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Vilfredo

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Tout ce qui a été posté par Vilfredo

  1. Vous confondez apparemment décisionnisme et totalitarisme : le décisionnisme intervient dans une situation exceptionnelle (Ausnahmezustand) et pas en permanence (les deux sont d'ailleurs un peu antithétiques, car vous voyez bien que si la situation exceptionnelle est permanente, nous sombrons dans une contradiction manifeste), contrairement au totalitarisme, qu'il faudrait aussi distinguer de l'État total de Schmitt. Freund partage la vision politico-historique de Pareto sur la circulation des élites donc il me semble plutôt que si (i.e. : qu'il envisage ce recentrement régalien (à propos de votre réponse sur les fonctions régaliennes)). Même remarque pour Aron : ses fructueux travaux sur la géopolitique et le droit international (voire la polémologie pour son excellent Clausewitz) le conduisent justement à une revalorisation de l'État régalien et sa puissance sur la scène internationale, qu'il définit comme « la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités. En bref, la puissance n’est pas un absolu, mais une relation humaine. » (Paix et guerre entre les nations, éd. Calmann-Lévy, p. 58). En quoi la puissance de l'exécutif contredit-elle le libéralisme économique ? Cette combinaison est pourtant le ciment du national-libéralisme comme du libéralisme-conservateur… Enfin, vous en venez à mettre en doute le libéralisme d'Aron, ce qui est un peu étonnant : je pense que vous vous référez à la préface de L'Opium des intellectuels mais il faut nuancer : les doutes d'Aron, sa tendance à synthétiser, à équilibrer, à chercher l'excellente médiété éthique n'en fait pas un keynésien ! Le non-régulationnisme n'est pas un dogme dont le non-respect devrait suffire à bouter hors du club libéral le premier hérésiarque supposé. Il suffit d'ailleurs de relire les textes qu'Aron consacre à Hayek, en particulier dans le 2e chapitre d'Essai sur les libertés. Je viens de relire le chapitre pour vous répondre, et le passage qu'il consacre à l'analyse hayékienne de l'impôt progressif est très symptomatique de sa vision de Hayek : «J'aimerai aussi indiquer, sans prendre une position catégorique, la condamnation que porte Hayek sur le principe et, en tout cas, sur les excès de l'impôt progressif.» Je vous renvoie à la citation de Marc Crapez (v. ci-dessous). Aron ne pourrait jamais devenir keynésien car, encore sur la question de l'impôt, quoiqu'il ne soit pas complètement hostile à certains prélèvements (là encore, Aron est plutôt un de ces "correcteurs" des excès du libéralisme que j'évoquais en mentionnant, comme vous l'avez relevé, les anarcho-capitalistes (et loin de moi l'idée de les discréditer pour autant, cependant, il me paraît évident qu'ils incarnent une frange disons extrême du libéralisme)), Aron accepte et prend acte d'une certain irréductibilité des inégalités, ce qui est un point de vue typiquement libéral. Son seul crime pour un libéral classique serait de réclamer l'existence d'un salaire minimum (car il assimile, sans doute indûment il est vrai, la méritocratie au racisme (1)) mais il me semble que Hayek soutenait également cette mesure. La "correction" d'Aron sur la question du libéralisme se fait dans les cadres de pensée, au sein même du libéralisme, ce n'est pas une "critique" au sens d'un tribunal qui se placerait à l'extérieur précisément du libéralisme pour l'attaquer (comme dans une optique keynésienne). Je ne peux que vous recommander la lecture de ce chapitre si vous ne l'avez déjà faite et en retour, je vous serais reconnaissant de m'indiquer s'il vous plaît la référence de l'article de Raynaud, que je vous avoue méconnaître. (1) « L'opinion publique ne se montre pas toujours hostile aux inégalités puisque les cachets des chanteurs ou des vedettes de cinéma ne choquent personne. L'inégalité choque quand le riche passe pour n'avoir pas mérité la richesse. Mais qui est juge des mérites ? Et, si scandaleuse que l'idée puisse paraître, un ordre où chacun serait rétribué selon ses mérites subsisterait le hasard de l'hérédité biologique à celui de l'héritage social. Quant à un ordre social où chacun aurait droit au meilleur en fait de médecine ou d'enseignement, par définition, il est impossible puisque le meilleur se définit comme ce qui est réservé à quelques-uns. » (Essai sur les libertés, "libertés formelles et libertés réelles")
  2. Il ne me semble pas que l'on puisse dire que Schmitt ne distingue pas le libéralisme économique du libéralisme politique : le politique et l'économique sont rigoureusement distincts de toute façon. Le problème du libéralisme politique est de n'envisager aucun conflit existentiel mais au contraire de chercher à les dissoudre dans les relations commerciales. En revanche, le libéralisme économique n'est nullement inséparable du libéralisme politique (difficile de considérer Pinochet comme un libéral politique) et je serais curieux de savoir où vous avez bien pu lire que Schmitt prétendait le contraire. Tout État fort n'est pas illibéral : quoi de plus libéral que les privatisations de Poutine ? Vous innocentez Aron à peu de frais : dans ses Mémoires, il montre plutôt qu'il est parfaitement au courant mais ne veut pas y croire : « Homme de haute culture, il ne pouvait pas être un hitlérien et ne le fut jamais. » (éd. Julliard, 1983, p. 650) : Aron a eu vent des sympathies nazies de Schmitt (comme Ricœur dès que Freund le lui donne à lire, cf. le livre de Taguieff, qui qualifie Freund de "libéral-conservateur insatisfait" pour rebondir sur votre remarque) et mais décide de les ignorer. Les dénonciations de Freund du libéralisme reposent sur celle d'une dépolitisation de l'État. Le libéralisme maintient une distinction indiscutable de l'État et de la société civile, simplement, Freund comme Schmitt ou Aron appellent à une repolitisation de l'État qui ne saurait avoir trop de pouvoir dans ses sphères d'attribution, i.e. : les fonctions régaliennes. Aron est le premier à rejeter les anarcho-capitalistes, arguant qu'une société dans État est impossible ; ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'Aron a popularisé Pareto (que vous devez, si j'en crois vos critères, rejeter complètement hors de la sphère libérale) en France. Cet axe de lecture s'étend à l'interprétation schmittienne du Léviathan, qui n'a jamais eu dans l'esprit de Schmitt vocation à être une explication ou un commentaire littéral (contrairement à ce que répète Zarka). Il me semble d'ailleurs que ce souci de correction du libéralisme n'est pas non plus étranger à l'œuvre d'un Bertrand de Jouvenel.
  3. Oui c'est vrai mais Schmitt distingue il me semble libéralisme politique et libéralisme économique, qu'il ne blâme pas particulièrement, la sphère économique ne répondant pas au critère fondamental du politique (l'intensité de la lutte à mort entre l'ami et l'ennemi). Donc Schmitt ne se prive nullement de mentionner Hobbes comme référence et de citer Pareto (en particulier dans Le Nomos de la Terre, reprenant la terminologie des "dérivations"). Schmitt est aussi un grand lecteur de Tocqueville (cf. Ex Captivitate Salus), qu'il considérait comme le plus grand historien du XIXe siècle. Il ne faut pas oublier qu'il a vécu comme juriste dans la très libéral-conservatrice république de Weimar, qu'il a défendue. Il existe même un bouquin de Renato Cristi, Le Libéralisme conservateur, trois essais sur Schmitt, Hayek et Hegel (éd. Kimé, 1993, v. https://www.erudit.org/en/journals/ltp/1993-v49-n3-ltp2147/400808ar.pdf) qui pousse le bouchon encore plus loin et sans remporter complètement mon adhésion, je dois dire, en assimilant le combat de Schmitt contre le normativisme juridique à celui de Hayek contre le constructivisme : l'ordre émanant de la communauté elle-même et non d'une rationalité extérieure dont Schmitt fait l'alpha et l'oméga de sa pensée juridique à partir de la Verfassungslehre (Théorie de la constitution) et des Trois types de pensée juridique et qu'il appelle "ordre concret" serait l'équivalent de l'"ordre spontané". À mon avis, la mise en rapport est caduque (bien que Cristi n'omette pas la critique hayékienne de Schmitt dans Droit, législation et liberté) mais elle a le mérite de sortir Schmitt de l'ornière d'un antilibéralisme aveugle et systématique. Qui sont les plus grands lecteurs de Schmitt ? Aron, Freund, Capitant, Perroux… des libéraux en somme. La critique de Schmitt est plutôt salutaire pour le libéralisme politique.
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