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Tocqueville social-démocrate ?


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J'ai retrouvé les passages que citaient Lionel Ponton, et ça confirme mon impression: Tocqueville n'était pas un libéral à tendance conservatrice (valorisation des vertus religieuses, supériorité de la foi chrétienne comme motif de légitimation de la colonisation de l'Algérie, etc), mais plutôt un conservateur à tendance libérale (un conservatisme de type "catholique social". Qui se propose de court-circuiter la montée du socialisme en mettant en place un Etat-providence modéré, à l'image des réformes sociales de Bismarck à la fin du 19ème ou de la politique des conservateurs britanniques au 20ème et jusqu'à Churchill. Ou bien, côté centre-gauche, une politique telle que la mèneront en France les radicaux, solidaristes et radicaux-socialistes sous la Troisième République).

 

Et c'est également intéressant en terme de généalogie intellectuelle, puisque ça éclaire le "keynésianisme" du très tocquevillien Raymond Aron, qu'a souligné @Tramp et qui ne cessait pas de me surprendre.

 

"À la différence des libéraux de son temps comme Constant, Bastiat ou Dunoyer, Tocqueville n’a jamais considéré que le libre fonctionnement du marché puisse constituer une solution à la question sociale. Contrairement à ces penseurs, son libéralisme politique ne se double pas d’un libéralisme économique.  Sensibilisé à la misère des classes ouvrières par ses voyages en Angleterre et en Irlande, il ne pense pas que les inégalités sont naturelles, souhaitables et inéluctables. Tout d’abord, elles ne sont pas naturelles précisément parce qu’elles ne résultent pas de l’ordre spontané du marché. Ensuite, elles ne sont pas souhaitables car elles plongent le pauvre dans un abîme moral (et non pas le contraire !) et que Tocqueville ne croit pas à l’idée de du « spectacle  salutaire » selon laquelle l’indigence devrait exister pour indiquer à celui qui veut relâcher ses efforts l’état dans lequel il pourrait tomber ! En outre, des écarts socio-économiques trop flagrants peuvent, à terme, remettre en cause les fondements même de la société." (p.150)

"Pour Tocqueville, il n’est absolument pas souhaitable de laisser le marché du travail s’autoréguler car l’équilibre de plein-emploi s’y obtient alors par une baisse du prix du travail: le salaire ! La rupture théorique est fondamentale par rapport aux économistes libéraux qui valident la thèse de l’obtention des «  harmonies économiques » grâce à la concurrence. Pour Tocqueville, l’Etat doit venir pallier les insuffisances du marché !" (p.154)

"Il est parfaitement clair que la société proposée par l’économiste autrichien [Hayek] n’a rien à voir avec celle que Tocqueville souhaite nous offrir." (p.166)
-Jean-Louis Benoît et Éric Keslassy, in Alexis de Tocqueville, Textes économiques. Anthologie critique, Édition numérique des Classiques des sciences sociales, mai 2009, 399 pages.

"Tâcher de le rendre [l'impôt] proportionnel à la fortune du contribuable." (p.163)

"En établissant des institutions qui soient particulièrement à son usage [au peuple], dont il puisse se servir pour s'éclairer, s'enrichir, telles que caisses d'épargne, institutions de crédit, écoles gratuites, lois restrictives de la durée du travail, salles d'asile, ouvroirs, caisses de secours mutuels." (p.164)

"En venant enfin directement à son secours et en soulageant sa misère, avec les ressources de l'impôt : hospices, bureaux de bienfaisance, taxe des pauvres, distribution de denrées, de travail, d'argent." (p.165)
-Alexis de Tocqueville, Textes économiques. Anthologie critique.

Posté

 Bah ca fait longtemps qu'on sait que Tocqueville est tortueux économiquement. Je ne suis pas sûr qu'il n'ait jamais eu un squelette économique. 

 

 Suffit de voir son discours sur le droit au travail. Et il était aussi sceptique sur la redistribution. Mémoires sur le paupérisme

 

"Il n’y a pas, au premier abord, d’idée qui paraisse plus belle et plus grande que celle de la charité publique.
La société, jetant un regard continu sur elle-même, sondant chaque jour ses blessures et s’occupant à les guérir ; la société, en même temps qu’elle assure aux riches la jouissance de leurs biens, garantissant les pauvres de l’excès de leur misère, demande aux uns une portion de leur superflu pour accorder aux autres le nécessaire. Il y a certes là un grand spectacle en présence duquel l’esprit s’élève et l’âme ne saurait manquer d’être émue.
Pourquoi faut-il que l’expérience vienne détruire une partie de ces belles illusions ?"
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J'ai trouvé en lisant Tocqueville qu'il était plus gaucho que le conservateur moyen aujourd'hui, c'est dire dans le contexte de son époque.

  • 3 months later...
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Je poste ici une intervention de Cynthia Fleury, que j'ai chopé sur le yt de mon hamoniste, laquelle commence fort, en disant : 

 

"sur la question de l'égalité, la définition Tocquevilienne de la démocratie : un dynamique d'égalitarisation des conditions 

 

 

  • Sad 1
Posté
  Le 20/01/2018 à 16:07, Bisounours a dit :

Je poste ici une intervention de Cynthia Fleury, que j'ai chopé sur le yt de mon hamoniste, laquelle commence fort, en disant : 

 

"sur la question de l'égalité, la définition Tocquevilienne de la démocratie : un dynamique d'égalitarisation des conditions

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Je sens l'entourloupe consistant à faire passer une tendance historique pour une norme.

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  Le 20/01/2018 à 18:12, Bisounours a dit :

tu peux expliciter plize ?

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Tocqueville pense en effet que les sociétés modernes sont marquées par un processus d'égalisation des conditions (ce qui ne concerne pas seulement les inégalités matérielles mais aussi l'imposition de l'égalité juridique avec la Révolution française, etc.). Et il appelle démocratique le type de société qui résulte de ce processus, indépendamment de son régime politique.

 

Je n'ai pas écouté la vidéo mais j'imagine que l'auteur essaye de partir de cet usage du terme de démocratie pour dire que si le processus d'égalisation s'interrompt, nous ne sommes plus en démocratie (en jouant sur l'ambiguïté introduite dans le terme, puisqu'on parle là de la démocratie comme régime). En gros elle va faire une équivalence entre démocratie et socialisme. Mais ce faisant on tire d'un fait (historique) une norme, ce qui n'est pas nécessairement faux mais suppose une argumentation très élaborée pour n'être ne serais-ce que plausible.

  • 3 months later...
Posté

Tiens j'ai trouvé cette citation de Tocqueville, faire pendant la révolution de 1848.

 

Deux choses me frappèrent surtout : la première ce fut le caractère, je ne dirai pas principalement, mais uniquement et exclusivement populaire de la révolution qui venait de s'accomplir. La toute-puissance qu'elle avait donnée au peuple proprement dit, c'est-à-dire aux classes qui travaillent de leurs mains, sur toutes les autres. La seconde, ce fut le peu de passion haineuse et même, à dire vrai, de passions vives quelconques que faisait voir dans ce premier moment le bas peuple devenu tout à coup seul maître de Paris. (...) Durant cette journée, je n'aperçus pas dans Paris un seul des anciens agents de la force publique, pas un soldat, pas un gendarme, pas un agent de police ; la Garde nationale avait disparu. Le peuple seul portait les armes, gardait les lieux publics, veillait, commandait, punissait ; (...) Dès le 25 février [1848], mille systèmes étranges sortirent impétueusement de l'esprit des novateurs, et se répandirent dans l'esprit troublé de la foule. Tout était encore debout sauf la royauté et le parlement, et il semblait que du choc de la révolution, la société elle-même eût été réduite en poussière, et qu'on eût mis au concours la forme nouvelle qu'il fallait donner à l'édifice qu'on allait élever à sa place ; chacun proposait son plan ; celui-ci le produisait dans les journaux ; celui-là dans les placards, qui couvrirent bientôt les murs ; cet autre en plein vent par la parole. L'un prétendait réduire l'inégalité des fortunes, l'autre l'inégalité des lumières, le troisième entreprenait de niveler la plus ancienne des inégalités, celle de l'homme et de la femme ; on indiquait des spécifiques contre la pauvreté et des remèdes à ce mal de travail, qui tourmente l'humanité depuis qu'elle existe. Ces théories étaient fort diverses entre elles, souvent contraires, quelquefois ennemies ; mais toutes, visant plus bas que le gouvernement et s'efforçant d'atteindre la société elle-même, qui lui sert d'assiette, prirent le nom commun de SOCIALISME[6]. »

 

Donc si je  comprend bien le socialisme, de l'époque et selon Tocqueville, serait la volonté de changer la société par des moyens non gouvernementaux.

Posté

Populaire (ouvrier), passionnel, aiguillonné par l'exigence d'égalité (ou la haine de l'inégalité) et tourné vers la société elle-même (social). A comparer avec ce qu'en disent aussi les contre-révolutionnaires à l'époque (par ex D Cortès et la progression de la révolution en Europe).

Posté

Effectivement.

 

Cortès :<< Voilà toute ma doctrine: le triomphe naturel du mal sur le bien et le triomphe surnaturel de Dieu sur le mal. Là se trouve la condamnation de tous les systèmes progressistes, au moyen desquels les modernes philosophes, trompeurs de profession, endorment les peuples, ces enfants qui ne sortent jamais de l'enfance.">>

Posté
  Le 10/10/2017 à 12:31, Johnathan R. Razorback a dit :

J'ai retrouvé les passages que citaient Lionel Ponton, et ça confirme mon impression: Tocqueville n'était pas un libéral à tendance conservatrice (valorisation des vertus religieuses, supériorité de la foi chrétienne comme motif de légitimation de la colonisation de l'Algérie, etc), mais plutôt un conservateur à tendance libérale (un conservatisme de type "catholique social".

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C'est aussi mon impression. De manière général, j'ai l'impression qu'à par Bastiat la France n'a pas de penseur purement libéra (si il y en a d'autre n'hesitez pas à me donner des noms)l, il semble toujours  y avoir un attachement à l'Etat interventionniste (même modéré).

Posté

L'école de Paris. Sinon, c'est peut être aussi que 'libéral' a une définition assez fluctuante.

Posté

Oui, j'ai relu le passage sur la possibilité d'un despotisme d'un nouveau genre (Démocratie en Amérique, tome 2) ; on peut quand même dire que Tocqueville est un libéral (lutte contre l'extension de l'influence de l'Etat, existence d'un Droit naturel opposable au gouvernement, même démocratique, lutte contre le socialisme, refus dans plein pouvoir à l'armée pendant la crise de juin 1848, etc) -mais avec un bonne tendance social-conservatrice et de notables entorses aux principes libéraux. Ce n'est pas un libéralisme aussi archétypale que chez d'autres penseurs.

 

@Zagor: il y a d'autres libéraux français avant Tocqueville: Turgot, Holbach, des libéraux-républicains comme Condorcet ou Destutt de Tracy, des membres de l'école de Paris avant Bastiat (Charles Comte et Charles Dunoyer) et après (Yves Guyot, Frédéric Passy, Albert Schatz, peut-être Adolphe Blanqui)... il y a aussi Benjamin Constant ; on ajoute parfois les noms d'Édouard Laboulaye,  d'Émile Faguet, Élie Halévy, Étienne Mantoux... plus loin au XXème siècle Jean-François Revel, Raymond Boudon, les "nouveaux économistes" (Pascal Salin, Jean-Jacques Rosa,  Jacques Garello, etc.).

 

On pourrait aussi se poser la question pour Victor Hugo.

  • Yea 1
Posté
  Le 17/05/2018 à 09:03, Zagor a dit :

 

C'est aussi mon impression. De manière général, j'ai l'impression qu'à par Bastiat la France n'a pas de penseur purement libéra (si il y en a d'autre n'hesitez pas à me donner des noms)l, il semble toujours  y avoir un attachement à l'Etat interventionniste (même modéré).

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  Le 17/05/2018 à 09:25, F. mas a dit :

L'école de Paris. 

Expand  

Oui, entre les travaux de Michel Leter et ceux de Paul-Jacques Lehmann, on a quand même pas loin de 150 penseurs.

 

C'est dire si la réécriture de l'Histoire et l'acharnement contre les traditions intellectuelles pas-comme-il-faut est allée loin en France. 

  • Yea 1
Posté

Merci pour les informations.

Effectivement ce ne sont pas les penseurs qui sont cités en premiers par ceux qui évoque le libéralisme en France, très certainement comme l'évoque Rincevent car pas assez dans le système étatique français. 

Posté
  Le 17/05/2018 à 09:25, F. mas a dit :

L'école de Paris. Sinon, c'est peut être aussi que 'libéral' a une définition assez fluctuante.

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Les libéraux classiques, ces nouveaux socialistes.

  • 9 months later...
Posté
  Le 16/03/2016 à 10:24, Johnathan R. Razorback a dit :

Je me demandais ce que pouvaient être les "lectures très audacieuses" de Tocqueville qu'évoque Miguel Abensour ("Peut-on se contenter, pour redécouvrir la révolution démocratique moderne, de Constant et de Tocqueville, même s'il existe, de ce dernier penseur, des lectures très audacieuses ?" -Miguel Abensour, La passion d'Edward P. Thompson, introduction à Edward P. Thompson, La formation de la classe ouvrière anglaise, Editions Points, 2012 (1963 pour l'édition originale anglaise), 1164 p, p.XLVII) ; or

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Mon livre de chevet actuel cite le marxiste Abensour avec ferveur, je soupçonne donc que le lien soit là. Quant à Tocqueville, c'est de mieux en mieux, ou plutôt de pire en pire:


"[Tocqueville] constate en effet que l'aristocratie, "chassée de la société politique", peut fort bien se retirer "dans certaines parties du monde industriel" et y établir "sous une autre forme son empire" [De la démocratie en Amérique, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1961, I, vol.2, p.199]. [...]
L'intuition tocquevillienne, avec une justesse encore une fois proprement déconcertante, s'énonce ainsi: "de ce côté que les amis de la démocratie doivent sans cesse tourner avec inquiétude leurs regards ; car, si jamais l'inégalité permanente des conditions et l'aristocratie pénètrent de nouveau dans le monde, on peut prédire qu'elles y entreront par cette porte" [ibid, p.167].
Dès les premières phases de l'
invention démocratique, Tocqueville identifie donc parfaitement [...] un ensemble de problèmes distincts de ceux qui participent de sa critique de la démocratie despotique. Une poursuite de l'égalité réelle peut effectivement conduire à la constitution d'un Etat paternaliste, omniprésent et tout-puissant, selon une logique dont les effets ne peuvent être que liberticides. Mais la non-prise en compte du problème des inégalités réelles peut aussi provoquer une corruption interne de la dynamique démocratique, par la constitution de hiérarchies nouvelles ou par la transfiguration de hiérarchies plus anciennes. Nous comprenons alors en quel sens il est possible de dire des libertés économiques qu'elles rendent problématique l'exercice des libertés politiques."

(Patrick Savidan, Repenser l'égalité des chances, Paris, Hachette, coll. « Hachette littératures/Pluriel », 13 janvier 2010 (1re éd. 2007), 327 pages, p.40-41)

Posté

Et lire Tocqueville dans le texte plutôt que du quote-mining de seconde ou troisième main, c'est sale ?

  • Yea 6
  • 2 years later...
Posté

Tient, Catallaxia m'avait devancé.

 

  Le 03/03/2019 à 09:26, Lancelot a dit :

Et lire Tocqueville dans le texte plutôt que du quote-mining de seconde ou troisième main, c'est sale ?

Expand  

 

Bah écoutes non seulement Tocqueville n'est pas libéral mais que ce soit dans les Souvenirs ou ailleurs il fait un portrait de la lutte des classes que Aron Marx ne renierait pas. Il ne me semble donc pas déconnant qu'il soit lu à gauche par certains: 

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