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Viens manger dans mon resto pirate


Esperluette

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Dîner chez l'habitant dans une ambiance entourée de mystère et en compagnie d’inconnus, c'est tendance dans les grandes villes. Une journaliste a testé ces tables d’hôtes clandestines pour Le Temps.

"Le premier plat sera servi à 20 heures. Merci d’apporter du vin.” Ce message envoyé par Simon Fernandez et Uyen Luu à leurs 27 hôtes, un vendredi de décembre, ressemble à une dernière recommandation avant une soirée entre amis. Sauf qu’il stipule que l’adresse de l’appartement ne doit en aucun cas être communiquée. Un mot d’ordre essentiel, car il est destiné à de parfaits inconnus qui ont réservé leur place par e-mail et s’engagent à verser environ cinquante francs suisses [34 euros] à la fin du repas.

Depuis deux mois, ce couple de trentenaires Londoniens installés dans un quartier branché transforme le séjour de son duplex en restaurant. Propriétaire d’une boutique, Uyen s’occupe de la décoration. Simon, informaticien, s’affaire dans la cuisine. Composé de huit plats, le menu est inscrit à la craie sur le grand miroir de la salle, et affiché sur un blog qui annonce ces rendez-vous gourmands. Les places sont très recherchées, et tous ces happy few arrivent à l’heure. Dans le hall exigu s’échangent regards et sourires entendus, face au tableau noir qui présente la disposition des convives autour de trois grandes tables. Les discussions fusent tandis qu’une purée de betteraves à la coriandre est servie en guise de mise en bouche. Agés de 20 à 40 ans, les hôtes se définissent comme des épicuriens en quête de nouvelles expériences culinaires et sociales, comme cette jeune Australienne venue avec un collègue. Fascinée par cette nouvelle formule de restauration, elle lit chaque semaine les blogs d’une vingtaine d’adresses aux quatre coins de Londres, qui relatent avec piquant les aléas des préparatifs, la thématique des menus et l’ambiance des soirées, photos à l’appui. En Grande-Bretagne, aucune licence n’est exigée à condition que ces lieux ne vendent pas d’alcool. Tout un chacun peut donc s’improviser chef d’un soir, ce qui explique le succès fulgurant de ces tables d’hôtes anonymes. Plébiscitées par la presse et les guides urbains, elles font partie intégrante du paysage culinaire londonien. L’idée a été lancée en janvier 2009 par une certaine Miss Marmite, qui cache son identité. La quarantaine, divorcée et mère d’une adolescente, cette photographe, passionnée de cuisine végétarienne et blogueuse assidue, a transformé son salon bourgeois en table d’hôtes hebdomadaire, The Underground Restaurant. “J’ai voulu créer un lieu alternatif, moins cher que les restaurants, qui propose des mets sains préparés avec amour par une mère au foyer”, confie-t-elle en brassant une soupe au curry. Chaque repas mitonné pour une vingtaine de personnes exige quatre jours de travail, des commandes au compte rendu généreux qu’elle publie sur l’un de ses blogs. Tant et si bien qu’il s’agit désormais de son activité principale. Ses fans sont nombreux. Entre le plat et le dessert, ils campent dans sa cuisine rustique chic en écoutant ses anecdotes sur la vie, les hommes, sa fille, sa cuisinière à gaz.

Séduite, la Suisse propose maintenant elle aussi ses tables d’hôtes secrètes à la campagne comme en ville : une bonne source de revenus complémentaires. Les adresses se refilent par le bouche-à-oreille. “Dans certains cantons très tatillons sur les règlements, les gens préfèrent procéder en douce, faute de répondre à toutes les normes légales”, explique Véronique Zbinden, chroniqueuse culinaire qui a détaillé plusieurs tables d’hôtes dans le guide Le Petit Suisse à table (éditions Texto, 2010), paru en novembre 2009. A Zurich, c’est au sous-sol d’un atelier d’artistes que se niche un des restaurants éphémères les plus courus de la ville. Le menu se transmet par e-mail, le lieu accueille plusieurs dizaines de dîneurs bobos. Ils y retrouvent le parfum des boîtes de nuit clandestines des années 1990. Ces restaurants éphémères ou bricolés rappellent aussi la vogue des boutiques improvisées qui fleurissent, le temps d’un week-end, dans un hôtel ou un garage en attente d’être démoli. Quête de l’inédit, goût pour les soirées singulières, envie de sortir des sentiers de la consommation classique, les raisons du succès sont diverses. Reste la question de la légalité de ces tables d’hôtes. En Suisse, la loi fédérale sur les denrées alimentaires est nettement plus stricte qu’au Royaume-Uni, et la préparation de mets commercialisés dans une cuisine privée est interdite. Un cadre légal qui aura découragé plus d’un chef amateur.

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Repères

Paris a aussi ses restaurants clandestins calqués sur modèle anglo-saxon. Les curieux peuvent les dénicher en surfant sur des blogs. Il faut bien entendu s’inscrire, mais le côté excitant de toute l’affaire reste le secret qui entoure le lieu du dîner. Les prix varient de 30 à 80 euros, vin compris. La table d’hôtes la plus médiatique est le Hidden Kitchen, tenue par un couple d’Américains. Autres tables assez courues, Le Clandestin de Paris, lancé par trois artistes qui s’affairent aux fourneaux dans leur sublime appartement avec vue imprenable sur la capitale, ou encore Le Chien lunatique, animé également par deux Américains qui ont officié comme chefs cuistos en Californie et au Nouveau-Mexique. Mais on ignore si ces baroudeurs de la gastronomie n’ont pas déjà quitté Paris pour d’autres horizons secrets…

http://www.courrierinternational.com/artic…on-resto-pirate

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