Rincevent Posté 28 octobre 2017 Signaler Posté 28 octobre 2017 Il y a 12 heures, Johnathan R. Razorback a dit : Je relis la section du Ainsi parlait Zarathoustra intitulé "De la nouvelle idole". Il y a là dedans plus qu'assez pour faire un sort à l'appropriation fasciste de Nietzsche. Rien ne le dégoutait tant qu'un État qui s'occupe de culture. Masquer le contenu « L'Etat, qu'est-ce que c'est ? Allons ! Maintenant ouvrez vos oreilles, car je vais vous dire ce que j'ai à vous dire de la mort des peuples. L'Etat c'est ainsi que s'appelle le plus froid des monstres froids et il ment froidement, et le mensonge que voici sort de sa bouche: "Moi, l'Etat, je suis le peuple." C'est un mensonge ! Des créateurs, ce furent ceux qui créèrent les peuples et qui accrochèrent une foi et un amour au-dessus d'eux: c'est ainsi qu'ils servirent la vie. Des destructeurs sont ceux qui tendent des pièges pour des multitudes et les appellent l'Etat: ils suspendent au-dessus d'eux un glaive et cent appétits. Là où le peuple existe encore, il ne comprend pas l'Etat et il le hait comme un mauvais œil et comme un péché contre les coutumes et les droits. Je vous donne le signe que voici: chaque peuple parle sa langue quand au bien et au mal: le voisin ne la comprend pas. Sa langue, il se l'est inventée dans les coutumes et le droit. Mais l'Etat, lui, ment dans tous les idiomes du bien et du mal ; et quoi qu'il dise, il ment -et ce qu'il possède, il l'a volé. Tout est faux en lui ; il mord avec des dents volées, lui qui mord si volontiers. Fausses sont même ses entrailles. Confusion des langues du bien et mal: ce signe, je vous le donne comme signe de l'Etat. A la vérité, c'est la volonté de mort qu'indique ce signe ! En vérité, il appelle les prédicateurs de la mort. Il naît beaucoup trop d'humains: pour ceux qui sont en trop, on a inventé l'Etat ! Regardez donc comme il les attire, ces trop-nombreux ! Comme il les ingurgite, et mâche et remâche ! "Sur terre il n'est rien de plus grand que moi: je suis le doigt qui crée l'ordre, le doigt de Dieu", voilà ce que hurle le monstre. Et ce ne sont pas seulement ceux qui ont les oreilles longues et la vue courte qui tombent à genoux ! Hélas, en vous aussi, ô grandes âmes, il susurre ses sombres mensonges ! Hélas, il devine les cœurs riches qui aiment à se dépenser ! Oui, vous aussi il vous devine, vous, vainqueurs du dieu ancien ! Vous vous êtes fatigués au combat et maintenant votre fatigue, de plus, sert à la nouvelle idole. Elle aimerait disposer autour d'elle héros et hommes d'honneur, la nouvelle idole. Il aime à se chauffer au soleil des bonnes consciences -ce monstre froid ! Elle veut tout vous donner pourvu que vous l'adoriez, la nouvelle idole: aussi achète-t-elle l'éclat de vos vertus et le fier regard de vos yeux ! Elle veut se servir de vous pour appâter ceux qui sont en surnombre ! Oui, il est vrai, on a fait là une trouvaille d'une diabolique habileté: un cheval de mort, tout cliquetant des oripeaux d'honneurs divins. Oui, l'on a inventé là une mort pour les multitudes, une mort qui se vante d'être la vie: en vérité, un fier service rendu à tous les prédicateurs de mort ! J'appelle Etat le lieu où sont tous ceux qui boivent du poison, qu'ils soient bons ou mauvais ; Etat, l'endroit où ils se perdent tous, les bons et les méchants ; Etat, le lieu où le lent suicide de tous s'appelle - "la vie". Regardez-les-moi, ces superflus, ils volent les œuvres des inventeurs et les trésors des sages: leur vol, ils l'appellent culture -et tout leur devient maladie et revers ! Regardez-les-moi, ces superflus ! Toujours ils sont malades, ils vomissent leur bile et c'est ce qu'ils appellent leurs journaux. Ils s'entre-dévorent et ne sont pas même capables de se digérer. Regardez-les-moi donc, ces superflus ! Ils acquièrent des richesses et en deviennent plus pauvres. Ils veulent la puissance et avant tout le levier de la puissance, ils veulent beaucoup d'argent, ces impuissants ! Regardez-les grimper, ces singes agiles ! Ils grimpent les uns par-dessus les autres et ainsi s'entraînent dans la boue et l'abîme. Tous, ils veulent accéder au trône: c'est leur folie -comme si le bonheur était assis sur le trône ! C'est souvent la boue qui est sur le trône -et souvent aussi le trône est sur la boue. Tous, ils m'apparaissent des fous, des singes qui grimpent, des surexcités. Leur idole sent mauvais, ce monstre froid: tous autant qu'ils sont, ils sentent mauvais, ces idolâtres. Mes frères, voulez-vous donc étouffer dans les émanations de leurs gueules et de leurs appétits ? Brisez plutôt les fenêtres et sautez dehors, à l'air libre. Écartez-vous donc de la mauvaise odeur. Fuyez l'idolâtrie des superflus ! Écartez-vous donc de la mauvaise odeur ! Fuyez donc les vapeurs de ces sacrifices humains ! Pour de grandes âmes, la terre est encore à leur disposition. Bien des endroits sont encore vides pour que viennent s'y établir les ermites, seuls ou à deux ; l'odeur de mers tranquilles les entoure. Une vie libre est encore ouverte aux grandes âmes. En vérité, celui qui possède peu est d'autant moins possédé: louée soit la petite pauvreté. Là où cesse l'Etat, c'est là que commence l'homme, celui qui n'est pas superflu: là commence le chant de ce qui est nécessaire, la mélodie unique et irremplaçable. Là où cesse l'Etat, -regardez donc, mes frères ! Ne les voyez-vous pas, l'arc-en-ciel et les ponts du surhumain ?" Ainsi parlait Zarathoustra. » -Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre pour tous et pour personne, Première Partie, "De la nouvelle idole", trad. Georges-Arthur Goldschmidt, Librairie générale française, coll. Le Livre de poche classique, 1983, 410 pages, p.65-69. Free_jazz, sors de ce corps !
Stuart Tusspot Posté 28 octobre 2017 Signaler Posté 28 octobre 2017 Quelqu'un lit il le nouveau homo deus: une brève histoire de l'avenir ? J'avais bien aimé «sapiens» mais celui-ci semble plus pessimiste.
Johnathan R. Razorback Posté 28 octobre 2017 Signaler Posté 28 octobre 2017 il y a 22 minutes, Rincevent a dit : Free_jazz, sors de ce corps ! Lui aussi a souligné l'anti-étatisme de Nietzsche ? J'avais lu ça aussi: http://www.thierry-guinhut-litteratures.com/article-pourquoi-un-liberal-lit-il-nietzsche-romantisme-philosophie-critique-et-politique-100149601.html Ne pas oublier l'influence de l'individualisme de Nietzsche sur Ayn Rand. Le texte ci-dessus serait quasi du Rand en ouvrant la notion de création à l'économie et pas seulement à la "bourgeoisie de culture" (dont un penseur comme Nietzsche exprime typiquement la crise morale face à la formation de l'Etat modernisateur, technocratique et militarisé qu'était le 2ème Reich). Rien que le "tout ce qu'il l'a, l'Etat l'a volé" est éloquent.
Rincevent Posté 28 octobre 2017 Signaler Posté 28 octobre 2017 à l’instant, Johnathan R. Razorback a dit : Lui aussi a souligné l'anti-étatisme de Nietzsche ? Oui. Et il citait régulièrement ce texte.
Johnathan R. Razorback Posté 28 octobre 2017 Signaler Posté 28 octobre 2017 En revanche il est tout à fait faux de faire passer Nietzsche pour un libéral: https://www.catallaxia.org/wiki/Friedrich_Nietzsche:Nietzsche_était_un_libéral ça revient, non seulement à passer outre les attaques continuels de Nietzsche contre le libéralisme, "l'esprit mercantile anglais" ou "bourgeois", etc, mais aussi à identifier libéralisme et individualisme. Or l'individualisme peut ne pas être libéral. C'est le cas chez Stirner notamment. L'anarchisme individualiste n'est pas non plus compatible avec le libéralisme, car, s'il refuse le collectif comme autoritaire, il rejette aussi la propriété privée des moyens de production sous le même prétexte. Alain Cohen-Dumouchel le souligne d'ailleurs: http://www.gaucheliberale.org/post/2008/03/08/Nietzsche-%3A-Mon-idee-de-la-liberte
Soda Posté 29 octobre 2017 Signaler Posté 29 octobre 2017 Dans fountainhead on retrouve bien l'esprit de décadence de Nietzsche aussi avec l'art architecturale qui ne fait que copier l'ancien face au style avant-gardiste de Howard Roark.
Lancelot Posté 29 octobre 2017 Signaler Posté 29 octobre 2017 Quote Territoires du sens: essais d'ethanalyse, 2014, p.9 Plutôt euthanalyse, amiright?
Nigel Posté 29 octobre 2017 Signaler Posté 29 octobre 2017 Nietzsche est une espèce d'anarchiste aristo-réac ahah. Pour moi, il a le même genre de rêves de société idéale qu'un facho, mais il aimerait que tout ceci se fasse naturellement. Quelque part pour lui, qu'il faille réclamer à l'Etat la mise en place de cet ordre naturel aristocratique est justement contre-nature, immoral, honteux et ridicule. La place des forts et des faibles devrait tomber sous le sens. Cela dit, si on voit Nietzsche plus comme un poète que comme un philosophe politique, alors il a ma sympathie. Il est touchant le garçon.
Johnathan R. Razorback Posté 29 octobre 2017 Signaler Posté 29 octobre 2017 il y a 10 minutes, Nigel a dit : La place des forts et des faibles devrait tomber sous le sens. Il y a de ça. Du moins à la fin des fins, parce que si on s'intéresse à la démarche philosophique de Nietzsche, sa critique de la culture, on voit qu'il passe son temps à s'interroger sur le caractère vitalisant et décadent, fort ou faible de tel ou tel élément / culture, etc., sur qu'est-ce que ça fait de croire telle ou telle chose et d'où vient cette croyance ou cette façon d'être. Et ses jugements sont loin d'être toujours arrêtés ou univoques. Par exemple la notion de décadence n'a pas forcément un sens péjoratif chez Nietzsche, contrairement à ce qu'une lecture rapide donne à croire. Je suis rarement d'accord avec ses conclusions, en particulier en philosophie politique, mais sa manière de penser est tout à fait originale et digne d'intérêt. Et c'est bien sûr un styliste incomparable. Et oui, Nietzsche est très difficilement classable. Il représente une droite romantique, c'est tout ce qu'on peut dire (et ce en dépit des attaques répétés de Nietzsche contre le romantisme). Et Löwy, qui écrit des choses remarquables sur le romantisme, à tort de dire de Nietzsche est un romantique résigné, c'est beaucoup plus ambivalent que ça. "Le destin de l'humanité tient à la réussite de son plus haut modèle. - J'ai depuis mon plus jeune âge réfléchi aux conditions d'existence du sage ; et je ne tairai pas ma joyeuse conviction qu'il est aujourd'hui en Europe de nouveau possible -peut-être seulement pour une brève période." (Été-automne 1884. 26 [75], p.192) -Friedrich Nietzsche, Œuvres philosophiques complètes, X, Fragments posthumes. Printemps-automne 1884, Gallimard, NRF, 1982, 386 pages.
Lancelot Posté 29 octobre 2017 Signaler Posté 29 octobre 2017 Je n'ai pas le souvenir d'avoir lu beaucoup de philosophie politique chez Nietzsche, plutôt beaucoup de morale (donc comment s'améliorer soi plutôt que comment gérer la société).
Johnathan R. Razorback Posté 29 octobre 2017 Signaler Posté 29 octobre 2017 Certains l'ont nié ("Nietzsche est avant tout un artiste", etc.), mais il y a bel et bien une philosophie politique chez Nietzsche et une ébauche de projet politique. "Nietzsche récusera l’uniformisation et le nivellement décadent mis en œuvre par l’institution étatique. Selon lui, l’Etat moderne, en tant que concept unitaire et absolu, détruit toute tentative de dépassement de soi. Il est une entité sociale et objective qui écrase l’individualité du sujet libre et pensant et mène à l’uniformisation de la pensée, laquelle devient commune, unique, irréfutable. Nietzsche annonce, ainsi, avec clairvoyance les totalitarismes athées du XXème siècle qui procéderont à la négation pure et simple de l’individu. D’après lui, l’Etat universel est, donc, l’accomplissement de la transposition au domaine rationnel du corpus mythique apollinien, il s’y substitue pour devenir le nouveau Dieu lumineux et purificateur. Mais l’idée d’Etat chez Nietzsche n’est pas tout entière, ici, puisqu’elle recouvre outre ce sens apollinien, un sens plus positif." "L’avènement du rationalisme imputé par Nietzsche à Socrate aurait ainsi provoqué la mort de l’Etat intemporel et artistique dont les fondations reposaient sur le socle de la pensée mythique issue de l’art tragique grec." "Par-delà le bien et le mal appelle de son vœu « la Grande politique » en proposant une Europe unifiée* contre les Etats-Nation." "Pour Nietzsche, la fin de l’Etat moderne n’est plus l’exaltation et la création artistiques comme dans l’Etat primitif ou celui de la Renaissance, mais la domination du plus faible. Celle-ci est d’autant mieux acceptée par les dominés qu’elle est intériorisée, indolore et inconsciente." "Seuls les petits Etats peuvent être considérés comme correspondant au paradigme nietzschéen puisqu’ils favorisent les guerres de territoire." "La Florence de Laurent de Médicis et de Machiavel demeure le modèle implicite de l’Etat dressé dans Humain trop humain, sans pour autant que le modèle précédent, celui de l’Etat grec né de la conquête barbare et centré sur une caste de guerrier, soit abandonné." -Pascal Morvan, Nietzsche et l'État. *L'européisme façon "Nouvelle droite" se réclame de cet aspect du projet politique de Nietzsche, en faisant du reste l'impasse sur le fait que Nietzsche exalte la bigarrure (cf: http://hydre-les-cahiers.blogspot.fr/2016/04/jugement-sur-nietzsche.html ), le savant mélange des peuples et des races, et non la phobie du métissage niveleur cher aux ethno-"différentialistes"...
Johnathan R. Razorback Posté 29 octobre 2017 Signaler Posté 29 octobre 2017 Vous reprendrez bien un peu d'apologie du Welfare State dans un texte (obligatoire dans mon cours de culture économique) qui est censé n'avoir aucun rapport ? : « [L'idéologie du laissez faire d'Adam Smith contient] une part de vérité, une part de mauvaise foi, mais aussi d'illusion. Peut-on oublier combien de fois le marché a été tourné ou faussé, le prix arbitrairement fixé par les monopoles de fait ou de droit ? Et surtout, en admettant les vertus concurrentielles du marché ("le premier ordinateur mis au service des hommes"), il importe de signaler au moins que le marché, entre production et consommation, n'est qu'une liaison imparfaite, ne serait-ce que dans la mesure où elle reste partielle. Soulignons ce dernier mot: partielle. En fait, je crois aux vertus et à l'importance d'une économie de marché, mais je ne crois pas à son règne exclusif. [...] Si, depuis plus d'une cinquantaine d'années, les économistes, instruits par l'expérience, ne défendent plus les vertus automatiques du laissez faire, le mythe ne s'est pas encore effacé dans l'opinion publique et les discussions politiques d'aujourd'hui. » -Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Flammarion, coll. Champ.Histoire, 2008 (1985 pour la première édition), 122 pages, p.48-49.
Lancelot Posté 29 octobre 2017 Signaler Posté 29 octobre 2017 1 hour ago, Johnathan R. Razorback said: Certains l'ont nié ("Nietzsche est avant tout un artiste", etc.), mais il y a bel et bien une philosophie politique chez Nietzsche et une ébauche de projet politique. Les sources de seconde ou troisième main (ceci n'est pas une invitation à poster 3 pages de citations de Nietzsche)... Par ailleurs dire "c'est avant tout un artiste" n'est pas contradictoire avec le fait qu'il ait des opinions sur la politique, comme tout le monde. C'est juste un point très secondaire de sa pensée qu'on ne perd pas grand chose à ignorer.
Johnathan R. Razorback Posté 29 octobre 2017 Signaler Posté 29 octobre 2017 il y a 9 minutes, Lancelot a dit : Les sources de seconde ou troisième main (ceci n'est pas une invitation à poster 3 pages de citations de Nietzsche)... Je vais être sobre alors "Du fait du clivage maladif que la démence nationaliste à instaurer entre les peuples de l'Europe, du fait également des politiques à la vue basse et à la main leste qui, grâce à elle, occupent aujourd'hui le haut du pavé et ne soupçonnent pas le moins du monde à quel point la politique de désunion qu'ils pratiquent ne peut être, de toute nécessité, qu'une politique d'entracte, -du fait de toutes ces choses et de bien d'autres, aujourd'hui tout à fait inexprimables, on néglige ou réinterprète de manière arbitraire et mensongère les signes les moins équivoques à travers lesquels s'exprime le fait que l'Europe veut devenir une. Pour ce qui est de tous les hommes plus profonds et plus amples de ce siècle, la véritable orientation générale du travail mystérieux de leur âme consista à préparer la voie à cette synthèse nouvelle et à faire advenir par anticipation, à titre expérimental, l'Européen de l'avenir: c'est seulement dans leurs aspects superficiels, ou à leurs heures de plus grande faiblesse, par exemple avec l'âge, qu'ils appartinrent aux "patries", -ils ne firent que se reposer d'eux-mêmes en devenant "patriotes". Je songe à des hommes comme Napoléon, Goethe, Beethoven, Stendhal, Heinrich Heine, Schopenhauer: que l'on ne m'en veuille pas de ranger également parmi eux Richard Wagner." -Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal, traduction Patrick Wotling, Paris, GF Flammarion, 2000 (1886 pour la première édition allemande), 385 pages, p.240, §256. C'est pas forcément essentiel mais c'est cohérent avec le reste de la pensée de Nietzsche. Lutte contre l’affadissement égalitaire, donc lutte contre l'Etat-Nation égalitaire révolutionnaire comme contre la mobilisation nationaliste Bismarckienne, donc éloge du modèle des cités-états ou du saint-empire germanique... et possibilité de recréer une union politique non-homogénéisante à l'échelle du continent.
Rincevent Posté 29 octobre 2017 Signaler Posté 29 octobre 2017 Il y a 4 heures, Johnathan R. Razorback a dit : Je vais être sobre alors C'est rigolo, on n'a pas la même définition de la sobriété.
NoName Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 Il y a vraiment des gens qui lisent les WOT de JRR ?
ttoinou Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 Moi je lis ses citations-romans, toujours intéressant merci 1
NoName Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 Je viens de terminer l'âge de diamant. C'est dingue de se dire qu'un homme seul avec juste un cerveau peut écrire un truc aussi totalement dingue et luxuriant à la fois. C'est encore plus ouf quand tu te dis que le mec fait ça avec chacun de ses livres.
Flashy Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 Le 29/10/2017 à 01:30, Johnathan R. Razorback a dit : En revanche il est tout à fait faux de faire passer Nietzsche pour un libéral: https://www.catallaxia.org/wiki/Friedrich_Nietzsche:Nietzsche_était_un_libéral Je ne vois pas comment on peut le faire passer pour libéral, dès lors qu'on l'a lu (et, pour le comprendre, re-lu et ruminer). Il y a 23 heures, Nigel a dit : Nietzsche est une espèce d'anarchiste aristo-réac ahah. Pour moi, il a le même genre de rêves de société idéale qu'un facho, mais il aimerait que tout ceci se fasse naturellement. Quelque part pour lui, qu'il faille réclamer à l'Etat la mise en place de cet ordre naturel aristocratique est justement contre-nature, immoral, honteux et ridicule. La place des forts et des faibles devrait tomber sous le sens. Cela dit, si on voit Nietzsche plus comme un poète que comme un philosophe politique, alors il a ma sympathie. Il est touchant le garçon. Nietzsche a indéniablement un côté élitiste mais n'est pas réactionnaire : il se méfie des traditions, des dogmes, des vieilles morales rances. Je ne vois pas comment on peut qualifier de réactionnaire (au sens à donner à ce mot-là à un gars du XIXème siècle) un type qui est profondément a-moral (d'un point de vue chrétien). Ainsi, la morale chrétienne, ce sont les faiblesses dressées en vertus : la pauvreté, l'humilité, l'obéissance, le mépris de la chair et de soi. Pas vraiment le discours d'un réactionnaire, je trouve. Les valeurs vitales, le sexe, la volonté de puissance (dirigée vers la création, non la destruction), la pluralité des êtres, des systèmes, des hommes, voilà ce que Nietzsche (à mon sens) tient en haute estime. J'insiste sur l'importance de la diversité : de nouvelles perspectives, de nouvelles valeurs sont autant de chemins vers le surhomme. Il n'est pas non plus anarchiste : la volonté de puissance implique l'ambition de dominer ; il y a nécessairement hiérarchie. Par contre, il n'est clairement pas antisémite: il suffit de relire Humain, trop humain (paragraphe 475) où son avis sur les juifs : "En passant : tout le problème des Juifs n'existe que dans les limites des Etats nationaux, en ce sens que là, leur activité et leur intelligence supérieure, le capital d'esprit et de volonté qu'ils ont longuement amassé de génération en génération à l'école du malheur, doit arriver à prédominer généralement dans une mesure qui éveille l'envie et la haine, si bien que dans presque toutes les nations d'à présent -et cela d'autant plus qu'elles se donnent plus des airs de nationalisme - se propage cette impertinence de la presse qui consiste à mener les Juifs à l'abattoir comme les boucs émissaires de tous les maux possibles publics et privés. Dès lors qu'il n'est plus question de conserver ou d'établir des nations, mais de produire et d'élever une race mêlée d'Européens aussi forte que possible, le Juif est un ingrédient aussi utile que désirable qu'aucun autre reste national". Cela continue sur deux pages, où il encense les apports du Juif à l'humanité (en faisant mine d'admettre les horribles défauts du peuple juif, pour ensuite rappeler qu'aucun peuple n'a plus apporté à l'Europe). Il y a 23 heures, Johnathan R. Razorback a dit : Il y a de ça. Du moins à la fin des fins, parce que si on s'intéresse à la démarche philosophique de Nietzsche, sa critique de la culture, on voit qu'il passe son temps à s'interroger sur le caractère vitalisant et décadent, fort ou faible de tel ou tel élément / culture, etc., sur qu'est-ce que ça fait de croire telle ou telle chose et d'où vient cette croyance ou cette façon d'être. Et ses jugements sont loin d'être toujours arrêtés ou univoques. Par exemple la notion de décadence n'a pas forcément un sens péjoratif chez Nietzsche, contrairement à ce qu'une lecture rapide donne à croire. La faiblesse n'est qu'une étape. La morale de l'esclave est aussi nécessaire que la morale du maître (la seconde est barbare, la première permet de civiliser la seconde ; les deux sont nécessaires pour obtenir un dépassement). Il y a 23 heures, Johnathan R. Razorback a dit : Je suis rarement d'accord avec ses conclusions, en particulier en philosophie politique, mais sa manière de penser est tout à fait originale et digne d'intérêt. Et c'est bien sûr un styliste incomparable. Tout à fait. Il y a 21 heures, Lancelot a dit : Je n'ai pas le souvenir d'avoir lu beaucoup de philosophie politique chez Nietzsche, plutôt beaucoup de morale (donc comment s'améliorer soi plutôt que comment gérer la société). Il a un avis bien arrêté sur l'Etat ou le socialisme, pourtant. Il y a 4 heures, NoName a dit : Je viens de terminer l'âge de diamant. C'est dingue de se dire qu'un homme seul avec juste un cerveau peut écrire un truc aussi totalement dingue et luxuriant à la fois. C'est encore plus ouf quand tu te dis que le mec fait ça avec chacun de ses livres. Oui, c'est impressionnant. Je me demande comment il fait.
Johnathan R. Razorback Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 il y a 6 minutes, Flashy a dit : le sexe [...] voilà ce que Nietzsche (à mon sens) tient en haute estime. Attention, contrairement à la débilité introduite par le "nietzschéisme de gauche" (Klossowski, Foucault, Deleuze -et nettement plus calamiteux encore, Onfray), Nietzsche n'est pas du tout un hédoniste (ni de gauche, mais à moment donné il faudrait lire ses textes sans consommer de stupéfiants... n'est-ce-pas Derrida ?...). Peindre Nietzsche en pré-soixante-huitard est un travestissement idiot. Il a reçu une éducation protestante qui lui a laissé une certaine méfiance vis-à-vis de la sexualité (sans entrer dans le détail de sa vie personnel), il ne cesse de parler de "discipline", de "dressage des pulsions", etc. Nietzsche n'est pas non plus puritain mais la sexualité peut à ses yeux devenir facteur d'amoindrissement lorsqu'elle est investie au détriment des activités créatrices (au sens large). Le mot d'ordre nietzschéen est "danser dans les chaînes", et non "jouir sans entraves".
Flashy Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 il y a 14 minutes, Johnathan R. Razorback a dit : Attention, contrairement à la débilité introduite par le "nietzschéisme de gauche" (Klossowski, Foucault, Deleuze -et nettement plus calamiteux encore, Onfray), Nietzsche n'est pas du tout un hédoniste (ni de gauche, mais à moment donné il faudrait lire ses textes sans consommer de stupéfiants... n'est-ce-pas Derrida ?...). Peindre Nietzsche en pré-soixante-huitard est un travestissement idiot. Il a reçu une éducation protestante qui lui a laissé une certaine méfiance vis-à-vis de la sexualité (sans entrer dans le détail de sa vie personnel), il ne cesse de parler de "discipline", de "dressage des pulsions", etc. Nietzsche n'est pas non plus puritain mais la sexualité peut à ses yeux devenir facteur d'amoindrissement lorsqu'elle est investie au détriment des activités créatrices (au sens large). Le mot d'ordre nietzschéen est "danser dans les chaînes", et non "jouir sans entraves". Je n'ai jamais dit qu'il était hédoniste. J'ai dit que les choses de la chair faisaient partie des choses que le surhomme nietzschéen ne méprise pas.
Johnathan R. Razorback Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 il y a 3 minutes, Flashy a dit : J'ai dit que les choses de la chair faisaient partie des choses que le surhomme nietzschéen ne méprise pas. Tu as très exactement dit que cela faisait partie des choses que Nietzsche tenaient "en haute estime". Je pinaille encore mais précisément parce que nos post-modernes ont introduit des déformations grossières sur le sujet. Mais oui, Nietzsche envisage un relèvement (il parle de "spiritualisation") de la sexualité qui ne prendrait pas une forme répressive, ou en tout cas pas telle que la tradition idéaliste (de Platon à Kant) l'a entendu. Il veut lui donner une forme supérieure, mais c'est justement bien une contrainte et non l'hédonisme que certains ont voulu y lire (sous prétexte de l'anti-ascétisme de Nietzsche... ça se dit philosophe mais aucun sens de la nuance).
Fagotto Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 Le père Nitche n'a surtout pas beaucoup ken durant sa life (seule 2-3 professionnelles parait-il, lui ayant en plus refilé des trucs pas chouettes), restant notamment chaste envers son grand amour la starfuckeuse Lou-Andréas Salomé. Bref son opinion sur le sujet n'est peut-être pas la plus informé possible.
Lancelot Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 56 minutes ago, Flashy said: Il a un avis bien arrêté sur l'Etat ou le socialisme, pourtant. En ce qu'ils ont un effet délétère sur l'individu.
Johnathan R. Razorback Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 Ah, enfin un article qui replace le libéralisme de Spinoza dans son contexte historique, ça fait plaisir : https://asterion.revues.org/908 Et un peu de "Main invisible" avec un siècle d'avance sur Smith: « Le principe d’immanence des principes, proposition fondamentale de la philosophie de Spinoza, conduit à une politique sans autre fondement que l’intérêt de chacun, à l’intérieur duquel peut seulement se concevoir celui de tous. » -Maxime Rovere, « Avoir commerce : Spinoza et les modes de l’échange », Astérion [En ligne], 5 | 2007, mis en ligne le 16 avril 2007, consulté le 30 octobre 2017.
Rincevent Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 Il y a 3 heures, Flashy a dit : Par contre, il n'est clairement pas antisémite: il suffit de relire Humain, trop humain (paragraphe 475) où son avis sur les juifs : "En passant : tout le problème des Juifs n'existe que dans les limites des Etats nationaux, en ce sens que là, leur activité et leur intelligence supérieure, le capital d'esprit et de volonté qu'ils ont longuement amassé de génération en génération à l'école du malheur, doit arriver à prédominer généralement dans une mesure qui éveille l'envie et la haine, si bien que dans presque toutes les nations d'à présent -et cela d'autant plus qu'elles se donnent plus des airs de nationalisme - se propage cette impertinence de la presse qui consiste à mener les Juifs à l'abattoir comme les boucs émissaires de tous les maux possibles publics et privés. Dès lors qu'il n'est plus question de conserver ou d'établir des nations, mais de produire et d'élever une race mêlée d'Européens aussi forte que possible, le Juif est un ingrédient aussi utile que désirable qu'aucun autre reste national". Cela continue sur deux pages, où il encense les apports du Juif à l'humanité (en faisant mine d'admettre les horribles défauts du peuple juif, pour ensuite rappeler qu'aucun peuple n'a plus apporté à l'Europe). Il y a même des ouvrages dédiés à cette question : https://www.amazon.fr/Juifs-selon-Hegel-Nietzsche-énigme/dp/2020298430 Pour résumer, Nietzsche n'est en effet pas antisémite, et tout ce qu'il trouve à reprocher aux Juifs c'est d'avoir donné au monde Jésus il y a deux mille ans. En revanche, Hegel, c'est une autre histoire. 1
Johnathan R. Razorback Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 Il y a 3 heures, Flashy a dit : Tout à fait. Je me sens obligé de préciser que, avec le recul, je peux en dire à peu près autant de Marx.
Nigel Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 il y a 14 minutes, Rincevent a dit : Pour résumer, Nietzsche n'est en effet pas antisémite, et tout ce qu'il trouve à reprocher aux Juifs c'est d'avoir donné au monde Jésus il y a deux mille ans. En revanche, Hegel, c'est une autre histoire. Moué... Il est possible aussi qu'il ait cessé certaines sorties antisémites pour bien se distinguer de ce "traître" de Wagner. Rebelle d'un jour, rebelle toujours. Bref je suis sceptique, même si je connais les citations que JRR meurt d'envie de me soutenir pour me prouver le contraire Oh sinon, vous connaissez de bons films sur la révolution américaine ? Mais dans le style film-docu.
Johnathan R. Razorback Posté 30 octobre 2017 Signaler Posté 30 octobre 2017 il y a 39 minutes, Nigel a dit : Il est possible aussi qu'il ait cessé certaines sorties antisémites pour bien se distinguer de ce "traître" de Wagner. Rebelle d'un jour, rebelle toujours. Dans son ouvrage biographique, Henri Guillemin (Regard sur Nietzsche, 1991) fait remarquer que Nietzsche ne se scandalisait pas de l'antisémitisme de Wagner lorsqu'il était l'ami de ce dernier (et comptait sur lui pour réussir socialement et sortir de sa situation que Guillemin qualifie de celle "d'écrivain raté" -rappelons que Nietzsche a dû auto-éditer la dernière partie du Zarathoustra qui était invendable...). Ton intuition est donc juste Autre facteur du philosémitisme affiché par Nietzsche (en rupture nette avec son idole Voltaire, soit dit en passant) après la rupture avec Wagner: le plaisir de choquer des élites allemandes qu'il méprisait de plus et plus et parmi lesquelles l'antisémitisme devenait dominant. Nietzsche y voit un signe de la décadence de cette Allemagne bismarckienne qu'il va jusqu'à décrire comme inférieure à la génération (pourtant libérale et démocratique !) qui a fait la Révolution de 1848...
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