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À qui s'adressent les livres ?


Nicolas Azor

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L'autre jour je passe devant la librairie de mon quartier et comme souvent je me donne quelques instants pour regarder les pages de couverture.

Un livre en particulier, par son titre, a attiré mon attention :

Il s'agissait donc d'un essai publié cette année et écrit par Edgar Morin avec ce titre grandiose:

"La voie à suivre pour l'humanité"

Et là Edgar Morin m'a permit de clarifier un peu plus une impression que j'ai depuis quelques temps quand je regarde un livre. Edgar Morin pense donc avoir une idée pertinente concernant la voie qu'il convient de suivre pour l'humanité. D'où la question qu'on peut immédiatement se poser : pourquoi a-t-il décidé d'en faire un livre, de le faire imprimer et de le vendre ? Pourquoi ne l'a-t-il pas tout simplement diffusé librement sur le Net ?

Je suppose que quelqu'un qui s'inquiète du sort de l'humanité est tout de même quelqu'un qui souhaite son bien, non ? Donc j'ai du mal à imaginer que, ayant obtenu une solution à tous nos problèmes, il ne cherche pas à la communiquer au plus grand nombre possible.

Certes, ce livre est probablement le fruit d'un long travail, et Edgar Morin a le droit d'exiger une rétribution pour ce travail. Mais quand même ! Quand même !

Quand quelqu'un écrit un livre, n'est-ce pas à la base parce qu'il désire être lu ? L'impression et la publication sur papier n'est-elle pas, au départ, rien d'autre qu'un moyen pour arriver à cette fin ? Dès lors qu'un moyen de diffusion plus efficace et moins onéreux est trouvé, quel sens y a-t-il à utiliser le moyen le moins efficace et le plus onéreux ?

Imaginez le dialogue suivant:

"

- Salut, tu devineras jamais l'idée formidable que j'ai eu hier soir, c'est vraiment génial.

- Cool, je savais que tu étais quelqu'un de super intelligent. C'est quoi ton idée ?

- Ah je ne peux pas te la dire comme ça, tu dois me payer 20 euros d'abord.

"

Comment réagiriez-vous si quelqu'un vous parlait ainsi ? Certes, cette personne a le droit absolu de garder son idée pour lui si vous refusez de lui donner vingt euros. Mais avouez que vous auriez énormément de mal à ne pas penser de lui que c'est un sale con, non ?

Bref, à notre époque, finalement je me demande à quel genre d'individu s'adressent les livres exactement. Et quelle genre de personne a la prétention de penser que leur travail intellectuel mérite d'être publié sur papier en des dizaines de milliers d'exemplaires vendus à 20 euros pièces, alors qu'un clic de souris suffirait à diffuser cette même oeuvre sur le net.

PS. si jamais vous avez apprécié la lecture de ce court message, rassurez-vous : c'est gratuit.

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Disons qu'écrire des livres, argumenter et discipliner son esprit pour engager une réflexion qui dépasse la considération de bistrot est un vrai travail, et même un travail à plein temps. Dans ce dernier cas, il faut bien vivre, donc demander rétribution à ceux que ça intéresse. Si c'est Kant qui me demande 20 euros, je serais tout à fait prêt à lui céder. Pour Morin, c'est plutôt moi qui lui demanderait de l'argent pour subir son babillage.

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Disons qu'écrire des livres, argumenter et discipliner son esprit pour engager une réflexion qui dépasse la considération de bistrot est un vrai travail, et même un travail à plein temps. Dans ce dernier cas, il faut bien vivre, donc demander rétribution à ceux que ça intéresse. Si c'est Kant qui me demande 20 euros, je serais tout à fait prêt à lui céder. Pour Morin, c'est plutôt moi qui lui demanderait de l'argent pour subir son babillage.

C'est le raisonnement de Gustave de Molinari, cf Les soirées de la rue st lazare, intéressant à ce sujet sur la propriété intellectuelle mais qui manque l'essentiel :

Que cherche vraiment un auteur : se faire du blé avec ses idées, ou les voir se diffuser le plus possible ? Les deux ne vont pas toujours de paire, et je partage complétement l'interrogation de Nicolas Azor. Ce serait sacrifier Kant que de fixer un tel prix pour ses ouvrages, ce serait même trahir son sincère souci de contribuer à l'avancée de l'humanité.

Les altermondialistes ont bien compris le problème, et proposent nombre de publications à "prix libres", ou chez des éditeurs du type mille et une nuits (ATTAC).

L'extrême inverse, ce sont les publications universitaires américaines : destinées à un public si restreint composé essentiellement d'étudiants particulièrement enclins à photocopier à tout va, elles sont désormais pour la plupart hors de prix, destinées à être uniquement achetées par les bibliothèques et autres institutions. Il faut croire qu'un salaire de prof à Harvard + la satisfaction d'être publié et de retrouver ses thèses au cœur des débats internationaux les plus en pointe sur tel ou tel sujet n'est pas suffisant, et qu'à la soif de savoir et de connaissances se couple bien vite une soif d'argent.

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Et là Edgar Morin m'a permit de clarifier un peu plus une impression que j'ai depuis quelques temps quand je regarde un livre. Edgar Morin pense donc avoir une idée pertinente concernant la voie qu'il convient de suivre pour l'humanité. D'où la question qu'on peut immédiatement se poser : pourquoi a-t-il décidé d'en faire un livre, de le faire imprimer et de le vendre ? Pourquoi ne l'a-t-il pas tout simplement diffusé librement sur le Net ?

Je suppose que quelqu'un qui s'inquiète du sort de l'humanité est tout de même quelqu'un qui souhaite son bien, non ? Donc j'ai du mal à imaginer que, ayant obtenu une solution à tous nos problèmes, il ne cherche pas à la communiquer au plus grand nombre possible.

Certes, ce livre est probablement le fruit d'un long travail, et Edgar Morin a le droit d'exiger une rétribution pour ce travail. Mais quand même ! Quand même !

Quand quelqu'un écrit un livre, n'est-ce pas à la base parce qu'il désire être lu ? L'impression et la publication sur papier n'est-elle pas, au départ, rien d'autre qu'un moyen pour arriver à cette fin ? Dès lors qu'un moyen de diffusion plus efficace et moins onéreux est trouvé, quel sens y a-t-il à utiliser le moyen le moins efficace et le plus onéreux ?

Je pense que tu oublies l'aspect "respectabilité" dans ton raisonnement. Ecrire un livre suppose être édité donc relu etc. Je pense que c'est un aspect non négligeable car tout le monde peut écrire n'importe quoi sur internet.

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Je pense que tu oublies l'aspect "respectabilité" dans ton raisonnement. Ecrire un livre suppose être édité donc relu etc. Je pense que c'est un aspect non négligeable car tout le monde peut écrire n'importe quoi sur internet.

Quel valeur peut on accorder à cette relecture par rapport au peer reviewed d'une publi ?

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Il y a deux questions en une :

-pourquoi les écrivains écrivent

-pourquoi les lecteurs lisent

et finalement, la réponse est simple : les écrivains écrivent pour être lus par les lecteurs !

Economiquement, ce n'est rien d'autre que la rencontre de l'offre et de la demande sur un marché, les motivations des uns et des autres sont difficiles à généraliser.

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et finalement, la réponse est simple : les écrivains écrivent pour être lus par les lecteurs !

Economiquement, ce n'est rien d'autre que la rencontre de l'offre et de la demande sur un marché, les motivations des uns et des autres sont difficiles à généraliser.

Si les écrivains écrivaient seulement pour être lus ! Mais ce n'est pas le cas :

certains publient pour se faire du blé, ils produisent des livres comme d'autres produisent des pains au chocolats

d'autres encore ne publient que pour se donner une image "d'intellectuel", peu leur importe d'être lu ou pas, il s'agit simplement de faire mention qu'ils ont écrit ceci ou cela - voir par exemple les hommes politiques, qui d'ailleurs n'écrivent même pas eux-mêmes (par ailleurs, à l'approche des élections, cela leur permet une publicité d'un genre particulier).

etc

alors la question, dans cet étrange marché ou l'objet livre semble supplanter progressivement les idées qu'il prétend renfermer, comment les "vrais" auteurs, tels un Kant, doivent-ils, peuvent-ils, opérer ?

En ce qui concerne la question de savoir si les auteurs écrivent pour être lus, relire par exemple Schopenhauer, notamment les chapitres XXIII et XXIV des Parerga et Paralipomena publiés en français sous le titre :

" Tout d'abord, il y a deux sortes d'écrivains : ceux qui écrivent pour le sujet lui-même, et ceux qui écrivent pour écrire. Les premiers ont eu des pensées, ou fait des expériences qui leur semblent dignes d'être communiquées ; les autres ont besoin d'argent, et c'est pour cela qu'ils écrivent, pour l'argent. Ils pensent en vue de l'écriture. C'est à cela qu'on les reconnaît : ils dévident le fil de leurs pensées le plus longuement possible, exposent des demi-vérités, des idées faussées, exagérées et branlantes, ils aiment aussi la pénombre, afin de paraître ce qu'ils ne sont point ; c'est pourquoi leur écriture est dépourvue de toute précision et de toute clarté… "

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C'est le raisonnement de Gustave de Molinari, cf Les soirées de la rue st lazare, intéressant à ce sujet sur la propriété intellectuelle mais qui manque l'essentiel :

Que cherche vraiment un auteur : se faire du blé avec ses idées, ou les voir se diffuser le plus possible ? Les deux ne vont pas toujours de paire, et je partage complétement l'interrogation de Nicolas Azor. Ce serait sacrifier Kant que de fixer un tel prix pour ses ouvrages, ce serait même trahir son sincère souci de contribuer à l'avancée de l'humanité.

Les altermondialistes ont bien compris le problème, et proposent nombre de publications à "prix libres", ou chez des éditeurs du type mille et une nuits (ATTAC).

L'extrême inverse, ce sont les publications universitaires américaines : destinées à un public si restreint composé essentiellement d'étudiants particulièrement enclins à photocopier à tout va, elles sont désormais pour la plupart hors de prix, destinées à être uniquement achetées par les bibliothèques et autres institutions. Il faut croire qu'un salaire de prof à Harvard + la satisfaction d'être publié et de retrouver ses thèses au cœur des débats internationaux les plus en pointe sur tel ou tel sujet n'est pas suffisant, et qu'à la soif de savoir et de connaissances se couple bien vite une soif d'argent.

Avoir des idées supposent de les travailler, de s'investir, de prendre du temps pour les formuler. Mais on peut éventuellement les garder pour soi ou les partager occasionnellement avec ses amis autour d'un verre (de rhum par exemple). Dans ce cas, c'est un loisir sympathique et plutôt valorisant, qui peut éventuellement rapporter des sous, mais qui peut être assez désincitatif sur le plan de la création (et de la vraie réflexion, celle qui suppose de construire une oeuvre) : un auteur n'est pas poussé à travailler plus que ça si son travail n'a pour but que d'occuper ses loisirs. Il suffit d'ouvrir n'importe quel ouvrage de Jacques Attali ou d'Alain Minc, qui n'ont jamais été pris en flagrant délit d'avoir des idées originales (en flag de plagiat, par contre si).

Comme n'importe quel artisan, celui qui produit des idées peut chercher à en vivre, c'est-à-dire, comme le dit POE, le destiner à un public de consommateurs de ce genre de biens. Je prenais l'exemple de Kant, comme j'aurais pu prendre celui d'Adam Smith d'Aristote ou de Hegel, qui furent professeurs et payés pour donner des cours et produire des livres qui auraient pu difficilement voir le jour s'ils n'avaient été le fruit que de leurs loisirs érudits. Donc mettre 20 euros minimum dans un livre de qualité, on peut effectivement trouver ça sous-évalué.

J'ai bien senti que tu faisais allusion à ce brave Socrate. Il n'a rien écrit et vivait de la charité de ses amis parce que pour lui l'enseignement philosophique à ses yeux était proprement inévaluable : on ne peut pas mettre un prix sur la vérité, comme on ne peut pas enfermer la discussion philosophique par l'écrit, sous peine de perdre la vigueur de la dialectique. Mais après tout, Aristote faisait des traités, enseignait aux politiques et aux jeunes gens de bonne famille, ce qui lui a permis de vivre de sa plume pour le plus grand bénéfice de plus de 2000 ans de civilisation. C'est plutôt pas mal, c'est même plutôt win-win comme stratégie.

Tu évoques les altermondialistes, attac, et les éditions des mille et une nuits, qui sont des exemples intéressants. En général, ce sont des textes courts, voire des rééditions de textes plus classiques (Marx, Lafargue, Hume et j'en passe), quand ce n'est pas de la littérature secondaire destinée à populariser tel ou tel aspect de leur programme politique. Enfin, c'est de la littérature produite par des profs du public : ils ont objectivement plus de temps que les autres. On a besoin de ce genre de littéature pour diffuser, mais ce n'est pas là que se passe la création, il n'y a pas beaucoup d'idées neuves. Ce genre d'édition militante, toute alternative qu'elle est, suppose un bizness plan qui marche (réédition = ne coûte pas un rond, des textes vite faits par des militants, du papier recyclé et un public cible complaisant d'étudiants ou de fonctionnaires).

Le prix démentiel des publications universitaires us est effectivement étonnant mais s'explique sans doute par l'étroitesse de la demande (la communauté de recherches), les particularités du marché universitaire et la volonté d'attirer des contributions novatrices (les universités et les bibliothèques s'abonneront toujours, quel qu’en soit le prix, aux revues qui comptent genre Yale-Harvard-Cornell, qui peuvent en profiter pour faire payer leur marque de fabrique, mais qui ont peut-être aussi besoin de ça pour payer des contributions de qualité, c'est-à-dire originales). C'est justement par ces publications que l'universitaire se fait connaître, fait monter sa côte sur le marché national us et international, et peut ensuite espérer des gratifications plus grandes encore que prof à Harvard (mais est-ce vraiment possible ? :icon_up:).

Ce que j'admire de mon côté, ce sont les efforts de certaines fondations libérales et libertariennes en Angleterre et aux USA qui cherchent à encourager la création tout en reconnaissant qu'elle a un coût. J'ai en tête l'Institute for Economics Affairs et Liberty Fund par exemple, qui à mon avis réussissent le tour de force d'éditer et de financer des gens qui réfléchissent vraiment (et de beaux livres pour LF) à des prix défiant toute concurrence, sans tomber dans la propagande facile ni l'hyperspécialisation.

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