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Poncet & Vuillemey : "Capitalisme financier ou capitalisme d’entrepreneurs"


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http://blog.turgot.org/index.php?post/Vuillemey-Poncet-2

Capitalisme financier ou capitalisme d’entrepreneurs

Guillaume Vuillemey et Vincent Poncet*

*Chercheurs à l’Institut Turgot, Paris

Mercredi 24 mars 2010

Une analyse rigoureuse montre que l’émergence d’un « capitalisme financier » – par opposition au « capitalisme d’entrepreneurs », selon le vocable du Président Sarkozy – résulte pour une grande part d’interventions étatiques, qu’elles soient monétaires, fiscales ou réglementaires.

Lors de son récent discours à Davos, Nicolas Sarkozy a une nouvelle fois martelé son credo selon lequel «la crise que nous traversons n’est pas une crise du capitalisme, mais une crise de la dénaturation du capitalisme». Cette antienne pointe un constat juste: le recours excessif à l’endettement, le primat donné aux activités de trading par rapport à la production ou le raccourcissement de l’horizon temporel des agents économiques. Pourtant, le chef de l’Etat français n’a jamais été très prolixe sur les causes profondes de ce phénomène. Une analyse rigoureuse montre que l’émergence d’un «capitalisme financier» – par opposition au «capitalisme d’entrepreneurs», selon le vocable du président – résulte pour une grande part d’interventions étatiques, qu’elles soient monétaires, fiscales ou réglementaires.

Deux chiffres suffisent à illustrer les changements brutaux subits par le système économique depuis dix ans. Entre 1945 et 1986, les profits du secteur financier américain ont constamment représenté moins de 15% des profits réalisés aux Etats-Unis. Cette part a ensuite augmenté progressivement, puis explosé au début des années 2000 pour dépasser les 40%. Dans le même temps, les salaires dans le secteur financier ont gonflé. Outre-Atlantique, ils ont toujours été égaux aux rémunérations dans les autres secteurs entre 1948 et 1982. Puis ils ont décollé pour devenir supérieur de 80% aux rémunérations moyennes des autres secteurs. La France a connu des évolutions comparables: la part du secteur financier dans le PIB y a crû de 24% à 33% entre 1985 et 2007.

Faut-il lire dans cette tendance lourde une dynamique interne au capitalisme, qu’il conviendrait de corriger par davantage de réglementations? Les choses sont plus compliquées. En vérité, de nombreuses politiques publiques ont amorcé et favorisé ce changement, sans que ce soit là leur but initial.

Au premier rang de celles-ci se trouve la politique monétaire. La fixation des taux d’intérêt comme outil d’intervention est porteuse de dangers. En réduisant artificiellement les taux directeurs (ce qui a été le cas au début de la décennie 2000), on réduit aussi l’horizon temporel des agents. D’un point de vue économique, le taux d’intérêt est le prix auquel s’échangent des biens présents contre des biens futurs. En d’autres termes, les décisions intertemporelles des agents sont fortement liées au taux d’intérêt: une baisse des taux par la banque centrale favorise la consommation par rapport à l’épargne, c’est-à-dire le présent par rapport au futur.

La manipulation des taux a les mêmes conséquences pour les entreprises et les banques: leur horizon temporel se raccourcit. Des investissements (souvent des mal-investissements) sont financés par la dette, alors qu’il conviendrait de développer à long terme la structure de capital. Si les activités financières des banques ont pu croître fortement, c’est grâce à leur accès privilégié à la création monétaire et à leur position privilégiée de collecte de l’épargne. En multipliant les opérations à crédit, elles ont aussi accru leur risque d’insolvabilité. En l’absence d’un système bancaire à réserves fractionnaires (où les banques peuvent prêter ou réaliser des opérations avec de l’argent qu’elles n’ont pas), les secteurs bancaires et financiers n’auraient pas connu une telle croissance. La libéralisation du secteur financier impulsée par Reagan et Thatcher dans les années 1980 n’est pas la cause du problème, mais l’a amplifié: ayant moins de restrictions réglementaires, les banques ont pu bénéficier plus fortement de leur proximité avec les banques centrales, leur assurant des taux artificiellement bas et une protection implicite par cette dernière. Depuis, les effets de levier mis en jeu ont été colossaux. Aux Etats-Unis ou en France, les fonds propres ont rarement représenté plus de 5% du bilan total des banques au sommet de la bulle.

Dans ce type d’économie où l’endettement est très fort, le marché boursier perd peu à peu son rôle originel visant à allouer efficacement des ressources pour la production. Il est de plus en plus utilisé pour des opérations à court terme, effectuées à crédit et avec un effet de levier conséquent. On peut citer le cas des traders dits «haute fréquence» (faisant des opérations d’achat et de vente en quelques centaines de millisecondes) qui, aux Etats-Unis, réalisent environ 73% des transactions sur les marchés d’actions alors qu’ils ne représentent que 2% des opérateurs.

Mais la politique monétaire n’est pas la seule en cause. Le cadre fiscal génère lui-même certaines incitations perverses. Pour les entreprises, le financement par la dette est relativement plus avantageux que le financement par augmentations de capital, car les intérêts – à l’inverse des dividendes – sont considérés comme des charges et ne sont pas taxés. Dès lors, il devient plus économique de financer sa croissance par la dette plutôt que par les fonds propres. Couplé à de faibles taux d’intérêt, cet avantage comparatif de l’endettement a pour conséquence des prises de risque démesurées. C’est donc avec raison l’on a pu décrire le «capitalisme financier» comme un «capitalisme sans capital».

Enfin, un dernier élément mérite d’être étudié si l’on entend restaurer un capitalisme d’entrepreneurs. Toutes choses égales par ailleurs, une même réglementation est beaucoup plus coûteuse pour une PME que pour une grosse entreprise: cette dernière peut plus facilement internaliser le coût de la complexité administrative et fiscale (elle dispose par exemple d’un service juridique). En France, cette prime donnée indirectement aux larges structures n’est pas anodine. La législation est foisonnante et nuit aux PME qui sont pourtant la source principale de l’innovation dans l’économie.

Au fond, capitalisme financier et capitalisme d’Etat ne font qu’un. Par sa nature, l’intervention de l’Etat en matière monétaire n’est pas différente de l’intervention en d’autres domaines. Elle modifie les incitations et a des effets redistributifs, notamment en direction du secteur financier. En filigrane apparaissent donc les grandes lignes des réformes à opérer pour corriger les excès du passé: la suppression du pouvoir de fixation des taux d’intérêt par les banques centrales, la levée des distorsions réglementaires en faveur de l’endettement et la simplification législative. A ces conditions seulement, un capitalisme d’entrepreneurs pourra être restauré.

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C'est un article délicieux. Je le garde de coté, ça me servira sûrement pour un exposé un de ces jours.

La libéralisation du secteur financier impulsée par Reagan et Thatcher dans les années 1980 n’est pas la cause du problème, mais l’a amplifié: ayant moins de restrictions réglementaires, les banques ont pu bénéficier plus fortement de leur proximité avec les banques centrales

Ca sort un peu du sujet. Mais sait-on si les baisses du taux marginal d'imposition par les conservateurs (US et anglais) ont finalement augmenté les recettes publiques des Etats ? J'avais lu ça quelque part, j'en parle souvent face à des gauchistes, mais je n'ai jamais de chiffres exacts.

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Invité Berti
Je ne vois pas trop la distinction entre un "capitalisme financier" et un "capitalisme d’entrepreneurs"…

La "financiarisation" du capitalisme a permis une création de richesse formidable. Et moins de capital c’est bien, car la rentabilité c’est bien.

Moi je ne voyais pas trop, je pensais aussi que toutes ces mises en cause des banques, de la finance, etc… étaient injustifiées.

Et puis j'ai lu ça que je te conseille (même pas besoin d'aspirine) :

http://www.dantou.fr/banques.html

http://www.dantou.fr/capitalisme.html

http://www.dantou.fr/crise.html

http://www.dantou.fr/crisefinanciere5.htm

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Je ne vois pas trop la distinction entre un "capitalisme financier" et un "capitalisme d’entrepreneurs"…

C'est ici:

La manipulation des taux a les mêmes conséquences pour les entreprises et les banques: leur horizon temporel se raccourcit. Des investissements (souvent des mal-investissements) sont financés par la dette, alors qu’il conviendrait de développer à long terme la structure de capital.

Pascal Salin parlait lundi dernier d'un "capitalisme sans capitalistes" dans lequel les fonds propres sont devenus minoritaires vis à vis des "fonds prétables".

La "financiarisation" du capitalisme a permis une création de richesse formidable. Et moins de capital c’est bien, car la rentabilité c’est bien.

Ce n'est pas l'activité financière qui pose pb (elle est de toutes les façons une clef de toute activité enterpreneuriale), mais la financiarisation conséquence du système monétaire.

La clef pour comprendre est de garder à l'esprit que le crédit ne crée par de capital réel (d'un point de vue global).

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C'est ici:

Pascal Salin parlait lundi dernier d'un "capitalisme sans capitalistes" dans lequel les fonds propres sont devenus minoritaires vis à vis des "fonds prétables".

Ok pour la surproduction de monnaie (même si celle-ci est régulée grâce à la concurrence entre banques centrales) et les mal-investissements qui en découlent. Mais veut-on un "capitalisme avec gros capital" ou du libéralisme (c'est à dire de l'ingénierie financière non régulée par l'Etat), de la création de richesse et de la rentabilité ?

Ce n'est pas l'activité financière qui pose pb (elle est de toutes les façons une clef de toute activité enterpreneuriale), mais la financiarisation conséquence du système monétaire.

Cette financiarisation est-elle si mauvaise à long terme ? Je ne le crois pas.

La clef pour comprendre est de garder à l'esprit que le crédit ne crée par de capital réel (d'un point de vue global).

Le crédit favorise la production et la création de richesse.

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Ok pour la surproduction de monnaie (même si celle-ci est régulée grâce à la concurrence entre banques centrales) et les mal-investissements qui en découlent. Mais veut-on un "capitalisme avec gros capital" ou du libéralisme (c'est à dire de l'ingénierie financière non régulée par l'Etat), de la création de richesse et de la rentabilité ?

Cette financiarisation est-elle si mauvaise à long terme ? Je ne le crois pas.

Le crédit favorise la production et la création de richesse.

la financiarisation conséquence de l'existence de la banque centrale est mauvaise, à court et à long terme. Si tu n'est pas convaincu de cela il me paraît judicieux de remplacer "anarcap" par "keynésien" dans ton profil …

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Je ne vois pas trop la distinction entre un "capitalisme financier" et un "capitalisme d’entrepreneurs"…

La "financiarisation" du capitalisme a permis une création de richesse formidable. Et moins de capital c’est bien, car la rentabilité c’est bien.

Ok pour la surproduction de monnaie (même si celle-ci est régulée grâce à la concurrence entre banques centrales) et les mal-investissements qui en découlent. Mais veut-on un "capitalisme avec gros capital" ou du libéralisme (c'est à dire de l'ingénierie financière non régulée par l'Etat), de la création de richesse et de la rentabilité ?

Cette financiarisation est-elle si mauvaise à long terme ? Je ne le crois pas.

Le crédit favorise la production et la création de richesse.

C'est toujours rassurant de constater qu'on ne pense pas comme toi :icon_up:

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Ca sort un peu du sujet. Mais sait-on si les baisses du taux marginal d'imposition par les conservateurs (US et anglais) ont finalement augmenté les recettes publiques des Etats ? J'avais lu ça quelque part, j'en parle souvent face à des gauchistes, mais je n'ai jamais de chiffres exacts.

Tu peux toujours utiliser la Courbe de Phillips pour appuyer ton argumentation, et tenter de faire passer ça pour un argument d'autorité (après tout ça fait bien partie de ce qu'on enseigne dans l'enseignement supérieur en économie). Après le fait de ne pas croire soi-même en cet argument (très douteux car aucun seuil de défini) c'est secondaire, non? :icon_up:

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la financiarisation conséquence de l'existence de la banque centrale est mauvaise, à court et à long terme. Si tu n'est pas convaincu de cela il me paraît judicieux de remplacer "anarcap" par "keynésien" dans ton profil …

Penser que la financiarisation conséquence de l'existence d'une banque centrale est mauvaise ne signifie pas que je suis keynésien. En revanche, vouloir interdire la financiarisation conséquence de l'existence d'une banque centrale va à l'encontre du libéralisme.

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Penser que la financiarisation conséquence de l'existence d'une banque centrale est mauvaise ne signifie pas que je suis keynésien. En revanche, vouloir interdire la financiarisation conséquence de l'existence d'une banque centrale va à l'encontre du libéralisme.

qui parle d'interdire la financiarisation conséquence des politiques publiques ?

D'ailleurs, je ne vois pas comment on pourrait interdire.

L'objet de l'article était de partir du constat d'une financiarisation boostée par les politiques publiques, et d'en attaquer les causes, càd les politiques publiques en question.

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Penser que la financiarisation conséquence de l'existence d'une banque centrale est mauvaise ne signifie pas que je suis keynésien.

Une des choses qui me semble anormales c'est de ne pas assumer son propre discours:

Ce n'est pas l'activité financière qui pose pb (elle est de toutes les façons une clef de toute activité enterpreneuriale), mais la financiarisation conséquence du système monétaire.

Cette financiarisation est-elle si mauvaise à long terme ? Je ne le crois pas.

Ah moins que tu voulais dire "est bonne" ?

En revanche, vouloir interdire la financiarisation conséquence de l'existence d'une banque centrale va à l'encontre du libéralisme.

Une autre des choses qui me semble anormales, c'est d'attribuer faussement une chose à quelqu'un. Personne n'a parlé d'interdire quoique ce soit jusqu'à présent.

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L'objet de l'article était de partir du constat d'une financiarisation boostée par les politiques publiques, et d'en attaquer les causes, càd les politiques publiques en question.

L'objet de l'article est louable et je suis d'accord avec ça. Le problème c'est quand on le lit on a l'impression que ça va un peu plus loin que ça.

Ah moins que tu voulais dire "est bonne" ?

Oui.

Une autre des choses qui me semble anormales, c'est d'attribuer faussement une chose à quelqu'un. Personne n'a parlé d'interdire quoique ce soit jusqu'à présent.
En l’absence d’un système bancaire à réserves fractionnaires (où les banques peuvent prêter ou réaliser des opérations avec de l’argent qu’elles n’ont pas), les secteurs bancaires et financiers n’auraient pas connu une telle croissance. La libéralisation du secteur financier impulsée par Reagan et Thatcher dans les années 1980 n’est pas la cause du problème, mais l’a amplifié: ayant moins de restrictions réglementaires, les banques ont pu bénéficier plus fortement de leur proximité avec les banques centrales, leur assurant des taux artificiellement bas et une protection implicite par cette dernière. Depuis, les effets de levier mis en jeu ont été colossaux. Aux Etats-Unis ou en France, les fonds propres ont rarement représenté plus de 5% du bilan total des banques au sommet de la bulle.

Si pour remédier à cela il n'y a pas d'interdiction alors je ne comprends pas. Vous êtes contre le système de réserves fractionnaires non ?

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Invité jabial

Faudrait qu'une vraie concurrence puisse exister. Le poisson d'avril Google Bank m'a fait l'effet d'une déception, car malgré la date je me disais "et si…". C'était trop beau.

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L'objet de l'article est louable et je suis d'accord avec ça. Le problème c'est quand on le lit on a l'impression que ça va un peu plus loin que ça.

Les recommandations de réforme de politique publique proposées dans l'article sont pourtant bien claires à la fin en conclusion, à savoir la remise en cause des conditions réglementaires qui créent la distorsion indiquée, soit "la suppression du pouvoir de fixation des taux d’intérêt par les banques centrales, la levée des distorsions réglementaires en faveur de l’endettement et la simplification législative".

Pas d'interdiction de la financiarisation quoi que cela pourrait vouloir dire.

Faudrait qu'une vraie concurrence puisse exister. Le poisson d'avril Google Bank m'a fait l'effet d'une déception, car malgré la date je me disais "et si…". C'était trop beau.

idem, c'était vraiment très fort ce coup-là, j"étais tout excité en le lisant, quasiment près à réveiller ma femme au milieu de la nuit pour lui en faire part :icon_up:

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