(V) Posté 22 juin 2006 Signaler Posté 22 juin 2006 L’ouvrage de René Guénon La crise du monde moderne a quelques fois été évoqué sur ce forum ; en voici une petite lecture, centrée notamment sur le chapitre II, (d’où sont tirées pratiquement toutes les citations) : René Guénon, La Crise du monde moderne Chapitre II : L'opposition de l'Orient et de l'Occident Dans La crise du monde moderne, René Guénon pose la question des rapports entre les civilisations occidentale et orientale. Il en ressort un double problème, de l’Occident avec l’Orient et de l’Occident avec lui-même : la modernité, qui caractérise l’Occident, est à la fois crise interne de notre civilisation, et, en tant que rejet de la tradition, crise externe dans nos rapports avec la civilisation orientale qui elle est restée dans la tradition. La « tradition » est ici entendue dans un sens particulier. René Guénon prévient : « Dans la confusion mentale qui caractérise notre époque, on en est arrivé à appliquer indistinctement ce mot de « tradition » à toutes sortes de choses, souvent fort insignifiantes, comme de simples coutumes sans aucune portée et parfois d’origine toute récente… » (p.55) Rien à voir, donc, avec la conception commune qui vise à amalgamer la tradition à certaines coutumes ou certains folklores, voire aux seules représentations en costumes dits traditionnels. Dans le langage courant, aujourd’hui, on observe en effet que le terme de tradition renvoie souvent, par exemple, au folklore des régions françaises : or, que ce soit bien clair, en ce qui concerne ces folklores régionaux, la plupart ne datent pas d’avant Napoléon et expriment un mode d’organisation militaire qui n’a rien à voir avec la célébration d’un principe plus profond ou supérieur. Cet amalgame est une dérive du langage moderne, révélateur selon l’auteur de la crise de la civilisation occidentale où l’on en vient à dire tout et n’importe quoi. Pour René Guénon, la tradition est au-delà des simples pratiques rituelles ou attitudes cultuelles : elle est le véritable esprit religieux, celui qui inscrit chacun de nos actes dans une signification métaphysique au sens propre du terme. La solution que propose René Guénon pour remédier à la crise de l’Occident est-elle alors un retour à la religion ? Là encore attention. René Guénon s’attaque également aux tentatives de réhabilitation de la religion qui s’attachent davantage à la forme qu’au fond véritable. Remplir de nouveau les rangs de l’Eglise ou faire appliquer politiquement les principes bibliques n’a pas de sens, précisément si la société n’a plus le sens de l’idée du divin. René Guénon s’attaque donc à toutes les pseudo-traditions (ou pseudo-religions) pensées comme une forme de repli ou de rempart face aux autres systèmes traditionnels et à l’Orient en général, et dénonce notamment dans cette veine le dévoiement du Christianisme. Il rejette ces idées de restauration d’une « tradition occidentale », qui sont en réalité « presque toujours conçues dans un esprit d’hostilité plus ou moins avoué vis-à-vis de l’Orient. » Il fait remarquer que « ceux mêmes qui voudraient s’appuyer sur le Christianisme sont parfois, il faut bien le dire, animés de cet esprit ; ils semblent chercher avant tout à découvrir des oppositions qui, en réalité, sont parfaitement inexistantes… » (p.54) On observe en effet que la résurgence de la religion catholique telle qu’impulsé par une grande part des néo-conservateurs (américains ou européens atlantistes) est envisagée dans une large comme une réponse à l’islam, ou en tout cas se conjugue clairement avec des discours justifiant la guerre contre les peuples musulmans. Catholique signifie universel, et un retour au véritable esprit catholique conduirait donc à réunir toutes les parties du monde, soit à renouer les liens avec l’Orient - plutôt que de s’en préserver - : « … Si l’on suppose que l’Occident, d’une façon quelconque, revienne à sa tradition, son opposition avec l’Orient se trouverait par là même résolue et cesserait d’exister, puisqu’elle n’a pris naissance que du fait de la déviation occidentale, et qu’elle n’est en réalité que l’opposition de l’esprit traditionnel et de l’esprit antitraditionnel. » (p.57) René Guénon avance ici une thèse qui surprendra donc tous les esprits belliqueux tant attachés à l’héritage religieux que doit préserver l’Europe dans la constitution de son identité : revenir aux principes fondateurs de notre civilisation, revenir à la tradition la plus pure, ce n’est pas affirmer la distinction voire l’opposition ou la contradiction de notre identité face à celles des autres, mais au contraire retrouver ce que nous avons de commun avec celles-là même au plus profond des fondations de nos civilisations respectives. D’une certaine manière, le retour à la véritable tradition, donc à l’origine de notre identité, conduit à l’opposé du repli identitaire promu par toute une frange de l’idéologie conservatrice de droite. Il est une nouvelle ouverture au monde, et même réintégration de ce monde, tout contre une forme d’isolation ou de protection. Et à ceux qui prétendent que les conflits entre Orient et Occident sont engagés par certains peuples orientaux pour justifier le repli des occidentaux sur eux-mêmes, René Guénon répond : « Déclarons-le très nettement : l’esprit moderne étant chose purement occidentale, ceux qui en sont affectés, même s’ils sont des Orientaux de naissance, doivent être considérés, sous le rapport de la mentalité, comme des Occidentaux, car toute idée orientale leur est entièrement étrangére, et leur ignorance à l’égard des doctrines traditionnelles est la seule excuse de leur hostilité. Ce qui peut sembler assez singulier et même contradictoire, c’est que ces mêmes hommes, qui se font les auxiliaires de l’« occidentalisme » au point de vue intellectuel, ou plus exactement contre toute véritable intellectualité, apparaissent parfois comme ses adversaires dans le domaine politique ; et pourtant, au fond, il n’y a là rien dont on doive s’étonner. Ce sont eux qui s’efforcent d’instituer en Orient des « nationalismes » divers, et tout « nationalisme » est nécessairement opposé à l’esprit traditionnel ; s’ils veulent combattre la domination étrangère, c’est par les méthodes mêmes de l’Occident, de la même façon que les divers peuples occidentaux luttent entre eux ; et peut-être est-ce là ce qui fait leur raison d’être. En effet, si les choses en sont arrivées à un tel point que l’emploi de semblables méthodes soit devenu inévitable, leur mise en œuvre ne peut être que le fait d’éléments ayant rompu toute attache avec la tradition ; il se peut donc que ces éléments soient utilisés ainsi transitoirement, et ensuite éliminés comme les Occidentaux eux-mêmes. Il serait d’ailleurs assez logique que les idées que ceux-ci ont répandues se retournent contre eux, car elles ne peuvent être que des facteurs de division et de ruine ; c’est par là que la civilisation moderne périra d’une façon ou d’une autre ; peu importe que ce soit par l’effet des dissensions entre les Occidentaux, dissensions entre nations ou entre classes sociales, ou, comme certains le prétendent, par les attaques des Orientaux « occidentalisés », ou encore à la suite d’un cataclysme provoqué par les « progrès de la science » ; dans tous les cas, le monde occidentale ne court de dangers que par sa propre faute et par ce qui sort de lui-même.» (p. 171 – chap. VIII : L’envahissement occidental). La tradition que nous avons perdue, c’est la véritable attitude métaphysique, la reconnaissance du divin ou d’un principe supérieur. Ce qui détruit notre monde, c’est la prédominance de l’athéisme, cette négation de l’idée de dieu, qui se révèle négation de la pensée elle-même. La non-pensée athée s’est répandue dans le courant de la révolution française, où, contre le cléricalisme et l’absolutisme de droit divin il était de bon ton de se présenter comme un non-croyant quand on s’occupait d’affaires politiques. Cette non-pensée a été jusqu’à être institutionnalisée, à travers la laïcité, qui se révèle en réalité être une forme de laïcisme condamnant les aspirations religieuses de toute confession plus que permettant la libre expression de leur diversité et de leurs différences. Nier la vérité divine n’a en fait conduit qu’à lui substituer une vérité historique ou politique. Le postulat démocratique et la notion de république ont fait revenir la source du pouvoir sur terre, permettant le développement d’un absolutisme politique plus subtil et beaucoup plus difficile à dénoncer. Par ailleurs, cette soustraction de notre monde à ce qui lui est au-delà, sa limitation à la « matière », nous a confronté à deux problèmes, reflets l’un de l’autre à travers leur paradigme respectif de la tradition et de la modernité : la non-reconnaissance du principe supérieur nous empêche à la fois l’entente avec les civilisations traditionnels, et la possibilité de répartie face aux fondamentalistes. Révélateur, le fait que les pires ennemis des islamistes ne sont non pas les réactionnaires de la droite chrétienne ou les défenseurs d’une tradition « catholique » européenne, mais par-dessus tous les athées, d’où qu’ils viennent, incarnant le mal absolu. Nous ne pouvons dénoncer la trahison de la vérité divine chez les fondamentalistes pour les combattre, puisque nous ne reconnaissons même pas cette vérité. Nous sommes sur deux terrains distincts, l’un se plaçant sur un étage supérieur à l’autre. Et c’est pourquoi nous ne pouvons pas même engager le dialogue avec ceux qui y sont pourtant ouverts, mais qui sont pas au même étage que nous. En prétendant nous élever à la Raison, et en condamnant l’idée de dieu, nous nous sommes en fait rabaissés à un état d’où il ne nous est plus possible de maintenir l’entente avec ceux qui sont resté « là-haut ». Sans nier les différences de forme naturelles entre les civilisations, René Guénon pointe du doigt ce qui distingue fondamentalement l’Occident de l’Orient : « … Une civilisation qui ne reconnaît aucun principe supérieur, qui n’est même fondée en réalité que sur une négation des principes, est par là même dépourvue de tout moyen d’entente avec les autres, car cette entente, pour être vraiment et efficace, ne peut s’établir que par en haut… » (p.44) D’une certaine manière, malgré toutes les différences de nos civilisations, pour expliquer l’idée de René Guénon d’une façon imagée, nous nous affirmons, par la reconnaissance d’un principe supérieur, comme la base d’une même pyramide ; par contre, en nous détournant du sommet, voire en prétendant l’ôter, nous nous désolidarisons par là même de la base. La thèse de René Guénon mériterait donc qu’on lui porte plus d’attention, à une époque où l’on ose soit rejeter notre héritage religieux comme on coupe la branche sur laquelle on est assis, soit revendiquer cet héritage en le travestissant. La domination de l’athéisme nous détruit, tout comme la réhabilitation d’une religion sans son véritable esprit, en nous engageant dans des conflits dont nous n’avons plus les clefs pour les résoudre.
Dilbert Posté 22 juin 2006 Signaler Posté 22 juin 2006 "La domination de l’athéisme", ça fait sourire aujourd'hui - où est-elle ? (c'était davantage vrai à l'époque où il a écrit La Crise du Monde Moderne)… Et le lien étroit que fait Guénon entre "tradition" (voire "Tradition", chez lui) et métaphysique est à mon avis erroné. En tous cas ça lui permet de rejeter le "monde moderne" en bloc, car celui-ci aurait perdu de vue la tradition. Et pour moi l'irréductible différence n'est pas entre Orient et Occident, comme il l'affirme, mais entre monothéisme et rationalité.
Boz Posté 22 juin 2006 Signaler Posté 22 juin 2006 Et pour moi l'irréductible différence n'est pas entre Orient et Occident, comme il l'affirme, mais entre monothéisme et rationalité. Sans aller jusque là, il faut reconnaître que tout cela n'a pas l'air très argumenté…
Patrick Smets Posté 23 juin 2006 Signaler Posté 23 juin 2006 Sans aller jusque là, il faut reconnaître que tout cela n'a pas l'air très argumenté… C'est le moins qu'on puisse dire. Mais Guénon semble récuser la notion d'argumentation basée sur l'observation de faits, parce que puisant ses références dans le monde sensible, celle-ci est justement contraire à son optique. Il explique même que le commencement de la déchéance, c'est l'invention de la philosophie à Athènes. Difficile de dialoguer avec quelqu'un qui est aussi loin de nos schémas de pensée actuels. Mais sa lecture peut avoir un effet rafraichissant, justement parce qu'il met en évidence des éléments culturels que nous avons tellement intégrés que nous ne les percevons plus. Je conseille plus spécialement la lecture du chapitre sur 'le chaos social", beaucoup d'entre nous s'y retrouverons. Personnellement, ce que je conserve de Guénon, c'est la mise en évidence (peut-être un peu trop radicale à mon gout) de la nécessaire définition d'un principe supérieur sur lequel basé la vie sociale si on veut éviter de verser dans le matérialisme le plus primaire.
h16 Posté 23 juin 2006 Signaler Posté 23 juin 2006 C'est le moins qu'on puisse dire. Mais Guénon semble récuser la notion d'argumentation basée sur l'observation de faits, parce que puisant ses références dans le monde sensible, celle-ci est justement contraire à son optique. Slurp. Argument qu'on ressortira habilement dans certains fils d'autres fora agités de soubresauts idiots.
Saragator Posté 23 juin 2006 Signaler Posté 23 juin 2006 Et pour moi l'irréductible différence n'est pas entre Orient et Occident, comme il l'affirme, mais entre monothéisme et rationalité. Tu veux dire entre "religieux" et "rationnel" ?
Dilbert Posté 23 juin 2006 Signaler Posté 23 juin 2006 Tu veux dire entre "religieux" et "rationnel" ? Oui, encore qu'il y ait des religions non irrationnelles.
WALDGANGER Posté 23 juin 2006 Signaler Posté 23 juin 2006 Oui, encore qu'il y ait des religions non irrationnelles. l'objectivisme ??
Invité jabial Posté 24 juin 2006 Signaler Posté 24 juin 2006 l'objectivisme ?? C'est une philosophie, pas une religion. Le randisme, par contre…
Dardanus Posté 24 juin 2006 Signaler Posté 24 juin 2006 Cela laisse rêveur. Le fantasme tient lieu de réflexion. Peu importent les faits, seule ma vision importe. Toute critique est donc futile. Croyez et le monde sera sauvé. L'Orient, si j'ai bien compris, c'est le Non-Occident ou le Paradis Perdu.
Patrick Smets Posté 24 juin 2006 Signaler Posté 24 juin 2006 Le fantasme tient lieu de réflexion Je n'irais pas jusque là, mais c'est assez troublant de tomber sur un auteur pour qui le mythe de l'atlantide est plus proche de la vérité que la physique ou la biologie…. En tout cas, ca vaut la peine d'être lu. Le fantasme tient lieu de réflexion Je n'irais pas jusque là, mais c'est assez troublant de tomber sur un auteur pour qui le mythe de l'atlantide est plus proche de la vérité que la physique ou la biologie…. En tout cas, ca vaut la peine d'être lu.
John Loque Posté 24 juin 2006 Signaler Posté 24 juin 2006 C'est une philosophie, pas une religion. Le randisme, par contre…
Fredo Posté 24 juin 2006 Signaler Posté 24 juin 2006 Ceci dit Guénon a au moins le mérite de susciter des réflexions décapantes au sein même de l'univers confus où l'on mélange New Age, occultisme et ésotérisme. Finalement, n'est-ce pas allusion à l'idée de Tradition Primordiale qu'il fait dans ce chapitre ? Pour ma part j'y verrai plutôt une parabole de la "Parole perdue".
Boz Posté 25 juin 2006 Signaler Posté 25 juin 2006 Ceci dit Guénon a au moins le mérite de susciter des réflexions décapantes au sein même de l'univers confus où l'on mélange New Age, occultisme et ésotérisme. Finalement, n'est-ce pas allusion à l'idée de Tradition Primordiale qu'il fait dans ce chapitre ? Pour ma part j'y verrai plutôt une parabole de la "Parole perdue". Pourrais-tu préciser ce que tu entends par la "Parole perdue" ?
Bonono² Posté 6 juillet 2006 Signaler Posté 6 juillet 2006 Ce que présuppose Guénon, c'est une certaine supériorité psychique à croire, à avoir la foi et des certitudes. Le doute peut être assimilé à une faiblesse psychologique, auxquel on pourrait rattacher à l'emporte-pièce l'athéisme. On assiste plutôt à une radicalisation de la tradition orientale, redéfinie régulièrement dans un espace changeant, alors que l'occident s'efforce de rejeter de façon schizophrène tout ce qui commence à vieillir. Perso, je crois plutôt que l'Islam est en phase de crise avec l'enseignement de son livre saint, deuil que l'Occident a déjà fait, pour des écrits plus anciens il est vrai.
melodius Posté 21 juillet 2006 Signaler Posté 21 juillet 2006 C'est le moins qu'on puisse dire. Mais Guénon semble récuser la notion d'argumentation basée sur l'observation de faits, parce que puisant ses références dans le monde sensible, celle-ci est justement contraire à son optique. Il explique même que le commencement de la déchéance, c'est l'invention de la philosophie à Athènes. Difficile de dialoguer avec quelqu'un qui est aussi loin de nos schémas de pensée actuels. Mais sa lecture peut avoir un effet rafraichissant, justement parce qu'il met en évidence des éléments culturels que nous avons tellement intégrés que nous ne les percevons plus.Je conseille plus spécialement la lecture du chapitre sur 'le chaos social", beaucoup d'entre nous s'y retrouverons. Personnellement, ce que je conserve de Guénon, c'est la mise en évidence (peut-être un peu trop radicale à mon gout) de la nécessaire définition d'un principe supérieur sur lequel basé la vie sociale si on veut éviter de verser dans le matérialisme le plus primaire. +1 Dilbert ne semble par ailleurs pas s'apercevoir que la critique traditionnaliste du monothéisme est précisément qu'il introduit la modernité et le rationalisme, et si pour ma part j'estime que c'est une évolution en soi positive, je reconnais que cette remarque est totalement fondée. Opposer monothéisme et rationnalisme est par ailleurs, d'un strict point de vue d'histoire des idées, un total non-sens. Quant à la victoire de l'athéisme, il suffit de compter le nombre d'assistants à un office le dimanche matin pour s'apercevoir que notre époque l'a parachevée. Le simple fait d'oser s'affirmer croire en une vérité religieuse dans la sphère publique est déjà un scandale pour bon nombre de nos contemporains. De toute manière, Guénon n'est pas un penseur politique, et c'est tant mieux quand on a lu Evola…
younglib Posté 21 juillet 2006 Signaler Posté 21 juillet 2006 Opposer monothéisme et rationnalisme est par ailleurs, d'un strict point de vue d'histoire des idées, un total non-sens. En effet c'est clair.
Dilbert Posté 21 juillet 2006 Signaler Posté 21 juillet 2006 Quant à la victoire de l'athéisme, il suffit de compter le nombre d'assistants à un office le dimanche matin pour s'apercevoir que notre époque l'a parachevée. Le simple fait d'oser s'affirmer croire en une vérité religieuse dans la sphère publique est déjà un scandale pour bon nombre de nos contemporains. L'athéisme n'a rien à voir avec la pratique religieuse (ou l'absence de pratique religieuse). D'ailleurs les sondages du type "êtes-vous croyant ?" donnent toujours des majorités de croyants, ça ne veut pas dire qu'ils aillent à l'office le dimanche, ou le samedi, ou le vendredi (rayer la mention inutile). On doit bien reconnaître la victoire du théisme (et particulièrement du mono-théisme). L'athéisme est un scandale dans bon nombre de sociétés. Les athées sont une infime minorité, et parmi eux, comme partout ailleurs, il y a des fous et il y a des sages - mais c'est un autre sujet.
Domi Posté 21 juillet 2006 Signaler Posté 21 juillet 2006 L'athéisme relatif de nos sociétés est peut-être un problème et il est légitime de s'interroger dessus. Mais la thèse de Guénon est absurde: l'accord sur l'existence d'un principe divin n'a historiquement pas empéché les guerres. En l'occurence le fanatisme religieux me parait plus responsable que le fanatisme athée (qui a aussi son histoire jalonnée de crime). la justification de guénon est que l'athéisme perturbe les fanatiques et qu'il est donc logique qu'ils réagissent.
phantom_opera Posté 21 juillet 2006 Signaler Posté 21 juillet 2006 EDIT: En faisant une recherche sur le web pour savoir qui est Guenon, je me suis rendu compte que c'était un intellectuel du début du XXe siècle (je pensais que c'était un mec d'aujourd'hui), j'ai dû retaper un peu mon post… J'ai lu avec attention la grosse citation du premier post. J'ai trouvé la thèse de Guenon sur la modernité vraiment très intéressante! Il fait apparemment parti de ces déclinologues "anti-post-moderne" dont je ne partage pas du tout le point de vue (ou plutôt dont je ne veux pas partager), mais que je trouve tout le temps très intéressant intellectuellement parlant! Apparemment, il en veut beaucoup à tous ces "despotes éclairés" qui ont fait table-rase de la "tradition" (socialistes, positivistes, libéraux, républicanistes ou encore nationalistes), c'est un débat qui sent quand même le soufre chez les intellectuels! J'ai trouvé sa démarche intellectuelle vraiment ethnocentrique, avec une pointe de "racisme civilisationnelle" insupportable. D'après lui, l'Oriental (sans doute l'Allemand d'après le contexte) qui en quelque sorte s'approprie les armes de l'Occidental se bâtardise et en devient une menace pour l'Occident tout entier. Si on prend le cas allemand, l'émergence de la nation allemande qui semblait être une réaction à la Révolution française et une revanche de la tradition sur la modernité, est en fait selon Guenon, une réaction moderne sur la modernité, l'Allemand aurait piqué des éléments révolutionnaires pour protéger ses traditions, la modernité serait donc un espèce de virus à la con inhérant à l'Occident. Justement, je crois que la contradiction est un des moteurs de l'Occident, la démocratie elle-même est en quelque sorte une "machine" à contradictions, et si la machine occidentale arrive quand même à fonctionner, c'est parce que la tolérance y règne. Etre occidental, c'est avant tout être tolérant et non, contrairement aux propos de Guenon, vivre dans un "néo-paganisme" ambiant. Pour moi l'Occident est un peu l'image de la République galactique dans Star Wars, alors que nos héros vivent dans un monde révolutionnaire asceptisé dominé par la science, on y trouve cependant des planètes appartenant à la République où se perpétuent des traditions plus ou moins exotiques et ces planètes font partie cependant d'une seule et même fédération. L'Occident est justement remarquable car il est tout et rien, et c'est justement ça qui fait sa force. Il faut bien l'avouer, l'Orient pur n'existera plus et tendra à disparaître, et franchement on ne va pas en pleurer…
Dilbert Posté 22 juillet 2006 Signaler Posté 22 juillet 2006 Là où je suis d'accord avec Guénon, et là je suis un pur guénonien, c'est sur la perte du "sens métaphysique" en Occident. Mais il ne faudrait pas l'assimiler à l'athéisme (et je doute que Guénon pratique cet amalgame), ni confondre le métaphysique et le divin, confusion que ne pratique pas l'Orient. C'est pour ça que les commentaires de Valentin sont malavisés et trop "occidentaux". La différence majeure entre Orient et Occident du point de vue métaphysique (si je peux en parler, étant un peu des deux côtés de la barrière), c'est que l'Occident est irréductiblement dualiste : il y a toujours opposition entre Dieu et sa créature, on ne conçoit pas que le "principe supérieur" dont parle Guénon ne soit en fait pas différent de nous, de la façon la plus immanente et a-duale qui soit.
phantom_opera Posté 22 juillet 2006 Signaler Posté 22 juillet 2006 Je pense qu'on s'embrouillera toujours sur le terme d'Occident car il est polysémique. C'est ça qui m'énerve le plus chez les intellos, des fois on a l'impression qu'ils sont grandioses alors qu'ils ne font que gratter du papier… Pour moi, l'Occident est étroitement lié à l'individualisme grec et au libéralisme, et dans ce sens, quelque part, des pays comme l'Allemagne ou la Suède ne font pas complètement partie de la civilisation occidentale.
Domi Posté 22 juillet 2006 Signaler Posté 22 juillet 2006 Sur le coup de l'allemagne, je n'y avais pas pensé et j'ai tout de suite pensé Islam. Guénon ne s'est-il pas converti à l'islam?
phantom_opera Posté 22 juillet 2006 Signaler Posté 22 juillet 2006 Oui moi aussi j'ai un peu pensé à l'Islam sur le coup, mais après voir lu la fiche de Guenon et tenter de me mettre dans le contexte, je pense qu'il devait soit penser à la décolonisation, soit à l'Allemagne. Pour l'Allemagne, c'est un exemple récurrent du dilemne modernité/tradition, Finkielkraut a fait la synthèse de tous les intellectuels sur la questions dans "La défaite de la pensée", c'est pour ça que j'y ai pensé. De toute façon ça n'a pas d'importance, les problèmes d'aujourd'hui ressemblent un peu à ceux d'hier malheureusement…
Dardanus Posté 22 juillet 2006 Signaler Posté 22 juillet 2006 D'où sort cette identification Allemagne-Orient ? Je n'ai jamais rien lu de tel nulle part. Guenon le dit-il expressément ou est-ce une interprétation personnelle ? Il y a souvent une identification entre la Russie et l'Asie (et non l'Orient) : le despotisme asiatique, etc. Mais c'est la première fois que je lis une chose aussi abracadabrantesque. Kant et Goethe sont des écrivains orientaux ? Mozart et Beethoven des musiciens orientaux ? L'orient est toujours utilisé comme un anti-Occident (Orient fantasmé car on ne voit guère ce qu'il y a de commun entre des aires de civilisations comme le monde arabo-musulman, l'aire indienne, le monde chinois par exemple) mais je ne savais pas que sa frontière se trouvait sur les bords du Rhin : cela laisse peu d'espace à l'Occident.
Domi Posté 22 juillet 2006 Signaler Posté 22 juillet 2006 D'où sort cette identification Allemagne-Orient ? Je n'ai jamais rien lu de tel nulle part. Guenon le dit-il expressément ou est-ce une interprétation personnelle ?Il y a souvent une identification entre la Russie et l'Asie (et non l'Orient) : le despotisme asiatique, etc. Mais c'est la première fois que je lis une chose aussi abracadabrantesque. Kant et Goethe sont des écrivains orientaux ? Mozart et Beethoven des musiciens orientaux ? L'orient est toujours utilisé comme un anti-Occident (Orient fantasmé car on ne voit guère ce qu'il y a de commun entre des aires de civilisations comme le monde arabo-musulman, l'aire indienne, le monde chinois par exemple) mais je ne savais pas que sa frontière se trouvait sur les bords du Rhin : cela laisse peu d'espace à l'Occident. Il serait intéressant de savoir ce qu'est l'orient pour un occidental. Comme vous venez de le montrer c'est avant tout, tout ce qui n'est pas lui, regroupé artificiellement. ce serait aussi: - le pouvoir arbitraire et tyrannique d'un monarque tout puissant ( Montesquieu), - la cruauté ( monde arabo-musulman, mais aussi supplices chinois) - des civilisations plus anciennes que l'occident lui-même et dont il est né. Enfin, c'est une ère géographique extrémement large: - monde arabo-musulman qui permet de jeter un regard vers l'est (moyen-orient) mais aussi vers le sud (afrique du nord), - Inde et chine, - asie du nord, russie. Dans les orientales de Victor Hugo, il était surtout question du monde arabo-musulman qu'il étendait jusqu'à l'espagne, par exemple. Je suis un peu hors-sujet, il est vrai. -
phantom_opera Posté 22 juillet 2006 Signaler Posté 22 juillet 2006 Salut Dardanus! Il s'agit de l'Orient dans le sens d'une opposition à l'Occident, c'est évidemment ce qui est sous-entendu dans mes posts. Comme je l'ai dit plus haut, les termes étant polysémiques, c'est le genre de débat qui peut se prolonger pendant des heures, sans doute les intellectuels aiment ça, mais moi non. Le choix du problème allemand n'était qu'un choix parmi d'autres pour expliquer, ça n'a pas d'importance. Considérer l'Allemagne comme un pays de l'Orient est un peu choc, mais on ne fait que souligner que ce pays ne fait pas vraiment partie de l'Occident. Hayek le souligne très bien dans la route de la servitude, si on définit l'Occident comme étant une civilisation de l'individualisme grec dominé par un libéralisme, cet Occident là a dominé le XIXe siècle et s'est étendu d'ouest en est, mais vers 1870 (date choisie par Hayek), l'Occident a eu un retour de boomrang d'est en ouest avec la progression des idées socialistes, et la frontière de l'Occident a donc été repoussé jusqu'au Rhin. L'Allemagne n'est pas un Etat occidental pour Hayek, et je partage complètement son avis, car c'est un pays qui a de manière durable assimilé le virus socialiste. Mais il est vrai que l'Allemagne a su s'ancrer dans l'Occident après la WW2… La France certes souffre aussi du socialisme, mais à la différence de l'Allemagne, les Français ont su malgré tout conserver une part d'individualisme en eux. On a certes beaucoup de mouvements sociaux en France, mais en général c'est avant tout pour protéger des privilèges un peu par égoïsme criminel plus que par "intérêt général". Si je voulais être un peu provoc, je dirais que je préfère nettement le gros bordel français avec toutes ces petites injustices par-ci par-là que des Etats de merde comme l'Allemagne ou les Etats scandinaves où tout est réglé comme une horloge suisse, sorte de paradis "post-historique" à la con. Si il fallait voir les côtés positifs de certains mouvements sociaux coup de poing, ou des fraudes au RMI par exemple, je dirais que c'est en quelque sorte des actes individuels de résistance face à un Etat qui pense avoir le droit de nous gouverner. Les Français sont des occidentaux et doivent l'assumer politiquement, c'est tout ce que je souhaite…
Dilbert Posté 22 juillet 2006 Signaler Posté 22 juillet 2006 Il y a un certain mysticisme dans la philosophie allemande qui en fait presque une excroissance orientale (pensez aux mystiques rhénans, à Schopenhauer, et à beaucoup d'autres philosophes - tels que Hegel - qui offrent en fait une "philosophie révélée"). Mises disait : "Pour eux la base de la morale est l'intuition. Une voix mystique dans son âme fait savoir à l'homme ce qui est vrai et ce qui est faux. (…) Une certaine entité mystique ordonne à l'homme de se conduire d'une façon morale, c'est-à-dire de renoncer à son égoïsme au bénéfice d'un être plus élevé, plus noble et plus puissant, la société."
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