Aller au contenu

Johnathan R. Razorback

Yabon Nonosse
  • Compteur de contenus

    11 906
  • Inscription

  • Dernière visite

  • Jours gagnés

    46

Tout ce qui a été posté par Johnathan R. Razorback

  1. Il faudrait lire Deux conceptions de la liberté pour pouvoir trancher. Mais Sternhell ne pense pas que Berlin perçoive liberté positive et négative comme compatibles. « [Pour Berlin], la liberté positive consiste à soumettre notre comportement au contrôle de notre moi « idéal », « vrai », « réel » ou « supérieur ». Il ne s’agit plus d’éliminer les obstacles qui empêcheraient l’individu d’exercer sa liberté et de poursuivre les nombreux objectifs, aussi peu compatibles qu’ils soient, qui se présente à lui, mais de faire en sorte qu’après avoir reconnu la vérité, il entreprenne d’exercer sa liberté pour atteindre le bien. Cette conception de la liberté permet d’obliger les hommes « à être libres » et ainsi aboutit finalement à la soumission de l’individu soit à la volonté générale de Rousseau, soit à la nécessité historique marxiste. En réalité, l’idée de liberté positive, qui est à la base de la démocratie, n’a que très peu de choses en commun avec la description qu’en fait Berlin. La liberté positive signifie avant tout d’abord l’exigence d’autonomie à laquelle Kant appelait, la volonté de sortir de l’état de tutelle et la capacité de réaliser certains objectifs. Le sens premier de la liberté positive est bien évidemment la participation à la souveraineté. C’est bien la raison de la haine pour Rousseau que professe Berlin : pour Rousseau, la liberté n’existe que pour l’homme qui ferait des choix et ne serait soumis qu’aux lois à la formation desquelles il aurait lui-même participé. Telle est la signification de la « volonté générale » [R1] et c’est ainsi que Kant l’entend. On s’en souvient, Rousseau était le grand maître de Kant, celui qui lui avait appris à respecter les hommes. Car sur quoi exactement peut-on fonder le principe de souveraineté du peuple, sinon sur le droit de chacun de participer à la formulation des lois et la prise des décisions politiques ? Il s’agit donc de savoir « qui gouverne » et cette interrogation n’est pas moins importante que le problème des limites de l’intervention de l’Etat. Obsédé par sa crainte du marxisme, Berlin présente une argumentation unidimensionnelle, sans nuances, peu compatible, comme Tocqueville déjà le savait très bien, avec la démocratie. Il pense que la liberté positive détruit le pluralisme des valeurs, qu’elle implique l’existence d’une hiérarchie de valeurs et de là mène à la dérive, c’est-à-dire à la volonté générale, et la volonté générale à son tour conduit à la mort de la liberté négative, ce qui revient à une condamnation de la liberté tout court. » (p.718 à 720) [Remarque 1]: A ce stade Sternhell aurait quand même pu rappeler la distinction de Rousseau entre volonté générale et volonté de tous. Quant je dis qu'il part un peu dans tous les sens...
  2. La "philosophie féministe": « L’équation E=MC2 est-elle une équation sexuée ? Peut-être que oui. Faisons l'hypothèse que oui dans la mesure où elle privilégie la vitesse de la lumière par rapport à d’autres vitesses dont nous avons vitalement besoin… » -Luce Irigaray, « L'ordre sexuel du discours », in Langages, le sexe linguistique, 1987, p. 110.
  3. Tu parles de la pétition de 1977 qu'il a signé en soutien aux inculpés de l'affaire de Versailles (cf: http://fr.wikipedia.org/wiki/Apologie_de_la_p%C3%A9dophilie#France) ?
  4. Je connais ce discours (très bon par ailleurs). Mais Sternhell ne dit pas que Tocqueville rejette la liberté négative, seulement qu'il ne pose pas la liberté positive comme incompatible avec l'autre, mais nécessaire elle aussi (ce qui serait paraît-il le point de vue de Kant, mais je n'ai pas assez pratiqué). Autre citation de la Démocratie en Amérique à l'appuie de la thèse de Sternhell: "Chacun, en jugeant son voisin, pense qu’il pourra être jugé à son tour. Cela est vrai surtout du jury en matière civile : il n’est presque personne qui craigne d’être un jour l’objet d’une poursuite criminelle ; mais tout le monde peut avoir un procès. Le jury apprend à chaque homme à ne pas reculer devant la responsabilité de ses propres actes ; disposition virile, sans laquelle il n’y a pas de vertu politique. Il revêt chaque citoyen d’une sorte de magistrature ; il fait sentir à tous qu’ils ont des devoirs à remplir envers la société, et qu’ils entrent dans son gouvernement. En forçant les hommes à s’occuper d’autre chose que de leurs propres affaires, il combat l’égoïsme individuel, qui est comme la rouille des sociétés." Quant à Marat, c'est à l'évidence un ancêtre de Sartre
  5. "L’habitant de la Nouvelle-Angleterre s’attache à sa commune, parce qu’elle est forte et indépendante ; il s’y intéresse, parce qu’il concourt à la diriger il l’aime, parce qu’il n’a pas à s’y plaindre de son sort : il place en elle son ambition et son avenir ; il se mêle à chacun des incidents de la vie communale : dans cette sphère restreinte qui est à sa portée, il s’essaie à gouverner la société ; il s’habitue aux formes sans lesquelles la liberté ne procède que par révolutions, se pénètre de leur esprit, prend goût à l’ordre, comprend l’harmonie des pouvoirs, et rassemble enfin des idées claires et pratiques sur la nature de ses devoirs ainsi que sur l’étendue de ses droits." "J’avoue qu’il est difficile d’indiquer d’une manière certaine le moyen de réveiller un peuple qui sommeille, pour lui donner des passions et des lumières qu’il n’a pas; persuader aux hommes qu’ils doivent s’occuper de leurs affaires, est, je ne l’ignore pas, une entreprise ardue." "Comment résister à la tyrannie dans un pays où chaque individu est faible, et où les individus ne sont unis par aucun intérêt commun ?" -Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique.
  6. PABerryer => Je n’ai pas trouvé de passage qui correspondrait à une définition des Lumières mais outre les éléments que j’ai cité plus haut, Sternhell mentionne une vision de l’histoire fondée sur l’idée de progrès historique (hostilité au Moyen-âge), l’affirmation de l’autonomie de l’individu, la critique étendue à toute chose (pas de sacré a priori), la tolérance religieuse et l’antiesclavagisme, l’affirmation des droits naturels, la citoyenneté définie en termes juridico-politiques, l’unité du genre humain et par-dessus tout la certitude qu’il existe des vérités universelles. Pour Burke, il l’exclut tout à fait de la famille libérale, alors qu’Aron soutenait qu’on pouvait interpréter Burke soit comme un libéral soit comme un contre-révolutionnaire. Quelques passages pour éclairer l’opposition de Sternhell à Berlin (pour les autres lisez le livre) : "Pour [isaiah] Berlin, excellent exemple des contre-Lumières "molles", comme pour Meinecke, il ne semble pas qu'il existe de cause à effet entre la guerre au rationalisme, à l'universalisme et au droit naturel, et la poussé du fascisme et du nazisme [...] Il a rendu un service immense à tous les ennemis du rationalisme et de l'universalisme de notre temps : avant les postmodernistes, et dans un contexte éminemment politique et en dépit du fait que sa pensée n'est pas faite d'une pièce et comporte beaucoup d'ambiguïtés, il apporte la preuve que l'on peut saper les fondements des Lumières à partir d'une position libérale." (p.56) "[Isaiah] Berlin éprouve une grande sympathie pour celui qu'il présente comme un vieil homme qui ne s'est pas prosterné devant Hitler et l'hitlérisme, mais il oublie de nous rappeler que non seulement ce grand universitaire [Friedrich Meinecke] n'a pas élevé l'ombre d'une dénonciation contre le régime qu'il voyait s'installer et se mettre sans tarder à l'œuvre, mais encore qu'il s'enthousiasma pour les victoires des armées de Hitler." (p.683) Pour ailleurs, la lecture que Sternhell fait de Tocqueville est explicitement dirigée contre Berlin : "Pour ce libéral qu'est Tocqueville, l'alternative liberté négative/liberté positive est quasiment incompréhensible. Il sait que la simple existence d'une garantie des droits individuels sous un régime constitutionnels ne suffit pas pour faire des hommes libres. Pour lui, la liberté ne réside pas seulement dans la préservation, autour de l'individu, d'une zone de non-interférence, mais dans sa capacité à s'unir avec ses concitoyens pour dominer son destin. C'est la capacité des Américains à se rassembler pour se gouverner eux-mêmes et à ne pas attendre la protection du souverain qui émerveille Tocqueville. [...] Ce n'est pas en laissant l'individu livré à lui-même qu'on le sauve du "despotisme", mais en lui apprenant à s'associer à ses semblables pour se gouverner lui-même : c'est par la démocratie même que l'on pourra surmonter les dangers que représente l'égalité pour la liberté. Pour Tocqueville, la participation aux affaires de la cité, l'exercice de sa souveraineté, sa capacité d'être maître de lui-même représente une condition sine qua non de la liberté ; la participation politique affermit et développe les mœurs de la liberté. En revanche, c'est en s'enfermant dans sa sphère particulière, quand il ne conçoit la liberté qu'en termes de non-intervention et voit dans la liberté positive le plus grand danger qui puisse guetter l'individu, que le citoyen finit par provoquer lui-même l'intervention de l'Etat et de la société."
  7. Terminé Les anti-Lumières, de Zeev Sternhell. Grand ouvrage d’histoire intellectuelle, qui s’intéresse aux influences réciproques d’une gamme d’auteurs conservateurs ou nationalistes (Vico, Herder, Burke, Carlyle, Maistre, Renan, Taine, Sorel, Maurras, Barrès, Croce, Spengler, Meinecke, jusqu’à Isaiah Berlin et Irving Kristol), unis par la détestation des principes de la modernité (démocratie, libéralisme, individualisme, rationalisme, universalisme, Révolution française, etc). Deux défauts selon moi : l’ampleur même de la tâche aurait justifié des indications complémentaires sur chaque auteur, on passe un peu anarchiquement de l’un à l’autre sans vraiment voir la logique des transitions. Paradoxalement, l’autre défaut serait la longueur de l’ouvrage (800 pages), qui peut décourager le lecteur. On peut également déplorer la formule de « libéralisme bloqué » que Sternhell utilise à trois ou quatre reprises pour qualifier des auteurs dont il démontre pourtant à merveille l’antilibéralisme, fondé sur un nationalisme culturel (puis biologique), une nostalgie de la société médiévale et une conception organiciste de la société opposée à l’école des droits naturels (avec une détestation toute particulière de Locke et Rousseau). Pour ailleurs, la défense de Sternhell de l’héritage des Lumières le pousse à critiquer l’épistémologie de Skinner et les analyses historiques d’Arendt. Je vous laisse juge, ce n’est pas le cœur de l’ouvrage mais c’est assez intéressant : "[Quentin] Skinner, sans doute le plus important des contextualistes "mous", s'embarque lui aussi dans une entreprise de déconstruction classique de l'histoire des idées. Dans un article brillant et qui a exercé une profonde influence depuis sa publication en 1969, il s'emploie à démolir une idée qui de tout temps a justifié l'étude de la pensée politique: celle selon laquelle les grands auteurs du passé auraient soulevé des questions qui sont aussi les nôtres et auraient cherché des solutions à des problèmes qui se posent encore à nous. Dans un texte devenu une sorte de bulle pontificale post-moderniste, Skinner soutient que chaque auteur, en tout temps et en tout lieu, s'attaque à une problématique donnée, est dans une situation unique et écrit pour certains lecteurs et non pas d'autres, il cherche des solutions à des questions concrètes qui sont les siennes et uniquement les siennes. C'est ainsi que chaque texte, chaque énoncé de faits, chaque principe, chaque idée traitant traitent de la spécificité d'une situation et de l'unicité d'un moment. Il est donc futile et naïf de parler de "vérités universelles" ou de "problèmes immortels" : il n'est pas possible de dépasser son temps et son lieu, il n'existe pas de questions éternelles, comme il n'y a points de concepts éternels, mais seulement des concepts spécifiques, bien définis, qui appartiennent à des sociétés spécifiques et donc différentes. Telle est la seule vérité générale qui puisse exister, non seulement en ce qui concerne le passé mais aussi notre temps. Si les postmodernistes avaient simplement voulu dire que chaque génération doit penser pour elle-même, chercher elle-même la solution de ses propres problèmes et ne pas espérer trouver de réponses concrètes, susceptibles de commander l'action politique immédiate dans Aristote, saint Augustin ou Machiavel, ils n'auraient fait qu'énoncer une vérité évidente. S'ils avaient souhaité simplement montrer que les problèmes auxquels s'attaquait Platon étaient ceux de la démocratie athénienne et non point ceux de la démocratie française d'aujourd'hui, ils n'auraient formulé qu'une lapalissade. Mais tel n'est pas leur propos ; leur démarche est plus complexe car elle consiste en fait à nier l'existence de vérités de valeurs universelles. En effet, par le biais du contextualisme, du particularisme et du relativisme linguistique, en se concentrant sur ce qui est unique et spécifique, et en niant l'universel, on se retrouve forcément du côté de l'anti-humanisme et du relativisme historique." (p.80-81) "[Contrairement à ce que croit Hannah Arendt] ce n'est pas en tant qu'êtres humains que les Juifs prenaient le chemin des camps d'extermination, mais au contraire comme membres d'une collectivité bien définie, et ils étaient exterminés non pas comme êtres humains déchus de leur nationalité, mais au contraire parce qu'appartenant, dans l'esprit des bourreaux, à la plus forte de toutes les communautés, la communauté raciale. Ils n'étaient pas victimes de leur humanité abstraite, mais de leur qualité très concrète de membres d'une espèce maudite. [...] [...] En dernière analyse, qui porte la responsabilité intellectuelle de la catastrophe européenne du XXème siècle ? Les hommes qui tout au long du XVIIIème siècle, de 1689 à 1789, parlent du droit naturel, de l'unité du genre humain, de droits universels, "de cette nudité abstraite de l'être humain", tant décriée par Arendt, ou ceux qui nient l'existence des valeurs universelles ?" (p.762)
  8. Certes. Néanmoins il faut remettre ce genre de proclamations grandiloquentes dans le contexte d'une Europe quasi-exclusivement monarchique et impériale, où nombre de droits fondamentaux, y compris le droit à la vie, n'étaient pas respectés (cf la répression des Canuts, http://fr.wikipedia.org/wiki/Révolte_des_Canuts ,ou celle des ouvriers parisiens en juin 1848).
  9. Hum, ça me va Le fond de la France est radical-socialiste comme disait Raymond Aron.
  10. Vrai pour Sartre (« Un régime révolutionnaire doit se débarrasser d’un certain nombre d’individus qui le menacent, et je ne vois pas d’autres moyens que la mort. On peut toujours sortir d’une prison. Les révolutionnaires de 1793 n’ont probablement pas assez tué. » -Jean-Paul Sartre, au magazine Actuel (28/02/1973) ), mais généralisation abusive. A moins que Marx ou même Babeuf ne soient pas "strictement communistes" ?
  11. Les pleins-pouvoirs à Pétain, aussi ? En plus on parle d'un parti qui isolément récolte du 2% à la présidentielle. Inconnu dans l'opinion. A la limite de la banqueroute. Désarmé idéologiquement (les militants de base n'ont presque jamais lu Marx, j'en ai fait l'expérience directe). Dans les faits ils ne sont mêmes plus communistes, ils font vaguement du keynésianisme comme M. Jourdain faisait de la prose.
  12. Pas tant que ça... "Dans les écoles confessionnelles, les jeunes reçoivent un enseignement dirigé tout entier contre les institutions modernes. Si c’est état de choses se perpétue, il est à craindre que d’autres écoles ne se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans, où l’on enseignera des principes totalement opposés, inspirés d’un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871." -Jules Ferry.
  13. Je le connais très peu, sauf de part sa politique de conciliation sur la question algérienne (qui lui a valu le soutien de Camus). Sinon je ne sais rien de ses opinions.
  14. C'est malheureusement assez vrai... Si on pouvait faire rentrer dans quelques crânes que le problème ne réside pas dans les inégalités de richesse, mais dans la réduction de la pauvreté, ce serait déjà un bon début.
  15. Il en est même l'antithèse absolue. Mais il est plus ou moins hors-jeu à présent.
  16. Quelqu'un sait pourquoi Onfray a tout ces sourires du côté d'Alain de Benoist ? C'est quand même assez inouï en matière de confusion intellectuelle... « Debord et la Nouvelle Droite ont les mêmes ennemis. A savoir le Capitalisme dans sa version spectaculaire et l’idée que la marchandise ferait la loi partout dans une Europe libérale acquise au marché. » -Michel Onfray.
  17. "On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve." -Héraclite d'Éphèse.
  18. Une parmi d'autres. Et de la mauvaise foi, on peut en trouver partout. Mais pour aller dans ton sens: "Le Mensonge n'est pas seulement un moyen qu'il est permis d'employer, mais c'est le moyen le plus éprouvé de la lutte bolchévique." -Lénine.
  19. Dès lors qu'on pose une définition unique et "objective" du bien-être, la tentation d'offrir aux individus ce bien-être par des moyens coercitifs est si forte que le ralliement aux méthodes de la social-démocratie n'est qu'une question de temps...
  20. Historiquement, le mouvement socialiste a produit une abondante littérature pacifiste, avant 14 et pendant l'Entre-deux guerres. Il était aussi anticolonialiste (encore que pas sous Léon Blum). Mais ce ne sont pas des prises de positions spécifiquement socialistes.
  21. La classe des fonctionnaires ? Sinon ton texte est très bien, très pédagogique. J'aime beaucoup la conclusion ("cette prose, qui au fond n'est rien d'autre qu'un cri de révolte, simpliste et émotif, contre la dureté de la réalité."), ça résume 95% de la littérature socialiste.
  22. Tu es bien courageux de faire la critiquer d’un torchon qui dénie la nécessité même du travail. Moi ça me déprime. Une littérature néo-situationniste, la vitalité corrosive du style en moins. Dire que j’ai cru à ses conneries, autrefois.
×
×
  • Créer...