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Ces intellos qui rejettent la démocratie


Invité Arn0

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Posté
daumier.jpg

- M'sieur l'Maire, quoi donc que c'est qu'un bibiscite ?

- C'est un mot latin qui veut dire OUI

Honoré Daumier

:icon_up:

Posté
Cela se prononce plébiscite sous l'Empire et cela s'écrit référendum sous la République mais dans tous les cas, comme dirait Daumier, c'est un mot latin qui veut dire OUI.

Sinon, c'est que le peuple n'a vraiment pas compris la question.

:icon_up: Constant y consacre les 6 derniers paragraphes du Chapitre II du Livre VI de ses Principes de Politique, où il s'oppose aux "adresses populaires" en général.

Posté
En démocratie, les gouvernants et les médias peuvent aussi considérer que le peuple a "mal voté", cela s'est vu.

Ceci dit, heureux que le cliché "césariste" sur le général de Gaulle soit évité.

De Gaulle est bien le seul a avoir pris au sérieux un non. Les démocrates eux considèrent qu'un non c'est pas grave ou qu'il faut reposer la question jusqu'à ce que le bon peuple dise enfin oui.

Posté
De Gaulle est bien le seul a avoir pris au sérieux un non. Les démocrates eux considèrent qu'un non c'est pas grave ou qu'il faut reposer la question jusqu'à ce que le bon peuple dise enfin oui.

A eux de répondre "la démocratie est la dictature des faibles"

  • 9 months later...
Posté

Dans la perspective d'une agitation révolutionnaire à venir, qui préparerait un nouveau cycle de catastrophes socialistes, cette récente interview de Badiou explique pourquoi nous n'en avons pas fini avec le communisme en tant qu'utopie rationaliste invariante initiée par Platon, pourquoi la vision libérale naïve de la fin de l'histoire comme mondialisation capitaliste s'est énormément trompée en croyant l'avoir enterré dans le cimetière des idéologies passées. C'est assez pénible à entendre, violent dans sa formulation, toutefois il analyse assez clairement à quelle sauce on risque d'être mangés, quelle serait la forme future de "l'hypothèse communiste".

[dailymotion]x8xpkw[/dailymotion]

Posté
…pourquoi la vision libérale naïve de la fin de l'histoire comme mondialisation capitaliste s'est énormément trompée…

Ouais bon, cette vision, c'est surtout un énorme strawman. Dès le début, tout le monde savait que Fukuyama ne disait que des conneries justes bonnes à être marketées.

Posté
C'est assez pénible à entendre, violent dans sa formulation, toutefois il analyse assez clairement à quelle sauce on risque d'être mangés, quelle serait la forme future de "l'hypothèse communiste".

J'ai peine à voir une quelconque profondeur intellectuelle dans ce qu'il raconte. Les arguments sont d'une prévisibilité à toute épreuve, tout ceci fait penser au mot de Revel sur l'idéologie. Et, en effet, c'est assez flippant.

Posté
J'ai peine à voir une quelconque profondeur intellectuelle dans ce qu'il raconte. Les arguments sont d'une prévisibilité à toute épreuve, tout ceci fait penser au mot de Revel sur l'idéologie. Et, en effet, c'est assez flippant.

+1

C'est d'une indigence extraordinaire. Je suis toujours fasciné par ce genre de personnes : Badiou croit-il vraiment à ce qu'il raconte ?

Posté
Dans la perspective d'une agitation révolutionnaire à venir, qui préparerait un nouveau cycle de catastrophes socialistes, cette récente interview de Badiou explique pourquoi nous n'en avons pas fini avec le communisme en tant qu'utopie rationaliste invariante initiée par Platon, pourquoi la vision libérale naïve de la fin de l'histoire comme mondialisation capitaliste s'est énormément trompée en croyant l'avoir enterré dans le cimetière des idéologies passées. C'est assez pénible à entendre, violent dans sa formulation, toutefois il analyse assez clairement à quelle sauce on risque d'être mangés, quelle serait la forme future de "l'hypothèse communiste".

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OMG! Il s'est échappé d'un asile celui-là. "Une petite séquence de l'histoire" "n'a pas profité à tout le monde en terme de niveau de bien-être" Il a du resté dans le coma pendant 500 ans le pauvre.

Posté
Ouais bon, cette vision, c'est surtout un énorme strawman. Dès le début, tout le monde savait que Fukuyama ne disait que des conneries justes bonnes à être marketées.

C'est loin d'être idiot.

Posté

Hayek lui même critique la démocratie actuelle. On devrait tous être d'accord pour critiquer la démocratie illimitée dans laquelle nous vivons. Le problème c'est la limite du pouvoir des assemblées élues démocratiquement.

Personnellement je suis anti-démocrate, et préférerai voir un gouvernement autoritaire clairement limité par la Loi (au sens Hayekien) au pouvoir. La démocratie actuelle me fais gerber par son clientélisme et la création incessante de lois sans aucune limite.

Je dirais néanmoins, en plagiant Hayek encore une fois, que la démocratie est positive dans le sens où elle fait exister une "passion populaire" pour la chose politique.

Moi aussi, Badiou me fais drôlement peur parce que je ne peux imaginer que ce type croit en ce qu'il dit. Il a donc passer sa vie à défendre une non-idée qu'il sait fausse.

  • 10 months later...
Posté

Badiou, toujours fasciné par l'étude des fossiles, se pique de refonder l'hypothèse communiste sur une base axiomatique, en lui prêtant la forme d'une idée permanente, universelle, inhérente à la Raison, qu'une nouvelle discipline de classe rendrait effective. Seul un manque de discipline collective expliquant la désuétude du communisme, il conviendrait donc de rendre désirable la dictature du prolétariat, figure victimaire incarnée aujourd'hui par l'immigré sans-papier censée déclencher la mobilisation progressiste. Il est intéressant de remarquer que les axiomatiques de camps opposés reproduisent une erreur similaire en abusant de cette méthode déductive qui les conduit à prendre leurs hypothèses pour la réalité et leurs évaluations pour des prophéties.

Le courage du présent, par Alain Badiou

LE MONDE | 13.02.10

Le temps présent, dans un pays comme le nôtre, depuis presque trente ans, est un temps désorienté. Je veux dire : un temps qui ne propose à sa propre jeunesse, et singulièrement à la jeunesse populaire, aucun principe d'orientation de l'existence.

En quoi la désorientation consiste-t-elle précisément ? Une de ses opérations importantes consiste en tout cas à rendre illisible la séquence antérieure, la séquence qui, quant à elle, était bel et bien orientée. Cette opération est caractéristique de toutes les périodes réactives, contre-révolutionnaires, comme celle que nous vivons depuis la fin des années 1970.

On peut par exemple noter que le propre de la réaction thermidorienne, après le complot du 9 Thermidor et l'exécution sans jugement des grands Jacobins, avait été de rendre la séquence robespierriste antérieure illisible : la réduction de celle-ci à la pathologie de quelques criminels buveurs de sang en interdisait toute compréhension politique. Cette vision des choses a perduré pendant des décennies, et elle visait à désorienter durablement le peuple, qu'on tenait, qu'on tient toujours, pour virtuellement révolutionnaire.

Rendre une période illisible, c'est autre chose, c'est beaucoup plus que de simplement la condamner. Car un des effets de l'illisibilité est de s'interdire de trouver dans la période en question les principes mêmes aptes à remédier à ses impasses. Si la période est déclarée pathologique, il n'y a rien à en tirer pour l'orientation elle-même, et la conclusion, dont nous constatons chaque jour les effets délétères, est qu'il faut se résigner, comme à un moindre mal, à la désorientation.

Posons par conséquent, concernant une séquence antérieure et visiblement close de la politique d'émancipation, qu'elle doit pour nous rester lisible, et ce indépendamment du jugement final que l'on porte sur elle.

Dans le débat concernant la rationalité de la Révolution française, sous la IIIe République, Clemenceau a produit une formule célèbre : "La Révolution française forme un bloc." Cette formule est remarquable en ce qu'elle déclare la lisibilité intégrale du processus, quelles qu'aient été les péripéties tragiques de son développement.

Aujourd'hui, il est clair que c'est à propos du communisme que le discours ambiant transforme la séquence antérieure en pathologie opaque. Je m'autorise donc à dire que la séquence communiste, incluant toutes les nuances, du pouvoir comme de l'opposition, qui se réclamaient de la même idée, forme elle aussi un bloc.

Quel peuvent être alors aujourd'hui le principe et le nom d'une orientation véritable ? Je propose en tout cas de l'appeler, par fidélité à l'histoire des politiques d'émancipation, l'hypothèse communiste.

Notons au passage que nos critiques prétendent jeter aux orties le mot "communisme" sous prétexte qu'une expérience de communisme d'Etat, qui a duré soixante-dix ans, a tragiquement échoué. Quelle plaisanterie ! Quand il s'agit de renverser la domination des riches et l'hérédité de la puissance, qui durent depuis des millénaires, on vient nous objecter soixante-dix ans de tâtonnements, de violences et d'impasses ! En vérité, l'idée communiste n'a parcouru qu'une portion infime du temps de sa vérification, de son effectuation.

Qu'est-ce que cette hypothèse ? Elle tient en trois axiomes.

D'abord, l'idée égalitaire. L'idée pessimiste commune, qui domine à nouveau ces temps-ci, est que la nature humaine est vouée à l'inégalité, qu'il est d'ailleurs dommage qu'il en soit ainsi, mais qu'après avoir versé quelques larmes à ce propos, il est essentiel de s'en convaincre et de l'accepter. A cela, l'idée communiste répond non pas exactement par la proposition de l'égalité comme programme - réalisons l'égalité foncière immanente à la nature humaine -, mais en déclarant que le principe égalitaire permet de distinguer, dans toute action collective, ce qui est homogène à l'hypothèse communiste, et donc a une réelle valeur, et ce qui la contredit, et donc nous ramène à une vision animale de l'humanité.

Vient ensuite la conviction que l'existence d'un Etat coercitif séparé n'est pas nécessaire. C'est la thèse, commune aux anarchistes et aux communistes, du dépérissement de l'Etat. Il y a eu des sociétés sans Etat, et il est rationnel de postuler qu'il peut y en avoir d'autres. Mais surtout, on peut organiser l'action politique populaire sans qu'elle soit soumise à l'idée du pouvoir, de la représentation dans l'Etat, des élections, etc.

La contrainte libératrice de l'action organisée peut s'exercer de l'extérieur de l'Etat. Nous en avons de nombreux exemples, y compris récents : la puissance inattendue du mouvement de décembre 1995 a retardé de plusieurs années les mesures antipopulaires concernant les retraites. L'action militante avec les ouvriers sans papiers n'a pas empêché nombre de lois scélérates, mais a permis qu'ils soient largement reconnus comme une composante de notre vie collective et politique.

Dernier axiome : l'organisation du travail n'implique pas sa division, la spécialisation des tâches, et en particulier la différenciation oppressive entre travail intellectuel et travail manuel. On doit viser, et on le peut, une essentielle polymorphie du travail humain. C'est la base matérielle de la disparition des classes et des hiérarchies sociales.

Ces trois principes ne constituent pas un programme, mais des maximes d'orientation, que n'importe qui peut investir comme opérateur pour évaluer ce qu'il dit et fait, personnellement ou collectivement, dans sa relation à l'hypothèse communiste.

L'hypothèse communiste a connu deux grandes étapes, et je propose de dire que nous entrons dans une troisième phase de son existence.

L'hypothèse communiste s'installe à vaste échelle entre les révolutions de 1848 et la Commune de Paris (1871). Les thèmes dominants sont ceux du mouvement ouvrier et de l'insurrection. Puis il y a un long intervalle, de près de quarante années (entre 1871 et 1905), qui correspond à l'apogée de l'impérialisme européen et à la mise en coupe réglée de nombreuses régions du globe. La séquence qui va de 1905 à 1976 (Révolution culturelle en Chine) est la deuxième séquence d'effectuation de l'hypothèse communiste.

Son thème dominant est le thème du parti avec son slogan majeur (et indiscutable) : la discipline est la seule arme de ceux qui n'ont rien. De 1976 à aujourd'hui, prend place une deuxième période de stabilisation réactive, période dans laquelle nous sommes encore, et au cours de laquelle on a notamment vu l'effondrement des dictatures socialistes à parti unique créées dans la deuxième séquence.

Ma conviction est qu'inéluctablement une troisième séquence historique de l'hypothèse communiste va s'ouvrir, différente des deux précédentes, mais paradoxalement plus proche de la première que de la seconde. Cette séquence aura en effet en commun avec la séquence qui a prévalu au XIXe siècle d'avoir pour enjeu l'existence même de l'hypothèse communiste, aujourd'hui massivement déniée. On peut définir ce qu'avec d'autres je tente de faire comme des travaux préliminaires pour la réinstallation de l'hypothèse et le déploiement de sa troisième époque.

Nous avons besoin, dans ce tout début de la troisième séquence d'existence de l'hypothèse communiste, d'une morale provisoire pour temps désorienté. Il s'agit de tenir minimalement une figure subjective consistante, sans avoir pour cela l'appui de l'hypothèse communiste qui n'est pas encore réinstallée à grande échelle. Il importe de trouver un point réel sur lequel tenir coûte que coûte, un point "impossible", ininscriptible dans la loi de la situation. Il faut tenir un point réel de ce type et en organiser les conséquences.

Le témoin-clé de ce que nos sociétés sont évidemment in-humaines est aujourd'hui le prolétaire étranger sans papiers : il est la marque, immanente à notre situation, de ceci qu'il n'y a qu'un seul monde. Traiter le prolétaire étranger comme venant d'un autre monde, voilà la tâche spécifique dévolue au "ministère de l'identité nationale", qui dispose de sa propre force de police (la "police aux frontières"). Affirmer, contre un tel dispositif de l'Etat, que n'importe quel ouvrier sans papiers est du même monde que soi, et en tirer les conséquences pratiques, égalitaires et militantes, voilà un exemple type de morale provisoire, une orientation locale homogène à l'hypothèse communiste, dans la désorientation globale à laquelle seule sa réinstallation pourra parer.

La vertu principale dont nous avons besoin est le courage. Cela n'est pas universellement le cas : dans d'autres circonstances, d'autres vertus peuvent être requises de façon prioritaire. Ainsi à l'époque de la guerre révolutionnaire en Chine, c'est la patience qui a été promue par Mao comme vertu cardinale. Mais aujourd'hui, c'est incontestablement le courage. Le courage est la vertu qui se manifeste, sans égard pour les lois du monde, par l'endurance de l'impossible. Il s'agit de tenir le point impossible sans avoir à rendre compte de l'ensemble de la situation : le courage, en tant qu'il s'agit de traiter le point comme tel, est une vertu locale. Il relève d'une morale du lieu, avec pour horizon la lente réinstallation de l'hypothèse communiste.

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Philosophe, dramaturge et écrivain

Né en 1937, professeur de philosophie à l'Ecole normale supérieure, articule pensée formelle et récit littéraire, argumentation conceptuelle et intervention politique. Il a publié aux Nouvelles Editions Lignes "De quoi Sarkozy est-il le nom ?" (2007), "L'Hypothèse communiste" (2009) et a récemment dirigé, avec le philosophe Slavoj Zizek, "L'Idée du communisme" (348 p., 22 euros)

Alain Badiou

Alain Badiou et le sceptre du communisme, par Jérôme Batout

LEMONDE.FR | 23.02.10 |

Alain Badiou s'est récemment fait ("Le courage du présent", Le Monde daté du 13-14 février 2010) le porte-voix d'une opération à laquelle le titre de son plus récent essai, L'Hypothèse communiste, peut donner un nom. Il faut reconnaître que, ce faisant, Alain Badiou attire indirectement l'attention sur un problème d'interprétation de l'histoire du XXe siècle : tout se passe en effet comme si la crise révélée par la finance lors des deux dernières années rendait souhaitable, vingt ans après la chute du mur de Berlin, la reconsidération de l'aventure du siècle dernier sous le visage d'un match nul idéologique entre capitalisme et communisme. On avait cru au krach de l'idée communiste, et voici que vingt ans plus tard éclaterait la bulle spéculative du capitalisme. Dans ces conditions, ne serait-il pas salutaire de remobiliser l'idée communiste sous la forme aimable d'une "hypothèse" ? Il y a sans doute dans la séquence historique actuelle l'espace pour un réexamen de l'idée communiste ; et chacun est libre de l'entreprendre. On peut aussi, tout en se sentant étranger à l'idée communiste, juger nécessaire d'expliquer en quoi la démarche initiée par les hérauts de "l'hypothèse communiste" constitue une tentative de liquidation intellectuelle des principales prémisses de l'œuvre philosophique de Marx. Ce dernier n'étant pas en mesure d'exercer son droit de réponse, et la liquidation de sa pensée se laissant fort bien voir à l'échelle de la tribune publiée par Alain Badiou, pourquoi ne pas en dire brièvement deux mots ?

Premier mot : dialectique. Le communisme fut pensé par Marx en fonction d'une représentation dialectique de l'histoire : il y a des temps d'affirmation, des temps de négativité, il y a au sein du capitalisme des contradictions qui finiront par mener au dépérissement de l'État. Thèse, antithèse, synthèse, si l'on veut dire simplement le mouvement dont procède le matérialisme dialectique. Or voici qu'Alain Badiou vient promouvoir les charmes d'une "hypothèse" communiste. Une hypothèse : moins qu'une thèse, une avant-thèse, la modestie d'une proposition dénuée de dogmatisme. Or l'humilité fait long feu, puisque demandant ce qu'est cette "hypothèse communiste", Alain Badiou répond nettement qu'elle "tient en trois axiomes". Le sommeil dogmatique n'aura pas duré longtemps : l'hypothèse se révèle série d'axiomes, énoncés évidents, non démontrables, et universels. On est loin de l'hypothèse, proposition avancée provisoirement, et devant être ultérieurement contrôlée. Premier temps de la liquidation, donc, la fusion-absorption d'une dialectique, opération intellectuelle hautement réflexive, en une axiomatique, manœuvre bassement impérative, le tout sous la couverture rhétorique d'une hypothétique.

Deuxième mot : "témoin-clé". Cherchant dans le présent la figure qui saura donner à "l'hypothèse communiste" une morale provisoire – il est n'est pas certain que Descartes apprécierait l'emprunt –, Alain Badiou place au centre de la scène de l'histoire celui qu'il nomme le "témoin-clé", entendez, "le prolétaire immigré sans papiers". A nouveau, la liquidation, quoique habile, est sans détour : pour Marx, le prolétaire n'avait pas de patrie, il était non le témoin (fût-il clé), mais bien le héros de l'histoire. Non pas victime sacrificielle d'un processus historique qui le dépasse et le détruit, mais acteur principal d'une histoire qu'il produit, et d'un monde qu'il transforme, par son travail. Avec Badiou, le jeu s'inverse : l'acteur devient figurant ; il est incontournable non en fonction de sa centralité dans l'histoire, mais, au contraire, de son exclusion, de sa mise à l'écart. Autrement dit, le prolétaire de Badiou, "témoin-clé", a l'intéressante propriété d'être placé en garde-à-vue.

En deux mots donc, la dialectique produite par un acteur devient une axiomatique subie par un témoin. Pour Marx, les hommes font leur histoire, mais ils ne savent pas l'histoire qu'ils font : avec Badiou, les hommes ne font pas leur histoire – et ils ne savent pas l'histoire qu'ils ne font pas. Sans prévenir, la catégorie intellectuelle du fétichisme – mobilisée en son temps par Marx afin de dénoncer la dissimulation du produit du travail de l'homme sous le voile des échanges de marchandises – se retourne contre les tenants de "l'hypothèse communiste". La fétichisation de l'immigré sans papiers ouvre la voie à la métamorphose du spectre du communisme en un sceptre, assurant à ses titulaires une confortable rente en ces temps de désarroi idéologique, et accessoirement un redoutable ascendant sur les "témoins-clés" de l'histoire. Peu importent les opinions politiques : pour tous, il y a certainement ces jours-ci le plus grand profit à relire Marx – et avec lui, tous les auteurs du XIXe siècle, chaudron dont sont sorties certaines catégories politiques qui continuent d'être les nôtres. Est-il permis cependant de proposer que cette relecture, forcément critique, gagnerait à prendre ses distances avec toute opération de liquidation ? Cette proposition n'est évidemment qu'une hypothèse.

Jérôme Batout est docteur en philosophie et en sciences sociales.

Posté

Avec ces deux exemples, on est plutôt dans le fil "ces intellos qui rejettent l'intelligence" ou, à tout le moins, "ces intellos qui rejettent la réalité".

Posté
…se pique de refonder l'hypothèse communiste sur une base axiomatique, en lui prêtant la forme d'une idée permanente, universelle, inhérente à la Raison, qu'une nouvelle discipline de classe rendrait effective.

Il refonde rien du tout, le gusse. Il refourgue la classique doxa coco qui était déjà un axiomatisme supposément fondé sur la raison. Le seul truc c'est que depuis Marx, il y a eu un stût : les prolos ont disparu. C'est plutôt con si on veut fonder une dictature du prolétariat. Donc, le couillon, comme les guignols du NPA, débusque désespérément les derniers représentants du prolétariat ou inclue dans cette espèce animale désormais éteinte des brols qui n'ont rien à y foutre (sans-papiers, lesbiennes en mal d'avortement, demeurés qui cherchent leur pied dans une caricature d'Islam, etc.)

Posté
Si, ça l'est. Déjà, pour commencer, il faut adhérer à cette absurde idée de "sens de l'Histoire".

Je ne vais pas défendre le livre de Fukuyama qui était assez médiocre avec - au moins dans la version française des confusions entre louis XIII et Louis XIV.

Maintenant, il y a au moins un domaine où l'histoire progresse continument : c'est la technologie et la maitrise du monde qu'elle permet. Il n'est donc pas absurde d'imaginer que cette évolution de la condition humaine entraine mécaniquement une évolution politique et donc une évolution historique.

Posté
Il n'est donc pas absurde d'imaginer que cette évolution de la condition humaine entraine mécaniquement une évolution politique et donc une évolution historique.

Depuis l'Antiquité, on aurait déjà dû repérer ce genre d'évolution, non ?

Posté
La disparition de l'esclavage, puis du servage par exemple.

Mauvais exemple : l'esclavage aux États-Unis a explosé après l'indépendance américaine justement à cause des progrès technologiques des filatures qui a multiplié la demande de coton au niveau mondial. La disparition de l'esclavage et du servage est liée à des considérations philosophico-politiques et non pas à un calcul économique ou à un progrès des technologiques.

Posté
Mauvais exemple : l'esclavage aux États-Unis a explosé après l'indépendance américaine justement à cause des progrès technologiques des filatures qui a multiplié la demande de coton au niveau mondial. La disparition de l'esclavage et du servage est liée à des considérations philosophico-politiques et non pas à un calcul économique ou à un progrès des technologiques.

Non, ce n'est pas un mauvais exemple…

C'est bien sûr des considération philosophique qui ont conduit à la guerre de sécession. Mais si c'est les pays non-esclavagiste qui ont fini par la gagner, c'est bien parce que leur système économique était supérieur à celui des états esclavagiste. Ma thèse est de dire que le progrès technologique permet de faire émerger de nouveau systèmes d'organisations qui peuvent se révéler plus performants que les anciens et les éradiquer.

Maintenant, d'autres considérations (culturels, philosophique, politiques) peuvent accélérer (guerre de sécession) ou ralentir (abolition du servage en russie) le processus.

Une autre évolution plus récente (je ne noie pas le poisson en détournant le sujet, mais tente juste d'illustrer mon propos), c'est l'émergence puis la disparition progressive du taylorisme qui a rendu possible puis impossible l'organisation d'une société communiste.

Posté
Non, ce n'est pas un mauvais exemple…

Ben si, je t'explique que le progrès technologique a provoqué une explosion de l'esclavage aux États-Unis après 1800 alors qu'il était faible et en voie de disparition au moment de l'indépendance (c'est d'ailleurs sur ce fait que tablaient les Pères Fondateurs).

Posté
Badiou, toujours fasciné par l'étude des fossiles, se pique de refonder l'hypothèse communiste sur une base axiomatique, en lui prêtant la forme d'une idée permanente, universelle, inhérente à la Raison, qu'une nouvelle discipline de classe rendrait effective. Seul un manque de discipline collective expliquant la désuétude du communisme, il conviendrait donc de rendre désirable la dictature du prolétariat, figure victimaire incarnée aujourd'hui par l'immigré sans-papier censée déclencher la mobilisation progressiste. Il est intéressant de remarquer que les axiomatiques de camps opposés reproduisent une erreur similaire en abusant de cette méthode déductive qui les conduit à prendre leurs hypothèses pour la réalité et leurs évaluations pour des prophéties.

En général avec Badiou ça se passe comme ça :

Alain-Badiou-1_DR.jpg

Il explique.

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On écoute.

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On finit consterné.

C'est bien sûr des considération philosophique qui ont conduit à la guerre de sécession. Mais si c'est les pays non-esclavagiste qui ont fini par la gagner, c'est bien parce que leur système économique était supérieur à celui des états esclavagiste.

Ca n'a rien d'évident comme cause à effet :icon_up:

Posté
Ben si, je t'explique que le progrès technologique a provoqué une explosion de l'esclavage aux États-Unis après 1800 alors qu'il était faible et en voie de disparition au moment de l'indépendance (c'est d'ailleurs sur ce fait que tablaient les Pères Fondateurs).

Que le progrès technique se soit traduit par une forte demande de coton, je suis d’accord. Que ce coton soit produit dans les états esclavagistes avec une meilleure rentabilité que dans les états non-esclavagistes, je peux l’admettre.

En déduire comme tu le fais que c’est le progrès technologique qui a entrainé la recrudescence de l’esclavage aux USA est à mon sens tout à fait faux. D’une part, parce qu’il n’y a pas eu recrudescence mais simplement accroissement naturel : la traite (l’importation) a été interdite au début du siècle. D’autre part, les esclaves n’étaient pas affecté uniquement (ni même majoritairement si ma mémoire est bonne) à la culture du coton même en 1860.

Enfin, et pour en revenir à ma thèse initiale, je crois qu’on peut être d’accord pour dire que l’esclavage a fini par être aboli aux USA et même au Brésil, tout comme le servage. Et il me semble qu’effectivement c’est une des ruptures importantes que tu me demandais de citer par rapport à l’antiquité.

Posté
Ca n'a rien d'évident comme cause à effet :icon_up:

La guerre de sécession a été l'une des premières guerres totales depuis au moins la renaissance. C'est à dire une guerre qui se traduit par la disparition des structures politiques du vaincu et qui de ce fait mobilise la totalités des forces des belligérants.

On peut considérer que la défaite des confédérés ne prouve pas la faiblesse intrinsèque de leur modèle économique par rapport aux états du nord. le ratio de population (et de troupes) étant de 1 à 2 en faveur du nord. Mais de fait, ils se privaient de l'adhésion et du soutient de 30 % de leur population dès le départ.

Posté
D’une part, parce qu’il n’y a pas eu recrudescence mais simplement accroissement naturel..

Tu sais, c'est très facile de faire exploser une population de manière naturelle. Faire engrosser une esclave, rien de plus simple.

Et il me semble qu’effectivement c’est une des ruptures importantes que tu me demandais de citer par rapport à l’antiquité.

La rupture par rapport à l'Antiquité en ce qui concerne l'esclavage, c'est le christiannisme, pas la technologie.

Posté
La rupture par rapport à l'Antiquité en ce qui concerne l'esclavage, c'est le christiannisme, pas la technologie.

Même en chine ? ou dans les pays musulmans ? Et que je sache, l'occident n'avait pas abandonné le christianisme quand il a mis en place la traite, ni l'empire romain aboli l'esclavage quand il s'est converti au christianisme.

Posté
…l'occident n'avait pas abandonné le christianisme quand il a mis en place la traite…

Le christiannisme n'a certes pas erradiqué du jour au lendemain l'esclavage, mais c'est bien lui qui - dans nos régions amenées à devenir technologiques - est à la base de son abandon.

Posté
En général avec Badiou ça se passe comme ça :

Alain-Badiou-1_DR.jpg

Il explique.

Alain-Finkielkraut-3_DR.jpg

On écoute.

Badiou-Finkielkraut-1_DR.jpg

On finit consterné.

:icon_up:

Posté
Le christiannisme n'a certes pas erradiqué du jour au lendemain l'esclavage, mais c'est bien lui qui - dans nos régions amenées à devenir technologiques - est à la base de son abandon.

C’est un peu paradoxal. D’une part, tu contestes la thèse que le progrès technologique a été la cause principale de l’abandon de l’esclavage par un contre-exemple – qui même si on l’admet – n’a duré que 60 ans, de l’autre cela ne te gène pas d’invoquer une cause (le christianisme) qui aura mis 19 siècles pour aboutir.

Un autre paradoxe, c’est que tu suppose – avec le christianisme – qu’une idée peut transformer le monde. Je suis d’accord avec toi. Et le progrès technologique, ce n’est rien d’autres que des idées permettant de manipuler le monde matériel, et ce faisant le monde tout court.

Je ne suis pas sûr que l’on puisse considérer que les idées philosophiques ou religieuse aient une flèche du temps. C’est à dire qu’une nouvelle interprétation réfute les anciennes. Mais c’est possible et dans ce cas, l’histoire a un sens à travers l’histoire des conceptions philosophiques.

Ce n’est pas thèse, Elle est bien plus simple et ne s’intéresse qu’aux techniques. Et l'évolution des techniques est orientée.

Posté
Le christiannisme n'a certes pas erradiqué du jour au lendemain l'esclavage, mais c'est bien lui qui - dans nos régions amenées à devenir technologiques - est à la base de son abandon.

Ca me conforte dans l'idée que les croyances religieuses personnelles sont incompatibles avec un raisonnement objectif. C'est tellement ridicule que ça en devient drôle.

L'esclavage prend fin lorsqu'il est moins productif - donc plus coûteux pour les maîtres - que le travail libre. Je renvois au chapitre de Simonnot sur l'Etat dans ses 39 leçons ; ainsi qu'à toute la nouvelle économie des institutions des années 1970 (law and economics, public choice, histoire économique de D. North etc.).

NB : Les idées ne mènent pas le monde ; loin de là. Il faut lire - et relire - les écrits de Debray sur la médiologie pour s'en convaincre.

EDIT : après avoir relu le passage sur l'esclavage dans les 39 leçons, Simonnot lui-même se moque, à l'appuis de faits historiques, de l'élève qui - comme Lucilio - défend l'idée que le christianisme a eu un rôle dans l'abandon de l'esclavage par l'Occident.

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