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Conservatisme Et Libéralisme


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Invité jabial
Le problème n'est pas l'individualisme en tant que tel, c'est une vision matérialiste de l'égalité.

Le matérialisme consiste à ne pas croire qu'il existe de réalité physique au delà de la matière.

Il ne consiste pas à dire que la beauté n'existe pas, que la vérité n'existe pas… Montre moi un morceau de beauté ou de vérité? Ce sont des abstractions. Le matérialiste ne nie en rien leur existence.

L'égalité, pour un libéral, qu'il soit matérialiste ou non, porte sur une abstraction : la notion de Droit. Un (vrai) Droit, c'est avant tout une interdiction de faire. X a le Droit de vivre donc Y a interdiction de lui couper la gorge. L'égalité en Droit signifie que dans tout énoncé de droit, il n'y a pas de condition sur la nature des protagonistes.

Par exemple, A ne peut pas tuer B, B ne peut pas tuer A, ça marche.

A peut tuer B si B est un villian et A un seigneur, ça ne marche pas.

Vous me rétorquerez : dans ce cas, impossible de dire

A peut emprisonner B si B est un criminel

L'erreur est ici de considérer que la condition porte sur la nature de B. Non - elle porte sur ses actions. B n'"est" pas un criminel, il "a commis des crimes". Donc la condition est admissible.

L'égalité en Droit n'est en soi pas suffisante pour fonder un Droit légitime mais elle en est une condition nécessaire.

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Le matérialisme consiste à ne pas croire qu'il existe de réalité physique au delà de la matière.

Alors, tout le monde est matérialiste… Or, dans les faits, ce n'est évidemment pas le cas.

Cela ressemble donc fort à une définition pour les besoins de la cause, voire à une manière d'éviter la falsification du matérialisme.

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Invité jabial
Cela ressemble fort à une définition pour les besoins de la cause, voire à une manière d'éviter la falsification du matérialisme.

Tu tapes à côté. Je me fous de ce que tu appelles ça "matérialisme" ou "poëlle à frire". Pour moi, il n'y a pas de réalité physique en dehors de la matière ; les gens qui prétendent que les abstractions n'existent pas sont des rigolos.

Croire en Dieu, je suis désolé, c'est croire à une réalité physique hors de la matière. Physique ne veut pas dire matériel mais concret. Dieu, c'est quelque chose de très concret, avec ,dans la version JCM, une personnalité et tout.

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Le matérialisme consiste à ne pas croire qu'il existe de réalité physique au delà de la matière.

C'est pas un peu tautologique par hasard ?

Qu'appelles-tu une réalité physique ?

EDIT: Ok, physique et concret, ça me semble un peu différent tout de même …

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Eh bien alors nous sommes condamnés à la social-démocratie, et encore, dans le meilleur des cas.

Ca me semble, en effet, malheureusement, assez plausible.

Le problème n'est pas l'individualisme en tant que tel, c'est une vision matérialiste de l'égalité. Et il ne s'agit pas "d'évacuer toute dimension bassement pratique", il s'agit d'évacuer toute collectivisation, ce qui est quand même un peu différent. Si on renonce à ça, on renonce à défendre des idées libérales.

Peux-tu expliquer un peu plus en détail ce que tu entends par "vision matérialiste de l'égalité" ?

En réalité, je vois mal comment on peut restreindre la cause de dérives probables à cette seule vision matérialiste. Le problème me semble bien plus être l'acceptation de l'autorité des autres hommes sur soi-même et les contreparties de cette acceptation. Il me semble que cette thématique est éminement présente dans les discussions politiques, tant à l'égard de l'organisation des relations salariales que vis-à-vis de l'Etat, encore que l'accent me semble être davantage mis sur le premier aspect. Et c'est clairement un problème avant tout social, de relations entre individus et certainement pas pour des motifs matériels, mais pour des motifs de commandement et d'autorité.

Ce problème me semble s'être toujours posé, mais se pose de plus en plus avec acuité. Je pense qu'on peut l'atténuer en partie par des voies non collectivisantes, mais il me semble aussi assez clair qu'on ne peut pas totalement l'ignorer.

Je me demande franchement laquelle des deux options est la plus irréaliste.

L'exil et la secession sont sans aucun doute moins irréalistes, ne serait-ce que parce qu'ils ont déjà été mis en oeuvre par le passé, mais nettement moins satisfaisants que la première option.

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Peux-tu expliquer un peu plus en détail ce que tu entends par "vision matérialiste de l'égalité" ?

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Le problème me semble bien plus être l'acceptation de l'autorité des autres hommes sur soi-même et les contreparties de cette acceptation. Il me semble que cette thématique est éminement présente dans les discussions politiques, tant à l'égard de l'organisation des relations salariales que vis-à-vis de l'Etat, encore que l'accent me semble être davantage mis sur le premier aspect. Et c'est clairement un problème avant tout social, de relations entre individus et certainement pas pour des motifs matériels, mais pour des motifs de commandement et d'autorité.

Les matérialistes ont une relation difficile avec le droit, dans la mesure où ils le considèrent généralement comme une construction, un genre de contrat social. L'égalité juridique est donc un concept difficile, en ce sens qu'il semble d'une part ne résulter que d'une construction, et d'autre part être purement abstrait et donc insatisfaisant. Si on veut réaliser l'égalité, et qu'on ne s'intéresse qu'au matériel, aux choses et à leur possession,on en arrive quasi nécessairement à des politiques de redistribution, qui nécessitent l'acceptation de l'autorité qui s'en charge.

Ce problème me semble s'être toujours posé, mais se pose de plus en plus avec acuité. Je pense qu'on peut l'atténuer en partie par des voies non collectivisantes, mais il me semble aussi assez clair qu'on ne peut pas totalement l'ignorer.

Le problème se pose plus aujourd'hui qu'hier, pour la simple et bonne raison que le matériel est devenu l'unique référent de notre société. Et contrairement à toi, je ne l'accepte pas.

L'exil et la secession sont sans aucun doute moins irréalistes, ne serait-ce que parce qu'ils ont déjà été mis en oeuvre par le passé, mais nettement moins satisfaisants que la première option.

"Moins irréalistes" ? J'y croirai lorsque tu me donneras l'adresse d'un pays libre où je peux émigrer.

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Les matérialistes ont une relation difficile avec le droit, dans la mesure où ils le considèrent généralement comme une construction, un genre de contrat social. L'égalité juridique est donc un concept difficile, en ce sens qu'il semble d'une part ne résulter que d'une construction, et d'autre part être purement abstrait et donc insatisfaisant. Si on veut réaliser l'égalité, et qu'on ne s'intéresse qu'au matériel, aux choses et à leur possession, on en arrive quasi nécessairement à des politiques de redistribution, qui nécessitent l'acceptation de l'autorité qui s'en charge.

Je suis d'accord.

Je pense néanmoins qu'il est difficile d'abstraire le droit de toute matérialité. Si on fonde le droit sur une norme quelconque supérieure acceptée tacitement, je pense que tu es prêt à m'accorder que ce n'est pas intellectuellement pleinement satisfaisant - ni non plus du point de vue de l'argumentation - : on est contraint toujours de fonder le droit sur des faits sociaux objectivés et objectifs (que l'on peut rendre synomyme de "nature humaine") - qui est le seul "donné" sur lequel nous n'avons pas d'influence. Quoiqu'il en soit, dans la mesure où l'on considère que l'égalité est une des exigences de ce droit, il me semble toujours advenir que l'acceptation non spontanée de l'autorité (dont on parle) fait également partie de ces caractéristiques relativement objectives.

Le problème se pose plus aujourd'hui qu'hier, pour la simple et bonne raison que le matériel est devenu l'unique référent de notre société. Et contrairement à toi, je ne l'accepte pas.

Autant j'arrive à comprendre que le traitement matérialiste de ce problème conduit à une réponse collectiviste, autant j'ai du mal à saisir en quoi ce problème est-il plus sensible du fait du matérialisme. Si tu me parlais de rapprochement entre le sujet et le médiateur (qui n'est pas étranger à l'individualisme et au libéralisme), je serai plus d'accord. :icon_up:

Quant au fait que j'accepte que le matériel soit l'unique référent de notre société, à vrai dire, je m'en accomode faute de mieux plutôt que je ne l'accepte. Ce n'est pas vraiment ma tasse de thé.

"Moins irréalistes" ? J'y croirai lorsque tu me donneras l'adresse d'un pays libre où je peux émigrer.

Des hommes ont déjà quitté des sociétés où ils n'acceptaient plus de vivre et/ou on ne les acceptaient plus pour s'exiler (Pilgrim fathers, Mormons, etc.) Je n'ai jamais vu une société se transformer de l'état dans lequel elle se trouve aujourd'hui à l'état quasiment opposé où nous souhaiterions qu'elle soit. De là l'idée que l'exil est moins irréaliste que la transformation radicale.

Tiens, je vous conseille de lire ça:

http://www.city-journal.org/html/16_1_oh_to_be.html

D'accord, mais qu'est-on censé en retirer ?

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Le matérialisme consiste à ne pas croire qu'il existe de réalité physique au delà de la matière.

Plus précisément, est matérialiste toute croyance qui ramène toute réalité à la matière et à ses modifications (définition de Wikipedia). Mais on ne nous dit pas ce que c'est que cette matière, qui semble un concept mal défini, vaguement scientiste, juste destiné à évacuer d'autres croyances (ex : le matérialiste ne croit pas aux fantômes, ni aux êtres "immatériels", si tant est que ce terme ait un sens).

S'il s'agit juste de dire "n'existe que ce qui nous est connu par nos sens", alors ce n'est déjà plus du matérialisme, c'est de l'empirisme, doctrine épistémologique cohérente, elle, alors que le matérialisme adopte une position ontologique (donc improuvée) qui n'a rien à envier à celle du spiritualisme, par exemple.

Notons bien aussi qu'athéisme et matérialisme sont deux choses différentes : on peut être athée sans être matérialiste.

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Je pense néanmoins qu'il est difficile d'abstraire le droit de toute matérialité. Si on fonde le droit sur une norme quelconque supérieure acceptée tacitement, je pense que tu es prêt à m'accorder que ce n'est pas intellectuellement pleinement satisfaisant - ni non plus du point de vue de l'argumentation - : on est contraint toujours de fonder le droit sur des faits sociaux objectivés et objectifs (que l'on peut rendre synomyme de "nature humaine") - qui est le seul "donné" sur lequel nous n'avons pas d'influence. Quoiqu'il en soit, dans la mesure où l'on considère que l'égalité est une des exigences de ce droit, il me semble toujours advenir que l'acceptation non spontanée de l'autorité (dont on parle) fait également partie de ces caractéristiques relativement objectives.

Le problème auquel tu te heurtes c'est que tu veux absolument exclure une possibilité ou l'autre. Or, et c'est là une des subtilités du DN, c'est qu'il est certes immatériel et se découvre avec l'aide de la raison, mais que cette raison se fonde nécessairement sur des faits concrets. Certes, ce n'est pas à 100% satisfaisant, mais ce l'est nettement plus que les alternatives.

Pour la suite de ton texte, j'avoue que l'enchaînement logique m'échappe quelque peu.

Autant j'arrive à comprendre que le traitement matérialiste de ce problème conduit à une réponse collectiviste, autant j'ai du mal à saisir en quoi ce problème est-il plus sensible du fait du matérialisme. Si tu me parlais de rapprochement entre le sujet et le médiateur (qui n'est pas étranger à l'individualisme et au libéralisme), je serai plus d'accord. :icon_up:

Parce que tant que la vision du monde dominante sera un matérialisme vulgaire, il sera impossible de faire respecter une norme, et il faudra nécessairement recourir à la force. Le matérialisme vulgaire est, en d'autres termes, incompatible avec une forme quelconque de morale.

Quant au fait que j'accepte que le matériel soit l'unique référent de notre société, à vrai dire, je m'en accomode faute de mieux plutôt que ne l'accepte. Ce n'est pas vraiment ma tasse de thé.

Des hommes ont déjà quitté des sociétés où ils n'acceptaient plus de vivre et/ou on ne les acceptaient plus pour s'exiler (Pilgrim fathers, Mormons, etc.) Je n'ai jamais vu une société se transformer de l'état dans lequel elle se trouve aujourd'hui à l'état quasiment opposé où nous souhaiterions qu'elle soit. De là l'idée que l'exil est moins irréaliste que la transformation radicale.

Là c'est moi qui suis empirique: c'est impossible, faute d'endroits où émigrer.

D'accord, mais qu'est-on censé en retirer ?

Une belle illustration de notre culture qui déshumanise l'autre ?

Notons bien aussi qu'athéisme et matérialisme sont deux choses différentes : on peut être athée sans être matérialiste.

C'est vrai, mais en pratique, c'est rare.

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Le problème auquel tu te heurtes c'est que tu veux absolument exclure une possibilité ou l'autre. Or, et c'est là une des subtilités du DN, c'est qu'il est certes immatériel et se découvre avec l'aide de la raison, mais que cette raison se fonde nécessairement sur des faits concrets. Certes, ce n'est pas à 100% satisfaisant, mais ce l'est nettement plus que les alternatives.

Je crois que nous sommes d'accord, en fait - mon propos étant seulement un peu plus alambiqué que le tien. :icon_up:

Parce que tant que la vision du monde dominante sera un matérialisme vulgaire, il sera impossible de faire respecter une norme, et il faudra nécessairement recourir à la force. Le matérialisme vulgaire est, en d'autres termes, incompatible avec une forme quelconque de morale.

Je comprends la logique, seulement je me méfie un peu des images un peu systèmatiques et fantasmées que l'on peut se faire de la société, qu'elle soit présente ou passée. Je n'ai jamais constaté autour de moi, pour autant que je connaisse les personnes, de matérialisme vulgaire et intégral. Nous en avons toujours des images de la société qui nous sont transmises, médiatisées, mais lorsque l'image que l'on peut se faire d'un individu-type d'une société ne correspond pas tellement à l'expérience qu'on a des autres individus de cette société, j'ai comme l'impression que l'information que l'on nous transmet est assez parcellaire et orientée (par forcément de manière consciente, d'ailleurs.)

Une belle illustration de notre culture qui déshumanise l'autre ?

Oui… et non. Je ne pense pas qu'il faille prendre une illustration, un exemple, une fiction pour plus qu'elle n'est ; ici, il ne faut pas en faire un symbole qui regrouperait les traits principaux de notre culture, bien que cette image ne soit pas totalement infondé.

Quels étaient nos points de désaccord, au fait ? :doigt:

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L'erreur est ici de considérer que la condition porte sur la nature de B. Non - elle porte sur ses actions. B n'"est" pas un criminel, il "a commis des crimes". Donc la condition est admissible.

L'égalité en Droit n'est en soi pas suffisante pour fonder un Droit légitime mais elle en est une condition nécessaire.

:icon_up:

D'où l'expression "On ne juge pas les gens sur ce qu'ils sont, mais sur ce qu'ils font."

C'est pas un peu tautologique par hasard ?

Qu'appelles-tu une réalité physique ?

EDIT: Ok, physique et concret, ça me semble un peu différent tout de même …

Par définition les lois en logique sont justement des tautologies.

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  • 3 weeks later...

Je me suis décidé à relire l'article Qu'est-ce que l'autorité ? d'Hannah Arendt, extrait de ce livre-ci :

Je recopie quelques extraits particulièrement éclairants, qui s'adressent aux libéraux, aux conservateurs (dont ceux qui parlent de "islamonazisme") et aux progressistes - c'est un peu long mais ça vaut le coup.

On se sert fréquemment du même argument en ce qui concerne l'autorité : si la violence remplit la même fonction que l'autorité - à savoir, faire obéir les gens - alors la violence est l'autorité. Là, nous retrouvons ceux qui conseillent un retour à l'autorité parce qu'ils pensent que seule la réintroduction du rapport ordre-obéissance peut venir à bout des problèmes d'une société de masse, et ceux qui croient qu'une société de masse peut se gouverner elle-même, comme n'importe quel autre corps social. De nouveau, les deux parties s'accordent sur ce point essentiel : l'autorité, c'est tout ce qui fait obéir les gens. Tous ceux qui appellent les dictatures modernes "autoritaires" ou prennent le totalitarisme pour une structure autoritaire, et cela inclut ceux des conservateurs qui expliquent l'essor des dictatures dans notre siècle par le besoin de trouver un substitut à l'autorité, ont identifié implicitement la violence et l'autorité. Le fond du raisonnement est toujours le même : tout est rapporté à un contexte fonctionnel et l'usage de la violence est censé démontrer qu'aucune société ne peut exister hors d'un cadre autoritaire.

A mes yeux, le danger de ces identifications ne se trouve pas seulement dans la confusion qu'il introduit dans les problèmes politiques et dans l'atténuation des lignes de démarcation qui séparent le totalitarisme de toutes les autres formes de gouvernement. Je ne crois pas que l'athéisme soit un substitut ou puisse remplir la même fonction qu'une religion, pas plus que je ne crois que la violence puisse devenir un substitut de l'autorité. Mais si nous suivons les exhortations des conservateurs qui, en ce moment, ont une assez bonne chance d'être entendues, je suis tout à fait convaincue que nous n'aurons pas de difficulté à produire de tels substituts, que nous utiliserons la violence et prétendrons avoir restauré l'autorité ou que notre redécouverte de l'utilité fonctionne de la de la religion ne produira qu'un ersazt de religion - comme si notre civilisation n'était pas suffisamment encombrée de toutes sortes de pseudo-choses et de choses dépourvues de sens.

[…] Politiquement parlant, [les distinctions entre les systèmes tyrannique, autoritaire et totalitaire que j'ai proposées] ont tendance à supposer que dans le monde l'autorité s'est effacée presque jusqu'à disparaitre, et cela non moins dans les systèmes prétendus autoritaires que dans le monde libre, et que la liberté - c'est-à-dire la liberté de mouvement des êtres humains - est menacée partout, même dans les sociétés libres, mais n'est radicalement abolie que dans les systèmes totalitaires et non dans les tyrannies et les dictatures.

A moins de reconnaître qu'elles ont été inspirées par le pathos romain de la fondation, il me semble qu'on ne peut comprendre proprement ni la grandeur ni la tragédie des révolutions occidentales à l'époque moderne. Car si j'ai raison de soupçonner que la crise du monde d'aujourd'hui est essentiellement politique, et que le fameux "déclin de l'Occident" consiste essentiellement dans le déclin de la trinité romaine de la religion, de la tradition et de l'autorité, et dans la dégradation concomitante des fondations spécifiquement romaines du domaine politique, alors les révolutios de l'époque moderne apparaissent comme des tentatives gigantesques pour réparer ces fondations, pour renouer le fil rompu de la tradition, et pour rétablir, en fondant de nouveaux corps politiques, ce qui pendant tant de siècles a donné aux affaires des hommes dignité et grandeur.

De ces tentatives, une seule, la Révolution américaine, a été un succès : les pères fondateurs, comme on les appelle encore, d'une manière assez caractéristique, ont fondé sans violence et à l'aide d'une constitution un corps politique complètement nouveau. Et ce corps politique a au moins duré jusqu'à nos jours, malgré le fait que le caractère spécifiquement moderne du monde moderne n'a nulle part ailleurs produit dans toutes les sphères non politiques de la vie des expressions aussi extrêmes qu'aux Etats-Unis.

Nous n'avons pas à étudier ici les raisons de la surprenante stabilité d'une structure politique soumise aux assauts de l'instabilité sociale la plus violente et la plus écrasante. Il paraît certain que le caractère relativement non violent de la Révolution américaine, où la violence se restreignit plus ou moins à la guerre régulière, est un facteur important dans ce succès. Il peut aussi se faire que les pères fondateurs, parce qu'ils avaient échappé au développement européen de l'Etat-nation, soient demeurés plus proches de l'esprit romain originel. Plus important, peut-être, fut le fait que l'acte de fondation, à savoir la colonisation du continent américain, avait précédé la Déclaration d'Indépendance, de sorte que la charpente de la constitution, retombant sur des chartes et des accords existants, confirmait et légitimait un corps politique déjà existant plutôt qu'elle n'en refaisait un à neuf. Ainsi les acteurs de Révolution américaine étaient dispensés de l'effort d'"instituer un ordre des choses [complètement] nouveau" ; c'est-à-dire qu'ils étaient dispensés de cette action unique dont Machiavel dit un jour qu'"il n'y a chose à traiter plus pénible, à réussir plus douteuse, ni à manier plus dangereuse". Machiavel devait sûrement savoir ce qu'il disait, car lui, comme Robespierre et Lénine et tous les grands révolutionnaires dont il fut l'ancêtre, ne souhaita rien plus passionnément que d'instaurer un nouvel ordre de choses.

Quoi qu'il en soit, les révolutions, que nous considérons communément comme des ruptures radicales avec la tradition, apparaissent dans notre contexte comme des événements où les actions des hommes sont encore inspirées et tirent leur plus grande vigueur des origines de cette tradition. Elles semblent être le seul salut que cette tradition romano-occidentale ait fourni pour les circonstances critiques. Le fait que non seulement les différentes révolutions du XXe siècle mais toutes les révolutions depuis la Révolution française ont tourné mal, finissant dans la restauration ou dans la tyrannie, semble indiquer que même ces derniers moyens de salut fournis par la tradition sont devenus inadéquats. L'autorité comme on l'a connue jadis, qui naquit de l'expérience romaine de la fondation et fut interprétée à la lumière de la philosophie politique grecque, n'a nulle part été réinstitutée, ni par les révolutions ni par le moyen encore moins prometteur de la restauration, ni surtout par les états d'esprit et courants conservateurs qui balayent parfois l'opinion publique. Car vivre dans un domaine politique sans autorité ni le savoir concomitant que la source de l'autorité transcende le pouvoir et ceux qui sont au pouvoir, veut dire se trouver à nouveau confronté, sans la confiance religieuse en un début sacré ni la protection de normes de conduite traditionnelles et par conséquent évidentes, aux problèmes élementaires du vivre-ensemble des hommes.

Pour finir, je citerai bien volontiers l'aphorisme de René Char par lequel Arendt a débuté la préface de La Crise de la culture : "Notre héritage n'est précédé d'aucun testament."

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  • 8 months later...

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