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Analyse et réponses régulationnistes à la crise


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(badurl) http://regulation.revues.org/index7461.html (badurl)

Voici un texte digne d'intérêt car émanent d'un des économistes les plus en vue de cette école bien fRaônçaise qu'est l'Ecole de la Régulation. Le régulationnisme est une école qui à l'origine voulait opérer à une synthèse des paradigmes: keynésianisme social, marxisme, mais aussi institutionnalisme (cf. Veblen, Commons et leurs descendants), le tout étant bien sûr marqué résolument à gauche (quoiqu'affranchi du socialisme pleinement collectiviste); cette synthèse pouvant être vu comme une réaction à la fameuse "grande" synthèse dite néo-keynésienne qui consiste pour rappel en la formalisation du keynésianisme dans un cadre néo-classique.

L'école de la régulation, c'est enfin celle qui a pour porte-voix le très sympathique magazine Alternatives Economiques qui a conquis brillamment et sournoisement le monopole de la (ré)éducation intellectuelle des esprits malléables égarés en série ES. C'est aussi, je le soupçonne, elle qui était derrière l'initiative "autisme-économie" visant à dénoncer l'influence pernicieuse d'un enseignement sur-mathématisé donc au bénéfice de l'orthodoxie néo-classique dans les universités.

Je parlais d'un "texte digne d'intérêt" même si hautement dirigiste car il s'agit d'un article "universitaire" dans la forme c'est à dire construit et structuré, donc au final plus subtil (au moins dans le verbe malgré un tropisme bourdieusien, i.e. l'emploi d'un vocabulaire prétentieux même quand c'est inutile pour afficher ses prétentions intellectuelles) que le tout-venant des contempteurs habituels de l'anarchie capitaliste façon Libé ou France 2. Ce fil aura donc pour but de discuter et de contrer ce type d'argumentaire.

Pour résumer, car le texte est assez long:

La crise financière présente réussira-t-elle à déboucher sur les transformations que les crises précédentes ont échoué à produire ? Il y a malheureusement quelques raisons de craindre qu’en dépit d’un choc d’une ampleur qui le qualifie haut la main pour entrer dans l’histoire économique, les forces de l’inertie, c’est-à-dire des intérêts constitués, reprennent le dessus. Sauf si la sphère financière à proprement parler se manifestait bruyamment à nouveau – ce qu’on ne saurait exclure aussi bien du côté des finances publiques et des changes que du côté de la finance privée, où les dettes corporate vont bientôt abonder le stock général des défauts –, le risque est grand que la crise financière glisse lentement dans l’oubli, dominée dans le débat public par la « récession » alors devenue une sorte de chose autonome, coupée de ses causes et apparue comme par génération spontanée, et réduisant les enjeux financiers à des considérations techniques abandonnées aux conciliabules discrets des « experts »(…)La ténuités des avancées réalisées par le G20 tenu à Washington le 15 novembre 2008, même dans le registre des seules déclarations de principe qui était le sien, ne dissuade pas de penser que, dans le meilleur des cas, la « reréglementation financière » n’ira pas beaucoup plus loin qu’un simple ajustement desdites régulations prudentielles qui, comme leur nom l’indique, consistent en l’ensemble des dispositifs qui s’en remettent à la prudence individuelle des intéressés4 – les agents de la finance au premier chef, mais également leurs « surveillants » institutionnels. Or la crise elle-même a rétrospectivement fait voir quelles forces gigantesques peuvent s’emparer de la finance, et par là donné une idée de l’ampleur des forces qu’il faudrait leur opposer pour éviter la reproduction de pareille catastrophe. Il est à craindre que celles de la « régulation » ne soient pas à la hauteur et que, plutôt que de s’en tenir à des processus de rectification de trajectoire, comme le considère exclusivement cette dernière, il faille envisager plus sérieusement de fermer purement et simplement aux agents des possibilités stratégiques – en d’autres termes rendre certaines actions impossibles plutôt que (supposément) contrôlables. Si l’on considère que les régulations prudentielles auxquelles l’« expertise » et les gouvernements en appellent de concert sont loin d’avoir été inexistantes pendant la formation de la bulle immobilière-financière, et que l’on met au surplus en rapport cette présence et l’ampleur de la crise qu’elles n’ont pas su empêcher, la question portant sur les formes d’encadrement de la finance apparaît alors susceptible de la reformulation synthétique suivante : changement de degré ou changement de nature ?

La critique de la finance libérale qui constitue la première partie portent sur 3 points:

Contre l’option du « changement de degré », il est possible d’indiquer d’emblée les trois écueils auxquels sont vouées à se heurter les stratégies prudentielles et qui justifient d’envisager leur dépassement par des modalités sensiblement plus sévères d’arraisonnement de la finance libéralisée. Il s’agit : 1) des forces irrésistibles de la concurrence, 2) de l’impossibilité essentielle du contrôle des risques ex ante, le tout étant recouvert par 3) le voile hallucinatoire de l’« innovation » fonctionnant comme croyance.

- Le premier point est une dénonciation de la "concurrence-cupide" (notez l'inventivité sémantique) qui mène inévitablement le capitalisme financier à sa ruine.

- Le deuxième point de critique est une critique du contrôle du risque / point que l'auteur expédie rapidement car essentiellement technique… et somme toute banale, une simple considération sur la convertibilité de l'incertitude en risque. Une question que les acteurs de ce marché n'ignorent d'ailleurs pas (!) et qui ne mène nulle part sinon à laisser entendre que Keynes c'est chouette, même qu'il est le seul à avoir compris ce qu'est l'incertitude.

- Le troisième point de critique est un gargouillis consécutif à l'éructation d'absorptions marxo-bourdieusiennes mal digérées: on croît voir remonter la vieille antienne du capitalisme financier comme religion païenne avec ses croyances de facto irrationnelles; c'est ici l'innovation financière (produits financiers complexes…) le fétiche et la courbe rendement-risque l'horizon-mirage.

Ces deux derniers points me paraissent négligeables dans la bataille des idées: facilement destructibles si on en fait l'effort, qui me paraît assez inutile, tant ce sont des questions secondaires qui n'intéressent pratiquement aucun pourfendeur du "libéralisme-à-outrance". Je voudrais donc essentiellement souligner le premier point intitulé:

Les forces irrésistibles de la concurrence

Il n’y a pas à aller chercher très loin ce qui rend irrésistibles les forces de la concurrence dans la sphère financière : c’est le niveau extravagant des opportunités de profit qui y sont offertes. Deux décennies de dérive du capitalisme actionnarial auront réussi à opérer une translation des normes de la profitabilité capable d’avoir presque complètement déclassé un schéma aussi élémentaire que la règle d’or établissant que la rémunération optimale du capital doit être alignée sur le taux de croissance de la production.

(Ici, on note une grooooôôôsse ânerie du point de vue de la théorie financière, mais notre homme est assez malin car il réintroduira plus tard, subtilement, des notions essentielles, notamment le rapport taux de rendement / risque.)

La suite:

Il faut avoir en tête ce privilège de profitabilité hors norme pour se faire une idée de la puissance et de la nocivité potentielle des forces de la concurrence car il est bien clair que des niveaux pareils de rentabilité des capitaux propres ont pour effet de précipiter les agents dans la ruée et de contribuer à l’abolition de leur discernement. Comme toujours l’effet propre de la concurrence est différentiel et tient aux efforts déployés par tous pour maintenir ou consolider des positions relatives. Aussi, mais à plus forte raison quand les pay-off atteignent de si exceptionnels niveaux, luttent-ils tous frénétiquement, les institutions pour satisfaire leur propre contrainte actionnariale de dégagement de profits/dividendes c’est-à-dire, opérationnellement, pour la part de marché, la captation des mandats et la surenchère aux rendements offerts ; et, les individus, pour leurs positions dans les classements professionnels, leurs bonus et leurs déroulements de carrière. Le « hors norme » de la profitabilité financière a donc pour effet de considérablement intensifier les tendances propres « classiques » de l’interaction concurrentielle, et de les porter à leur point d’aberration. Si le nomos capitaliste est l’accumulation du profit, on se demande par quelle improbable régulation interne des agents en position de rafler pareilles opportunités pourraient s’abstenir de le faire, quitte à s’engager tous dans des emballements collectifs dont l’issue a pourtant été maintes fois consignée par l’histoire financière. Comme on sait, c’est cet aveu quelque peu hébété auquel Alan Greenspan aura consenti lors de son audition au Congrès, en faisant part de sa stupéfaction d’avoir vu s’effondrer l’hypothèse structurante de toute sa vision du monde, à savoir que nul n’est mieux placé que les intéressés pour veiller à leurs propres intérêts et que la régulation d’ensemble émerge d’elle-même de cette surveillance décentralisée de soi par soi en quoi consiste la prudence (au sens du prudent man dont Sabine Montagne, 2006, établit la généalogie juridico-financière) individuelle. À l’opposé de cette présupposition dont la crise financière révèle à quelle échelle elle aura été erronée, la poursuite concurrentielle du high yield fait plus que polariser les agents jusqu’à l’aveuglement : elle conduit même les plus lucides d’entre eux à faire des choses qu’ils n’ont pas le choix de ne pas faire.

5Il n’est pas utile de revenir très longtemps sur les mécanismes, de longue date et amplement analysés, qui président à la formation des polarisations mimétiques, si ce n’est pour rappeler le caractère puissamment auto-confirmateur de ces dynamiques de prix d’actifs, dont le profil de croissance forte et stable finit par donner à penser que le risque est en voie de disparaître – ceci au moment où en fait il s’accumule le plus. La combinaison de l’intensité profitable qui, dans un contexte extrêmement concurrentiel, élève pour chaque agent les coûts d’opportunité (et force à la participation au mouvement) et des propriétés intrinsèques d’auto-consolidation de la dynamique des prix qui résulte de cette participation collective, a pour effet de distordre complètement les comportements des investisseurs (lato sensu) qui, au lieu de procéder, comme ils le devraient, à des optimisations combinées rendement-risque en viennent, de facto, à ne plus faire quasiment que de la maximisation simple du rendement. La clause « de facto »prend ici toute son importance puisque le comportement observé demeure une résultante entre déterminations antagonistes, mais dont la pondération relative connaît en l’espèce un très grand déséquilibre. La méthode régulationniste qui recommande de chercher la « chair institutionnelle » derrière toute régularité ne cesse pas de s’appliquer par passage du niveau macro-économique, où elle a été le plus souvent mise en œuvre, au niveau micro-économique des comportements d’agent. Aussi la dégénérescence des optimisations combinées en (quasi) maximisations simples appelle-t-elle implicitement toute une sociologie de la banque et de la salle de marché qui renverrait le déséquilibre des déterminations antagonistes au déséquilibre des forces institutionnelles que sont les instances respectivement dépositaires de la « logique » du rendement (à conquérir) et de la « logique » du risque (à surveiller), à savoir le front office et le back office. La phase de bulle exerce ainsi d’intolérables pressions sur le back office, systématiquement renvoyé à son rôle de frein, de retenue, d’empêchement, c’est-à-dire à sa négativité, et ceci de manière d’autant moins facile à défendre que les volatilités et les spreads se réduisent objectivement (Figures 1 à 3). Comme on sait – ex post – ces réductions ne sont que le reflet d’une appréciation collective extraordinairement défaillante et d’un mispricing généralisé, d’où résulte, en attendant leur révélation, une difficulté croissante pour le back office à argumenter et, comme l’a suggéré l’idée même de « pondération », à peser.

Ici je trouve tout de même cette articulation d'arguments remarquable car elle arrive à fondre le point de vue de la concurrence comme fossoyeur du système au milieu d'une grille d'analyse tout à fait pertinente raccordée à des éléments réalistes (antagonisme front/back office, biais rationnels individuels ou collectifs des traders)… et qui peuvent donc trouver une réponse libérale ou libertarienne. Cependant je ne suis pas un grand spécialiste de ce domaine et je peine à rédiger plus qu'une réponse généraliste; or ce type de contre-argument apparaît toujours peu convaincant face à un discours technique.

Que répondriez-vous? Les spécialistes de la finance ont-ils des critiques particulières à formuler sur cette partie du texte, qui m'auraient échappées?

NB: je propose de discuter la suite du texte (Partie 2: déconstruction de la finance, puis partie 3: reconstruction [semi-collectiviste] de la finance) ultérieurement.

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Petite parenthèse

L'école de la régulation, c'est enfin celle qui a pour porte-voix le très sympathique magazine Alternatives Economiques qui a conquis brillamment et sournoisement le monopole de la (ré)éducation intellectuelle des esprits malléables égarés en série ES. C'est aussi, je le soupçonne, elle qui était derrière l'initiative "autisme-économie" visant à dénoncer l'influence pernicieuse d'un enseignement sur-mathématisé donc au bénéfice de l'orthodoxie néo-classique dans les universités.

Dans Alter-Eco:

Un groupe de jeunes économistes demande une profonde réforme de l'enseignement de l'économie dans un sens pluridisciplinaire.

En 2000 un groupe d'étudiants dénonçait l'« autisme » de l'enseignement de l'économie tel qu'il était pratiqué le plus souvent dans l'enseignement supérieur (voir le site qu'ils ont créé suite à leur appel www.autisme-economie.org). Ils considèrent aujourd'hui que la crise leur a (malheureusement) donné raison et demandent qu'une des conséquences tirées de cette crise soit une profonde réforme de l'enseignement de l'économie dans un sens pluridisciplinaire. La tribune ci-dessous a été également publiée dans le quotidien Le Monde. G. D.

L'enseignement de l'économie au péril de la crise

Aux Etats-Unis, comme en France, une vague de critiques submerge la recherche et l'enseignement en économie. Paul Krugman, prix Nobel 2009, et parmi les économistes les plus en vue, explique dans différents articles (voir notamment : « How Did Economists Get It So Wrong ? » http://www.nytimes.com/2009/09/06/magazine/06Economic-t.html ) comment la macroéconomie est progressivement tombée dans un « âge sombre » : même les théories les plus « farfelues » pouvaient, si elles étaient « intégrées dans des modèles mathématiques ingénieusement construits », en venir à dominer l'enseignement de cette discipline. Patrick Artus a fait d'ailleurs un constat similaire dans les colonnes de ce journal en écrivant que « la macroéconomie, depuis quelques années, est devenue une science formelle sans rapport avec la réalité. L'analyse de modèles d'équilibre général intertemporel en horizon infini avec des fondements microéconomiques standard de type néoclassique qui domine toute la recherche en macroéconomie n'apprend rien sur la vraie vie. » (Le Monde, 10/09/09). Pour Brad DeLong, de l'université de Berkeley, il s'agit là d'un « effondrement intellectuel » d'une partie des institutions de l'économie dominante, dont la principale conséquence est qu'une partie des économistes censés fournir des réponses aux grandes questions que pose la crise actuelle sont incapables de faire avancer le débat en raison de leur ignorance de l'histoire des faits et de la pensée économique.

A l'inverse, les économistes cherchant à expliquer cette crise accordent une place essentielle aux faits, notamment à l'étude détaillée des crises passées, dont ils cherchent à tirer les leçons… Les tentatives d'explication et de prédiction mobilisent un certain nombre de comportements et de raisonnements de base, que chacun peut comprendre. Interrogé en juin 2009 sur ce qu'il dirait à un étudiant commençant un cursus d'économie, Paul Samuelson, considéré comme l'un des pères de l'économie mathématique, répondait : « Je dirais, et c'est sûrement un changement par rapport à ce que j'aurais dis lorsque j'étais plus jeune: ayez le plus grand respect pour l'étude de l'histoire économique car il s'agit du matériau d'où proviendront toutes vos conjectures et tous vos tests. Je pense que la période récente l'a illustré » (The Atlantic, 18/06/09).

Bien sûr, comme le rappelle Samuelson, « l'histoire n'écrit pas sa propre histoire ». Les explications s'appuient forcément sur des hypothèses et des théories. Lesquelles ? Celles de Keynes, de Marx et, dans une moindre mesure, de Minsky, de Galbraith ou de certains régulationnistes, se révèlent ici plus pertinentes que la théorie dominante. Très rares sont d'ailleurs les économistes qui se référent aux théories les plus récentes de la macroéconomie ou de la microéconomie pour expliquer la crise. Ce sont pourtant ces théories qui constituent le cœur de l'enseignement en économie. Leurs modèles saturent les revues académiques d'économie les plus réputées. Ils sont d'ailleurs à l'origine de la plupart des médailles et prix que la profession s'attribue. Ultime paradoxe, à l'heure où la plupart des économistes cherchent à se faire passer pour des keynésiens, la « macroéconomie keynésienne » n'obtient que quelques heures en tout début de cursus.

Il existe donc un gouffre entre, d'un côté, ce que les économistes enseignent et célèbrent, et, de l'autre, ce qui est utile pour analyser nos sociétés. Ce constat n'est pas nouveau. En mai 2000, nous avions publié, avec d'autres étudiants et enseignants de la discipline, un « Manifeste pour une réforme de l'économie » qui dénonçait déjà cette situation (voir le site www.autisme-economie.org ). Ce mouvement était rapidement devenu international. Les politiques avaient été interpellés. A la demande de Jack Lang, ministre de l'Education Nationale d'alors, un rapport avait été rédigé par Jean-Paul Fitoussi. Il est en bonne partie resté lettre morte. Le Manifeste demandait notamment que l'enseignement de l'économie accorde une plus grande importance à l'histoire des faits et des théories, y compris les plus récentes. L'euphorie qui régnait avant la crise n'en était-elle pas un signe avant-coureur, que les économistes auraient pu mieux décrypter s'ils avaient été plus familiers avec l'histoire des crises et des théories qui essayaient de les expliquer? Avec le recul, la macroéconomie apparaît surtout comme une suite de théories dont la logique a plus à voir avec l'air du temps - en fonction du rapport de force entre partisans et ennemis de l'intervention de l'Etat - qu'avec un quelconque "progrès de la science". Notre manifeste regrettait l'absence, dans le cursus type en économie, d'études concrètes et approfondies du fonctionnement d'institutions comme les Banques Centrales… Si nos recommandations avaient été adoptées, les économistes auraient sans doute été moins surpris de voir ces Banques prendre en pension des actifs douteux, ouvrant la voie à une création monétaire loin des canons admis dans les manuels, et en opposition aux propositions dérivant de théories ayant valu le prix Nobel d'économie à leurs auteurs. Enfin, l'énergie consacrée à des exercices stériles dans le cadre de ce qu'on appelle la microéconomie, serait mieux utilisée à l'étude des relations marchandes telles qu'on peut les observer, dans une perspective pluridisciplinaire. Telles sont quelques unes des pistes pour que l'enseignement en économie sorte enfin de son « autisme ». La crise économique aura-t-elle au moins le mérite d'y contribuer ?

Emmanuelle Bénicourt (Univ. de Valenciennes), David Cayla (Univ. d'Angers), Godefroy Clair (Univ. Paris-13), Baptiste Françon (Univ. Paris-I), Ozgur Gun (Univ. de Reims), Pauline Hyme (Univ. Lille-I), Arthur Jatteau (EHESS), Philippe Légé (Univ. d'Amiens), Ioana Marinescu (Université de Chicago), Gilles Raveaud (Univ. Paris-8), Thomas Roca (Univ. Bordeaux-4), Damien Sauze (Univ. de Dijon), sont Maîtres de Conférences ou doctorants en sciences économiques.

Ceci dit, je trouve également que l'enseignement économique est beaucoup trop fait à base maths (voir exclusivement).

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Je m'en souviens. Curieusement, ils ne citent pas l'économie autrichienne comme théorie économique sans maths :icon_up:

L'école Autrichienne est une variante de l'école néoclassique d'après les programmes scolaires ( et Alter Eco), donc elle doit être englobée dans la "pensée unique mathématisante" pour ces gens-là.

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L'école Autrichienne est une variante de l'école néoclassique d'après les programmes scolaires ( et Alter Eco), donc elle doit être englobée dans la "pensée unique mathématisante" pour ces gens-là.

En effet, combien de fois j'entends qu'Hayek est un monétariste :icon_up:

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En effet, combien de fois j'entends qu'Hayek est un monétariste :icon_up:

On va pas se plaindre, ils connaissent au moins quelqu'un d'autres que Friedman. :doigt: Pour Hayek, il serait d'ailleurs le plus important représentant de l'école autrichienne ( Alter Eco, accès privé):

Le tournant néoclassique

Entre ces deux familles de pensée, le choc - intellectuel, mais aussi politique et social - était inéluctable. Curieusement, il ne s'est cependant pas produit. La critique de Marx a mis la famille libérale en position défensive. En effet, Marx, s'appuyant sur Ricardo, développe une machine de guerre qui met à mal la position libérale. Ricardo, explique Marx, a montré que la valeur de toute marchandise était déterminée in fine par la quantité de travail qu'elle a exigée pour être produite. Or le travail humain est aussi une marchandise: il existe bien un marché du travail. Donc sa valeur est déterminée par le coût en travail des biens et des services dont le travailleur et sa famille ont besoin pour vivre. Tout ce qui excède ce montant va dans la poche de l'employeur, alors que le travail est la seule source de valeur. Le système repose donc bien sur l'exploitation.

La thèse fit mouche. Pour s'en sortir, les libéraux abandonnèrent la valeur travail et adoptèrent l'analyse selon laquelle la valeur d'une marchandise dépend de sa rareté et de son utilité: un verre d'eau dans le désert vaut plus cher qu'un diamant aux yeux du voyageur assoiffé parce que son utilité est vitale et qu'il est très rare qu'on en trouve. Une analyse qui avait déjà été proposée par Augustin Cournot, un mathématicien français, mais sans grand succès, en 1838. En 1871, deux économistes qui s'ignoraient, Carl Menger en Autriche et William Stanley Jevons au Royaume-Uni reprirent cette analyse. Léon Walras, un Français enseignant à Lausanne, montrait, lui (en 1874), par un système d'équations, que le système de prix issu de ces bases aboutissait, en régime de concurrence parfaite, à un équilibre général. Les mathématiques au secours de l'économie: la supériorité du marché dans le cadre concurrentiel était ainsi fondée sur une démonstration "scientifique". L'économie politique pouvait alors devenir une science, tandis que Marx était renvoyé dans la catégorie des idéologues.

Dans la famille libérale, les néoclassiques (qualifiés initialement de "marginalistes", puisque, dans leur analyse, c'est l'utilité de l'unité marginale d'une marchandise donnée - la dernière produite, possédée ou consommée - qui détermine la valeur de toutes les autres unités de la même marchandise) succédèrent ainsi, dans les années 1880-1890, à leurs prédécesseurs libéraux, appelés désormais "classiques".

La fascination des maths ou la "physic envy"

C'est un tournant essentiel dans la pensée économique. Jusqu'alors, celle-ci ne se distinguait que peu des analyses politiques et on avait tendance, au XIX esiècle, à qualifier de "publicistes" tous ceux qui s'interrogeaient sur le contenu et les règles de la bonne société. Ceux qui s'intéressaient plus spécifiquement à l'analyse économique dénommaient celle-ci "économie politique": l'économie de la cité. A partir de la révolution marginaliste, on parle de "science économique". Le soubassement de l'analyse n'est plus moral (rappelons-nous: Adam Smith était professeur de morale), c'est-à-dire appuyé sur une certaine conception de la société, du bien-être et des rapports sociaux, il devient scientifique (entendons par là que l'outil mathématique devient déterminant) et cherche à optimiser le fonctionnement de la société. Et comme il fallait un critère - que cherche-t-on à optimiser? -, on se rabat sur l'utilité, c'est-à-dire le profit pour le producteur et le bien-être pour le consommateur.

Malheureusement, comme on ne sait mesurer ni l'utilité ni le bien-être, cette nouvelle approche de l'économie débouche tout naturellement sur la maximisation de la production, censée améliorer le bien-être des uns et le profit des autres. La mathématisation de l'économie et le culte de la croissance sont les enfants naturels de la "révolution marginaliste".

Les grands noms de la famille néoclassique

Les trois fondateurs de cette famille de pensée ne se connaissaient pas et ils ne se sont jamais rencontrés, bien qu'ils aient publié leurs travaux à peu près simultanément.

William Stanley Jevons (1835-1882). S'il fallait désigner le "vrai" fondateur de la famille néoclassique, ce serait sans doute ce Britannique qui décrocherait le pompon. Car c'est lui qui a formulé le premier l'idée de l'utilité marginale décroissante des biens, expliquant ainsi que le prix diminue lorsque les quantités offertes augmentent. Il en a présenté une illustration mathématique et graphique. Il a fortement critiqué Ricardo, pour avoir "aiguillé la voiture de l'économie sur une mauvaise voie avec l'idée de valeur-travail".

Carl Menger (1840-1921) a davantage centré son analyse sur la question des besoins humains et du comportement rationnel de l'homme cherchant à les satisfaire, mettant donc l'accent sur la consommation, et non plus, comme les classiques, sur la production. Cet Autrichien a surtout développé l'idée que les institutions économiques durables ne résultent pas d'une action volontaire des hommes, mais d'une sorte de sélection naturelle: il s'intéresse moins à l'équilibre qu'à la dynamique qui fait évoluer l'économie. Il annonce donc ce que l'on appellera ensuite la branche autrichienne de la famille néoclassique, dont le plus important représentant est Hayek.

Lire "La rupture de Carl Menger avec l'économie classique", par Pierre Le Masne, L'Economie Politique n° 14, avril 2002.

Léon Walras (1834-1910): ce Français a surtout travaillé sur la notion d'équilibre général. Il a montré mathématiquement que, en cas de concurrence parfaite, chaque marché pris isolément est l'élément de base d'"un vaste marché général (…) où la richesse sociale se vend et s'achète".

Lire "Léon Walras, fondateur de l'économie néoclassique", Alternatives Economiques n° 213, avril 2003.

A ces fondateurs, il convient d'ajouter trois autres grands noms, qui ont apporté leur pierre à l'édifice néoclassique.

Alfred Marshall (1842-1924) fut le professeur de Keynes à Cambridge. C'est l'inventeur de la représentation graphique des courbes d'offre et de demande: alors que Walras, avec son système d'équations, se situait à un instant t (seul pouvait donc varier le niveau des prix, puisque toute la production était donnée), Marshall privilégie l'équilibre sur chaque marché (ou approche par l'équilibre partiel); il estime que cet équilibre résulte des variations conjointes de l'offre et de la demande. Il s'efforce de faire le lien entre l'approche marginaliste et l'approche classique (d'où l'appellation de "néoclassique", imaginée par Veblen). C'est aussi lui qui a inventé le concept d'économie d'échelle, c'est-à-dire le fait que le coût de production unitaire décroît avec les quantités produites.

Lire "Alfred Marshall, le frère ennemi de Walras", Alternatives Economiques n° 214, mai 2005.

Knut Wicksell (1851-1926): ce mathématicien suédois devenu journaliste se convertit tardivement à l'économie. C'est à lui que l'on doit la notion de productivité marginale et, surtout, dans le domaine monétaire, l'idée que le taux d'intérêt fixé par les banques ne coïncide pas forcément avec le taux naturel, déterminé par la productivité marginale du capital des entreprises, ce qui est à l'origine de fluctuations économiques. C'est donc un néoclassique atypique, qui annonce Keynes et sa théorie des marchés non autorégulateurs

Lire "Knut Wicksell, iconoclaste méconnu", Alternatives Economiques n° 217, sept. 2003.

Arthur Cecil Pigou (1877-1959), successeur de Marshall à Cambridge, est l'inventeur du concept d'"externalités", un terme qui désigne les coûts, les nuisances ou les avantages engendrés par une activité économique sur des tiers qui n'en sont pourtant pas partie prenante: par exemple, des rejets industriels qui polluent l'atmosphère, la proximité d'une ruche qui contribue à la pollinisation des arbres fruitiers voisins… En raison de ces externalités, lorsque le coût social (pour la collectivité) d'une activité diffère de son coût privé (pour les producteurs), il en conclut qu'il faut taxer ou subventionner ces derniers, afin que le prix reflète le coût social. Il fonde ainsi l'économie du bien-être, introduisant l'idée que le système de marché a besoin de l'Etat pour égaliser coût privé et coût social.

Sur l'utilité marginale, la justification de l'abandon est fausse, non ? Il n'y avait pas déjà des réflexions provenant des scolastiques ?

L'école autrichienne-libertarienne

Famille d'inspiration: les classiques, les néoclassiques.

Ses fondateurs: Ludwig von Mises (1881-1973), Friedrich von Hayek (1899-1992), lauréat en 1974 du prix "Nobel" d'économie, Murray Rothbard (1926-1995), Robert Nozick (1938-2002).

Principaux représentants: en France, Pascal Salin, auteur de Libéralisme (éd. Odile Jacob, 2000); aux Etats-Unis, David Friedman (le fils de Milton et, comme lui, professeur à l'Université de Chicago, auteur de Vers une société sans Etat, éd. Les Belles Lettres, 1992).

Ses thèses: l'influence de Hayek - sans doute le penseur libéral le plus important du XXe siècle - dépasse largement l'école libertarienne qualifiée parfois d'autrichienne, en référence à Hayek et Mises et à leur inspirateur commun, Carl Menger. Hayek voit dans le marché un système décentralisé d'informations hors pair (par les prix), en même temps qu'un système darwinien qui permet de sélectionner les activités qui ont un avenir (parce qu'elles sont viables) et d'éliminer celles qui n'en ont pas. Même ceux qui se trompent apportent une information à la société humaine: leur échec, leur faillite ou leur paupérisation montre la voie à ne pas suivre. En effet, contrairement à une partie des néoclassiques, Hayek conteste l'idée d'une rationalité sans faille qui guiderait l'action humaine, et cette contestation l'amène à contester également la formalisation mathématique à la Walras. Mais le marché sert de guide dans la voie vers une meilleure société.

Jean-Pierre Dupuy (1) résume ainsi sa thèse: "Nous apprenons avec le marché à faire le bien en ne nous souciant que de notre intérêt propre (…). L'ordre étendu du marché transforme les ennemis en amis." Mais les libertariens poussent la logique hayekienne jusqu'à l'extrême en appelant de leurs voeux une société avec un Etat minimal, voire sans Etat. D'où le terme d'anarcho-capitalistes qu'ils revendiquent parfois.

Oh tiens, pour une fois, Mises existe ( Il n'est d'ailleurs pas dans la liste des "grands économistes" d'Alter Eco, tout comme Menger :mrgreen: ).

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Le tournant néoclassique

Entre ces deux familles de pensée, le choc - intellectuel, mais aussi politique et social - était inéluctable. Curieusement, il ne s'est cependant pas produit. La critique de Marx a mis la famille libérale en position défensive. En effet, Marx, s'appuyant sur Ricardo, développe une machine de guerre qui met à mal la position libérale. Ricardo, explique Marx, a montré que la valeur de toute marchandise était déterminée in fine par la quantité de travail qu'elle a exigée pour être produite. Or le travail humain est aussi une marchandise: il existe bien un marché du travail. Donc sa valeur est déterminée par le coût en travail des biens et des services dont le travailleur et sa famille ont besoin pour vivre. Tout ce qui excède ce montant va dans la poche de l'employeur, alors que le travail est la seule source de valeur. Le système repose donc bien sur l'exploitation.

La thèse fit mouche. Pour s'en sortir, les libéraux abandonnèrent la valeur travail et adoptèrent l'analyse selon laquelle la valeur d'une marchandise dépend de sa rareté et de son utilité: un verre d'eau dans le désert vaut plus cher qu'un diamant aux yeux du voyageur assoiffé parce que son utilité est vitale et qu'il est très rare qu'on en trouve.

C'est Alter Eco qui écrit des conneries pareilles?

Ce passage laisse clairement entendre que le marginalisme ou théorie de la valeur subjective est une réponse à la théorie marxiste. Or, tous les historiens de la pensée économique savent que cette approche est RIDICULE. L'argumentaire marxiste n'émerge qu'après les premières publications marquant la naissance de ce nouveau paradigme! Les trois "co-découvreurs" de cette théorie de la valeur subjective ignoraient tout ou presque des travaux de Marx à l'heure de publier leur découverte! La "réponse" libérale me fait d'ailleurs bien rire car il est tout a fait établi que quand le libéral Jevons démolit le cul-de-sac scientifique qu'est la valeur-travail, c'est pour mieux accabler le libéral Ricardo [fait relaté plus loin dans l'article] et sûrement pas un Marx largement inconnu des cercles d'économistes en 1870!

Anachronisme dans l'histoire des idées, réécriture falsifiée de l'émergence des paradigmes comme résultat d'oppositions idéologiques, bienvenue dans la science économique réécrite par Alternatives Economiques.

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L'école autrichienne-libertarienne

Famille d'inspiration: les classiques, les néoclassiques.

Ses fondateurs: Ludwig von Mises (1881-1973), Friedrich von Hayek (1899-1992), lauréat en 1974 du prix "Nobel" d'économie, Murray Rothbard (1926-1995), Robert Nozick (1938-2002).

Principaux représentants: en France, Pascal Salin, auteur de Libéralisme (éd. Odile Jacob, 2000); aux Etats-Unis, David Friedman (le fils de Milton et, comme lui, professeur à l'Université de Chicago, auteur de Vers une société sans Etat, éd. Les Belles Lettres, 1992).

Nozick et Friedman ne sont absolument pas des «autrichiens». D'après ce que j'ai pu lire, Friedman est un pur utilitariste, et Nozick se fonde sur la propriété dans la continuité de Locke. Ils ne se réclament à aucun moment de la tradition subjectiviste autrichienne. C'est dire les erreurs et les amalgames de ce torchon qui met tous les libéraux contemporains dans le même sac.

En revanche, ils oublient I. Kirzner qui a poursuivit le travail de Hayek sur l'entrepreneur-promoteur et le rôle de la découverte sur un marché. Je prévois de lire ça prochainement d'ailleurs :

Ses thèses: l'influence de Hayek - sans doute le penseur libéral le plus important du XXe siècle - dépasse largement l'école libertarienne qualifiée parfois d'autrichienne, en référence à Hayek et Mises et à leur inspirateur commun, Carl Menger. Hayek voit dans le marché un système décentralisé d'informations hors pair (par les prix), en même temps qu'un système darwinien qui permet de sélectionner les activités qui ont un avenir (parce qu'elles sont viables) et d'éliminer celles qui n'en ont pas. Même ceux qui se trompent apportent une information à la société humaine: leur échec, leur faillite ou leur paupérisation montre la voie à ne pas suivre. En effet, contrairement à une partie des néoclassiques, Hayek conteste l'idée d'une rationalité sans faille qui guiderait l'action humaine, et cette contestation l'amène à contester également la formalisation mathématique à la Walras. Mais le marché sert de guide dans la voie vers une meilleure société.

Jean-Pierre Dupuy (1) résume ainsi sa thèse: "Nous apprenons avec le marché à faire le bien en ne nous souciant que de notre intérêt propre (…). L'ordre étendu du marché transforme les ennemis en amis." Mais les libertariens poussent la logique hayekienne jusqu'à l'extrême en appelant de leurs voeux une société avec un Etat minimal, voire sans Etat. D'où le terme d'anarcho-capitalistes qu'ils revendiquent parfois.

Ce n'est pas une histoire de société meilleure, ni d'un marché providentielle qui apporterait le Bien. C'est une société libre et la moins coercitive possible ; avec un marché qui coordonne le mieux les choix individuels. Tout cet article est encore une fois très méprisant à l'égard des naïfs petits libéraux qui n'ont pas senti la mode de l'étato-capitalisme venir. :icon_up:

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C'est Alter Eco qui écrit des conneries pareilles?

Ce passage laisse clairement entendre que le marginalisme ou théorie de la valeur subjective est une réponse à la théorie marxiste. Or, tous les historiens de la pensée économique savent que cette approche est RIDICULE. L'argumentaire marxiste n'émerge qu'après les premières publications marquant la naissance de ce nouveau paradigme! Les trois "co-découvreurs" de cette théorie de la valeur subjective ignoraient tout ou presque des travaux de Marx à l'heure de publier leur découverte! La "réponse" libérale me fait d'ailleurs bien rire car il est tout a fait établi que quand le libéral Jevons démolit le cul-de-sac scientifique qu'est la valeur-travail, c'est pour mieux accabler le libéral Ricardo [fait relaté plus loin dans l'article] et sûrement pas un Marx largement inconnu des cercles d'économistes en 1870!

Anachronisme dans l'histoire des idées, réécriture falsifiée de l'émergence des paradigmes comme résultat d'oppositions idéologiques, bienvenue dans la science économique réécrite par Alternatives Economiques.

Oui cela vient d'Alter Eco, dans les "fondamentaux" :icon_up:

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  • 2 weeks later...

Comme je le pensais, le discours ultra-interventionniste de Lordon séduit fortement dans le cercle très large des admirateurs de la "puissance publique", à commencer par ce blog tenu par un "gaulliste villepiniste" du cercle des kiwis-bloggueurs (auquel appartient le blog d'h16).

C'est là:

(badurl) http://gaulliste-villepiniste.hautetfort.com/ (badurl)

Florilège de conneries:

Les causes de la crise

Pour l’auteur, il y a deux raisons principales à la crise économique que nous traversons, deux contraintes à laquelle nos économies se sont soumises, « celle de la finance, qui exige la rentabilité actionnariale, et celle de la concurrence qui veut la compétitivité-prix, qui ont écrasé les salaires et fait exploser les inégalités ». Une analyse proche de celle de Robert Reich dans « Supercapitalisme ».

Il souligne que « l’origine réelle (de la crise), c’est l’insuffisance des salaires » et demande si « les ménages se seraient endettés pour le plaisir ? Ou plutôt parce que l’évolution de leur revenu ne leur laissait pas d’autre choix ? » Il parle à raison d’un « capitalisme à basse pression salariale » et montre que cette basse pression épargne le 1% de la population qui a vu ses revenus fortement progresser (+19% de 1998 à 2006 selon Camille Landais et même +32% pour 0,1% de la population, contre 4% pour 90% de la population).

Frédéric Lordon souligne aussi la responsabilité de l’administration Clinton, qui a abrogé le Glass Steagall Act, qui limitait la concentration bancaire. Il souligne le comportement indécent des banques, en citant l’exemple de Merrill Lynch, dont le président n’a pas hésité à distribuer plus de 4 milliards de dollars de bonus avant sa reprise par Bank of America, alors que l’Etat fournissait 20 milliards d’aides publiques. Il rappelle que même The Economist avait alors parlé de « racket » et « pillage »…

Accuser "la finance" et les règles de la concurrence quand on sait à quel point ces institutions ont concouru à la prospérité dans les pays riches quand dans le même temps elles ont manqué aux nations pauvres, c'est stupéfiant.

Accuser la faiblesse des salaires comme moteur de la crise c'est ignorer qu'aux USA - là où la crise est partie - le niveau général des salaires est pourtant très confortable, et que l'endettement excessif des ménages américains s'est produit malgré et non à cause d'un pouvoir d'achat élevé (par rapport à la France, par exemple).

Quant à l'abrogation du GSA qui limitait la concentration bancaire… WTF? Aujourd'hui encore la concentration bancaire aux USA est bien plus faible qu'ailleurs (France, Canada, un peu partout en fait) donc ça n'est en rien un problème!

La responsabilité des politiques

Surprise, Frédéric Lordon exonère les banquiers de toute responsabilité. Pour lui, ils profitent du système que les politiques ont bien voulu construire. Il souligne que « la crise n’est pas simplement financière » et vient des structures économiques que les gouvernements ont construites depuis des années. Pour lui, « lorsque les structures sont installées, il ne faut pas s’étonner que les agents qui y sont plongés se comportent comme ces structures les déterminent ou les autorisent à se comporter ».

Il souligne que « les Etats ont été les instituteurs des marchés, et que la mondialisation, qui a si dramatiquement restreint la marge de manœuvre des politiques publiques, a été le fait d’autres politiques publiques ». Suit une critique radicale et virulente de ce qu’il appelle « le socialisme de gouvernement », qui est un responsable majeur de la déréglementation.

C'était couru d'avance: c'est très habile de la part de Lordon de livrer une analyse qui accuse les nouveaux Juifs de notre temps, à savoir les actionnaires et les néo-libéraux anglosaxons, n'accusant les politiques que de s'être laissés lier les mains et de ne pas avoir de pouvoir à exercer… Exactement ce qu'ils veulent entendre!

La mondialisation en cause

« En appeler au gouvernement mondial est le plus sûr moyen d’avoir la paix – entendre : pas de gouvernement du tout » : Frédéric Lordon décrit bien l’impasse des solutions globales, qui n’ont jamais fait autre chose que pousser l’agenda néolibéral. Il souligne sa proximité avec Joseph Stiglitz en affirmant que « la mondialisation a précisément eu pour effet de redéployer les marchés à l’échelle mondiale, c’est-à-dire dans un environnement de faible densité institutionnelle ».

Pour lui, les marchés financiers sont l’exemple le plus pur du marché libéralisé, avec toutes les conséquences que cela a pu avoir. Selon lui, il manque « une authentique communauté politique constituée » qui pourrait réguler le marché. Les Etats-nations sont donc une solution mais il croit également à une solution européenne, même s’il reconnaît que l’Europe actuelle fait plus partie du problème que de la solution. Il voit cependant dans les violations récentes et répétées des traités un motif d’espoir.

Pour écrire que les marchés financiers sont l'archétype du marché libéralisé pur, il faut être complètement à la masse! Je serai gentil avec Lordon, je ne lui attribuerai pas de noms d'oiseaux sur la base d'une affirmation de seconde main (l'auteur dit que - sans citation).

Ah! Et dans les commentaires, on trouve cette phrase délicieuse:

Et quel goût du paradoxe : "En appeler au gouvernement mondial" serait une ruse pour n'en avoir aucun … mais … par ailleurs "il manque « une authentique communauté politique constituée » qui pourrait réguler le marché" .

Toute la différence est dans le 'authentique' probablement.

:icon_up:

Bref, voila un nouvel exemple de décryptage de la crise très commode pour charger le méchant libéralisme et innocenter le gentil interventionnisme - mieux, le présenter en seul espoir de salut de l'humanité…

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Comme je le pensais, le discours ultra-interventionniste de Lordon séduit fortement dans le cercle très large des admirateurs de la "puissance publique", à commencer par ce blog tenu par un "gaulliste villepiniste" du cercle des kiwis-bloggueurs (auquel appartient le blog d'h16).

Oui, le cercle se veut large et ouvert. Sacré Laurent Pinsolle.

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Comme je le pensais, le discours ultra-interventionniste de Lordon séduit fortement dans le cercle très large des admirateurs de la "puissance publique", à commencer par ce blog tenu par un "gaulliste villepiniste" du cercle des kiwis-bloggueurs (auquel appartient le blog d'h16).
Oui, le cercle se veut large et ouvert. Sacré Laurent Pinsolle.

Ils n'ont pas "d'économistes" officiels chez les "gaullistes villepiniste" pour reprendre les propos de n'importe qui ?

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Ils n'ont pas "d'économistes" officiels chez les "gaullistes villepiniste" pour reprendre les propos de n'importe qui ?

Ils n'ont rien d'officiel. Le truc qui s'en rapproche le plus est un Ducon-Gnangnan un peu flétri dont le latex superficiel a commencé à sécher.

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