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Le sens de l'Histoire


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Je t'arrête tout de suite : on peut largement arguer que Kant était libéral, alors que Fukuyama ne l'est pas.

 

Faut dire que je continue à parler de Fukuyama sans l'avoir lu donc bon... Mea culpa.

Sur Kant, on ne trouvera peut-être pas d'argument excluant ultime, mais une méfiance élémentaire s'impose: « Engels a vu dans le mouvement ouvrier allemand l'héritier de la philosophie allemande classique. Il serait plus exact de dire que le socialisme allemand en général — et non pas seulement le marxisme — a été le successeur de la philosophie idéaliste. Le socialisme doit la domination qu'il a pu s'assurer sur l'esprit allemand à la conception de la société des grands penseurs allemands. Une ligne facile à reconnaître conduit de la conception mystique du devoir de Kant et de l'idolâtrie de l'État de Hegel à la pensée socialiste. » -Ludwig von Mises, Le Socialisme, 1922.

Même Sternhell qui passe son temps à célébrer les Lumières franco-kantiennes ne peut s'empêcher de pointer la docilité de la philosophie politique kantienne vis-à-vis du pouvoir: « Kant, on le sait, ne reconnaissait pas aux individus le droit à la résistance au pouvoir politique, et à cet égard il se situe en deçà non seulement de Locke mais aussi de Hobbes. Ce dernier, s'il n'accorde pas à l'individu le droit à la rébellion, permet quand même d'entrevoir la possibilité que le pouvoir, mettant en danger la vie de l'individu, perde sa raison d'être et donc sa légitimité, et finisse par se décomposer, ce qui est une autre façon d'ouvrir une petite porte à la révolte. Kant sur ce point repousse les prémisses de l'école des droits naturels. Un droit à la révolte est pour lui une contradiction dans les termes. Bien plus, il est interdit au citoyen de poser la question de l'origine légitime ou non du système politique en place. Nietzsche devait lui reprocher durement ce conformisme propre aux intellectuels. » -Zeev Sternhell, Les anti-Lumières. Une tradition du XVIIIème siècle à la guerre froide. Saint-Amand, Gallimard, coll. Folio histoire, 2010, 945 pages, p.106-107.

Posté

Deux petites précisions l'une sur la gauche américaine (j'ai l'impression d'avoir été un peu elliptique), l'autre sur Fukuyama :

 

- Après-guerre, et notamment au moment où Arendt écrit, le milieu progressiste porte un regard plutôt bienveillant sur les institutions américaines, qu'il interprète à l'aune du "consensus libéral" ou "consensus lockéen" (libéral=prog), à l'image de ce qu'en dit Louis Hartz dans The liberal tradition in America.

 

Dans ce livre très intéressant, inspiré à la fois par Tocqueville et Locke, Hartz cherche à répondre à la question suivante : pourquoi n'y a-t-il pas eu de mouvement révolutionnaire aux USA ?

 

Réponse : parce qu'il n'y a pas eu de féodalité, pas de régime inégalitaire et autoritaire à combattre, et qu'en quelque sorte, les Américains sont égaux dès l'origine. L'égalité naturelle entre individus qu'on retrouve dans les écrits de Locke est au cœur de l'esprit des institutions US, ce qui les rend naturellement progressistes (vive le new deal se situe dans cette veine).

 

Ceci pour dire qu'il n'y a pas nécessairement contradiction entre être très très progressiste et préférer le régime représentatif (et donc Montesquieu) US à celui français (la volonté générale, Rousseau et la "volonté perpétuellement commandante"). C'est parfois difficile à comprendre quand on ne resitue pas les querelles ou les débats au sein des contextes historiques et langagiers qui ont vu émerger ces réflexions. 

 

Sinon, sur le sens de l'Histoire, il faudrait sans doute y réfléchir plus intensément (en relisant Kojève par ex), mais de prime abord, je trouve les théories sur le sujet difficilement réfutables, et donc difficilement évaluables.

 

Si les progressistes sont dans les années 50 assez séduits par le consensus lockéen sur les institutions, cela ne les empêchent pas de critiquer la république fédérale. Ici l'autre grande référence est marxiste, puisqu'il s'agit des écrits de Charles Beard, en particulier son interprétation économique de la constitution : là, nous touchons à un autre grand récit de l'historiographie progressiste US.

 

En gros, l'histoire US se divise en deux moments : la guerre d'indépendance, qui voit le triomphe de la démocratie et de l'égalité, et l'adoption de la convention fédérale à la convention de Philadelphie, moment conservateur où les élites de la Nouvelle Angleterre et de la côte Est vont s'accaparer le pouvoir pour assurer leurs intérêts commerciaux au détriment du reste de la population.

 

Dans cette mythologie alimentée par Beard, les discussions au moment de la convention de Philadelphie, et la discussion autour du fédéralisme ont opposé des intérêts de classes : d'un côté les petits propriétaires terriens, les petits Etats et les "provinciaux", de l'autre le nord industriel, les grandes familles bourgeoises, cultivées et urbaines. 

 

Du coup, on comprend mieux pourquoi une certaine gauche peut être hostile au fédéralisme et pour le droit des Etats (Et en quoi Arendt peut parler à certains moments comme B Goldwater :))

 

- Sur Fukuyama : je trouve l'auteur assez injustement sous-estimé en France. Fukuyama est l'auteur de plusieurs essais très brillants que je recommande vivement. Certes, il est social-libéral (comme I Kristol, du genre à dire two cheers for capitalism), partisan d'un Etat fort, ex neocon et progressiste au sens décrit par C Lasch, mais il y a au moins trois de ses livres (relativement) récents que je retiens : La fin de l'homme : les conséquences de la révolution biotechnique et les deux tomes écrits sur les origines de l'ordre politique (ouvrage dense, documenté et passionnant sur la corruption ou les questions de l'ordre politique et de la nature humaine). S'il n'est pas vraiment libéral et très hostile au libertarianisme, ses meilleurs ouvrages sont de vraies incitations à la réflexion (je reconnais qu'il a aussi fait des merdes, comme Le grand bouleversement).

 

 

Posté

Vous remarquerez que le sens de l'histoire c'est un truc de philosophes, pas d'historiens.

  • Yea 1
Posté

"Une ligne facile à reconnaître conduit de la conception mystique du devoir de Kantet de l'idolâtrie de l'État de Hegel à la pensée socialiste. » -Ludwig von Mises, Le Socialisme, 1922."

 

Moui enfin on retrouve aussi derrière toute la réflexion marxiste l'influence de l'économie politique, école de Paris comprise, ce qui ne fait pas nécessairement de ses prédécesseurs des marxistes. C'est un argument qui tient un peu de la sophistique, non ? 

 

Que le kantisme ne parle pas le langage lockien du droit naturel c'est un fait, mais Kant admire la révolution française, et pour lui, le républicanisme est une idée pure de la raison : la question fondamentale demeure la soumission à la loi. Alors que pour Locke, on choisit le gouvernement civil par intérêt (et donc en est en droit de le répudier s'il viole les intérêts des individus qui ont institué l'arbitrage gouvernemental), pour Kant l'institution de la république est à l'image de sa morale reposant sur l'autonomie de la volonté : c'est un devoir, un diktat de la raison. Le contrat originaire produit un gouvernement représentatif, même s'il n'a pas effectivement de droit de résistance, ce qui du point de vue kantien est totalement logique (admettre ce droit signifierait l'admission d'une contradiction interne incompatible avec sa prétention à l'idéalité rationnelle).

 

@Dardanus : hélas non :P  https://en.wikipedia.org/wiki/Whig_history

Posté

Moui enfin on retrouve aussi derrière toute la réflexion marxiste l'influence de l'économie politique, école de Paris comprise.

Pour ce que j'en sais, Marx rejette les économistes français (en particulier Condillac) qu'il juge bien inférieurs aux britanniques. Il méprisait également souverainement Bastiat. Je ne pense donc pas que l'École de Paris ai joué une quelconque influence sur lui, si ce n'est pas différenciation.

 

Ce qui ne fait pas nécessairement de ses prédécesseurs des marxistes.

Pour les marxistes, Marx a "dépassé" l'économie politique "bourgeoise", Smith et Ricardo sont donc en ce sens ses prédécesseurs. La bonne question pour savoir s'ils sont vraiment les prédécesseurs de l'économie marxiste n'est pas tant de savoir s'ils en auraient désapprouvé les conclusions politiques (ce qui est certainement le cas), mais plutôt de savoir s'il est possible de critiquer le marxisme sur la seule base de l'économie politique classique. Je pense que ça n'est pas évident de critiquer la théorie de Marx en restant dans le cadre de la valeur-travail. Ce n'est pas un hasard si le marginalisme s'est développé historiquement en réaction au marxisme.

 

C'est un argument qui tient un peu de la sophistique, non ?

Mises ne développe hélas pas trop son rapport à Kant, c'est donc moins un argument qu'un jugement de valeur. Néanmoins, son intuition cadre bien avec le fait que les néo-kantiens allemands de l'École de Marbourg acceptaient le socialisme: « L'idée que l'humanité a le privilège de devoir être traitée comme une fin conduit à l'idée du socialisme, du fait que tout homme doit être défini comme une fin dernière, comme une fin en soi. » -Hermann Cohen, Ethik des reinen Willens, Berlin, 1904.

Posté

Pour ce que j'en sais, Marx rejette les économistes français (en particulier Condillac) qu'il juge bien inférieurs aux britanniques. Il méprisait également souverainement Bastiat. Je ne pense donc pas que l'École de Paris ai joué une quelconque influence sur lui, si ce n'est pas différenciation.

 

Pour les marxistes, Marx a "dépassé" l'économie politique "bourgeoise", Smith et Ricardo sont donc en ce sens ses prédécesseurs. La bonne question pour savoir s'ils sont vraiment les prédécesseurs de l'économie marxiste n'est pas tant de savoir s'ils en auraient désapprouvé les conclusions politiques (ce qui est certainement le cas), mais plutôt de savoir s'il est possible de critiquer le marxisme sur la seule base de l'économie politique classique. Je pense que ça n'est pas évident de critiquer la théorie de Marx en restant dans le cadre de la valeur-travail. Ce n'est pas un hasard si le marginalisme s'est développé historiquement en réaction au marxisme.

 

Mises ne développe hélas pas trop son rapport à Kant, c'est donc moins un argument qu'un jugement de valeur. Néanmoins, son intuition cadre bien avec le fait que les néo-kantiens allemands de l'École de Marbourg acceptaient le socialisme: « L'idée que l'humanité a le privilège de devoir être traitée comme une fin conduit à l'idée du socialisme, du fait que tout homme doit être défini comme une fin dernière, comme une fin en soi. » -Hermann Cohen, Ethik des reinen Willens, Berlin, 1904.

 

Sur le premier point : Marx prétend effectivement accomplir l'économie politique, mais un certain nombre de concepts qu'il utilise vient directement des économistes français, comme par exemple, la lutte des classes. Sur le sujet, le livre de M. Leter est assez éclairant, on y apprend que la dette de Marx à l'endroit des Français est immense. Là encore, mon propos est simplement de dire que ce n'est pas parce qu'on réclame d'un auteur qu'on en monopolise le sens ou l'interprétation (heureusement!).

 

Sur le second point : oui

 

Sur le troisième point : Mises trouve Kant derrière le marxisme, certains Joachim de Flore ou Croce, Strauss y voit une synthèse entre Platon et Hegel... Le propos de Mises me semble un peu rapide (et j'ai un peu envie de dire look who's talking !) Le néo-kantisme allemand donne l'école de Marbourg... mais aussi Hans Kelsen, le kronjurist (si j'ose dire) de la république de Weimar, qui est un peu le prototype de libéralisme kantien (pas spécialement fun, je te l'accorde).  

Posté

J'ai fini par regarder la video, c'est pas si mal. Je vois ça plutôt comme un outil destiné à démonter la propagande des démocrates sur le "mauvais côté de l'histoire" the wrong side of history" qui doit désigner aussi bien les dictateurs, que les opposants au mariage gay. 

La formule me semble un assez bon mantra dans un discours politique. Je la rapprocherais de la citation qui dit que l'histoire est écrite par les vainqueurs. Cette dernière citation ferait que le sens de l'histoire est dans la force, la puissance, celle d'Obama, dans la justice.

De mon point de vue, le sens de l'histoire existe nécessairement lorsqu'un certain nombre d'individus y croient, ce n'est peut être pas très clair, mais si nous sommes des millions à être persuadés qu'un événement va arriver, cela va influencer le cours de l'histoire dans un certain sens sans nécessité que cet événement arrive.

Posté

s'il y a bien un truc dont mes études en Histoire m'ont convaincues, c'est que l'Histoire n'a aucun sens (en plus de ne pas être une science).

 

PS: cette phrase est dure à écrire, y'a probablement des fautes.

  • Yea 3
Posté

*Convaincu

Sauf si vous êtes plusieurs filles dans ta tête (auquel cas, tu m'invites ?).

non

 

règle à la con inexpliquable de l'auxiliaire avoir avec participe et nom dans le désordre

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