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Anton_K

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Tout ce qui a été posté par Anton_K

  1. A mon avis c'est une erreur de considérer Butler comme une féministe. Tout Gender Trouble constitue une réaction queer contre les féminismes, marxistes et existentialistes entre autres. Mais enfin c'est dans le passage que tu cites.
  2. Gender Trouble consiste en une succession de commentaires plus ou moins critiques de Wittig, Irigaray, Kristeva, Lacan et Foucault. Non seulement ces critiques sont assez intriquées et difficiles à suivre, mais à la sortie du bouquin il n'est pas facile de résumer les propositions faites par Butler elle même en réponse à ses auteurs. Il y a bien un dernier chapitre sensé les reprendre mais il semble très consensuel et sage étant donnée la radicalité de certaines réponses qu'elle fait à des auteurs déjà très radicaux dans les chapitres précédents. En tout cas si tu as des questions assez précises, comme j'ai un souvenir frais du bouquin et pas mal de notes je peux te répondre, par contre je peux pas me risquer à tenter de résumer tout ce bazar. Je précise que ce fut une lecture assez intéressante parce que Butler reprenant Foucault de manière moins fine, elle rend visible certains présupposés de la méthode foucaldienne sur lesquels j'ai de bons angles d'attaque. J'ai envie de mettre cette lecture à profit en écrivant une réponse/complément à un article déjà pas mal de Ramus sur les différences biologiques entre les sexes, mais je pense qu'avant ça je retournerai vérifier qu'elle ne trahit pas trop Foucault (mais ce n'est pas mon impression, en la lisant je la voyais plutôt valider toutes mes impressions sur les présupposés contestables dans beaucoup d'arguments foucaldiens).
  3. Bien noté ! En attendant j'ai lu rapidement ce papier qui me semble assez correct quant à l'existence de deux postures chez de nombreux "post-modernes", dont Latour, une radicale ("le monde externe lui-même est créé par les négociations entre scientifiques") et une inoffensive et avec laquelle on ne peut être que d'accord (le succès d'une théorie peut être expliqué en partie par des déterminants sociaux). Dans l'article sur la momie de Ramses, on trouve une tentative philosophique de supporter une version de cette posture radicale, tentative qui à mon avis échoue dans une certaine confusion. Au fond on peut se demander si cette radicalité ne prend pas entièrement place dans la tentative d'un discours sur "ce qui est vraiment réel", discours dont on pourrait peut-être faire l'économie, sans ignorer totalement ce qui ne relève pas de tentatives de telles affirmations radicales. Je ne suis pas certain que le débat sur l'intéraction correcte entre l'épistémologie et la sociologie des sciences puisse être balayé en disant que l'épistémologie aurait déjà tiré tout ce qu'elle pouvait tirer de la "bonne" sociologie des sciences. Parfois on dit, comme @Lancelot le proposait initialement, qu'il n'y a peut-être rien à en tirer, parce qu'au fond, l'epistémologie produit tout le normatif, et l'étude des institutions ne produit que du descriptif, et donc, comme on le sait, ça ne communique pas. Cette position est respectable et sûre, elle n'est pas nuisible. Je me demande simplement si on ne peut pas faire un peu mieux. Ensuite, je ne sais pas s'il est si évident qu'on peut rejeter comme "fausse" la conception de l'explication de l'histoire des sciences attribuée à Latour dans la citation. Ici il y a une difficulté qui est rencontrée aussi par Latour et je trouve, mal résolue par lui. Il n'arrive pas à choisir entre un partage des tâches, entre l'épistémologie et la sociologie dans la description du fonctionnement des institutions scientifiques, partage des tâches qui serait défini "en extension" : quand les scientifiques font "quelque chose de scientifique", le sociologue l'explique par la théorie épistémologique, quand ils font "quelque chose de social", il l'explique par sa théorie sociologique, et un autre partage des tâches, dans lequel le sociologue décrirait dans son propre langage tout le processus scientifique, et tout le débat entre scientifiques. Or dans le deuxième cas, qui me semble être la manière correcte de procéder, il ne me semble pas du tout que le sociologue puisse se permettre d'attribuer à la théorie, vue comme un objet de la société, la propriété de "vraie" ou de fausse". Soit il se borne à rapporter les croyances des sociologues à ce sujet, soit il trouve un moyen de redéfinir dans son langage tout le processus, qu'il va décrire objectivement, en bon scientifique, d'expérimentation, correspondant à la reconnaissance comme vraie ou fausse d'une théorie par les scientifiques. Je pense que c'est ça que les sociologues pourraient appeler la "construction sociale" du savoir scientifique (provisions d'usage, cf. mon article, cela n'implique pas que la théorie de soit pas vraie ou qu'il n'existe pas une réalité dehors blabla). Je ne crois pas faire de l'esbrouffe en proposant que cette distinction est substantielle, puisqu'il s'agit de déterminer le contenu de la sociologie des sciences (à moins qu'on considère que la sociologie des sciences est tout entière de l'esbrouffe). J'en déduis donc que Sokal n'est pas assez rigoureux dans sa critique, du moins dans ce papier. Après, si j'arrive vraiment mieux que Latour à produire cette distinction (et il faut dire que d'après ma propre appréciation, Latour est beaucoup plus confus que je ne le suis ), alors je ne peux pas lui prêter et considérer que la critique de Sokal était injuste. Donc rendez-vous quand j'aurai lu le bouquin.
  4. Je m'y connais pas assez. D'ailleurs contrairement à ce que je pensais elle a l'air de dire qu'elle a fait de bons stages. Alors si ces stages auraient pu lui permettre de s'inscruster, mais qu'elle a préféré viser plus haut, c'est son affaire, mais ça ne voudrait pas dire qu'on ne lui a pas donné d'opportunités, simplement qu'elle les a refusées. Enfin bref.
  5. Mais les IEP normalement, ça sert à trouver des stages et s'inscruster dans des ministères et autres administrations. Si elle a fait de si bons stages pourquoi n'a-t-elle pas réussi à taper l'inscruste ?
  6. Très déçu par ce premier épisode. :/ Dialogues pompeux, intrigue progressant difficilement, séquences répétitives...
  7. Je suis d'accord avec ça, et au fond je pense que c'est une des illusions de la quête du décentrement anthropologique. Les anthropologues sont perpetuellement à la recherche d'un équilibre entre ce qu'ils appellent posture 'étique' : l'anthropologie impose les catégories d'une théorie anthropologique prexistante à la matière humaine qu'il observe, et d'où vient la garantie d'objectivité, et la posture 'émique' : l'anthropologue décrit le phénomène culturel dans le langage du sujet de ce phénomène culturel. Comme le dit Latour au début de La Vie de Laboratoire, il court le risque de "going native" et que ce qu'il dise ne constitue pas un savoir utile aux autres anthropologues. Clairement dans cette posture 'émique', ce qui est recherché, c'est le regard extérieur, et dans la critique de la modernité, ce qui est recherché c'est un regard extérieur sur la modernité. Mais évidemment, ce regard extérieur reste objectiviste, simplement au lieu d'être de l'anthropologie, cela devient de la culturologie (néologisme personnel), c'est à dire le rapport encyclopédique de que les individus de tel ou tel groupe disent et "disent qu'ils croient". Au fond ce qui caractérise l'approche scientifique, qu'elle soit anthropologique au sens objectiviste ou culturologique c'est que dans chacun de ces deux cas, comme dans les sciences naturelles et formelles, on ne peut pas dire n'importe quoi. On ne peut pas faire des rapports différents, qu'ils soient anthropologiques ou culturologiques ou autres, et s'attendre à ce qu'ils soient acceptables au même degré, qu'ils aient "la même valeur". Je ne sais pas si on peut dire que c'est une quête strictement moderne, mais l'attitude scientifique, l'attitude caractéristique de la recherche du vrai, c'est d'affirmer que le discours porte sur une "chose" qui n'est pas le discours, et que de cette chose, on ne peut pas dire n'importe quoi, et que si possible on doit se mettre en condition de ne pouvoir dire qu'une seule chose, la chose exacte. Puisque je suis lancé je vais vous dire ce que je pense. A mon avis cette discipline de discours décrit plus fondamentalement ce qu'est l'attitude moderne et même plus généralement scientifique, que ne l'ont fait les théories de la vérité successives, car cette exigence de ne pas s'autoriser à dire n'importe quoi court dans la culture occidentale au moins depuis les grecs, et à mon avis c'est cette même fonction que remplissent non seulement les habitudes de pensée scientifiques, mais aussi les institutions de recherche et d'enseignement. Toujours à mon avis et moins formellement, ce qui s'est passé, c'est que certains humains ont commencé à essayer d'utiliser le langage pour parler de l'erreur : pour faire des prédictions et rapporter la différence avec la prédiction. L'idée de vérité et de chose en soi ne sont peut-être qu'un produit dérivé de cette manière d'utiliser le discours. Evidemment après Popper ce n'est pas difficile de noter qu'il y a une différence entre le critère de falsification, c'est à dire le test de l'erreur, et l'atteinte au vrai : ce n'est pas parce qu'on arrive à se rendre compte qu'on dit le faux qu'il y a une vérité unique que l'on puisse prononcer quant à un état de fait donné. Mais cette idée que si l'on peut se tromper, alors on doit chercher à dire la seule chose qu'on peut dire sans se tromper, joue au moins un rôle motivationnel important, et elle a aussi un autre produit dérivé très intéressant pour faire de meilleures prédictions : la recherche de systèmes de discours toujours plus contraignants (que ce soit par le développement de la logique, ou le raffinement des modèles structurels, notamment les objets et opérations mathématiques), faisant des prédictions toujours moins équivoques. Bref là encore, réflexion personnelle toujours en développement, mais comme ça vous voyez où je vais avec mes lectures étranges : en dessous et à travers les théories de la vérité et les paradigmes scientifiques successifs, il y a une continuité culturelle et institutionnelle de la discipline discursive, qui à mon avis est le vrai génie de notre civilisation. Et si nos théories de la vérité ne disent pas tout de la manière dont ce génie se développe, alors une étude descriptive des institutions scientifiques qui produisent ces bons résultats ne me semble pas vaine (comment exactement elle doit intéragir logiquement avec la norme courante, cela se discute). Finalement, je vous poserai la question suivante : que l'on choisisse de croire en une théorie de la vérité, ou que l'on choisisse de s'engager dans ces institutions disciplinaires, l'un de ces choix a-t-il un coût métaphysique clairement plus important que l'autre ? L'un est-il plus arbitraire que l'autre ?
  8. D'accord, j'avais bien cru comprendre en regardant une conférence de Boghossian, qui fut son élève, et qui parlait de sa discussions avec Rorty, que l'idée centrale était de substituer, en très gros, l'impératif de la poursuite de la vérité à celui de la solidarité et du maintient d'une communication avec les autres systèmes de croyances. Même si chez Latour ou encore chez Lyotard on trouve des petites remarques de ce style, je crois qu'aucun de ces deux auteurs ne revendique cette position. Et chez Latour on trouve même la revendication inverse : une adhésion à la modernité et un rejet du relativisme, en revanche il tient à redéfinir la modernité dont il fait la promotion comme un ensemble d'institutions, dont il dit que leur fonctionnement (et donc notamment leur bon fonctionnement) n'est en fait pas bien compris par l'épistémologie moderne qui est sensée les justifier. Je pense qu'il est assez important de distinguer : la manière de penser critique, l'adhésion à une norme quelle qu'elle soit, et la subordination de la norme épistémique à d'autres normes (pragmatique, politique, etc). A mon avis il s'agit d'attitudes qui viennent en package dans le post-modernisme mais qui sont en fait logiquement indépendantes, et quand on étudie bien les penseurs dits "post-modernes" on trouve pas mal de combinaisons de ces trois aspects et de variation dans chacun des aspects. J'irai voir à l'occasion, merci.
  9. En fait rien ne suggère que pour réviser l'épistémologie à partir d'énoncé descriptifs il faille "ne pas adhérer à l'épistémologie moderne", d'une certaine manière c'est une histoire de complétude. Il distinguer ce qui constitue le coeur de principes vraiment importants et accepter que des enrichissement sont possibles et que certains aspects sont révisables. J'ai pas mal parlé de ça dans la fin de mon dernier papier. Sinon, tu parles du théorème d'impossibilité d'Arrow? Si oui, je ne suis pas sûr de voir ce que tu veux dire, d'autant que ce n'est pas ce que dit ce théorème.... Je ne sais pas si beaucoup de post-modernes sérieux se pensent à l'abri de la critique, en tout cas il me semble que ça fait partie des tartes à la crêmes sur le sujet qui ne permettent pas de faire un bon audit de cette littérature. Bon je vois qu'on en vient au même problème et que c'est une question importante, cf mon post précédent à partir de "Je vois plusieurs manières de répondre à la question... "
  10. Pour ce que je comprends il ne s'agit pas de produire du normatif, mais simplement du descriptif, et dans le langage du sociologue (vu que c'est de la sociologie) plutôt que dans le langage de l'épistémologue. Alors après il y a des difficultés propres à l'anthropologie et la sociologie sur ce qu'est le langage de l'anthropologue/sociologue et à quel point il doit reprendre les termes de ceux qu'il étudie... Mais ce sont des débats que je trouve confus chez les sociologues et anthropologues et sur lesquels j'ai l'impression d'avoir une idée assez claire dont je parlerai à l'occasion - tout ça pour dire que la nuance est possible mais je ne la trouve pas ultimement pertinente. L'idée donc, est de trouver un langage du sociologue pour décrire la production scientifique, qui produise du descriptif et ne soit pas exactement le même que celui de l'épistémologue. Note par ailleurs, que même quand on ne fait pas du normatif mais du descriptif, on peut faire du descriptif, combiné à du normatif venu de quelqu'un qui a sa propre normativité, peut informer le choix. L'exemple typique est celui de l'identification de l'erreur ou de la mauvaise pratique : l'epistémologue peut lire le rapport d'un sociologue sur la manière dont on travaille dans la laboratoire, et comprendre que ce que rapporte le sociologue implique que des erreurs peuvent avoir été faites au regard de la norme épistémique (cf. mon article sur la question). Par contre le projet de Latour va plus loin : il remarque que les normes épistémiques sont implémentées par des institutions qui assurent que la norme est respectée en imposant des conditions techniques et sociales à l'exercice des sciences. Ces conditions peuvent être décrites par le sociologue. Il remarque par ailleurs que bien souvent, le discours épistémologique s'attache à améliorer et promouvoir la norme, mais il s'intéresse moins à la manière dont cette norme est implémentée. Ce qu'il propose, c'est que plutôt que de promouvoir la norme, qui risque toujours de ne pas correspondre à la pratique, il vaut mieux promouvoir la pratique, et les institutions qui implémentent les normes. On voit le retournement de perspective mais ce retournement pose deux questions. La première c'est de savoir, s'il y a quelque chose de normativement pertinent dans la pratique qui n'est pas déjà décrit par la norme, outre les cas d'erreur qui sont contraires à la norme. Il prétend clairement que oui, c'est-à-dire qu'en étudiant la pratique, on va trouver des habitudes qui contribuent en un sens aux succès et aux échecs de la science, mais qui ne sont pas pris en compte par l'épistémologie normative. La question c'est, comment, si ces habitudes ne sont pas prises en compte par, ou descriptibles dans le langage de l'épistémologie normative, peut-on savoir si elles contribuent aux succès et aux échecs de la science. Je vois plusieurs manières de répondre à la question. Il y a une version classique dans laquelle, de la même manière qu'on peut comprendre ce qui, descriptivement, a tendance à favoriser ce que la norme épistémique définit comme erreur, on pourrait étudier ce qui a tendance à favoriser la bonne pratique, au sens restreint de l'évitement de l'erreur. Mais à ce stade c'est toujours une norme, a priori de la sociologie des sciences, qui définit la bonne pratique. On pourrait ensuite étendre un peu cette approche en admettant que notre méthodologie a priori nous permet de parler de la robustesse ou de la qualité d'un résultat, et on pourrait chercher dans le rapport du sociologue à identifier les conditions matérielles et sociales qui ont tendance à amener à des résultats plus robustes ou de meilleure qualité. Enfin il y a une lecture moins classique dans laquelle on accepterait que le rapport du sociologue (ou de l'historien) des sciences permettrait d'identifier, dans la pratique effective (ou passée), de nouveaux éléments normativement pertinents, auquel on n'aurait pas encore pensé, que la méthodologie a priori aurait ignoré, mais dont on pourrait reconnaître en les voyant qu'ils participent à la bonne pratique. Je précise qu'à mon avis il faudrait alors reformuler, la méthodologie pour que celle-ci continue à constituer une justification a priori de la pratique scientifique - ne vous inquiétez pas, je ne suis pas devenu un pragmatique. C'est une perspective qui me séduit assez dans la mesure où je trouve, comme Latour, que l'histoire et de la philosophie des sciences à la Kuhn, qui font de la révolution scientifique une refondation des sciences, ont tendance à ignorer les manières de raisonner, ou de pratiquer les sciences en général, qui subsistent d'un paradigme à l'autre, et dont il me semble raisonnable de considérer que ce sont celles qui sont le véritable moteur du développement des sciences, qui survivent aux nouvelles expériences, habitudes et nouvelles expériences auquel le reste de l'édifice théorique s'adapte a posteriori, donnant l'impression d'une refondation. Or ces manières des raisonner et de pratiquer étaient clairement implémentées dans des institutions qui, nous seulement ont subsisté dans la plupart de leurs aspects à travers les révolutions scientifiques, mais ont en fait permis l'émergence de ceux qui ont fait des découvertes importantes. Il est vrai que l'histoire des sciences, jusqu'à une époque récente (et ayant étudié pas mal le cas de Galilée je peux vous confirmer que Latour ne dit pas bétises à ce sujet) avait tendance à ignorer cet aspect pour faire du découvreur celui qui renoue avec la véritable vertu épistémique contre l'institution sclérosée. J'avoue que c'est une réflexion qui est toujours en développement de mon côté donc je ne sais pas à quel point je suis convaincant, ni même si je me convains moi même, pour le coup... Je ne suis pas si certain qu'il y ait une contradiction, je ne suis pas certain de comprendre ce que tu veux dire dans ta dernière phrase mais il me semble que j'y ai peut-être déjà répondu. Après, lisant Latour, je trouve aussi des articles dont certains aspects sont difficiles à défendre :D, soit qu'on n'arrive pas à distinguer le sérieux et la provocation, soit que la réflexion soit trop peu précise pour qu'on soit certain que les différentes affirmations contribuent à la même thèse.
  11. J'ai fini de lire Gender Trouble de J. Butler la semaine dernière et je me suis lancé dans La Vie de Laboratoire de B. Latour, après avoir notamment discuté avec l'auteur de cet article (vous identifierez aisément mon pseudonyme), qui m'a fait d'ailleurs une réponse particulièrement bête. Nous parlerons de Gender Trouble une autre fois si ça vous intéresse mais plus j'avance dans le bouquin de Latour et plus je regarde, en parallèle, ce qu'on en dit (cf lien), ainsi que des interviews du bonhomme, je me rends compte à quel point la critique areo-quilettienne (incarnée ici par un Brice Couturier qui ne sait manifestement pas de quoi il parle) du post-modernisme est pauvre. Je ne dis pas que le projet et les thèses post-modernistes sont en général bien formulés. En fait, lisant Latour, je me trouve très très indisposé par la manière dont il pose la problématique à laquelle sa sociologie des sciences doit répondre, et je le vois osciller entre différentes options méthodologiques assez différentes. Mais je me rends compte que la réponse des "tenants de la modernité" est à chaque fois à côté de la plaque. Après, c'est peut-être que je ne lis pas les bonnes discussions du post-modernisme ; je vais tenter le bouquin de P. Boghossian Fear of Knowledge quand j'aurai fini La Vie de Laboratoire. Une des manières assez compréhensibles et pop dont Latour présente sa contribution, c'est comme un essai de faire une description des institutions scientifiques modernes, qui ne soit pas tributaire des notions utilisées par ces institutions pour se légitimer elles mêmes. Remarquez au passage comme on est très bien disposé à adopter cette perspective quand Bueno de Mesquita le fait pour les régimes politiques, avec brio d'ailleurs. Une des conséquences de ce changement de point de vue est que la réflexion sur l'adhésion à la modernité devient moins une discussion sur la valeur accordée à la vérité que la question du choix de pratiques scientifiques et institutionnelles particulières. Or, il me semble que rien n'empêche, même après avoir adopté l'approche critique de la production de la science moderne, de reformuler le modernisme comme un choix des institutions modernes, au nom des valeurs modernes elles mêmes. En plus, on peut utiliser l'effort critique lui même pour filtrer les pratiques et aspects de l'insitutions en fonction de critères modernes, puisque du point de vue de la motivation à faire un travail critique approfondi, le post-modernisme a quand même pas mal apporté. Au fond, le seul effort supplémentaire que la critique de la modernité demande au moderne, c'est cette distinction dans la description des institutions entre leur justification et leur fonctionnement. Comme dirait Latour lui même dans l'interview : on n'est pas morts, on a enfin une description réaliste de ce à quoi on tient. C'est à dire les institutions elles mêmes, pas leurs justifications. Maintenant il faut reconnaître qu'on y tient et les revendiquer. Je pense que la question n'est même pas vraiment celle de l'atteinte à l'absolu, l'universalité ou même la supériorité de la modernité occidentale. Ce pour la raison que les jugements moraux anti-modernes que l'on peut trouver dans la littérature critique ne sont en général même pas justifiés par la méthodologie explicite des auteurs (c'est là qu'en général le marxisme ou l'écologisme entrent en jeu). Je suis de plus en plus convaincu que la question du "relativisme" du post-modernisme est un appeau à demi-habiles auquel il s'agit de ne pas répondre si on prétend au sérieux.
  12. Pour ceux qui doutaient que les libertariens étaient, culturellement, des gens de gauche.
  13. Le citoyen occidental lambda n'a pas de moyens épistémiquement valides de décider qui croire. Bienvenue dans la post-vérité. En fait c'était déjà ainsi avant internet, mais quand on n'entend qu'un son de cloche, on n'a pas d'autre raison de douter que la défaince envers le relai ou le producteur de l'info. Bien sûr il y a une version objective du déroulé des évènements, mais aucune des personnes qui ont la peau dans le jeu n'a intérêt à faire autre chose que mentir ou du moins donner la version la plus avantageuse pour son camp. Du coup peut-être que c'est l'occasion d'accepter que nous, citoyens occidentaux lambda qui n'avont pas, contrairement à nos gouvernement, la peau dans le jeu, n'avons peut-être ni intérêt à en parler, ni intérêt à se renseigner, ni intérêt à croire quoi que ce soit au sujet de ces évènements. Mais si l'on veut vraiment savoir, je doute qu'il y ait jamais eu un autre moyen qu'être sur place au moment où les choses se passent. Et encore, à supposer qu'on perçoive suffisamment l'évènement dans sa totalité ; car quand bien même il n'y aurait pas eu d'attaque, les gens sortis de cette cave pour être amenés à l'hopital auraient pu le croire. edit : j'exagère un peu, on pourrait défendre que lorsqu'on découvre des incohérences dans un récit, ou une inadéquation entre la force d'une affirmation et la force d'une preuve soutenant l'affirmation, on peut au moins douter du récit ou de l'affirmation. Mais ça ne veut pas dire qu'on est fondé à croire la partie adverse. C'est d'ailleurs intéressant qu'on se demande "qui croire" plutôt que "que croire" ou "que ne pas croire".
  14. Enfin un démocrate véritablement eu-ro-pé-en.
  15. Après faut pas confondre cohabiter sous le même toît, financer l'un par l'autre, avec la création de programmes interdisciplinaires foireux... Peut-être que ça peut être fait en gardant des cursus séparés. C'était à Dauphine le cas que tu évoques ?
  16. Plutôt d'accord avec ça, pour avoir été un peu des deux côtés de la convergence (grande école avec de la recherche de haut niveau, puis université avec des parcours professionnalisant). Mais n'ayant jamais cru qu'on pouvait faire de la bonne recherche sans une grande discipline d'étude, et n'ayant jamais cru à la distinction radicale entre recherche fondamentale et recherche appliquée, je m'en suis pas surpris. Au fond, dans des domaines suffisamment connexes à des domaines appliqués, je ne sais pas si l'université traditionnelle peut rivaliser avec ces modèles hybrides. Et même dans des domaines moins connexes si le modèle est celui d'une université financée par le prix des formations professionnalisantes. Je ne sais pas si Dauphine est une réussite totale de ce point de vue, on ne retrouve quand même pas tout le spectre des sciences "non appliquées", et on retrouve quand même en partie (mais pas seulement) du genre de bullshit intermédiaire entre sciences humaines, communication et management que critiquait poney, mais je trouve l'expérience particulièrement convaincante.
  17. Certes des parcours partageant des enseignements existent entre certaines facs et certaines écoles, et pour un cours donné, le contenu est peut-être similaire. Mais tout de même, dans les grandes écoles au moins et probablement dans les parcours professionnalisants en général : - le planning de cours est plus chargé, - la présence des étudiants est vérifiée, - le contrôle des connaissances est plus fréquemment (même si les notes de certaines grandes écoles peuvent être davantage "données"), - la recherche de stage est plus encadrée et favorisée par les liens entre les institutions d'enseignement et les entreprises. Probablement certaines facs et certaines influences au sein des facs essaient de développer ces traits, mais dans la conception traditionnelle de l'université ces traits ne sont pas présents, et les gens qui défendent cette vision traditionnelle ne désirent souvent pas qu'ils se développent. Je pense qu'on peut donc dire qu'on a affaire à des modèles distincts.
  18. Je crois que Rincevent a raison de pointer le fait que tu confonds un peu enseignement supérieur et université. Je ne doute pas qu'une massification du supérieur soit nécessaire à la professionnalisation de la population. La question c'est pourquoi tant de jeunes se retrouvent dans des filières universitaires qui ne professionnalisent pas. A mon avis ça s'explique par la valorisation sociale de l'intellectualité académique : dans l'ednat, orienter un collégien/lycéen vers un cursus professionnalisant c'est nier la valeur de sa personne et le condamner à une vie d'exploitation, et ça s'explique aussi par la théorie du signalement ; l'efficacité des stratégies de signalement étant due au développement des métiers de bureaucrates, publics mais pas seulement, pendant une certaine phase de l'histoire économique. Personne n'a dit ça ici. Attention à ne pas confondre ce que poney dit ou ce que je dis sur ce qu'est l'université historiquement avec une thèse qui serait : "le supérieur ne doit être que l'université, et il ne serait pas bon que les filières professionalisations se développent". En ce qui me concerne je pense qu'il serait très bon qu'elles se développent, et je pense que ce qu'on voit actuellement en termes politiques et sociaux montre que ce développement est difficilement compatible avec la tradition universitaire, et qu'il faudrait donc probablement que ces institution soient séparées. D'où l'importance de notre accord pour différencier enseignement supérieur et université. Utilité sociale? C'est un critère qui a du sens si on se bat pour des financements publics peut être... Je préfère rester dans une approche subjectiviste de la valeur et te répondre que tant que ces institutions et leurs occupants trouvent un moyen honnête de se financer je ne vois pas pourquoi on discuterait de leur utilité sociale. C'est vrai. J'en suis pas sûr. Si on arrivait à revenir à une université du "luxe intellectuel", où n'iraient que ceux qui n'ont pas besoin de se professionnaliser, les autres trouvant ce qui les intéresse dans les filières professionnalisantes, je ne suis absolument pas certain que les sciences humaines deviendraient plus appliquées, et je dirais que cette université "à l'ancienne" est plus finançable que l'actuelle. Il se trouve qu'à une époque (déjà lointaine, j'avoue) j'ai fait de la "veille technologique" pour un cabinet de conseil en management RH (sur le sujet de la motivation), et j'ai donc épluché pas mal de littérature de psychologues et de sociologues appliqués. Ce que je peux te dire c'est que cette littérature était de très mauvaise qualité, tant sur le plan théorique (déjà quand on voit comment la littérature de seconde main comprend la littérature de première main on facepalm abondamment) que sur le plan de l'applicabilité. Mon impression est que la pratique effective du management RH et sa théorie psycho-sociologique sont toujours relativement indépendantes, même si les gens des deux côtés essaient de se donner de la légitimité en justifiant leur littérature par l'autre. Après, ce n'est que mon impression fondée sur une expérience limitée, donc...
  19. C'est essentiellement ça le problème. La culture universitaire, que ce soit sur les thèmes abordés ou le rythme, est une culture qui n'est soutenable, dans sa version traditionnelle, que si l'on a certains moyens. Simplement comme tu le faisais à juste titre remarquer, la masse d'étudiants qu'on a accueilli à l'université a fait sienne et valorise cette culture étudiante, refusant la professionalisation, tout en n'en ayant pas les moyens. Alors évidemment, idéologiquement, ils peuvent bien refuser la profesionnalisation tout en ne se sentant pas obligés d'assurer leur subsistance, puisqu'ils pensent aussi que c'est à l'Etat de l'assurer...
  20. Il y a eu des transformations du système universitaire qui permettent la professionalisation (mais souvent dans des fillières bien distinctes des fillières académiques sinon ça donne les aberrations évoquées par poney). Il y a même des exceptions réussies comme Dauphine où des parcours professionalisant sérieux (bon... pour la plupart) permettent de financer une formation et des recherches universitaires sérieuses. Mais c'est loin de faire l'unanimité, et dans ce cas comme celui des IUT, ce n'est plus l'université, avec sa culture, son errance, ses chahuts.
  21. Ça n’invalide pas la thèse du signalement par ailleurs... le signalement est une stratégie d’accès à l’emploi que la plupart des gens jouent, y compris ceux qui comprennent qu’ils la jouent. Par contre une des limites de la théorie du signalement c’est qu’elle ne dit pas quelle est l’utilité ou la nécessité de la formation pour un poste ou une mission donnée. Exemple des stems : c’est clair que la plupart des gens qui font des études en stems n’en finissent pas dans la tech. Par contre pour apporter de la valeur dans un domaine tech, je suis pas sûr que tu puisses te passer de faire des études en stems. Plus la structure de l'économie permet l’existence de postes qui ne nécessitent « que » d'être consciencieux et conformiste, plus la stratégie de signalement est payante. Par contre plus les entreprises sont incitées à se replier sur le cœur technique de métier technologique (ou les activités à forte valeur ajoutée), moins elle l’est. Ça fait un peu saint simonien dit comme ça...
  22. Mon point était qu'à mon avis traditionnellement l’université n’a jamais été professionalisante (même en sciences !), et sa culture héritée (sur le plan de la discipline comme de la culture politique) n’est pas adaptée à la professionnalisation pour cette raison. Les question sont : pourquoi les jeunes s’y retrouvent-ils massivement ? Est-ce le résultat d’un choix politique ? A-t-on cru que l’université allait pouvoir professionnaliser ? Est-ce que ça a marché un temps ? Pourquoi ça ne marche plus ?
  23. En fait ce que dit Ruffin n’est pas absurde si tu ramènes ça à la tradition universitaire. Dans un modèle où le lycée amènait à un niveau relativement plus élevé, et seulement peu de gens allaient à l’université pour y préparer essentiellement des thèses ou des licences d’enseigner, soit avec l’argent de leurs parents parce qu’ils étaient riches soit avec des bourses parce qu’ils étaient bons, ça se comprend. Mais c’est parce que la préparation à la vie professionnelle se faisait avant ou ailleurs. Les traditions d’errance et de chahut estudiantins ont tout de même une fonction difficile à définir et à justifier (vu qu’officiellement on est quand même là pour étudier), mais l’experience montre que c’était compatible avec la professionnalisation de ceux qui en avaient besoin (ils n’étaient pas à l’université), et l’étude de ceux qui pouvaient se la permettre. C’étaient traditionnellement des études qui ne nécessitaient pas l’imposition d’une discipline aussi stricte qu’au lycée car les étudiants disposaient des bases théoriques nécessaires. Aujourd’hui on a des étudiants qui ne sont pas préparés à la vie professionnelle à la sortie du lycée. On a décidé que le rôle de l’université était de les professionnaliser (ce n’est pas forcément une mauvaise idée étant donné l’orientation technoscientifique de la société). Par ailleurs, en sciences du moins, le développement des disciplines est tel que l’on n’arrive plus non plus assez près du niveau de l’état de l’art à la fin du lycée pour se lancer dans la recherche. La culture universitaire et ses chahuts ne sont pas adaptés à ce déclin du lycée et ce changement dans le besoin d’instruction. Par contre, et c’est peut-être pour ça en partie à que ces chahuts persistent : ils ne sont pas vains pour tout le monde. Pour certains ils contribuent à l’insertion professionnelle et ils constituent même une première expérience : les leaders syndicaux étudiants qui se destinent à une carrière politique, et ce, qu’ils obtiennent ou non gain de cause -ce n’est en général pas le cas.
  24. Un potentiel futur théoricien des modèles donc ? Tu sais que si tu es à Paris il y a des cours très bien à PVII et à probablement à l'ENS aussi sur le sujet ! Bienvenue !
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