Lancelot Posté 26 juin 2021 Signaler Posté 26 juin 2021 Après est-ce vraiment un point positif pour une philosophie morale d'être imbitable ? 2
Vilfredo Posté 26 juin 2021 Signaler Posté 26 juin 2021 Aristote n’est pas imbitable! Je suis sans doute sévère et caricatural avec les stoïques ; on range souvent Cicéron avec eux, qui critique pourtant les excès de Caton (dans le Pro Murena par exemple), mais le résultat c’est une défense du bon sens près de chez vous (il fait parfois pardonner mais pas tout le temps quand même) qui vend pas des masses du rêve non plus. Il y a bien un aspect vivifiant dans Seneque, C’est d’ailleurs pourquoi je l’ai mis en signature, mais pris à la lettre j’ai l’impression que ça donne des asociaux maso handicapés de la vie. Outre les partages habituels entre éthique des vertus, éthique déontologique etc il y a - des philosophies morales qui proposent une heuristique simple pour les choix - des philosophies morales qui t’apprennent la vie (je pense pas franchement que le stoïcisme en fasse partie; Aristote, qui t’explique tout de comment apprendre la flûte à quand engrosser ta gonze et comment élever ton gosse, déjà plus) - des philosophies morales qui reformulent juste ce qu’on entend par “morale” (Kant, typiquement) - des critiques de la morale Or je ne trouve pas le stoïcisme très “philosophant”. Le fait que je ne puisse pas résumer Aristote en trois mots ne veut pas dire que c’est compliqué à comprendre. Le stoïcisme en revanche, j’oublie bcp de trucs quand je dis que c’est: souffrir en silence? (Oui ils ont un cirque autour de leur divinité mais est-ce essentiel?)
Lancelot Posté 26 juin 2021 Signaler Posté 26 juin 2021 25 minutes ago, Vilfredo Pareto said: Aristote n’est pas imbitable! J'ai des walls of text de ta part qui disent le contraire ?
Vilfredo Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 C’est mes wot qu’étaient imbitables alors, pas Aristote
Jensen Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 6 hours ago, Vilfredo Pareto said: Le stoïcisme en revanche, j’oublie bcp de trucs quand je dis que c’est: souffrir en silence? (Oui ils ont un cirque autour de leur divinité mais est-ce essentiel?) Patrick Irvine a écrit une synthèse/reconstitution des idées stoïques (a guide to the good life, the ancient art of stoic joy), dont je recommande chaudement la lecture. Reconstitution parce qu'il y a beaucoup de trous dans les écrits qu'on a (d'après lui, je le crois sur parole vu que les lettres pour moi, c'est un peu les maths pour les kâgneux). En terme de philosophie, c'est effectivement assez simple, il y a assez peu de nœuds au cerveau. Mais appliqué dans la vie réelle, c'est assez puissant. Et non, c'est à peu près aussi loin que possible de "souffrir en silence". C'est plutôt "la douleur est un signal, c'est l'esprit qui l'interprète comme une souffrance, et en "hackant" son esprit on peu réduire la souffrance". Et ça marche dans le sens inverse pour la joie. Quelques points clés (de mémoire): - joie et souffrances sont relatives à nos expériences. Donc en simulant/créant des difficultés (visualisation négative / camping à la dure) et en refusant le confort excessif on réduit la souffrance causées par les difficultés réelles et on augmente la joie causée par les choses positives. - il y a des choses qu'on contrôle et d'autres qu'on ne contrôle pas. Avoir une émotion négative en réaction à une chose que l'on ne contrôle pas est juste un moyen de souffrir inutilement. Idem pour le fait de lier sa satisfaction à quelque chose qu'on contrôle vs ce qu'on ne contrôle pas. Un exemple qu'il donne est celui d'un match sportif. On ne contrôle pas la victoire ou la défaite, mais on contrôle la manière dont on joue. Une joueur qui se fixe comme objectif de donner le meilleur de lui-même sera plus heureux qu'un joueur qui se donne comme objectif de gagner. Un bon résumé en anglais: https://www.mrmoneymustache.com/2011/10/02/what-is-stoicism-and-how-can-it-turn-your-life-to-solid-gold/ (Mais qui est du coup un résumé d'un bouquin qui est déjà un mélange de résumé et d'interprétation, avec les risques que cela comporte pour comprendre les gréco-romains...) 5
Vilfredo Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 D’accord je comprends ce côté “se mettre des bâtons dans les roues”; Seneque écrit en effet qu’un bonheur que rien n’a entamé ne vaut rien du tout. Ma seule crainte avec ce système d’habitudes est qu’il finisse par te déprimer (il me semble que la “visualisation négative” est littéralement un symptôme clinique de dépression) malgré toi. Merci pour la référence!
Jensen Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 23 minutes ago, Vilfredo Pareto said: Ma seule crainte avec ce système d’habitudes est qu’il finisse par te déprimer (il me semble que la “visualisation négative” est littéralement un symptôme clinique de dépression) malgré toi. J'ai eu des très bon résultats quand j'ai appliqué la méthode, mais je ne suis pas allé jusqu'au bout. Je n'ai par exemple utilisé la visualisation négative que pour surmonter un obstacle ponctuel, au lieu de le faire tout les jours comme recommandé. Ça marche assez bien, à condition de se rappeler que le but est de faire paraître le monde réel plus clair par contraste, et pas de se morfondre dans l'ombre. Pareil pour les difficultés volontaires, ça marche du tonnerre. Quand on commence la journée par une douche froide, les difficultés mineures qui arrivent ensuite ont du mal à te ruiner le moral
RaHaN Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 il y a 29 minutes, Vilfredo Pareto a dit : Ma seule crainte avec ce système d’habitudes est qu’il finisse par te déprimer malgré toi En quoi ?
Vilfredo Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 Il y a 5 heures, RaHaN a dit : En quoi ? Je suis conscient que démêler les causes et les effets dans ce domaine est très difficile, mais j'avais lu dans la littérature scientifique que la dépression était liée (en tout cas) à un dysfonctionnement de la perception, la menant à s'attacher davantage aux aspects négatifs/tristes qu'aux aspects positifs. Ça n'a rien de surprenant en soi, mais j'étais surpris, en revanche, de voir à quel point c'était hardwired dans la perception et réflétait le mécanisme psychique dépressif ("ce petit souci m'est arrivé, et c'est une raison de plus pour laquelle je devrais sauter d'un pont"). De là, j'ai pensé à quel point cette même littérature scientifique soulignait le rôle de l'auto-suggestion en psychologie (sourire rend heureux, ce genre de choses) et j'ai formulé cette crainte qu'aspectualiser volontairement les points négatifs pour ne pas se laisser abattre, comme le décrit @Jensen (au passage je précise que je parlais du stoïcisme latin, Sénèque et Cicéron, et pas grec, qui est probablement différent, même si je ne sais pas très bien en quoi), pouvait déprimer ou en tout cas dépasser le contrôle conscient de l'individu. Le stoïcisme ressemble un peu à une blague juive. C'est l'histoire d'un Shlomo quelconque qui rencontre un Abraham et lui dit qu'il ne va pas bien (oui, étonnant je sais). Pourquoi? Eh bien parce que sa femme le quitte. Ah, c'est terrible n'est-ce pas. Et sa fille est déscolarisée, il va vers le divorce, d'ailleurs ses enfants ne lui parlent plus, et il a des problèmes d'argent, mal au dos, ses parents sont malades, bref, très mauvaise passe pour Shlomo. Abraham compâtit. Et, ajoute Shlomo, il s'est acheté ces nouvelles chaussures, qui lui font mal! Elles sont trop petites, c'est une torture de marcher avec. Abraham suggère que là, pour le coup, ça serait facile d'y remédier: on va aller acheter de nouvelles chaussures. Ah non, surtout pas! répond Shlomo. Parce qu'elles lui font mal toute la journée, mais en revanche, quand il les enlève en rentrant chez lui le soir, ahh, comme il se sent mieux! Le stoïcisme, ce judaïsme des Anciens. Nietzsche n'aurait pas mieux dit.
Rincevent Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 Il y a 13 heures, Vilfredo Pareto a dit : Sans doute; j’essaie aussi de lire Malcolm Lowry et peut-être pour la même raison ça me tombe des mains. Mais même pour le stoïcisme je trouve ça étonnamment peu élaboré comme théorie enfin comparé à Aristote ou Spinoza on se dit que pour leur philosophie morale les mecs se sont pas cassé la nenette. De mémoire, la logique stoïcienne est plus raffinée que la logique aristotélicienne. Il y a 6 heures, Jensen a dit : Patrick Irvine a écrit une synthèse/reconstitution des idées stoïques (a guide to the good life, the ancient art of stoic joy), dont je recommande chaudement la lecture. Reconstitution parce qu'il y a beaucoup de trous dans les écrits qu'on a (d'après lui, je le crois sur parole vu que les lettres pour moi, c'est un peu les maths pour les kâgneux). Oui le livre est très bien, je le recommande aussi. Je suis juste un poil dubitatif sur la dernière partie concernant les sciences cognitives, mais @Lancelot pourrait avoir une opinion pertinente sur le sujet. Il y a 5 heures, Vilfredo Pareto a dit : D’accord je comprends ce côté “se mettre des bâtons dans les roues”; Seneque écrit en effet qu’un bonheur que rien n’a entamé ne vaut rien du tout. Ma seule crainte avec ce système d’habitudes est qu’il finisse par te déprimer (il me semble que la “visualisation négative” est littéralement un symptôme clinique de dépression) malgré toi. C'est la visualisation négative incontrôlée, qui s'impose à toi, qui est signe de dépression. La visualisation négative dont on contrôle le déclenchement et l'arrêt, pas du tout. Tout au plus, on peut développer quelques tendances maso si on va trop à fond dans le stoïcisme (du genre de "essayons de dormir à même le sol pour voir si c'est si terrible que ça"), mais rien de grave ni d'incontrôlable.
Rincevent Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 il y a 3 minutes, Vilfredo Pareto a dit : Le stoïcisme ressemble un peu à une blague juive. C'est l'histoire d'un Shlomo quelconque qui rencontre un Abraham et lui dit qu'il ne va pas bien (oui, étonnant je sais). Pourquoi? Eh bien parce que sa femme le quitte. Ah, c'est terrible n'est-ce pas. Et sa fille est déscolarisée, il va vers le divorce, d'ailleurs ses enfants ne lui parlent plus, et il a des problèmes d'argent, mal au dos, ses parents sont malades, bref, très mauvaise passe pour Shlomo. Abraham compâtit. Et, ajoute Shlomo, il s'est acheté ces nouvelles chaussures, qui lui font mal! Elles sont trop petites, c'est une torture de marcher avec. Abraham suggère que là, pour le coup, ça serait facile d'y remédier: on va aller acheter de nouvelles chaussures. Ah non, surtout pas! répond Shlomo. Parce qu'elles lui font mal toute la journée, mais en revanche, quand il les enlève en rentrant chez lui le soir, ahh, comme il se sent mieux! Le stoïcisme, ce judaïsme des Anciens. Nietzsche n'aurait pas mieux dit. Blague à part, il y a des gens qui ont tenté un syncrétisme entre judaïsme et stoïcisme, dans l'Antiquité. C'était pas inintéressant, mais c'est en ajoutant quelques autres éléments encore que ça a fini par connaître un grand succès populaire.
Sekonda Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 7 minutes ago, Rincevent said: Blague à part, il y a des gens qui ont tenté un syncrétisme entre judaïsme et stoïcisme, dans l'Antiquité. En quelle langue ?
Rincevent Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 il y a 4 minutes, Sekonda a dit : En quelle langue ? Principalement en grec, mais pas que.
Lancelot Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 1 hour ago, Rincevent said: Je suis juste un poil dubitatif sur la dernière partie concernant les sciences cognitives, mais @Lancelot pourrait avoir une opinion pertinente sur le sujet. Pas lu ce bouquin mais c'est un point important : dans la mesure où on intègre dans la philosophie morale une réflexion sur la manière dont fonctionne l'esprit humain, la frontière s'estompe avec une forme de psychologie pratique (psychothérapie, psychanalyse, self-help...). D'un côté c'est nécessaire de le faire pour ne pas arriver à des standards farfelus/impossibles, l'homme nouveau et ce qui s'ensuit, et ça donne des hypothèses testables concrètement ce qui est appréciable. D'un autre côté ça peut être inquiétant de brouiller la distinction entre bon/mauvais et sain/pathologique ou entre désaccord et négationnisme (Cf. l'ensemble des médias en 2021). Je pense que c'est possible de s'en empêcher mais ça demande des anticorps conceptuels et de la vigilance.
Rincevent Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 il y a 22 minutes, Lancelot a dit : Pas lu ce bouquin mais c'est un point important : dans la mesure où on intègre dans la philosophie morale une réflexion sur la manière dont fonctionne l'esprit humain, la frontière s'estompe avec une forme de psychologie pratique (psychothérapie, psychanalyse, self-help...). D'un côté c'est nécessaire de le faire pour ne pas arriver à des standards farfelus/impossibles, l'homme nouveau et ce qui s'ensuit, et ça donne des hypothèses testables concrètement ce qui est appréciable. D'un autre côté ça peut être inquiétant de brouiller la distinction entre bon/mauvais et sain/pathologique ou entre désaccord et négationnisme (Cf. l'ensemble des médias en 2021). Je pense que c'est possible de s'en empêcher mais ça demande des anticorps conceptuels et de la vigilance. Indeed. Tu as, of course, un niveau bien plus pointu que le mien dans tout ce qui est sciences cognitives, donc des réflexes intellectuels plus affûtés pour détecter le cognitobullshitage. Dans le chapitre en question, je n'ai pas spécialement lu de conneries, mais je serais curieux de savoir ce que tu en penses. M'enfin l'auteur m'est tout de même sympathique, puisque son programme de recherche personnel est passé de "disons du bien du bouddhisme" à "en fait le bouddhisme-pour-occidentaux c'est de la merde, le stoïcisme c'est quand même autrement mieux". Evidemment, je dis ça parce que l'auteur est philosophe. Je mettrais a priori davantage de confiance dans "The Happiness Hypothesis" de Jon Haidt, parce que la psychologie, c'est son métier (pour rappel, la thèse du bouquin est "les philosophies morales de l'Antiquité s'appuient sur une meilleure connaissance de la nature humaine que la majeure partie de ce qui a suivi, c'est pas con d'y revenir ou au moins de s'en inspirer").
Vilfredo Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 Celui qui tranche dans tout ça c'est : intègre une réflexion sur le fonctionnement de l'esprit humain (qui préfigure plus Jung que Freud ama) veut créer un homme nouveau (même si c'est un "nouveau type moral humain" et pas de la biologie) discrédite la différence bien/mal (en faveur de bon/mauvais) et sain/pathologique (qqch qui a été développé et approfondi par Canguilhem eg) En guise de transition avec la discussion, en voilà un qui se moque copieusement des stoïciens (comme de toutes les morales ascétiques). Et question psychologie (sans doute aucun philosophe n'a été aussi proche de la psychologie que lui, que ce soit pour l'analyse des rêves, la psychologie des peuples, de la perception comme création, et tous les mécanismes d'interprétation qu'il décrit, surtout dans ses derniers livres), il me semble que le "surhomme" ressemble beaucoup à un homme équilibré, maître de ses pulsions, là où Freud a plutôt l'air de considérer que l'homme est équilibré parce que ses pulsions le laissent tranquille (mais Nietzsche dirait aussi la même chose, puisqu'il n'y a pas d'individu "substrat" des pulsions), ce qui le rend en fait beaucoup plus banal qu'il n'en a l'air (c'est Danto qui écrit que quand on analyse de près ce qu'écrit N, ses idées les plus taboues sont en fait complètement banales depuis Platon). Jung, par contre, me paraît à la fois très nietzschéen quand il théorise l'inconscient collectif, dont on trouve des échos dans les textes de N sur l'émergence de la conscience et du langage, et très anti-nietzschéen quand il souligne l'importance de la religion dans le fonctionnement psychique (parfois j'ai carrément l'impression que "Dieu" = "l'inconscient" dans Ma vie); on pourrait presque dire que pour Freud, la religion (au moins socialement) est un phénomène libidinal, alors que pour Jung, c'est plutôt le sexe qui est une forme du comportement religieux. Ce avec quoi, ironie du sort, N ne serait pas totalement en désaccord. Parce que si d'un côté, il est célèbre pour avoir dénoncé les passions tristes encouragées par la religion et les philosophies morales jusqu'à lui, il est aussi tout à fait lucide sur l'importance de l'existence d'un dieu au centre de toute interprétation du monde, ce qui l'oppose aux athées (il me semble qu'on peut sans risque dire que le freudisme est athée; le jungisme, pas du tout). Je trouve aussi très symptomatique comment N critique le darwinisme (auquel il ne comprend rien) pour aboutir à une théorie de l'évolution "spirituelle" (cf Crépuscule des idoles) qui... ressemble énormément à la psychologie évolutionniste ou au néo-darwinisme (surtout celui qui change le focus sous le niveau de l'organisme individuel, coucou Dawkins). Il y a beaucoup de travaux là-dessus d'ailleurs, comment les fausses interprétations de Darwin par N sont en fait géniales.
Vilfredo Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 Donc c'est compliqué parce qu'il a l'idée que l'humanité est malade de sa moralité, mais il ne peut pas vraiment dire qu'il faudrait qu'il y ait une "autre" humanité parce que ce serait imposer un impératif moral ("tu dois"), dont il veut supprimer l'existence ou qu'il veut internaliser ("je veux"). N ne se pose pas face à une nature humaine objective à laquelle il devrait conformer "sa morale" (s'il en a une); c'est sa différence avec le naturalisme moral tel qu'on peut le lire dans Hume, il avance au contraire l'idée que la morale façonne les hommes, ou plus précisément peut-être que les hommes façonnent la morale dont ils ont besoin (d'où la porosité avec l'evopsy), sans que ça veuille pour autant dire qu'on peut inventer toutes les morales qu'on veut! Et comme il dit lui-même que le renversement des valeurs comporte un danger de mort, ce n'est pas toujours très clair s'il pense que c'est anthropologiquement possible. Il faut aussi voir jusqu'à quel point et à quel niveau épistémologique il faut prendre au sérieux son idée que la réalité n'est que les interprétations (y compris morales) qu'on en fait, parce que ça dynamite un peu le problème de la correspondance des idées à la "nature" (humaine ou à la réalité en général d'ailleurs).
RaHaN Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 il y a 13 minutes, Vilfredo Pareto a dit : aspectualiser volontairement les points négatifs pour ne pas se laisser abattre Cela me fait furieusement penser à une collègue et surtout amie qui, après avoir eu des déboires affectifs majeurs, avait instauré une nouvelle philosophie de vie probablement trouvée dans psycho magazine ou Marie-Claire : la PPP, pour pensée positive perpétuelle. Bon, j'ai qu'à moitié écouté ce qu'elle en faisait ("je vais bien, je gère, ça va s'arranger, après la pluie le beau temps, blablabla mon cul sur la commode"), et me suis dis que c'était de la merde. Pendant plusieurs semaines/mois, quand elle évoquait sa PPP, ma seule réponse était "tu vas droit dans le mur". Autant dire que j'étais un peu le connard de service. Bon ben, ça n'a pas manqué, à force d'aller gratter où il ne fallait pas, elle a fondu en larme et m'a avoué qu'elle était sous anti-dépresseur depuis peu. Tout ce 3615Mavie pour dire que ce qui tu a l'air de penser de la réflexion stoïcienne m'a plus l'air d'une sorte de relativisme, et bien loin de ce qu'a décrit Jensen. Concernant la dépression, il y a effectivement un dysfonctionnement de la perception avec notamment une accentuation des biais de confirmation/sélection envers les éléments perçus/considérés comme négatifs/désagréables ; et qui viennent nourrir une représentation interne plus globale de l'environnement. Ce sont ces biais qui peuvent éventuellement faire écho à un fond dépressif (le fameux "Ptin, il est relou X, toujours en train de se plaindre" que le thérapeute essaiera d'évaluer pour savoir si c'est plutôt postural, plutôt le reflet d'une réelle affliction, ou autres). Travailler sur ces biais, permet un point d'ancrage sur les représentations. il y a 5 minutes, Vilfredo Pareto a dit : en voilà un qui se moque copieusement des stoïciens Il s'en moque tellement qu'un jour il a écrit qu'il n'y avait pas de phénomènes moraux, mais plutôt une représentation morale des phénomènes. Pour en revenir à nos moutons, la doctrine stoïcienne basée sur cette notion fondamentale de ce qui dépend ou non de toi n'est pas juste un coup de polish persuasif sur comment aborder le monde, mais est au contraire une force majeure permettant de recentrer l'individu sur ses propres intérêts. Pour faire un petit comparatif, et qui n'est pas anodin d'ailleurs, les bases de la philosophie libérale sont loin d'être complexe et pourtant accouchent d'une grande richesse. Pour faire dans le concret, je travaille actuellement principalement auprès de "co-aidants" en souffrance, ces personnes qui vivent auprès de malades/addicts. Je trouve l'exemple assez parlant sur comment ces personnes peuvent vivre la maladie à la place de, et au final s'y perdre au point de venir consulter. Pourtant, ça part généralement d'une idée somme toute acceptable "je l'aime donc je dois l'aider". Et de là découle un ensemble de comportements qui vont devenir complètement délétères (déresponsabiliser l'autre, déformer la réalité, culpabiliser autrui, se culpabiliser, être agressif, j'en passe...). Au final, la personne s'est oubliée, n'a plus conscience de ses propres besoins, parce que n'a plus en elle, les limites rassurantes. En se basant sur ce qui dépend d'elle (entre autres bien sûr), cela permet déjà de dégager un certain nombre de de représentations, et de l'aider à évaluer d'abord lesquelles dépendent d'elle, et lesquelles sont plus importantes que les autres (là, on va toucher aux valeurs par exemple, et ce qui en découle).
Lancelot Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 1 hour ago, Rincevent said: M'enfin l'auteur m'est tout de même sympathique, puisque son programme de recherche personnel est passé de "disons du bien du bouddhisme" à "en fait le bouddhisme-pour-occidentaux c'est de la merde, le stoïcisme c'est quand même autrement mieux". C'est positif parce que les chercheurs pro-bouddhisme "laisse moi t'expliquer les vertus du pardon et de la méditation pleine conscience" ont tendance à être très chiants et bornés Quote pour rappel, la thèse du bouquin est "les philosophies morales de l'Antiquité s'appuient sur une meilleure connaissance de la nature humaine que la majeure partie de ce qui a suivi, c'est pas con d'y revenir ou au moins de s'en inspirer" Alors ce n'est pas tout à fait vrai (le post suivant de @Vilfredo Pareto donne des contre-exemples) mais ça illustre la distinction entre des morales "psychologisantes" et d'autres plus "collectivistes" (i.e. j'ai cette théorie sur la société parfaite qui demande que gens suivent tel code de conduite, dont si tu veux être moral tu le suis épicétout). Je vais peut-être dire une connerie parce que je maîtrise très peu le sujet mais j'ai l'impression que le succès du christianisme n'est pas étranger à celui de l'approche "collectiviste" après l'antiquité. @Vilfredo Pareto j'ai apprécié ce que j'ai pu lire de Nietzsche. Comme tu le précises dans le second message je ne pense pas qu'on puisse interpréter le surhomme comme un homme nouveau dans le sens où il s'agirait d'un modèle unique à suivre inconditionnellement mais plutôt comme une personne qui s'épanouirait à sa manière propre (et là le lien avec Jung et Canguilhem est en effet évident). Du coup je le placerais fermement dans le camp des "psychologisants".
Rincevent Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 il y a 1 minute, Lancelot a dit : les chercheurs pro-bouddhisme "laisse moi t'expliquer les vertus du pardon [...]" ... ont tendance à être déraisonnablement anti-catholiques, aussi.
Bézoukhov Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 Alors que les cathos, c'est la passion sans les cons.
Vilfredo Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 Il y a 4 heures, RaHaN a dit : Tout ce 3615Mavie pour dire que ce qui tu a l'air de penser de la réflexion stoïcienne m'a plus l'air d'une sorte de relativisme, et bien loin de ce qu'a décrit Jensen. Il y a 4 heures, RaHaN a dit : Il s'en moque tellement qu'un jour il a écrit qu'il n'y avait pas de phénomènes moraux, mais plutôt une représentation morale des phénomènes. Moui et surtout sur les Stoïciens précisément ceci où il se fout éhontément de leur tronche: (Par-delà bien et mal, §9) Révélation C’est « conformément à la nature » que vous voulez vivre ! Ô nobles stoïciens, quelle duperie est la vôtre ! Imaginez une organisation telle que la nature, prodigue sans mesure, indifférente sans mesure, sans intentions et sans égards, sans pitié et sans justice, à la fois féconde, et aride, et incertaine, imaginez l’indifférence elle-même érigée en puissance, — comment pourriez-vous vivre conformément à cette indifférence ? Vivre, n’est-ce pas précisément l’aspiration à être différent de la nature ? La vie ne consiste-t-elle pas précisément à vouloir évaluer, préférer, à être injuste, limité, autrement conformé ? Or, en admettant que votre impératif « vivre conformément à la nature » signifiât au fond la même chose que « vivre conformément à la vie » — ne pourriez-vous pas vivre ainsi ? Pourquoi faire un principe de ce que vous êtes vous-mêmes, de ce que vous devez être vous-mêmes ? — De fait, il en est tout autrement : en prétendant lire, avec ravissement, le canon de votre loi dans la nature, vous aspirez à toute autre chose, étonnants comédiens qui vous dupez vous-mêmes ! Votre fierté veut s’imposer à la nature, y faire pénétrer votre morale, votre idéal ; vous demandez que cette nature soit une nature « conforme au Portique » et vous voudriez que toute existence n’existât qu’à votre image — telle une monstrueuse et éternelle glorification du stoïcisme universel ! Malgré tout votre amour de la vérité, vous vous contraignez, avec une persévérance qui va jusqu’à vous hypnotiser, à voir la nature à un point de vue faux, c’est-à-dire stoïque, tellement que vous ne pouvez plus la voir autrement. Et, en fin de compte, quelque orgueil sans limite vous fait encore caresser l’espoir dément de pouvoir tyranniser la nature, parce que vous êtes capables de vous tyranniser vous-mêmes — car le stoïcisme est une tyrannie infligée à soi-même, — comme si le stoïcien n’était pas lui-même un morceau de la nature ?… Mais tout cela est une histoire vieille et éternelle : ce qui arriva jadis avec les stoïciens se produit aujourd’hui encore dès qu’un philosophe commence à croire en lui-même. Il crée toujours le monde à son image, il ne peut pas faire autrement, car la philosophie est cet instinct tyrannique, cette volonté de puissance la plus intellectuelle de toutes, la volonté de « créer le monde », la volonté de la cause première. Sinon on entre dans la question de l'éthique médicale, passionnante mais où c'est à mon tour d'être largué. Ce que tu écris me fait penser à Szasz, qui accusait, de ce que j'en sais vaguement, la psychiatrie de déresponsabiliser les patients en inventant "le mythe de la maladie mentale", genre comme si c'était une maladie biologique. Je voudrais le lire pour comprendre s'il défend un dualisme radical ou si "c'est plus compliqué".
Rincevent Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 Le 22/06/2021 à 22:28, Liber Pater a dit : Merci à tous les deux ! Ce sont des premières pistes, je vais voir ce que ça donne. Pour être plus précis, l'idée est de savoir étoffer un peu mes tournures de phrases qui ont tendance à tourner sur les mêmes schémas, mais aussi savoir développer une idée, éventuellement écrire des articles Up. La mort de Steven Horwitz m'apprend que sa femme, Sarah Skwire, a écrit un livre dédié à cette question, qui semble être un grand succès puisqu'il en est à au moins 12 éditions : https://www.amazon.fr/Writing-Thesis-International-David-Skwire/dp/1133950876/
Rincevent Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 Autre question : c'est nouveau, qu'il n'y ait plus de liens sur les articles fr:WP vers les articles correspondants dans d'autres langues ? Si il y a des Wikipédiens ici, on sait ce qui a présidé à une telle décision ?
Neomatix Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 C'est juste un changement d'inferface, les langues sont en haut à droit dans une liste déroulante, maintenant. 1
Rincevent Posté 27 juin 2021 Signaler Posté 27 juin 2021 il y a 7 minutes, Neomatix a dit : C'est juste un changement d'inferface, les langues sont en haut à droit dans une liste déroulante, maintenant. C'est quand même nettement moins clair (et ça nécessite un clic de plus, ce qui tue la sérendipité : plus possible de se dire "tiens je vois en scrollant qu'il y a une version en <xyz>, allons-y en la traduisant histoire de voir si elle ne contiendrait pas davantage d'informations). Si j'étais paranoïaque, je pourrais croire que c'est un nudge de l'équipe (politisée) qui gère fr:WP afin de limiter la fuite des lecteurs vers d'autres langues moins polarisées, et de limiter la comparaison entre plusieurs articles selon la langue. Mais on ne peut pas non plus exclure la bêtise et l'incompétence.
ttoinou Posté 28 juin 2021 Signaler Posté 28 juin 2021 C'est clairement moins bien maintenant, et t'es clairement parano Ils auraient pu laisser les deux interfaces en même temps
MXI Posté 28 juin 2021 Signaler Posté 28 juin 2021 11 hours ago, Rincevent said: Mais on ne peut pas non plus exclure la bêtise et l'incompétence. De mon expérience professionnelle : explique 95% des décisions prises dans toute organisation. En moyenne, les gens ne sont pas assez bons pour faire leur boulot, alors comploter...
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