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Deux Nouvelles


Punu

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Deux nouvelles agréables et intéressantes que j'ai lues il y a quelque temps. La première est d'Alberto Moravia, et la seconde de Jean-Claude Bologne.

LA POLÉMIQUE DES POULPES

Nouvelle d'Alberto Moravia (1907-1990)

(Récit de jeunesse, édité en 1956, Italie)

Pêché et jeté au fond du bateau, le poulpe resta immobile des heures durant. Ensuite, une fois à terre, plongé dans un baquet d'eau salée, ranimé, il revient à la surface et cria:

«Un moment!»

Je lui demandai ce qu'il voulait. Il répondit:

«Connaître mon sort.»

Je dis: «Tu seras bouilli, assaisonné avec de l'huile, du sel, du citron, du persil et enfin mangé.»

Le poulpe parut déconcerté et secoua sa petite tête en répétant: «Bouilli, assaisonné avec de l'huile, du sel, du citron, du persil et mangé… je ne comprends pas, vraiment je ne comprends pas…»

Intrigué, je demandai ce qu'ils prévoyaient, au fond de la mer. Il s'enfla de suffisance et répliqua: «Ce que tu me demandes n'est pas rien: autant dire une histoire complète de nos croyances… Peu de poulpes seraient en mesure de satisfaire ta curiosité… tu as la chance d'être tombé sur un poulpe instruit… Je t'avertis que c'est une longue histoire.»

Je l'incitai à parler et, sur un ton doctrinal, il commença: «Eh bien, les choses, mais vraiment en gros, se sont passées, en mer, de la façon suivante. Pendant des siècles et des siècles, les poulpes ont cru qu'au-dessus de la mer il y avait un endroit appelé Terre, où ils allaient au terme de leur vie, terme qu'ils appellent Pêche. Une fois pêchés, les poulpes qui, dans leur vie, s'étaient bien conduits allaient dans un endroit appelé Vivier. Ce Vivier était un réservoir profond, large et long de mille milles et entièrement rempli de millions et de millions de ces petits et exquis poissons dont précisément se nourrissent les poulpes. Assis sur le rebord du Vivier, les bons poulpes n'avaient qu'à tendre leurs tentacules et à choisir le poisson qu'ils désiraient. C'est ce qui s'appelle la béatitude du Vivier. En revanche, les mauvais poulpes finissaient, après la Pêche, dans une fosse non moins grande que le Vivier, mais pleine de requins très cruels qui les déchiquetaient pour l'éternité.

-- Bien vu, dis-je, et on y croit encore parmi les poulpes?

-- On n'y croit plus, répondit le poulpe. Une génération de poulpes, audacieuse ou impie, je n'en sais rien, il n'y a pas tant d'années que ça, attaqua cette croyance et parvint à démontrer que ce n'était que le rêve d'un monde meilleur, heureux et libre, ayant pour origine les terribles conditions dans lesquelles vivaient et ont toujours vécu en réalité les poulpes au fond de la mer. Ne pouvant jamais manger à satiété, contraints de gagner leur pitance de poissons à la sueur de leur petit front, toujours assaillis par la misère, par les requins, la faim et les maladies, les poulpes, selon ces sceptiques, avaient fini par se construire une espèce de monde idéal dans l'au-delà, presque en compensation des innombrables insuffisances du monde réel d'ici-bas.

-- Et que mettaient-ils à la place du Vivier, ces sceptiques? demandai-je.

-- C'est là le problème, rétorqua le poulpe. Ils ne mettaient rien… ils disaient que les poulpes devaient bien se conduire, sans espérer de récompense ni craindre de châtiment… avec pour seuls critères l'intelligence et la conscience morale.

-- Ils sont très bien, ces poulpes.

-- Doucement…, avertit le poulpe. J'ai dit: ils devaient… en réalité les choses se sont finalement passées autrement… les poulpes, ayant découvert que dans l'au-delà il n'y avait ni récompense ni châtiment, mais bel et bien le néant, décidèrent que, dans ces conditions, tout était permis… Les poulpes s'abandonnèrent donc à leurs instincts et il faut que tu saches que les instincts des poulpes n'ont rien de charmant… ils se mirent à se voler mutuellement, à s'entre-tuer, à se poursuivre les uns les autres… les gros écrasèrent les petits, les petits se réunirent pour combattre les gros… un désastre.

-- Qui dure encore maintenant?

-- Non, dit le poulpe. On ne pouvait pas continuer comme ça et tout a changé une fois de plus… il est survenu, en fait, une autre génération de poulpe, qui, vu l'insupportable anarchie où avait sombré notre nation, imagina une autre théorie ou croyance propre, justement, à déjouer l'anarchie… cette théorie, d'ailleurs, rassemble quelques éléments de l'ancienne croyance du Vivier et quelques affirmations de l'école sceptique… Alors qu'elle soutient, elle aussi, que dans l'au-delà il n'y a rien, elle promet tout de même le Vivier, mais pas à terre et après la Pêche, déjà en mer, et au bout d'un certain laps de temps.

-- Explique-toi.

-- Je m'explique: ces nouveaux poulpes, après avoir étudié attentivement l'ancienne croyance, en vinrent à la conclusion qu'elle avait eu, au moins, l'excellent avantage de faire en sorte que les poulpes soient bons et travaillent… mais désormais l'illusion s'était évanouie et il n'y avait plus rien à faire; aucun poulpe n'aurait jamais plus cru à la fable du Vivier… alors qu'est-ce que ces nouveaux poulpes imaginèrent? Ils déclarèrent que, d'un point de vue technique, le Vivier de l'ancienne croyance était, après tout, réalisable, à condition que les poulpes le veuillent. Bref, il s'agissait de construire au fond de la mer un réservoir carré, long, large et profond de mille milles, et d'y mettre toutes sortes de poissons et de prendre des dispositions pour que les poissons prolifèrent et se multiplient au fur et à mesure qu'ils étaient mangés… Une fois ce réservoir construit, dirent-ils, les poulpes vivraient véritablement dans la merveilleuse béatitude du poisson abondant et facile… et toutes leurs misères finiraient pour toujours. Le croiras-tu? Bien que le Vivier soit toujours resté le même, avec les mêmes effets et les mêmes propriétés, et bien que la différence entre l'ancienne croyance et la nouvelle se réduise au fond seulement au fait que l'avènement du Vivier soit renvoyé non plus à l'après-Pêche, mais à un avenir indéterminé, la théorie conquit les poulpes en un clin d'oeil. De l'anarchie, ils passèrent, comme par miracle, à l'ordre le plus rigoureux et se mirent à construire le Vivier…

-- Un moment, dis-je. Il ne s'agissait pas, après tout, du même Vivier… le premier était un rêve, comme tu l'as dit, le second une réalité.

-- Une réalité dans des siècles et des siècles, corrigea le poulpe, autrement dit presque un rêve… En effet, la construction d'un tel Vivier, profond, large et long de mille milles, dépasse de beaucoup la vie du poulpe… Mais ce qui importait le plus était de créer un nouvel espoir… Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous autres, les hommes, mais les poulpes ne peuvent pas vivre sans espoir… Autrefois, ils espéraient dans le Vivier à terre, après la Pêche, et ils se tenaient bien, maintenant ils espèrent dans le Vivier en mer et ils se tiennent bien… Pour se tenir bien et ne pas s'entre-dévorer ils ont besoin, au fond, d'espérer dans un Vivier quelconque… ce n'est pas significatif, tout ça?»

Je lui demandai pourquoi il avait adopté ce ton mélancolique. Il répondit: « Peut-être t'en seras-tu déjà aperçu… j'appartiens à l'école sceptique… et je pensais, comme je le pense encore, qu'il aurait été souhaitable que les poulpes se conduisent bien sans espérer en aucun Vivier… mais à ce qu'il semble, ce n'est vraiment pas possible. Et pourtant le poulpe devrait espérer à la mesure du poulpe. Chaque fois que cet espoir dépasse excessivement les possibilités effectives du poulpe, je subodore une tromperie.

-- À savoir?

-- À savoir, dit le poulpe, que le poulpe peut espérer aller moins mal, ou tout au plus aller mieux; mais il ne peut absolument pas espérer aller bien et encore moins imposer aux autres poulpes de l'espérer. S'il fait ça, eh bien, je n'hésite pas à déclarer qu'il se trompe lui-même ou qu'il trompe les autres… ou, comme cela se produit souvent, il se trompe lui-même et il trompe tous les autres en même temps.

-- Sceptique petit poulpe! m'écriai-je. Mais enfin, peut-on savoir en quoi tu crois?

-- Je crois, répondit le poulpe avec une véhémence mêlée de mélancolie, dans le poulpe.

-- Et ce poulpe?

-- Ce poulpe devra toujours peiner pour attraper des poissons et les requins l'attaqueront toujours et il n'y aura jamais assez de poissons et la nécessité et la douleur formeront toujours la vie du poulpe.

-- Allez, je suis désolé, mais j'en ai assez entendu… la casserole ne peut pas attendre davantage… si tu n'as rien d'autre à dire…

-- Rien d'autre, dit le poulpe. Mais qui aurait pu prévoir ça?… bouilli, assaisonné avec de l'huile, du sel, du persil et du citron et mangé… je n'y comprends rien… ce n'est pas le Vivier, ce n'est pas le néant… c'est quelque chose de différent.

-- Exactement», dis-je en le saisissant et en le jetant dans l'eau bouillante.

Le siège

Depuis longtemps, nul n'avait vu s'ouvrir les portes de la ville. Les armées qui campaient sous ses remparts s'étaient étonnées de si peu de défense. Pas d'archers sur les créneaux, pas un cri, pas un défi pour décourager l'assaillant. Le silence inspirait un respect plus efficace que les armes. Seuls les arpenteurs osaient encore s'aventurer sous les murs, affinant à chaque fois leurs mesures. Or écoutez : la ville, disaient-ils, dessinait un carré parfait. Ils avaient tout alentour compté trois mille quatre cent cinquante-six doubles pas jusqu'à ce que leur semelle, sans une ligne de décalage, vienne à nouveau recouvrir leur empreinte. Deux cent seize fois ils avaient tendu la chaîne d'arpentage de deux cent seize coudées, huit cent soixante-quatre fois graduée selon le doigt de Pythagore. Cela seul, affirmaient-ils, suffisait à expliquer l'invulnérabilité de la Cité trois, quatre et cinq fois sainte.

Et pourtant, au quatre-vingt-dix-neuvième jour de siège, on s'aperçut que la porte était ouverte. Avait-elle jamais été fermée ? Nul n'avait pensé à le vérifier. Le roi noir pénétra seul dans la ville, au moment exact où le soleil, avant de s'abîmer dans l'océan, projetait à ses pieds l'ombre démesurée de son orgueil. Il ne resta plus, pour célébrer sa victoire, qu'un croissant de lune et trois mille quatre cent cinquante-six étoiles.

Les rues aussi étaient rectilignes; il s'y attendait. Il ne s'attendait pas à ces maisons ouvertes, devant lesquelles, indifférents, les habitants vaquaient à de vagues besognes. Le vainqueur se dirigea vers la première, poste de garde où une faible garnison jouait aux pièces, en attente de la relève.

«Conduisez-moi à votre chef, dit le roi.

– Il ne nous est pas permis de quitter notre poste», dit le plus âgé des soldats.

De son glaive, le conquérant impulsif lui fit rentrer ces mots dans la gorge. Un autre prit sa place et la partie continua.

«Conduisez-moi à votre chef, répéta l'envahisseur.

– Sur notre vie nous ne quitterons pas notre poste», répondit celui qui venait de s'asseoir à la table de jeu.

Le roi comprit la leçon des soldats. Ils avaient su forcer son respect.

«Où est le palais? demanda-t-il plus doucement.

– Comment le saurions-nous? Nous ne quittons pas notre poste. Seul de vieux sages vous le diront, dans la maison des archives.

– Comment y arriverai-je?

– Suivez la muraille. Vous la trouverez à l'angle.»

La nuit était encore lumineuse, la mer renvoyait la clarté bleutée du soleil englouti; le miroir de la lune semblait un fin rasoir d'opale et une des trois mille quatre cent cinquante-six étoiles semblait désigner la maison des archives. Elle était de pierre, et de quatre étages plus haute que les autres. De vieux sages y transcrivaient sur des registres neufs des textes millénaires qui achevaient de s'effacer, eux-mêmes recopiés de livres plus anciens depuis longtemps tombés en poussière. Or écoutez : le plus vieux des sept sages avait pour seule charge de reconstituer, dans les lettres effacées, dans les trous de la page, les mots perdus que les scribes laissaient en blanc. Dans ces failles de la mémoire, croyaient-ils, avait été transcrit, jadis, le nom du roi. Le nom de l'origine, que Dieu lui-même avait inscrit sur le front des premiers hommes. Le nom qui assurait une légitimité depuis longtemps perdue. Mais de cela, qu'avait à faire le roi noir ? Sa seule présence dans la Cité sainte annulait toute légitimité antérieure. La sienne était au bout de son glaive.

«Conduisez-moi à votre roi, dit le roi.

– Seul le fou t'y mènera, répondit le plus vieux des sept sages. Lui seul n'a pas de tâche assignée à sa vie. Et la nôtre nous interdit de sortir.

– Et où est le palais?» reprit l'autre, qui avait compris l'inutilité des menaces.

Un plan ancien fut tiré des archives. Le palais avait été bâti au centre de la cité, là où se rejoignaient les quatre droites et les quatre obliques qui divisaient la ville en huit triangles rectangles. Le conquérant impatient interrompit les explications; il avait bien vu, en arrivant dans l'angle de l'enceinte, que la diagonale n'existait pas.

«La disposition de la ville a été revue par le roi Davor, voici bien des siècles. Le palais alors fut reconstruit devant la porte du Levant. Sur cet autre plan…

«Il n'y a qu'une porte à cette ville, coupa le roi noir. Croyez-vous que nous n'en ayons jamais fait le tour? On n'y entre qu'au couchant.

– La porte du Levant fut détruite au temps du roi Kitabu, reprit l'autre, imperturbable. Le palais alors…

– La peste soit de vos archives, tonna le guerrier voyant qu'on déployait un troisième rouleau poussiéreux. Quelqu'un me dira-t-il où se situe le palais aujourd'hui?

– Nous n'avons pas appris à pénétrer le présent sans le recours au passé, s'obstinait le vieux sage. Seules les implantations successives du palais expliquent l'actuelle.

– Et que m'importe? Ai-je le temps de vous entendre?

– Alors il te faudra demander au maréchal. Lui seul est maître de l'espace.

– Que ne le disiez-vous de suite? Menez-moi à lui.

– Les écuries royales longent la muraille. C'est lui qui les administre.»

Le roi noir se tut. Il avait aperçu les écuries en venant de la porte occidentale. Il avait l'impression qu'on se moquait de lui. Mais il savait maintenant pourquoi la Cité sainte l'avait si longtemps bravé sans se défendre : en elle résidaient les maîtres du temps. Il sortit, renfrogné, et ne vit pas arriver l'homme pressé qui le bouscula et s'engouffra en courant dans une rue transversale.

«Ne faites pas attention, dit un savetier qui l'aida à se relever. C'est le fou. Il ne tient pas en place.

– Le fou… Celui qui peut me mener au roi? Je dois le rattraper!

– Nul ne le rattrape. Il passe sa vie à courir. Le plus sage est de s'asseoir en attendant qu'il revienne.

– Me prenez-vous pour le maître du temps? grommela le roi noir en secouant la poussière de ses sandales. C'est cette nuit que je dois voir le roi. Conduisez-moi.

– Vous voyez bien que ma jambe est blessée, se plaignit le savetier. Je puis juste m'accroupir et raccommoder les chaussures.»

Le roi ne prit pas la peine de se mettre en colère. Il planta là le savetier et se hâta vers les écuries royales tant que la nuit était claire. Il savait pourtant ce que dirait le maréchal. À chaque maison, il le voyait à présent, les habitants semblaient rivés à une tâche millénaire dont rien au monde ne les détournerait. Le maréchal pas plus que les gardiens du temps ne daignerait le renseigner.

Celui-ci en effet refusa de le conduire au roi. Il lui apprit que le palais était détruit. Le roi logeait chaque jour dans une maison différente, là où s'arrêtaient ses pas. L'hospitalité ne lui était jamais refusée. C'est pour cela qu'aucun habitant n'eût osé sortir de chez lui. Peut-être était-ce le jour où le roi viendrait le voir.

«Et le fou?

– Le fou n'a pas de toit. Nul ne sait comment il trouve le roi, mais lui seul, à coup sûr, vous y conduira.»

Le roi noir sortit désespéré de l'écurie. La nuit était complète, à présent. Il ne savait où poursuivre son enquête. Il ne savait comment regagner la porte, toute proche, pourtant, et échapper à cette ville qui le rendrait fou avant l'aube. «Après tout, se dit-il, moi aussi, je suis roi.» Et il poussa la première porte qui se présenta.

«Je suis le roi, dit-il. Loge-moi.

– Vous êtes le roi noir, répondit paisiblement l'hôtesse. Mais je vous logerai. Le roi ne viendra plus ce soir. Il vous faudra pourtant partager la chambre royale. La reine s'est arrêtée chez nous.

– La reine, murmura le voyageur, reprenant espoir… Pouvez-vous m'annoncer à elle?»

L'hôtesse ouvrit une porte et alluma une lampe à huile. Dans la pénombre, il vit une femme d'une grande beauté. Elle était en deuil.

«Majesté, lui dit-il en pliant le genou, je cherche le roi. Pouvez-vous me mener à lui?

– Est-il possible que vous ne soyez pas au courant? Le roi est mort, voilà plus de trois mois. La ville est en deuil pour cent jours. Ordre a été donné de ne pas quitter sa maison.

– Mais le fou…

– Qui peut commander au fou? soupira la reine. Il n'a pas de foyer. Certains s'arrêtent dans l'immobilité; lui s'est arrêté dans sa course.»

L'étranger comprit qu'on s'était moqué de lui. De son armée, durant le siège devant une ville sans roi. De sa quête, de maison en maison, puisque tous étaient dans le secret. Et cette femme — qui avait dit qu'elle était reine? — se moquait-elle aussi de lui? Le roi sans doute n'était pas mort. Peut-être le protégeait-on, de maison en maison, et sa disparition était sa meilleure cache. Peut-être le roi était-il l'hôte, qu'il n'avait pas vu, le maréchal ou le plus vieux des sept sages? Ou un des gardes et, pourquoi pas, celui dont il avait tranché la tête? Peut-être d'ailleurs la ville n'en avait-elle jamais eu, à moins qu'il fût partout, en chacun, invisible, ou peut-être le fou, mais alors, lui aussi, il était roi, puisqu'il était fou — il était fou, puisqu'il était roi — et il avait marché, marché dans les rues immobiles, dans le temps et l'espace, vers un but illusoire. Mais que faisaient-ils, tous ces hommes sans roi qui vivaient comme si l'ordre existait encore? Le roi est mort! Le roi est mort!

Il riait, il rit, il sortit, il cria, il criait, comme un fou, «le roi est mort», et la nuit était morte elle aussi, et la cité flambait, retournait au désert du centième jour qui se levait, les hommes étaient statues de sable que le vent effritait, et les remparts déjà n'étaient plus qu'un sillon que le temps refermait. Le fou riait, riait toujours, en retournant vers son armée, qui depuis longtemps n'était que cendres et poussières d'os.

Copyright © Jean-Claude Bologne

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