Aller au contenu

Vilfredo

Membre Adhérent
  • Compteur de contenus

    6 866
  • Inscription

  • Dernière visite

  • Jours gagnés

    17

Tout ce qui a été posté par Vilfredo

  1. Je crois qu'on avait eu une discussion là-dessus dans le thread sur l'éthique. Je répète ta position pour être sûr de bien la comprendre: le fait que le même jugement puisse être fait par différentes personnes garantit son objectivité, mais comment sait-on a priori que ce jugement est tel qu'il soit susceptible d'être fait par plusieurs personnes? Le fait que le même jugement soit nécessairement fait par plusieurs personnes, qu'elles soient pour ainsi dire forcées de l'accepter (comme vrai?) est un deuxième critère d'objectivité du jugement moral, mais il ressemble surtout à une définition de l'analyticité. C'est intéressant parce que ça coupe un peu l'herbe sous le pied de ceux pour qui les jugements de valeur ne sont pas susceptibles d'être vrais ou faux (ton côté pragmatique). D'un autre côté, si on adopte cette perspective 'philo du langage', on ne peut pas être sûr si l'accord des individus est un fait à propos de la nature humaine ou à propos du sens des mots. L'énoncé analytique c'est: le langage est tel que tel énoncé est toujours vrai (par exemple les tautologies sont des énoncés comme ça, et il existe même en linguistique des deep tautologies, donc c'est aussi trans-culturel). Alors ici ça serait: le langage est tel que tel énoncé est toujours accepté par, disons, la majorité des locuteurs d'une langue donnée, et ça compte comme: vrai, mais ça, ça nous apprendrait plutôt quelque chose sur notre langage; 'accepté/acceptable par tous les locuteurs de la langue' est une propriété de l'énoncé, dans ce scénario, de manière analogue à sa fonction de valuation dans le cas de l'analyticité. Peut-être donc que l'assentiment général, ça veut tout simplement dire que tel énoncé, en vertu de la structure du langage, prend toujours la valeur vrai, ou suscite toujours (presque causalement; je pense aux énoncés "stimulus-analytiques" de Quine) l'assentiment du locuteur. Enfin c'est juste un détail mais le sceptique nihiliste en moi trouve ça amusant. Plus généralement, il faudrait déterminer ce que c'est que l'assentiment spécifiquement moral, sinon toutes les tautologies deviennent des énoncés moraux objectifs. On peut pas vraiment dire que ça se mesure en dispositions à agir, parce que les énoncés vrais sur des états de fait aussi, et si on dit ah ha oui mais à agir moralement, on a seulement mis un nom sur le problème. Bon du reste tu dis toi-même que tu vois mal comment ça s'appliquerait. Je sais bien que "ne pas tuer" n'est pas une règle syntaxique, je dis juste que ton test me paraît être plus calibré pour détecter les règles syntaxiques (ou les énoncés en général qui provoquent l'assentiment des locuteurs en vertu de la structure du langage) que pour isoler les objectivités morales. Bon sinon y a Hoppe.
  2. And other hilarious jokes you can tell yourself
  3. Merci Spotify Ultimate love song I'm the Rubberbandman with the rubberman touch Out of the blue, love is such...
  4. @POE ok mais l'idée que le DN c'est ce que chaque humain peut découvrir avec sa raison, c'est déjà en soi une version du DN. Donc on peut continuer longtemps à jouer au jeu de cette version du DN est le vrai DN!, ça reste une interprétation partielle et vaguement thomiste (doctrine de la syndérèse, pas vraiment un truc grec antique) du DN. Au risque de me répéter, il n'y a pas d'égalité entre tous les "hommes" ni de nature humaine en Grèce. Il y a des Grecs et des barbares, des femmes qui servent à rien d'autre qu'à faire des gosses et des hommes libres. Pour reprendre un exemple de Strauss (je crois), c'est naturel que la tête commande aux pieds, donc c'est naturel que Prospéro commande à Caliban (ne lui dit-il pas, quand il se rebelle: 'my foot my tutor?'). C'est pas vraiment un giodébat, c'est plutôt un jordébat Je me bats vraiment pour cette idée que la nature humaine, ça n'est pas l'égalité entre les hommes. Ça c'est un truc inventé par les Untermenschen chrétiens. D'ailleurs il y a une différence visible entre disons la Bible et l'Euthyphron, c'est que ce que croit Euthyphron, c'est que les dieux aiment les hommes pour leurs qualités (s'ils sont forts, beaux (beauté physique = signe de beauté morale), et justes évidemment), alors que dans la Bible, Dieu nous aime parce qu'on est des hommes, et précisément pas pour nos qualités (ou alors je ne comprends rien à la charité chrétienne), juste pour notre "humanité" (ce nouveau concept). Pour être clair sur ce que ça implique, Strauss distingue 3 types de DN classique : 1. Le DN platonicien. Le DN a une idée de la justice qui consiste à donner à chacun ce qui lui revient en vertu de sa nature. Si un petit garçon porte un grand manteau et un grand garçon un petit manteau, au mépris du droit de propriété, la conception platonicienne du DN commande qu’on inverse les attributions (car il est dans la nature du grand garçon d’avoir un grand manteau et vice-versa). Un autre exemple serait celui de l’homme juste qui refuse de rendre à un fou meurtrier l’arme qui lui appartient. La justice donne à chacun ce qui est bon pour lui par nature, indépendamment de la loi et de la société civile. 2. Pour Aristote au contraire, un droit ne peut être « naturel » s’il va à l’encontre des coutumes de la société. Le DN est partie intégrante du droit politique et c’est sa forme la plus accomplie. L’autre thèse d’Aristote est que le DN est « variable », ce qui a fait l’objet de deux interprétations : a. Selon Thomas, ce qui est variable sont seulement les règles particulières dérivées d’axiomes eux immuables. b. Selon Averroès, le DN aristotélicien se rapprocherait du droit positif, dont il ne se distinguerait que dans la mesure où il englobe des conventions reconnues par tout le monde. C’est que l’approche aristotélicienne est bottom-up : une juste décision dans une situation est plus juste qu’une règle générale et le DN est constitué par de telles décisions. Donc il est forcément instable selon Strauss, qui interprète cela comme une force du DN aristotélicien, qui peut s’adapter à l'exception (Aristote il aime bien ça, s'adapter à l'exception). En gros c'est un peu la common law des Grecs. 3. Pour Thomas, le DN peut être communiqué à tous et revêtir par là un caractère universel. De l’esprit des lois de Montesquieu par exemple peut être lu comme une entreprise anti-thomiste. Je connais pas grand chose à Thomas, je me suis acheté ses Selected Writings en Penguin pour m'y mettre. Mais en attendant "le DN c'est ce que chaque humain découvre avec ses 100 de QI"
  5. Ben càd que quand @POE dit "DN" il réfère au DN moderne, donc... Sinon, ce qui est fondamental dans le comportement de Socrate c'est qu'il se reconnaît comme esclave de la loi. Et qu'il est condamné pour ne pas croire dans les dieux de la cité d'Athènes. Enfin, dans l'Euthyphron, Socrate fait fameusement le point suivant: ce qui est juste n'est pas juste parce que c'est aimé par les dieux, c'est ce qui est aimé par les dieux qui est aimé par les dieux parce que juste. Il faut pas croire, la cité définit la justice comme: obéis aux lois. Donc de ce point de vue Socrate est bien le fondateur du DN antique, parce qu'il distingue la loi naturelle et la loi divine. Pour autant, il se soumet à la loi de sa cité (c'est une manifestation de la morale commune, la Sittlichkeit de Hegel), donc ce n'est pas la morale opposable qu'est le DN moderne. Antigone serait plus proche de ça (si ma mémoire est bonne, la pièce de Sophocle vient avant le procès de Socrate) mais je vous rappelle qu'elle meurt. L'interprétation que fait Hegel dans l'Esthétique, à savoir que les personnages de tragédie antique sont simplement trop bons (trop extrêmement moraux généralement) pour survivre dans ce monde, me paraît plus intéressante pour comprendre comment c'était perçu.
  6. C'est vraiment le grand atout de la série c'est clair. J'ai à peine commencé la saison 3, ça avait l'air encore plus nul, neuneu que la 2. C'est le cas?
  7. Mais de quel droit naturel parle-t-on dans cette phrase? Dans une branche de l'analogie, on a la morale et "le" droit naturel (whatever that means) Dans l'autre on les lois et "le" droit naturel Mais les lois != la morale Non Et non plus C'est bien ça servait pas à rien de résumer Villey. Je me disais que c'était parfois un peu trop long comme résumé pour le sujet mais finalement...
  8. https://twitter.com/euchaneian/status/1477669709604655107?s=20 La question adéquate est plutôt: a-t-il mordu le chien?
  9. Je veux dire, là où je bosse, il y a une association écolo qui lutte contre les tampons jetables. Même qu'elle s'appelle 'Sang pour sang écolo' je pouvais pas l'inventer. C'est tout de suite un autre niveau. Pour une raison qui m'échappe d'ailleurs je reçois leurs mails pour m'acheter (entre autres) des culottes menstruelles PLiM 100% coton bio certifié GOTS et fabriquées à la main en France, avec un modèle ("La vaillante") avec 3 taux d'absorption possibles ("medium," "plus" et "max") pour la commande. Je vais finir par en commander un pour voir jusqu'où l'inclusivité va chercher (le mail commence tout de même 'bonjour à toustes' et finit 'menstruellement vôtre' (sic) donc j'ai bon espoir).
  10. Oui moi non plus je comprends pas pourquoi ils envoient un formulaire juste pour savoir si tu t'identifies comme homme De là à décerner une médaille à ceux qui le remplissent pas...
  11. Vilfredo

    Actualité Covid-19

    Ce qu’il faudrait dire à cet homme est qu’il est aussi libre qu’auparavant surtout.
  12. C’est mon côté lettreux mais des fois on pourrait faire des “chroniques de l’idéologie” en analysant ce jargon
  13. La notion d’individu n’a pas de sens en Grèce antique. Et ils n’ont même pas non plus la notion d’un droit qui s’oppose à la loi: Socrate refuse de fuir quand il le peut encore par respect pour la loi
  14. Podcast de BEE sur Joan Didion (gratuit). Je l'écoute dans mon lit right now avec la pluie dehors. Pour ceux qui sont amoureux de lui et de sa voix comme moi: https://www.patreon.com/posts/b-e-e-podcast-60335147
  15. Bon il y a aussi des choses réjouissantes dans ce feed bfm: https://www.bfmtv.com/sante/en-direct-rentree-scolaire-sous-omicron-nouvelles-regles-d-isolation-suivez-l-actualite-du-covid-19-minute-par-minute_LN-202201030021.html#article_73372 https://www.bfmtv.com/sante/en-direct-rentree-scolaire-sous-omicron-nouvelles-regles-d-isolation-suivez-l-actualite-du-covid-19-minute-par-minute_LN-202201030021.html#article_73370 Mélenchon est vraiment excellent, je suis impressionné.
  16. Implicature: Il y a des gens qui n'ont pas besoin de boire et manger
  17. Voilà ce qui arrive quand on commence à découcher
  18. Jecoute Yello non stop depuis 8h ce matin
  19. Oui en fait Hayek hérite du DN pré-moderne (plus médiéval qu'antique) l'idée d'une sorte de logique de la découverte légale (la compétition étant ce processus de découverte). Et j'ajouterais qu'avoir une conception non-critique du DN n'est pas si original que ça en fait: c'est aussi celle de Aristote, Montesquieu, Burke, Hegel etc (les conservateurs). Pour Aristote, il faut se rappeler sa métaphysique qui veut que les choses soient puissance et acte. L’exemple de cette physis est le germe d’une plante, qui peut se développer en arbre mais pas en chapeau pointu : le DN peut varier sans que ça empêche de distinguer ce qui est naturel de ce qui ne l’est pas. Ma typologie était en effet incomplète. Mettons les choses comme ça: La définition que tu proposes du DN me semble reposer sur 1) la distinction des droits objectifs et subjectifs. Mais j'ai essayé de montrer dans mon wot qu'elle n'était pas inhérente à la tradition jusnaturaliste antique ni médiévale. 2) Une conception anhistorique, critique du DN. Mais j'ai essayé de montrer, dans mon wot et ici aussi, que c'était une tradition parmi d'autres, qui s'opposait à la tradition "conservatrice", qui considère le droit d'un point de vue social, comme 'chose' au sens de Villey, complexe de relations, et non comme droit de propriété individuel, sans pour autant qu'on ne puisse pas utiliser le DN contre le droit positif. 3) Une conception égalitariste de la nature humaine (condamnation de l'esclavage), qui pour le coup ne me paraît ni antique, ni moderne (mais plutôt droit-de-l'hommiste ou contemporaine). Hayek, lui, mélange un peu tout, ce qui le rend difficile à classer. Il reprend, si je résume, aux médiévaux l'idée de la découverte du droit, aux conservateurs une conception non-critique et "plurielle" du DN, qu'il appuie sur une conception moderne de la nature, qui n'est pas le cosmos de la physis grecque mais la nature telle que la pense Hume et les Lumières écossaises, enrichie par l'évolutionnisme Darwinien, qui joue un rôle de pont entre l'historicisme hégélien et l'anhistoricisme du DN moderne relu et corrigé par Rothbard ou les droits de l'homme. (J'ai édité)
  20. Je ne sais pas si Marx dirait qu'on peut juger les sociétés selon le degré d'aliénation que permet leur superstructure (dont le droit positif fait partie), parce qu'il y a aussi un déroulement nécessaire de l'histoire. Les lois naturelles ne jouent donc pas un rôle critique mais seulement descriptif et scientifique (pseudoscientifique pour Popper ou pour Benjamin). En outre, ce sont les lois qui gouvernent la matière, mais je ne sais pas si on peut isoler dans ce matérialisme historique une théorie de la nature humaine, au sens où on la trouve dans Hobbes, pour citer quelqu'un qui fait une différence très claire entre loi naturelle et droit naturel: la loi naturelle, c'est que l'homme cherche à survivre; le droit naturel, c'est qu'il est libre de tout faire pour conserver sa vie (ça sera la base du droit de résistance dans l'état civil) (on pourrait aussi dire que dans Hobbes la théorie de la nature humaine n'est qu'une section de son matérialisme). Après je ne connais pas bien Marx donc je dis peut-être une bêtise. Mais sur la dichotomie loi/droit naturel, je vois pas le problème. Ou alors tu as une position straussienne, qui est que le "vrai" DN, c'est le DN antique. Hayek a une perspective évolutionniste (les normes émergent de la concurrence culturelle; il ne parle pas d'"histoire" parce que c'est déjà une façon très modélisée d'approcher l'histoire), pas historiciste. Je ne sais pas ce que Hayek pensait de l'esclavage en -300, mais à mon avis sa position à la fin de sa vie (quand il écrit Rules and Order) aurait été qqch de l'ordre de: tant que c'est économiquement profitable, c'est inutile de l'interdire parce que ça continuera en pire, et quand ça ne le sera plus, ça disparaîtra spontanément comme c'est venu. Au fond c'est ça l'ordre spontané: une evolutionary stable strategy. Amha, là tu décris un défenseur des droits de l'homme. Michel Villey fait du poisson torpille dans sa tombe. Pour m'excuser de trop solliciter parfois @Lancelot je vais moi-même faire un topo (j'avais lu plusieurs fois le livre de Villey l'an dernier donc je l'ai très bien en tête) Le terme de droit, rappelle Villey, s’entend en deux sens : (1) c’est d’abord l’"avantage" d’un sujet, une qualité personnelle (a) ou ce à quoi ce sujet peut prétendre, càd ce qui n’est pas interdit/ce qui est autorisé (dürfen) (b), et c’est ce qu’on appelle le droit subjectif ; (2) c’est ensuite l’ensemble des lois de l’Etat, qu’on appelle le droit objectif. Cette deuxième acception, le positivisme juridique, se targue de cultiver le droit "tel qu’il est", mais il se trouve que, justement, le droit a d’autres sources : la coutume, la jurisprudence et la nature de l’homme, d’où des "droits de l’homme" qu’on oppose au droit positif. Le juste, qu’analyse ensuite Villey, se conforme à l’ordre. L’esclave juste se limite à bien faire son travail d’esclave : une société juste est une société bien ordonnée (ce n’est pas nécessairement une société équitable et égalitaire). Aristote défend l’idée que le juste prospère davantage dans une Cité juste. Dans cette perspective, le droit est l’objet de la justice. Le juste est souvent de ne pas prendre plus que sa part, de respecter la juste mesure, dans les exemples d’Aristote, aussi le droit est-il originairement principalement la codification de la morale hellénistique. Le droit et le juste sont exprimés dans le texte grec par un seul mot, to dikaion, qui désigne un étant. Cet étant n’est pas une substance mais une relation, c’est pourquoi, par extension, il peut désigner la part qui revient à chacun. Cette conception, souligne Villey, est incompatible avec le partage moderne entre droits subjectif et objectif : il n’y a pas d’homme juste s’il n’effectue pas des actes justes et s’il n’est pas disposé à la justice par la vertu. Le juste n’a rien à voir avec la liberté. La notion de "partage" est le fondement de la justice distributive, mais son interprétation liberal est un contresens sur Aristote : il ne s’agit pas de "redistribuer" les richesses (comme si elles avaient été distribuées tout court), mais pour le juge de vérifier la justice d’une répartition préalablement établie (Aristote ne dit pas par qui). La notion de "mesure" s’étend à la "justice commutative", celle des échanges réglés par la rétribution et dont le principe est la loi du talion (qui est juste). Le droit romain reprend la définition aristotélicienne du droit, défini par sa fin, dans le cadre du monde sublunaire où tout est puissance et acte et tend vers sa fin naturelle, exprimée par Cicéron dans De Oratorio en ces termes : Sit ergo in jure civili finis hic : legitimae atque usitatae in rebus causisque civium aequabilitatis conservatio. (Ça veut dire: Soit (au sens: qu'il y ait) donc cette limite/fin dans le droit civil: la conservation, dans les affaires et les disputes (causis) des citoyens, d'une impartialité fondée sur la loi et les usages. Le "civium" veut dire que le droit civil est politique, et règle donc les relations entre des individus égaux et distincts : il ne s’occupe donc pas des relations familiales, car les individus ne sont pas assez distincts, ni des relations entre Etats, car le facteur d’égalité manque entre citoyens et étrangers. Mais le droit romain accorde une place différente à la loi : elle désigne l’organisation judiciaire et la procédure, si bien que, sans elle, il ne pourrait exister de jus civile. Mais il n’en reste pas moins que les deux sphères (droit et loi) sont séparées. Le droit civil est le travail d’interprétation des jurisconsultes, i.e. d’interprétation des mœurs, en l’absence de toute loi écrite ; le métier juridique n’est donc pas une déduction à partir de lois, mais connaissance de la réalité sociale. La loi décrit le droit, réalité qui lui préexistent, que les jurisconsultes recherchent. "Au-delà des règles, au-dessus des textes, est la réalité du droit." (Villey, ed PUF, 68). Ce n’est pas le DN moderne, il ne "tombe pas d’en haut", il est connu par observation. Il désigne un ensemble de choses. Par "chose", il ne faut pas entendre une définition physique, mais une cause, càd ce dont s’occupe le juriste. Saint Thomas explique en quoi ces choses dont on parle sont incorporelles en prenant l’exemple de la propriété (Somme, IIae, IIae, qu. 66, art. 2) : quand je reçois la propriété d’une terre, je ne reçois pas la terre, car la terre appartient à Dieu ; je n’en reçois pas l’usage, qui appartient à tous, et demeure commun ; je n’en reçois que la gestion. A Rome, c’est en effet le sens de la proprietas, qui est ce qu’aujourd’hui on appellerait seulement usufruit. Villey définit donc les "choses" comme "des compétences, des fonctions, des rôles à tenir dans la vie sociale intersubjective" (76). Comment réconcilier cette interprétation du droit avec l’idée de "droits subjectifs", propres au sujet ? Villey répond simplement : il n’y a pas de réconciliation à faire, car il n’y a pas de "droits subjectifs". Certes, le Digeste parle de droits comme celui de surélever sa maison, qui serait un droit subjectif, parce qu’il me donne un "avantage" ou un privilège ; mais juste après, il est aussi écrit que j’ai le "droit" de ne pas surélever ma maison, pour ne pas priver mon voisin de la vue. Interpréter ce second droit comme un quelconque avantage est grotesque : il s’agit d’une restriction, d’une obligation, qui souligne bien la définition donnée plus haut du droit comme "chose". "Le jus… n’est pas un attribut attenant au sujet…, mais cette part de choses qui revient à chaque personne dans le groupe" (78). Cette part qui revient à chacun est un complexe d’avantages et d’inconvénients (le jus civitatis, c’est le droit de vote et le service militaire). Ce n’est qu’avec la Modernité, Kant et Hegel, qu’est apparue la distinction entre droit réel (sur les res) et personnel (sur les personae). Villey, après cet exposé, affronte la critique évidente : comment appliquer ce droit antique à la modernité ? Dans l’Antiquité existait une anthropologie et une morale universalistes : c’est par exemple la loi de Zeus intimée à Antigone, par une sorte de divination selon Aristote (Rhétorique, I, 13), et qui n’est pas le DN (au sens moderne). Cette loi est morale, présente en tous, dicte les devoirs et indique les mauvaises actions (Cicéron, De Republica, III, 22). Les devoirs d’assistance, d’aide envers les pauvres, d’hospitalité, les livres d’Homère en fournissent de nombreux exemples. Les lois sont les instruments de cette morale universelle. Platon, comme Aristote, n’aborde pas le droit dans ses ouvrages de politique ; en revanche, il aborde l’éducation et la sexualité qui, si elles ne sont pas tempérées et bien réglées, provoquent la maladie du corps social. Villey me rappelle une remarque de E Barker dans Plato and His Predecessors, qui note que les Anciens étaient marqués par le primauté de la loi, tandis que les Modernes le sont par celle du droit. La morale sociale antique se donne plusieurs outils : l’éducation, la réputation (fama, infama) et la punition ou la récompense. Ici je vois bien ce qui fait bander les anarcaps dans Villey. On trouve un exemple de l’effectivité de cette morale sociale au début de l’Eutyphron, quand Eutyphron dit à Socrate vouloir intenter un procès à son père parce qu’il a laissé mourir un esclave au cachot. Il ne s’agit pas de défendre les droits de l’homme mais de laver une infamie, une souillure laissée par la conduite impie du père, c’est pourquoi Eutyphron demande justice devant l’Archonte roi. Que la situation réelle des esclaves à Athènes et Rome fût sombre est hors de doute ; mais la question est : quel système de normes, de la morale universaliste et sociale de l’Antiquité ou des droits de l’homme, protège le mieux les hommes ? La raison pour laquelle cette morale antique se distingue radicalement du DN moderne est que l’inégalité y est la règle, et qu’elle ne reconnaît pas de concept unifié de nature humaine : la femme ne saurait avoir les mêmes droits que l’homme, le débiteur que le créancier, le criminel que l’innocent ; l’Antiquité ne connaît pas la personne humaine (une notion chrétienne), l’homo noumenon de Kant ; elle ne connaît que des personnes et des cas. Que le droit civil s’élargît, par exemple à Rome, de façon significative, vu l’ampleur de l’empire, n’a jamais donné naissance à des droits de l’homme : ce droit restait civil, propre à une Cité (Rome). Il ne pourrait y avoir de droits de l’homme que dans une Cité mondiale, ce qui est un oxymore. Ce n’est pas Villey, c’est moi, mais on pourrait distinguer : Le droit naturel classique, relatif au cosmos ; Le droit naturel moderne, qui s’appuie sur la nature humaine seulement, avec plusieurs formulations très différentes (Hobbes, où on ne sait pas très bien d’où sortent ces droits, Locke, qui les fait dériver de Dieu) ; Je fais un encart dans le DN moderne pour Hayek, qui considère que le DN n’est pas premier, mais qu’il est le résultat de l’étude des effets des normes. Un mauvais parachute => risque d’accident étant donné la gravité => problème moral (qui relève du droit positif), et mauvais droit positif => risque d’accidents étant donné la loi naturelle => problème moral (qui relève du DN). Cette étude des normes, càd des droits positifs, qui collectionnent les normes en concurrence dans la société, aboutit à des jugements de valeur sur ce que les droits positifs devraient contenir ou pas pour être "bons", au sens précisément où on parle d’un "bon parachute" (merci Lancelot). Le DN devient une construction a posteriori et non a priori. Il y a une part d’a priori, qui est que les hommes ont une disposition au droit, un peu comme Chomsky a montré une disposition au langage, mais de même que cette disposition au droit n’est pas une disposition à tel ensemble de règles de conduite (comme le sont les droits de l’homme), de même la disposition au langage n’a pas abouti à un langage universel. Le droit positif ; Et cette étrange sorte de droit positif que sont les droits de l’homme, qui sont une sorte de droit positif universel, qui n’a rien à voir ni avec le DN classique, ni avec le DN moderne. Le point central, c'est que la nature humaine, ça ne veut pas dire l'égalité parmi les hommes. Marx ne s'y est d'ailleurs pas trompé en lisant la DDHC. Personne ne pense ça en Grèce, personne ne pense ça au Moyen-Âge, personne ne pense ça à l'époque de Hobbes et Locke (qui écrit quand même un chapitre entier sur le droit de conquête; pour lui, la political relationship n'existe qu'entre hommes libres, et on peut aliéner sa liberté naturelle en agissant mal), et même après la DDHC, on a conquis l'Afrique en son nom. Ma conclusion, c'est que je ne comprends pas quel DN tu critiques (moderne ou ancien), mais j'ai fortement l'impression que les seuls jusnaturalistes qui défendent vraiment la condamnation anhistorique de l'esclavage, c'est les libertariens à-la Rand et Rothbard. J'ai fait exprès de pas les inclure dans la typologie du DN parce que faut pas exagérer.
  21. Je trouve que ce message est déjà suffisamment clair: Ben à part parfois @Mégille, notamment sur l'école autrichienne, @F. mas et toi, il n'y a pas beaucoup de posteurs qui font des topos sur des questions d'idées. Ça doit être un truc de philosophes. En outre, les curieux peuvent lire wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/Natural_law#European_liberal_natural_law
  22. Ah j'ai encore créé un sujet sans le faire exprès donc (Il n'y pas pas beaucoup d'auteurs qui provoquent des discussions herméneutiques enflammées à part Hayek ici; je suis d'accord c'est génial Hayek mais c'est pas Dieu non plus.)
×
×
  • Créer...