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Autant Pour Moi !


Punu

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Article de Claude Duneton trouvé dans le Figaro :

Je lis dans un petit ouvrage utile et fort bien fait, mais non sans faille de Jean-Pierre Colignon, préfacé par Bernard Pivot, l'injonction suivante : « Il faut écrire au temps pour moi ! » (et non « autant pour moi ») parce que cette expression fait référence au commandement militaire, ou bien à l'ordre donné par un professeur de gymnastique, par un chef d'orchestre, par un maître de ballet, et incitant à revenir parce qu'il y a erreur au premier mouvement d?une suite de positions, de mouvements. » 

Logique, is not it ? Très satisfaisant pour l'esprit !… 

L'ennui c'est qu'il s'agit d'une information complètement fantaisiste, une pure construction de l'esprit, justement. 

Trente ans passés à décortiquer les expressions françaises m'ont appris à me méfier des « explications » brillantes d'allure, des assauts de logique qui ne sont fondés sur aucun texte, aucune pratique réelle de la langue. On ne trouve nulle part cette histoire imaginaire de commandement « Au temps ! », ni à l'armée (qui a pourtant donné « En deux temps trois mouvements ») ni dans les salles de gym. 

Surtout pas chez les chefs d'orchestre : des musiciens qui travaillent reprennent à telle mesure, pas au « temps », c'est saugrenu ! Colignon a rêvé cela, ou l'a cru avec beaucoup de logique apparente, en effet, donc de vraisemblance. Il ajoute du reste avec cohérence, dans une déduction impeccable : « Au sens figuré, très usuel, on reconnaît par là qu'on a fait un mauvais raisonnement », etc. Belle édification, qui repose sur un mirage. 

Autant pour moi est une locution de modestie, avec un brin d'autodérision. Elle est elliptique et signifie : « Je ne suis pas meilleur qu'un autre, j'ai autant d'erreurs que vous à mon service : autant pour moi. » La locution est ancienne, elle se rattache par un détour de pensée à la formule que rapporte Littré dans son supplément : « Dans plusieurs provinces on dit encore d'une personne parfaitement remise d'une maladie : il ne lui en faut plus qu'autant (…) elle n'a plus qu'à recommencer. »

Par ailleurs, on dit en anglais, dans un sens presque analogue, so much for… « Elle s'est tordu la cheville en dansant le rock. So much for dancing ! (Parlez-moi de la danse !) So much, c'est-à-dire autant. C'est la même idée d'excuse dans la formulation d'usage : « Je vous ai dit le « huit » ? Vous parlez d'un imbécile ! Autant pour moi : c'est le dix qu'ils sont venus, pas le huit. » Le « temps » ici n'a rien à voir à l'affaire. Du reste on dit très rarement « autant pour toi », ou « autant pour lui », qui serait l'emploi le plus « logique » s'il y avait derrière quelque histoire de gesticulation. 

Par les temps qui courent, j'ai gardé pour la fin ma botte secrète, de quoi clore le bec aux supposés gymnastes et adjudants de fantaisie dont jamais nous n'avons eu nouvelles. Dans les Curiositez françoises d'Antoine Oudin publié en l'an de grâce 1640, un dictionnaire qui regroupe des locutions populaires en usage dès le XVIe soit bien avant les chorégraphes ou les exercices militaires on trouve : Autant pour le brodeur, « raillerie pour ne pas approuver ce que l'on dit ». 

Aucune formule ne saurait mieux seoir à ma conclusion : M. Colignon, qui fait la pluie et le soleil auprès des correcteurs professionnels, devrait bien publier un correctif ad hoc sur le mauvais temps qu'il nous fait par le biais de ce canular orthographique. Perseverare serait en l'occurrence proprement démoniaque ! 

L'orthographe, c'est logique ! de Jean-Pierre Colignon Col. Les dicos d'or de Bernard Pivot Albin Michel, 218 pages.

Par contre l'Académie, elle, précise qu'il s'agit bien de "au temps". Allez savoir !

Au passage, pour ceux qui aiment les expressions françaises, deux livres que j'ai lus avec plaisir :

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Que l'étymologie de Colignon soit fausse n'implique pas que la vraie expression soit "autant pour moi".

J'ai fait une rapide recherche sur google, et l'étymologie invoquée est en effet celle qui est citée pour "au temps", donc…

Sinon, pour l'Académie, c'est ici (ils ne se mouillent franchement pas!)

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C'est amusant il y avait +- le mùeme probléme avec " la fête bat son plein" qui soi-disant devait se dire au pluriel "les fêtes battent son plein" car "son" était un substantif et non un pronom possessif.

Complètement faux, évidemment.

En effet. Battre son plein est utilisé pour parler de la mer lorsqu'elle est à son maximum.

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