Aller au contenu

Libéralisme et probité


Messages recommandés

Posté

Bonjour à tous,

J'arpentais lascivement les couloirs du net quand je mis soudain la main sur un article qui m'a quelque peu perturbé.

Je ne viens bien entendu pas me lancer dans d'éternels débats idéologiques ou contredire qui que ce soit car mes idées

connaissent une orientation propre à ce forum.

J'aurais simplement souhaité soulever un soucis vis à vis de certains articles présents sur catallaxia.org.

Le travail y est généralement sérieux. Mais on remarque une énorme tendance à l'interprétation voir à la falsification de certaines pensées.

Consacrant une grande partie de mon temps à l'étude du corpus nietzschéen, je ne peux qu'être stupéfait de cette "analyse" d'un dénommé "La Fronde" qui caricature au plus haut point la pensée nietzschéenne, et pour être franc je n'exclu pas l'hypothèse qu'un tel tract soit à prendre au second degré, on s'interroge encore.

http://www.catallaxia.org/index.php?title=…un_lib%C3%A9ral

Nietzsche était un libéral

Analyse de Lafronde

Nietzsche en dépit des critiques et des minables tentatives de récupération marxiste était un individualiste avant l'heure dans une tradition libérale qui n'a rien à envier à la pensée d'un Tocqueville.

Tout d'abord, Nietzsche a toujours fustigé l'instinct des êtres grégaires qui selon lui ont "tendance à s'unir" autant que les forts "ont tendance à se séparer" (Généalogie de la morale), ainsi "l'esprit libre" ne baigne pas dans un conformisme et une promiscuité auxquels se livre le "brave bétail grégaire" (Ecce Homo).

La joie de vivre de l'individu nietzschéen, le surhomme, se trouve être dans l'émancipation sociale lui faisant rejeter l'organisation serrée des groupes et s'assumer comme étant son propre maître. Mais plus loin encore, Nietzsche s'oppose radicalement au déterminisme marxiste qui établit comme dogme irrévocable que la "détermination de la conscience de l'individu se fait en fonction de sa classe sociale" (Engels), il l'exprime sous la forme de l'idée de "l'esprit libre". Ce dernier est celui "qui pense autrement qu'on ne s'y attend en raison de son origine, de son milieu, de son état et de sa fonction ou en raison des opinions régnantes de son temps" (Humain, trop humain).

L'esprit libre nietzschéen se veut vivre sans contraintes, ces dernières naissant du rapport au système : "Il m'est odieux de suivre autant que de guider. Obéir ? Non jamais, et jamais gouverner" (Le Gai Savoir), il perdure ainsi dans cette volonté émancipatrice qui l'oppose radicalement au dirigisme marxiste car la pensée de Marx est une entreprise vouée à flatter le "bétail grégaire" par sa volonté de ne promotionner qu'une seule idée du bonheur, celle du bonheur collectif or Nietzsche ne perçoit la joie de vivre que sous le prisme de l'individu; cet individu souverain dont la poursuite du bonheur ne se fait qu'à travers la quête d'une autonomie régénératrice.

Nietzsche était en perpétuelle lutte contre ce bien commun imposé à l'individu par la tyrannie de la majorité selon la prémonition tocquevilienne, ainsi dans Aurore, le philosophe allemand affirme que les sociétés modernes sont régies par par "la peur de tout ce qui est individuel", dans ses Fragments posthumes d'été 1880 :

"l'individu est le bouc émissaire des collectifs, Etat, Humanité, etc." et dans Le Gai Savoir : la tendance moderne tend à ce que "l'individu se laisse réduire au rôle de fonction de la totalité". Une fois de plus l'on retrouve la charge nietzschéenne dirigée contre l'idée marxiste que les libertés doivent être énoncées ainsi que dirigées afin de ne pas freiner le pouvoir étatique, "le bien collectif".

Nietzsche voyait dans l'étatisme un frein à la poursuite du bonheur individuel : "Je vois dans la tradition étatique et sociale un obstacle à l'individuation mais si l'on souhaite des hommes ordinaires et égaux, c'est parce que les faibles redoutent l'individu fort et préfèrent un affaiblissement général à un développement dirigé vers l'individuel" (Fragments posthumes), cette fronde intellectuelle est une attaque sans précédent dirigée contre l'égalitarisme rampant promotionné par les gauches universelles autour de l'idée "Tous égaux = tous pauvres".

L'on remarque une gradation ascendante dans la considération nietzschéenne de l'institution étatique: "Aussi peu d'Etat que possible" (Aurore), "Le moins d'Etat possible" et "la mort de l'Etat" (Humain, trop humain).

Comme base de refondation, Nietzsche rejetait le Socialisme qui "désire la puissance étatique à ce degré de plénitude que seul le despotisme a jamais possédé, il surenchérit même sur le passé en visant à l'anéantissement pur et simple de l'individu" (Humain, trop humain). Ce qui m'intéresse le plus en tant que libéral est l'oeil pragmatique qu'il posait sur la démocratie nouant ainsi avec la philosophie de Tocqueville un lien intellectuel fort : "Le principe Le bien de la majorité passe avant le bien de l'individu suffit pour faire reculer pas à pas l'humanité jusqu'à la plus basse animalité. Car c'est l'inverse (les individus valent plus que la masse) qui l'a élevée." En lutte contre la primauté du bien collectif, Nietzsche signe l'une des plus brillantes critiques de la démocratie et selon les mots d'Alexis De Tocqueville : "la tyrannie de la majorité".

Ayn Rand se sera probablement inspiré du philosophe allemand, ce dernier traitant de l'altruisme comme d'une entreprise pernicieuse visant à emprisonner l'esprit par la culpabilisation et l'avilissant par la mauvaise conscience.

Ainsi toute l'oeuvre nietzschéenne est un pamphlet brûlant en appelant à l'émancipation la plus virulente de l'individu contre l'emprisonnement moral altruiste, le mythe liberticide du "bien commun" et la fausse représentation populaire que tend à s'accorder l'Etat dans le but de légitimer ses assauts dirigés contre le Droit individuel.

Nietzsche bien que s'égosillant à fustiger Locke ou Hobbes dans le soutien à l'idée que ces derniers avaient une conception de la morale et de l'éthique comme étant la même pour tous, d'où le refus de cette notion par le philosophe allemand estimant qu'une "hiérarchie des valeurs" (Par delà bien et mal) se devait d'être pour reconnaître à chacun le droit souverain de créer sa propre morale, était malgré tout un libéral accompli sous toutes ses formes : philosophiques, sociétales et politiques.

Nietzsche à n'en point douter fut un libéral abouti repoussant les frontières de l'Individualisme à un niveau rarement égalé : Nietzsche voyait l'homme dans sa plénitude morale propre écartant et excluant le concept de don de soi et de l'empathie sacrificielle.

Plus que jamais, Nietzsche était un libéral.

Note

Extrait du blog de Lafronde, que nous remercions au passage

Je vous présente une mécompréhension, volontaire ou pas, d'une pensée qui séduit un public varié pour de nombreuses raisons, sans doute pour son accessibilité qui se révèle en fait trompeuse.

Citons ce bref passage écrit en automne 1972 (de mémoire, je n'ai pas mes oeuvres complètes à proximité, on le retrouve en FP)

"Le laisser aller de notre science, comme dans certains dogmes d'économie politique : on croit à un succès absolument salutaire."

Puis la critique des idéaux libéraux et de toute forme libérale se fera de plus en plus véhémente, "Individualisme décadent", "Désagrégation des atomes", etc…

Ce penseur, l'un des plus grands à mon sens, mérite le respect, par respect j'entends respecter sa pensée qui est d'une subtilité incroyable, il n'y est jamais question de rejeter toute forme de marxisme pour flatter le libéralisme : il le déclare clairement, dans plusieurs de ces écrits quasi prophétiques; ce libéralisme se révélera être une impasse. La morale de Nietzsche et sa vision politique sont aristocratiques et vont à l'encontre de toute forme de libéralisme !!

Un autre passage, extrait de wikilibéral, qui est déjà plus nuancé, tout en gardant un coté approximatif effroyable :

Héritage libéral de la pensée de Nietzsche

La pensée de Nietzsche est susceptible de tellement d'interprétations qu'il est difficile de discerner quel est son apport au libéralisme. On ne peut prétendre que Nietzsche fut un libéral dans le sens où on l'entend communément : il n'était pas d'accord avec le principe de l'égalité en droit des personnes, qui "réduit l'homme à un animal de horde", et pour lui la liberté est davantage l'affaire d'une élite qu'un droit naturel. Il écartait également la possibilité d'une morale universelle fondée sur la raison, ce qui le place à l'exact opposé des libertariens jusnaturalistes qui voient le droit naturel comme une éthique objective et universelle. Cependant, il fut très certainement un individualiste farouche, en lutte perpétuelle contre l'ordre établi.

Nietzsche ne sépare pas le libéralisme de ce qu'il appelle les "institutions libérales", et la critique qu'il en fait est tout à fait libertarienne dans son essence :

Les institutions libérales cessent d'être libérales aussitôt qu'elles sont acquises : il n'y a, dans la suite, rien de plus foncièrement nuisible à la liberté que les institutions libérales. (…) Car, qu'est-ce que la liberté ? C'est avoir la volonté de répondre de soi. (…) Le type le plus élevé de l'homme libre doit être cherché là, où constamment la plus forte résistance doit être vaincue : à cinq pas de la tyrannie, au seuil même du danger de la servitude. (Le Crépuscule des idoles)

Nietzsche, proche en cela de Max Stirner, n'a pas de mots assez durs pour qualifier l'Etat : la mort des peuples, la "nouvelle idole", un monstre, "le plus froid de tous les monstres froids", menteur, voleur, faux, hargneux, un "cheval de la mort", opposé au peuple, aux lois et aux coutumes, à la "vie libre", fait pour les inutiles, les idolâtres, les impuissants qui veulent "avant tout le levier de la puissance, beaucoup d'argent".

L'influence de Nietzsche s'est fait particulièrement sentir sur Ayn Rand et son éthique individualiste.

La seule chose que l'on accordera à cattalaxia; c'est de classer Nietzsche dans les inclassables, on pourrait d'ailleurs citer de nombreux aphorismes ayant trait à l'idée de classement, idée très présente là encore.

Posté
…je ne peux qu'être stupéfait de cette "analyse" d'un dénommé "La Fronde" qui caricature au plus haut point la pensée nietzschéenne…

Entièrement d'accord. Je me suis aussi toujours demandé ce que faisait ce texte dans l'encyclopédie libérale. C'est du grand n'importe quoi.

Un autre passage, extrait de wikilibéral, qui est déjà plus nuancé, tout en gardant un coté approximatif effroyable…

Pourquoi ne te proposes-tu pas pour améliorer l'article du Wiki ?

Posté
et sa vision politique sont aristocratiques et vont à l'encontre de toute forme de libéralisme !!

C'est drôle mais je pense exactement le contraire.

Enfin pour Nietzsche ce n'était certe pas un libéral mais il y a composante individualiste intéressante, bien qu'il s'en défend par méconnaissance.

Posté
C'est drôle mais je pense exactement le contraire.

Pour notre visiteur, le très libéral Hans Herman Hoppe préfère une monarchie aristrocratique à la démocratie.

Posté

Ce qui est parfaitement censé au regard de l'histoire libérale et plus particulièrement en France.

Quoi qu'il en soit je trouve l'article du wikiliberal assez fidèle sur Nietzsche et il ne le fait pas franchement passer pour un libéral comme c'est le cas de Lafronde. Donc je suis aussi intéressé de connaître quels correctifs on devrait y apporter selon Le vil matois.

Posté

Je crois que Free Jazz défend lui aussi (mais forcément mieux que Laffront) la vision d'un Nietzsche sinon libéral, du moins ayant de nombreux aspects libéraux. Il semble avoir pris quelques semaines de vacances, mais il serait intéressant qu'il nous en dise à son retour davantage sur le sujet.

Posté
Enfin pour Nietzsche ce n'était certe pas un libéral mais il y a composante individualiste intéressante, bien qu'il s'en défend par méconnaissance.

Il y a une composante individualiste dans toute la culture occidentale.

Posté
Il y a une composante individualiste dans toute la culture occidentale.

Dans le taoïsme aussi. Non ?

Posté

Au sujet des correctifs à apporter vis à vis de l'article wikilibéral.

"L'article", relève plus de l'exposé. Qui dit exposé wiki dit résumé, simplification, hachage; qui sera lu en diagonale, survolé, tronqué par une bonne partie des intéressés.

Je m'opposerais donc à toute forme de réduction; Nietzsche ne peut être compris sans une lecture intégrale. Sans quoi il y aura inévitablement des éléments qui continueront à nous échapper. Toute tentative de synthèse s'avère toujours être médiocre.

Pour reprendre un propos d'un de mes professeurs, "Il vaut mieux passer 3 heures sur quelques aphorismes que s'en remettre à des commentateurs; vous en apprendrez 10 fois plus".

Et si les commentateurs sont pour le plupart, voir tous aux yeux d'un esprit sévère; alors que faut il nécessairement en conclure quant aux résumés.

En revanche, j'apprécie tout travail, tout effort, même s'il s'avère toujours difficile à entreprendre et pas seulement quant il s'agirait de traiter d'un aspect peu traité de nietzsche. Car chaque fragment de sa pensée se livre aisément à un décorticage ou une articulation de toute ampleur.

La composante individualiste est quant à elle, encore une fois, à prendre avec précaution. "Il y a une composante individualiste dans toute la culture occidentale". Chacun tente de l'inclure pour se préserver du reproche de l'autre, d'omettre une composante qui deviendrait subitement "essentielle". A chaque époque son individualisme, si bien que l'on peut se demander sur ce qu'est réellement l'individualisme.

Faute de temps (si si), je ne rentrerais pas dans les détails, et bien que j'eusse été tenté par un habile copier coller depuis un lien d'"anarchopédia"'; j'eu un soudain spasme d'effroi en lisant ces premiers mots

Principalement représenté par Friedrich Nietzsche, Georges Palante et Michel Onfray, cet individualisme uniciste préconise une affirmation intense et complète du moi, qui doit conduire à l'épanouissement d'un individu supérieur à l'homme du troupeau.

Je n'ai pas de signatures contrairement à beaucoup d'entre vous, dont certaines qui me plaisent beaucoup, mention spéciale à celle sur Jean Paul II; je suis friand des déclarations solennelles des divins hauts fonctionnaires et personnages emblématiques religieux; que de perles.

Mais si je devais composer ma signature, ce serait bien à coup de michel onfray; le nietzschéen de gauche, qui manifeste pourtant une étonnante ressemblance avec plusieurs personnages du Zarathoustra, l'enchanteur par exemple… une symphonie de la décadence, l'homme qui personnifie le slogan populaire "L'hôpital qui se moque de la charité"; non je me trompe, j'ai oublié ce fameux dicton qui lui allait si bien, enfin; je regrette de ne pouvoir me rendre régulièrement sur ce sympathique forum; je suis actuellement en plein travail économique, prépa oblige.

Posté
Mais si je devais composer ma signature, ce serait bien à coup de michel onfray; le nietzschéen de gauche, qui manifeste pourtant une étonnante ressemblance avec plusieurs personnages du Zarathoustra, l'enchanteur par exemple… une symphonie de la décadence

:icon_up:

Bienvenue!

Archivé

Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.

×
×
  • Créer...