none too well understood that, just as the State has no money of its own, so it has no power of its own. All the power it has is what society gives it, plus what it confiscates from time to time on one pretext or another; there is no other source from which State power can be drawn. Therefore every assumption of State power, whether by gift or seizure, leaves society with so much less power; there is never, nor can there be, any strengthening of State power without a corresponding and roughly equivalent depletion of social power.

L'État est donc en concurrence avec ce que Nisbet appelle les groupes naturels (famille, Église…), et ne peut exercer son autorité qu'aux dépends de celle de la société. Voilà pourquoi un renforcement de l'autorité de l'État ne fait que diminuer le lien social. L'État est en fait un vecteur de médiocrité et de désordre social, il suffit de regarder ce qu'il subventionne pour s'en convaincre. Un exemple frappant, particulièrement en France, est la montée en puissance des laicards depuis un siècle, qui accompagne la croissance du poids de l'État. Sous couvert de "laïcité" ces gens veulent en fait réduire à néant le pouvoir de l'Église pour instaurer à la place le culte de l'État.

Les paléo-libertariens me semblent donc être ceux qui ont adopté la meilleure position face à ce problème, en reconnaissant l'importance de la pression sociale, mais en restant en même temps des anti-étatistes intransigeant et en évitant ainsi de commettre l'erreur des conservateurs, tout en corrigeant la position libertarienne naïve qui consisterait à croire que chaque action est bonne et morale simplement parce qu'elle est compatible avec le Droit.

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les groupes naturels (famille, Église…)

L'Eglise est un groupe naturel? Que signifie naturel dans ce cas?

la position libertarienne naïve qui consisterait à croire que chaque action est bonne et morale simplement parce qu'elle est compatible avec le Droit.

C'est un peu schématique comme commentaire…

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L'Eglise est un groupe naturel? Que signifie naturel dans ce cas?

Je suppose que Nisbet emploie le mot "groupe naturel" pour désigner les institutions qui ont naturellement pour rôle la régulation sociale (i.e. cela fait partie de leurs attributions).

Si tu sous-entends que l'Église n'est pas une institution naturelle, je pense au contraire qu'elle est tout ce qu'il y a de plus naturel (c'est-à-dire en phase avec la nature de l'homme) car elle une des expressions de la religion qui elle-même est une des expressions de la spiritualité. Et où l'on trouve des hommes, on trouve de la spiritualité (les tout premiers hommes mettaient les morts en terre, signe de spiritualité). Et si cette spiritualité ne s'exerce pas par la religion, elle s'exprimera autrement puisqu'il est impossible de l'étouffer (et amha il est préférable qu'elle s'exprime par la religion plutôt que par des délires mystiques).

C'est un peu schématique comme commentaire…

C'est pourtant un fait. Un certain nombre de libertariens s'imaginent que fumer un joint est un acte militant tout à fait honorable. Le libertarianisme est neutre à l'égard de cette attitude, ce qui n'est pas le cas du paléo-libertarianisme, même si en pratique aucun libertarien ne souhaite l'interdire (mais on a le droit de se moquer car fumer un joint c'est mal :P).

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Je suppose que Nisbet emploie le mot "groupe naturel" pour désigner les institutions qui ont naturellement pour rôle la régulation sociale (i.e. cela fait partie de leurs attributions).

Selon cette définition (fort étrange, mais que nous accepterons faute de mieux), je note donc que l'Etat est un "groupe naturel". Moi, ça ne me choque pas, mais ça va faire grincer des dents, ici. ;)

Si tu sous-entends que l'Église n'est pas une institution naturelle, je pense au contraire qu'elle est tout ce qu'il y a de plus naturel (c'est-à-dire en phase avec la nature de l'homme) car elle une des expressions de la religion qui elle-même est une des expressions de la spiritualité. Et où l'on trouve des hommes, on trouve de la spiritualité (les tout premiers hommes mettaient les morts en terre, signe de spiritualité). Et si cette spiritualité ne s'exerce pas par la religion, elle s'exprimera autrement puisqu'il est impossible de l'étouffer (et amha il est préférable qu'elle s'exprime par la religion plutôt que par des délires mystiques).

La religion peut aussi ne pas s'exprimer sous la forme ecclésiastique. On peut même arguer que la création d'une institution telle que l'Eglise, fort récente à l'échelle de l'histoire de la spiritualité humaine, relève d'une révolution qui a dû pousser les conservateurs de l'époque à la crise de nerfs. :mrgreen:

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Ce fil est extrêmement intéressant. L'érudition de certains et l'abondance d'auteurs cités me donnent un bon coup de pression pour lire les classiques qui traînent sur ma table de chevet depuis un peu trop longtemps.

Je n'ai pas vraiment tout compris mais j'ai des réserves sur la pertinence de l'étiquette paléo. Si le libertarianisme (y compris dans cette variante) se définit comme l'absence de coercition étatique, pourquoi apposer "paléo" pour qualifier une vision du monde conservatrice (hormis dans le rapport avec l'Etat) ? Sachant que de toute façon, le paléo-libertarien renoncera à tout usage de la coercition pour imposer cet aspect de sa vision des choses.

De même, si le maillage de corps intermédiaires traditionnels (la famille, les pairs, l'Eglise, etc) s'avère effectivement nécessaire, ou préférable, pour vivre au sein d'une société libertarienne, je ne comprends pas la nécessité de joindre paléo au terme libertarien. En effet, s'il s'agit d'une simple nécessité technique inhérente à la vie hors du cadre étatique alors elle est la même pour tous les libertariens, les fumeurs de joints comme les plus conservateurs du lot.

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De même, si le maillage de corps intermédiaires traditionnels (la famille, les pairs, l'Eglise, etc) s'avère effectivement nécessaire, ou préférable, pour vivre au sein d'une société libertarienne, je ne comprends pas la nécessité de joindre paléo au terme libertarien. En effet, s'il s'agit d'une simple nécessité technique inhérente à la vie hors du cadre étatique alors elle est la même pour tous les libertariens, les fumeurs de joints comme les plus conservateurs du lot.

Les libertaires, obnubilés par leur volonté d'émancipation totale, oublient bien souvent la nécessité des corps intermédiaires dans la prévention du basculement vers l'anomie, confondant la possibilité de faire ce que l'on veut avec le choix de faire n'importe quoi.

Ce préfixe "paléo" est là pour rappeler que les libertariens sont bien loin de leurs cousins libertaires. Qu'ils n'ont pas besoin de l'état, ni maintenant, ni plus tard, et que contrairement aux libertaires, ils ne reviendront pas pleurer dans les jupes de l'état-mère une fois leur crise d'adolescence passée. Ce qu'est, d'ailleurs, en substance leur revendication de liberté : une crise, une envie, bien loin de la réflexion sur les conséquences de la liberté, et son plus important corolaire, la responsabilité.

Sans quoi, je te rejoins, tout libertarien cohérent est quelque part un paléo-libertarien, et ce préfixe n'est là que pour marquer la dissociation avec un mot qui est maintenant galvaudé. Pauvres Américains… après avoir du abandonné le "liberalism" à la gauche, ils risquent aussi de perdre le "libertarianism".

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Ce préfixe "paléo" est là pour rappeler que les libertariens sont bien loin de leurs cousins libertaires.

Nous n'avons aucun lien de parenté avec ces clodos imbibés d'alcool et accompagnés de leurs sacs à puces.

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