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Corporatisme à la française


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Imaginez une organisation territoriale de la justice fondée au 19ème siècle, dans un pays rural, non-industrialisé pour une large partie, où tout le monde ne parlait pas la langue régionale, avec des bourgs aujourd'hui disparus. Une ministre se pose la question de savoir si l'on pourrait réformer une carte devenu complétement obsolète.

Ca vous paraît logique?

Et bien pas selon les avocats.

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Invité Arn0
Imaginez une organisation territoriale de la justice fondée au 19ème siècle, dans un pays rural, non-industrialisé pour une large partie, où tout le monde ne parlait pas la langue régionale, avec des bourgs aujourd'hui disparus. Une ministre se pose la question de savoir si l'on pourrait réformer une carte devenu complétement obsolète.
Cet argument ne tient pas puisqu'il s'agit de faire coller la carte judiciaire à la carte administrative bien antérieure puisqu'elle date principalement de la révolution (création des départements).
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Rien compris. Un peu de pitié pour les non-hexagonaux svp.

La carte judiciaire est en cours de refonte : c'est le découpage des juridiction en France, qui semble obsolète, certaines régions vides auraient plusieurs tribunaux de grande instance, là où des régions densément peuplées n'en auraient que peu.

Et les avocats sont pas contents, forcément.

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Pourquoi "forcément" ?

Ca me parait tellement contre-intuitif que je me dis qu'il doit y avoir d'autres motifs.

Il me semble justement que c'est le problème: délais d'attente dans les grandes villes pour plaider, dans les petits bleds on attend moins mais il faut s y rendre. La carte de la France des tribunaux est assez curieuse. Les avocats perdent beaucoup de temps, à ne rien faire et en transports. Au final ça énerve.

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Cet argument ne tient pas puisqu'il s'agit de faire coller la carte judiciaire à la carte administrative bien antérieur puisqu'elle date principalement de la révolution (création des départements).

Précisément, la carte judiciaire actuelle est basée sur les départements il me semble. La réflexion du cabinet Dati serait de réorienter les tribunaux selon les bassins de population.

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Invité Arn0
Rien compris. Un peu de pitié pour les non-hexagonaux svp.
Un article qui date un peu :
Mes confrères de province, ceux de Metz en tête, manifestent leur mécontentement à l'annonce d'un projet de réforme de la carte judiciaire, dont les détails n'ont pas encore été révélés par le gouvernement. Cette affaire risquant d'entraîner pas mal de remue-ménage ces prochains mois, je vous propose de faire un petit point de la question.

Cette réforme n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu : elle figurait au programme de Nicolas Sarkozy, que j'avais détaillé en son temps.

1. La carte judiciaire, qu'est ce que c'est ?

En un mot : c'est ça.

En plusieurs mots, il s'agit de l'organisation géographique de la justice : en gros, comment chaque parcelle du territoire est rattaché à un et un seul tribunal (en fait, il y a plusieurs types de tribunaux selon les affaires, mais chaque parcelle de territoire est rattaché à un et un seul tribunal de chaque type : il n'y a aucun chevauchement).

la carte judiciaire est différente de la carte administrative, qui divise la France en régions, département, arrondissements, cantons et communes. La France a ainsi 26 régions et 100 départements, tandis qu'elle a 35 cours d'appel et 191 tribunaux de grande instance. La différence n'est pas totale, car elle repose sur les communes (aucune commune n'est divisée entre deux tribunaux de grande instance) et fait en sorte de suivre les limites des départements. Notons au passage qu'il existe une deuxième carte judiciaire, celle des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, mais elle n'est pas concernée par la réforme, et je ne devrais même pas utiliser le terme de "judiciaire" s'agissant des tribunaux de l'ordre administratif, car il s'agit de deux ordres totalement séparés, avec leurs propres juges, leurs propres procédures, et leur propre cour suprême (cour de cassation pour le judiciaire, Conseil d'Etat pour l'administratif). Ca fait partie des exceptions françaises. Je vous en reparlerai, c'est promis.

L'unité de base de la carte judiciaire est le tribunal de grande instance. C'est la juridiction de droit commun, c'est à dire qu'elle connaît de tous les procès, sauf ceux que la loi attribue à d'autres tribunaux spécialisés, qu'on appelle juridictions d'exception (ce qui n'a aucun sens péjoratif)[1]. Le tribunal correctionnel, qui juge les délits, est une des chambres du tribunal de grande instance. C'est auprès du tribunal de grande instance qu'est organisé le ministère public, sous les ordres d'un procureur de la République.

Mais un tribunal de grande instance n'en vaut pas un autre. Il y en a des petits et des grands. Certains tribunaux de grande instance n'ont qu'une, deux ou trois chambres (on les appelle des hors-classes), tandis que celui de Créteil en a 13, Bobigny en a 17, et Paris en a 31.

Certains départements ont un seul tribunal de grande instance (Les Yvelines, TGI de Versailles), d'autres, de taille similaire en ayant trois (la Seine et Marne, TGI de Melun, Meaux et Fontainebleau), le département le mieux fourni étant le Nord, avec sept tribunaux de grande instance (Lille, Dunkerque, Hazebrouck, Douai, Cambrai, Valenciennes et Avesnes sur Helpe).

2. Pourquoi la modifier ?

L'idée de départ est d'aligner les deux cartes, administratives et judiciaire. Un département = un tribunal de grande instance, une région = une cour d'appel. L'argument est triple : la simplicité, le vieillissement de la carte judiciaire, et l'efficacité par la concentration de moyens.

Les deux premiers laissent franchement dubitatifs.

Un seul tribunal de grande instance par département, c'est plus simple sur la carte, mais pour les justiciables et les auxiliaires de justice, je doute que ce soit plus simple de s'y rendre. Après tout, l'Etat lui-même a jugé utile d'ajouter une ou deux sous préfectures par département : c'est que l'unicité de la préfecture posait des problèmes.

Mais le vieillissement de la carte, là, l'argument est inopérant. La carte judiciaire date de 1958. Comme la Ve république, ferais-je remarquer, et comme la Vieille Dame, elle a été modifiée à de nombreuses reprises, notamment avec la créations des tribunaux de grande instance de Nanterre, Bobigny, Créteil au début des années 70, et de la cour d'appel de Versailles en 1975. Dire que cette carte date de 1958 est donc faux.

Mais surtout en quoi, au nom de l'obsolescence, faudrait-il aligner une carte dessinée en 1958 sur une carte dessinée… en 1790 ?

Reste l'argument de l'efficacité. Il s'agit pour le gouvernement de regrouper les tribunaux de grande instance pour en regrouper les moyens et diminuer, voire supprimer les tribunaux de grande instance hors classe (trois chambres ou moins) au profit de tribunaux plus gros. Idem avec des cours d'appel (on parle de celles de Grenoble, Nîmes, Agen et Pau, qui seraient supprimées pour être regroupées avec Lyon, Aix en Provence Montpellier, et Bordeaux pour les deux dernières) (Mise à jour : Bourges serait aussi menacée, et serait regroupée avec Orléans). Cela s'inscrit notamment dans la logique de la réforme votée en mars dernier qui prévoit en 2010 la collégialité de l'instruction, ce qui suppose un minimum de trois juges d'instruction par tribunal, or le principe est qu'un tribunal de grande instance a autant de juges d'instructions que de chambres. Les Tribunaux de grande instance à une ou deux chambres ne pourront pas instaurer un collège de l'instruction, et pour ceux à trois chambres, il suffira qu'un poste soit vacant pour risquer de paralyser l'instruction.

Vis à vis de l'administration, c'est aussi nettement plus simple : un préfet, qui représente l'Etat au niveau du département, aura comme interlocuteur un seul procureur de la République. Mais ne pourrait-on pas obtenir le même résultat par une simple réorganisation du parquet, avec un procureur à compétence départementale, les parquets des tribunaux étant dirigés par des procureurs adjoints ou toute autre dénomination que l'on pourrait leur donner ? Mais j'anticipe un peu : voyons à présent les objections soulevées à l'encontre du principe de cette révision.

3. Les objections à la révision de la carte.

Elles sont de plusieurs natures, et de valeurs inégales. Aucune n'est à mes yeux suffisantes pour condamner cette réforme : l'Etat a le droit de s'organiser comme il le veut et de modifier son organisation, à charge pour lui que cette modification améliore les choses.

Il y aura des résistances locales, notamment de la part des élus. Paxatagore l'exprime très bien :

dans les villes de taille moyenne, un tribunal est une administration à forte visibilité. Les édiles locaux tiennent à avoir leur tribunal, signe de l'implication de l'Etat sur leur territoire. Un tribunal en soi apporte pas mal de notabilités, puisqu'à chaque tribunal correspond un barreau et donc des avocats. Le tribunal, comme d'autres administrations, ce sont des emplois. En soi, un tribunal n'apporte que peu d'emplois, mais la disparition d'un tribunal va servir à d'autres administrations de prétexte pour se concentrer d'avantage et aller dans de plus grandes villes.

Pour les barreaux locaux aussi, c'est une mauvaise nouvelle. Un barreau est rattaché à un tribunal de grande instance. La suppression du TGI imposera la fusion avec un autre barreau, et pour beaucoup un déménagement, puisque le cabinet qui était à deux pas du palais va se retrouver à plusieurs dizaines de kilomètres de celui-ci. Et pour un avocat, il vaut mieux être proche du palais que du domicile de ses clients, que l'on voit fort peu à son cabinet. La suppression d'une cour d'appel avec maintien d'un TGI n'est guère mieux, puisque cela suppose une forte diminution de l'activité judiciaire. Mais je reconnais que cet argument n'a guère de valeur comme objection, car cette réforme n'est pas faite pour le confort des avocats : nous sommes des professions libérales et nous devons nous adapter au fait du prince. Il sera aisé pour le gouvernement de le balayer en invoquant les résistances corporatistes. Le président de la république le fera très bien en invoquant sa qualité d'ancien avocat.

Se pose aussi le problème du point de vue du quotidien, et de la proximité géographique de la juridiction. Même si un citoyen se rend rarement au tribunal (il peut même désigner un avocat pour le faire à sa place), il vaut mieux qu'il puisse le faire aisément. Surtout que les bureaux d'aide juridictionnelle se trouvent au sein du tribunal de grande instance : ce sont donc les populations les plus défavorisées qui se rendent le plus souvent au tribunal. Les avocats, eux, sont de toutes façon contraints à la mobilité. On ne plaide pas que devant le tribunal de grande instance : on va aussi dans les tribunaux d'instance, aux conseils de prud'hommes et au tribunal de commerce qui sont souvent dans d'autres locaux que le tribunal de grande instance, aux maisons d'arrêt, qui sont de moins en moins en centre ville (heureuses les quelques villes qui ont une maison d'arrêt à quelques rues du Palais, comme Niort, par exemple).

Mais il serait souhaitable que les tribunaux restent en centre ville, à défaut, il sera indispensable que des transports en communs soient prévus pour bien desservir le tribunal, et on en est loin actuellement, même en région parisienne : le tribunal de grande instance de Créteil en est un exemple, situé à 500m d'une station de métro, sans aucune ligne de bus qui le desserve.

Il restera enfin les objections les plus fortes, mais qui ne seront pas contre le principe de la révision, seulement contre un aspect précis de cette révision : l'opportunité de la disparition de telle ou telle juridiction. Ici, la parole est à mes confrères et aux magistrats et greffiers concernés. Ne l'étant pas moi même, la région parisienne fonctionnant déjà depuis trente ans sur le principe un département = un tribunal de grande instance (sauf la Seine et Marne), je ne prétendrai pas avoir d'avis tranché sur la question.

4. Et ça va coûter combien ?

Alors, là, cher. Très cher. Parce que regrouper les tribunaux, c'est bien, mais encore faut-il de la place pour accueillir les greffiers, les juges, les archives, et créer les nouvelles salles d'audience nécessaires. La revente des palais désertés ne suffira pas à financer l'aspect immobilier. En plus, je me demande si une loi constitutionnelle ne va pas devoir être votée en raison de l'inamovibilité des juges du siège, ce qui va supposer la collaboration de l'opposition socialiste. Mais ne pas avoir les moyens de ses ambitions serait ici catastrophique pour le fonctionnement de la justice. Sauf à faire, comme le relève Paxatagore à la fin de son billet, une réformette, supprimer deux ou trois juridictions par ici pour les regrouper là, et présenter ça comme la plus grande réforme qu'aura connu la justice depuis cinquante ans.

Notes

[1] Citons la juridiction de proximité pour les petits litiges (moins de 4000 €), le tribunal d'instance pour les litiges moyens (entre 4000 et 10000€), les baux d'habitation, les expulsions, les tutelles, les contrats de crédit à la consommation, les saisies sur salaire, entre autres, les conseils de prud'hommes pour les litiges individuels liés à un contrat de travail ou d'apprentissage (surtout la contestation des licenciements), le tribunal des affaires de sécurité sociale pour les litiges avec les différentes caisses de sécurité sociale, et le tribunal paritaire des baux ruraux pour citer les plus importantes.

http://www.maitre-eolas.fr/2007/06/25/653-…arte-judiciaire
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Rien compris. Un peu de pitié pour les non-hexagonaux svp.

En gros, la carte judiciaire donne le tribunal compétent sur une partie du territoire, et le découpage des juridictions n'a rien à voir avec le découpage des régions, par exemple. Cas concret de la Bretagne (Breizh Atao! - hem pardon) : la Loire-Atlantique dépend juridiquement de Rennes, alors qu'elle est administrativement dans les Pays-De-Loire et non dans la Bretagne, suite à d'affreuses bidouilles de Pétain dans ses années vichyssoises. On imagine dès lors sans trop de mal le bordel à tuyaux qu'il faut pour gérer tout ça…

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Imaginez une organisation territoriale de la justice fondée au 19ème siècle, dans un pays rural, non-industrialisé pour une large partie, où tout le monde ne parlait pas la langue régionale, avec des bourgs aujourd'hui disparus. Une ministre se pose la question de savoir si l'on pourrait réformer une carte devenu complétement obsolète.

Ca vous paraît logique?

Et bien pas selon les avocats.

Et bien quitte à surprendre, je dois avouer que je suis plutôt d'accord avec les avocats.

Cela risque de rendre plus difficile l'accès des citoyens à la justice et cela va compliquer et alourdir la tâche des fonctionnaires de police en charge des transferts de prévenus vers les palais de justice. Lorsque l'on sait le temps perdu dans ces tâches, rien que pour l'Ile de France où la proximité est souvent de rigueur, je n'oseimaginer ce que cela va représenter pour les collègues de province si d'aventure cette refonte est conduite jusqu'au bout. Il y aura encore moins de flics sur le terrain et une justice plus éloignée du citoyen. Bénéfice ?

Il serait nettement plus judicieux de se poser la question d'identifier les postes où l'on peut et doit procéder à de sérieuses coupes budgétaires pour affecter une partie de ces économies en direction de l'institution judiciaire qui souffre à la fois de son sous-équipement, d'un manque de personnel. Bien sûr il faudrait également repenser la chaîne judiciaire pour libérer les tribunaux d'affaires qui les encombrent et qui pourraient être réglées par une manière de justice de paix.

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