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La Révolution française


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D'habitude on critique un bouquin après l'avoir lu, et pas pour le seul motif que le sujet déplait et qu'on a déjà décidé que les gens qui l'ont écrit "ne sont pas des historiens sérieux", ce qui est assez comique au vu de la présence de certaines signatures prestigieuses parmi les contributeurs.

Je vois que ni RH ni toi ne vous sentez plus tenus de répondre à vos interlocuteurs, vous êtes en pilotage automatique. Bon…

Je ne critique pas ce livre, ne l'ayant pas lu. Ce que je critique, c'est l'orientation manifeste du projet qui le torpille dès le départ. Je n'ai rien contre le fait de fouiller les poubelles révolutionnaires, mais on aurait tout de même pu trouver éboueurs moins marqués idéologiquement, non? Et personne n'a jamais nié la présence au sommaire d'historiens sérieux - aux côtés de chercheurs aussi pointus que Jean Sévillia, Jean des Cars et Ghislain Diesbach - mais:

1°) ce n'est pas une garantie de qualité;

2°) certains de ces "historiens sérieux" ne sont pas des spécialistes de la période - Jean Tulard et Stéphane Courtois en particulier;

3°) les sympathies politiques de tout ce beau monde ne laisse guère présager un traitement objectif, factuel, scientifique de la question.

Voilà.

Tu aurais pu tout aussi bien ironiser sur le mode : "En quoi être libéral (de gauche ou non) serait-il contradictoire, etc.".

:icon_up:

Le problème français vis-à-vis de la Révolution, c'est que beaucoup de vos compatriotes songent encore à trier un hypothétique bon grain de l'ivraie, à soupeser le positif et le négatif - alors qu'il s'agit d'un événement inutile et destructeur.

Vu de l'extérieur, les précautions oratoires qui ont encore cours en France font sourire (au mieux).

Quelles précautions oratoires? Celles qui consistent à dire que Condorcet n'est pas Trotski, ou que Danton n'était pas un proto-Béria? J'essaie de suivre ce qui se fait en matière d'histoire chez nos amis d'outre-Manche et d'outre-Atlantique, et il me semble que leur approche de la question révolutionnaire est un peu plus nuancée que ce que tu sembles le croire. Et le boulot d'un historien est précisément de "soupeser le positif et le négatif". Parler en revanche d'un "évènement inutile et destructeur" c'est le boulot d'un idéologue, ce qui n'a rien de honteux aussi longtemps que l'on sépare les deux.

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Voici un livre pas trop ancien (2002) qui intéressera plus d'un intervenant sur ce fil:

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Et voici un titre fondamental, pour la lecture libérale-conservatrice du "plus grand évenement de l'histoire du monde depuis la Crucifixion" (V. Hugo):

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Toujours à propos des mérites comparés :icon_up: de l'Ancien régime et de la Révolution, le dialogue entre le Conventionnel mourant et l'abbé Myriel, au début des Misérables, m'a toujours semblé un texte éclairant et méritant méditation.

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Quelles précautions oratoires? Celles qui consistent à dire que Condorcet n'est pas Trotski, ou que Danton n'était pas un proto-Béria? J'essaie de suivre ce qui se fait en matière d'histoire chez nos amis d'outre-Manche et d'outre-Atlantique, et il me semble que leur approche de la question révolutionnaire est un peu plus nuancée que ce que tu sembles le croire. Et le boulot d'un historien est précisément de "soupeser le positif et le négatif". Parler en revanche d'un "évènement inutile et destructeur" c'est le boulot d'un idéologue, ce qui n'a rien de honteux aussi longtemps que l'on sépare les deux.

Je ne prétends pas être historien de la RF, mais à partir des faits rapportés par la plupart des spécialistes, je pense que le mythe de la révolution relativement positive qui a mal tourné ne peut plus qu'être considéré pour ce qu'il est : une fable rassurante. C'est tout ce que je dis.

Enfin, je ne vois pas pourquoi il faudrait s'abstenir d'appeler un chat un chat. Comme tu l'avais écrit lors d'un autre débat, si je me rappelle bien, nous ne sommes pas dans un colloque à la Sorbonne ou à l'Ecole pratique des Hautes Etudes. Et donc, pour être clair : le rayonnement de la RF est réel, mais il est semblable à celui d'un soleil noir ou aux flammes de l'Enfer.

En d'autres termes, la réalité n'est pas moralement neutre - en particulier quand il s'agit d'événements politiques dont il s'agit de tirer des leçons.

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Je ne prétends pas être historien de la RF, mais à partir des faits rapportés par la plupart des spécialistes, je pense que le mythe de la révolution relativement positive qui a mal tourné ne peut plus qu'être considéré pour ce qu'il est : une fable rassurante. C'est tout ce que je dis.

Enfin, je ne vois pas pourquoi il faudrait s'abstenir d'appeler un chat un chat. Comme tu l'avais écrit lors d'un autre débat, si je me rappelle bien, nous ne sommes pas dans un colloque à la Sorbonne ou à l'Ecole pratique des Hautes Etudes. Et donc, pour être clair : le rayonnement de la RF est réel, mais il est semblable à celui d'un soleil noir ou aux flammes de l'Enfer.

En d'autres termes, la réalité n'est pas moralement neutre - en particulier quand il s'agit d'événements politiques dont il s'agit de tirer des leçons.

Encore une fois, je ne pense pas que l'on trouvera ici qui que ce soit pour défendre l'indéfendable. Il est évident que le haro général lancé contre l'aristocratie a été un crime abominable, d'autant que la grande majorité de ceux qui ont morflé n'étaient la plupart du temps que des lampistes de province qui n'avaient rien à voir avec ceux de la cour qui ne vivaient que du bon plaisir du Roi et qui surent et avaient les moyens d'émigrer à temps. Bien sûr que les massacres de Vendée ainsi que la levée des 300.000 hommes sont à verser au dossier à charge, tout comme la mort du Roi* et celle encore plus honteuse de la Reine.

On pourrait aussi évoquer les noyades de Nantes ainsi que toutes les atrocités commises au nom de la liberté en cette époque troublée sans pour autant que cela ne change certaines choses telles que la réelle volonté d'agir pour le bien commun qui a mu les La Fayette, Mounier, Bailly, Duport, Lameth, Ramond de Carbonnières, Viénot de Vaublanc, etc. Que beaucoup de ces derniers n'aient pas été de grands et bons politiciens est à mon sens indéniable car ils n'ont pas été en mesure de prémunir ce qu'ils avaient initié du débordement brutal des jacobins.

* A propos de son éxécution, Marat écrira " Il n'y a plus moyen de reculer " et Lebas écrira à son père " Pour moi, la mort du roi a sauvé la République et nous répond de l'énergie de la Convention. … Les chemins sont rompus derrière nous, il faut aller de l'avant, bon gré mal gré et c'est à présent surtout qu'on peut dire : Vivre libre ou mourir ! ". Tous les Conventionnels régicides ne seront rassurés que lorsque Bonaparte fondera un gouvernement fort qui leur promettra de les garder des représailles des autres souverains européens.

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Fait et interprétation sont deux choses distinctes. A les mélanger, on fait de la mauvaise histoire.

Sauf que certaines interprétations sont plus valables que d'autres, car elles restituent plus exactement la réalité.

En outre, il n'en reste pas moins que la réalité objective n'est pas une page blanche - i.e. on ne peut pas en faire ou en dire n'importe quoi.

Enfin, pour revenir aux historiens, Tulard a participé à plusieurs ouvrages sur la Révolution : il a notamment complété l'essai que Gaxotte avait consacré à cette période et il a conçu, avec d'autres auteurs, l'Histoire et Dictionnaire de la Révolution française dans la collection "Bouquins" (qui m'est souvent fort utile).

(Très intéressant pour son minutieux et très riche appareil critique consacré aux différents thèmes et problèmes historiographiques.)

Il a encore écrit ceci :

Surtout, c'est une période qu'il a enseignée à la Sorbonne. Et puis, j'ai la faiblesse de croire que si quelqu'un est devenu un spécialiste du Consulat et de l'Empire, il doit s'y connaître un petit peu dans la Révolution française.

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Tiens, puisque j'ai cité Gaxotte, voici un passage intéressant sur la grande tolérance du parti des philosophes :

Les philosophes criaient à la tyrannie. La véritable tyrannie était celle qu'ils exerçaient sur la littérature. Voltaire ne cesse de faire appel à l'autorité contre ceux qu'il traite en ennemis, que ce soit Fréron, Rousseau, ou l'inspecteur de l'Opéra, ou un de ses libraires. Écoutez de quel ton d'Alembert réclamait pour ses amis la protection du pouvoir : « J'apprends, Monsieur, que, dans la dernière feuille de Fréron, l'Encyclopédie est traitée d'ouvrage scandaleux. Je sais que ces feuilles et leurs auteurs sons sans conséquence, mais cette raison ne doit point, ce me semble, autoriser une licence pareille, ni permettre à un censeur de l'approuver. Ce serait me manquer à moi-même et à tous mes collègues que de ne pas vous porter mes plaintes, bien résolu à me tenir tranquille ensuite, si par un malheur que j'aurais pas à me reprocher, justice ne nous est pas faite. J'ai tout lieu, Monsieur, d'espérer de vous. Votre équité et l'honneur que j'ai d'être votre confrère m'en répondent… » Et les gens du Roi de courir à l'aide des ennemis du Roi !

Plus loin, à propos de Louis XVI, il écrit : « la Révolution ne s'est pas faite contre un tyran. Elle s'est faite contre un Roi qui n'était plus assez Roi. »

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D'habitude on critique un bouquin après l'avoir lu, et pas pour le seul motif que le sujet déplait et qu'on a déjà décidé que les gens qui l'ont écrit "ne sont pas des historiens sérieux", ce qui est assez comique au vu de la présence de certaines signatures prestigieuses parmi les contributeurs.

Est-ce que ce n'est pas un tropisme prog de vouloir "juger sur pièces" :icon_up: On ne développe pas assez l'art d'évaluer les sources.

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  • 3 weeks later...

Critique du Livre Noir dans Le Monde:

Critique

"Le Livre noir de la révolution française" : une instruction à charge

LE MONDE DES LIVRES | 07.02.08 | 12h06

a-t-il une délectation "tendance" à instruire des dossiers noirs pour provoquer la polémique plutôt que de servir en historien son propos ? La question est une nouvelle fois posée par le volume que publie Renaud Escande sous le titre - racoleur ? - Le Livre noir de la révolution française. Le générique, éclectique (Tulard, Le Roy-Ladurie, Courtois…) - on ouvre le tome sur une imprécation tout en finesse de Pierre Chaunu, montage d'un texte vieux de près d'un quart de siècle -, n'est pas plus explicite que la présentation du propos, renvoyée à la quatrième de couverture.

D'où le malaise devant une somme où il semble que le ton doive emprunter à Fouquier-Tinville pour pourfendre ses compagnons d'idéologie. Même Jean-Christian Petitfils, étudiant avec pertinence "la révolution de la souveraineté" à la veille de 1789, se fend d'une charge contre ceux qui ont "odieusement piétiné" la mémoire de Louis XVI ! Reste que le livre se découpe en trois parties : la première, s'en tenant aux "faits", mêle les évocations affectives - Diesbach, qui s'indigne qu'une commémoration du massacre des Suisses, le 10 août 1792, ait lieu aux Invalides plutôt qu'à Notre-Dame (!) - et les apports réels (Bruno Centorame, Christophe Boutin), les analyses fines et les discours abrupts qu'aucun apparat critique n'étaie.

La copieuse anthologie de textes qui clôt l'ensemble, intéressante, manque pareillement de présentation critique, les informations liminaires ne pouvant en tenir lieu. Et que dire d'un chapitre "divers" qui dévoile crûment l'amateurisme du plan.

Reste le volet central, consacré au "génie" (?). Proposant de Malesherbes et Rivarol à Bernanos et Arendt une vingtaine de figures littéraires qui ont abordé le séisme révolutionnaire, cette partie médiane, si elle n'échappe pas au ton imprécateur ou partisan qui ruine la leçon d'exemplarité méthodologique qu'elle prétend proposer, permet de revisiter une généalogie intellectuelle méconnue et de (re)découvrir Donoso Cortès, sinon Augustin Cochin.

C'est peut-être maigre pour justifier un projet flou, mal bâti et qui a la sottise de pronostiquer l'avenir des commémorations de la Révolution. Ce style de plaisanterie dit assez à quel point nul ne sait ce qu'il a en main.

Même le Fig est réticent:

Un livre noir pas révolutionnaire

Plusieurs historiens reviennent sur le bilan de la Révolution française. Quoi de neuf après Furet ?

L'idée n'était pas mauvaise. Depuis la disparition des grands historiens de la Révolution française, force est de reconnaître que les études révolutionnaires sont, à quelques rares exceptions, tombées en quenouille. Les ténors n'ont pas été remplacés. Aussi, près de vingt ans après le bicentenaire de la Révolution, et passé les années de lassitude liées au traumatisme postcommémoratif, il pouvait être tentant de faire un premier bilan des nouveaux travaux en ce domaine. Las.

François Furet avait placé la barre bien haut. Pour égaler ou dépasser la finesse d'analyse de l'auteur de Penser la Révolution française, celui qui avait su réhabiliter intelligemment Tocqueville et Cochin, il fallait du souffle et le talent du chercheur original. D'autant que le risque n'était pas mince de rouvrir maladroitement des plaies qui ne demandaient qu'à être ravivées.

Si, en 1978, Furet pouvait écrire que « la Révolution française est finie », on peut se demander aujourd'hui au regard du succès de certains essais radicaux s'il n'a pas été un peu trop optimiste. L'esprit totalitaire n'est pas mort. Faut-il prendre le risque de réveiller le cadavre en ranimant un débat qui avait plutôt été emporté (une fois n'est pas coutume) par le camp libéral et éclairé ?

S'il avait pour ambition de remettre les choses à plat, ce Livre noir de la Révolution française décevra. Il ne répond qu'en de très rares articles à son titre ; les contributions sont inégales, et leurs références sont souvent datées, voire vieillies, s'exposant ainsi maladroitement aux critiques. Il manque surtout une problématique générale. Laissant les analyses convenues sur les hommes et les événements, on préférera les entrées sur la postérité révolutionnaire. Stéphane Courtois, l'auteur du Livre noir du communisme, revient par exemple sur le lien entre la Révolution française et la révolution d'Octobre. On ne découragera pas le lecteur qui se passionne pour des thèmes tragiques mais amplement étudiés, comme la Vendée.

En refermant ce gros livre de 882 pages, on se prend à penser qu'il existe déjà un remarquable livre noir de la Révolution française, aussi partial et aux références tout aussi datées. Mais ce dernier a une excuse. Les Origines de la France contemporaine ont été écrites par M. Taine à la fin du XIXe siècle. Et cette somme a un avantage : elle est très agréable à lire.

Le Livre noir de la Révolution française. Collectif Cerf, 882p., 44€.

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Plus loin, à propos de Louis XVI, il écrit : « la Révolution ne s'est pas faite contre un tyran. Elle s'est faite contre un Roi qui n'était plus assez Roi. »

Je me demande bien qui considère Louis XVI comme un tyran.

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  • 2 weeks later...

Toujours à propos du livre noir :

http://www.valeursactuelles.com/public/val…article_id=1730

Les années noires de la Révolution

Jean Tulard, le 01-02-2008

Il y avait une sorte d’histoire convenue de la Révolution qui négligeait le sang, les massacres, le génocide vendéen… En voici le contrepoint lui aussi écrit par des historiens.

La chute du mur de Berlin se produisit la même année que la célébration du bicentenaire de la Révolution. La coïncidence était fortuite mais les deux révolutions, la française et la russe, avaient été intimement liées. Albert Mathiez, spécialiste à la Sorbonne de la première, se plaisait à dresser un parallèle avec la seconde, citant Lénine qu’il admirait profondément. Les révolutionnaires russes avaient d’emblée fait référence à la Révolution française, donnant le nom de Marat à l’un de leurs navires.

Il était donc logique, qu’après un Livre noir du communisme, paru en 1997, suivit un Livre noir de la Révolution française, onze ans plus tard, livre noir rédigé par plus de quarante collaborateurs. N’en attendons pas un réquisitoire passionné contre dix ans de notre histoire, mais une remise en perspective de faits dont la violence parle d’elle-même et la réhabilitation d’idées qui ont été jusqu’à ces dernières années soigneusement occultées.

Au cœur de l’ouvrage, revenant sans cesse dans les contributions, un mot : la Terreur. Elle symbolise la Révolution. C’est elle qui sauve en 1793 le gouvernement révolutionnaire face à la guerre civile et à la coalition des monarchies européennes. Mais c’est elle qui le condamne aux yeux de la postérité.

La Terreur a été voulue, pensée et proclamée par le gouvernement révolutionnaire. Elle n’est pas un accident, un dérapage involontaire.

La Terreur est mise à l’ordre du jour le 5 septembre 1793. Ce jour-là, la Convention, envahie par les émeutiers des faubourgs parisiens, vote l’arrestation des suspects, l’épuration des administrations, la création d’une armée révolutionnaire. La Terreur devient le mode de fonctionnement d’un gouvernement défini comme « révolutionnaire jusqu’à la paix ». La Terreur n’est qu’une politique de circonstance mais qui s’étend à tous les domaines, de la conduite des armées à l’économie, des finances aux arts. Elle donne une cohérence idéologique à des mesures improvisées et sans lien entre elles, et surtout sert de justification à l’élimination brutale des adversaires du gou­vernement révolutionnaire.

En réalité, les instruments de la Terreur avaient été mis en place bien avant le mois de septembre 1793. Chargé de juger des attentats contre la liberté, l’égalité et l’indivisibilité de la République, le Tribunal révolutionnaire, dont les jugements étaient sans appel, date du 10 mars 1793. Les comités de surveillance, qui ont pour mission de découvrir les suspects, sont établis le 21 mars. C’est au cours de ce même mois que l’envoi de représentants de la Convention dans les régions de guerre civile devient systématique.

Les grands procès politiques débutent en octobre : Marie-Antoinette, les girondins, Philippe Égalité, Bailly, Barnave… sont condamnés à mort et aussitôt exécutés. Hébert célèbre dans son journal, le Père Duchesne, « la sainte guillotine ».

Il s’agit de “terroriser” au sens pro­pre l’ennemi politique. Déjà, en juillet 1789, les têtes coupées du gouverneur de la Bastille et du prévôt des marchands, portées au bout de piques, avaient semé l’épouvante et paralysé les résistances. Par la suite, les condamnés conduits à la guillotine doivent aller en charrette de la Conciergerie au lieu de l’exécution. Ce trajet dans les rues de Paris dure souvent plus d’une heure. Pourquoi ? Pour faire peur aux opposants.

La peur peut être aussi à l’origine du comportement des terroristes. Elle explique les massacres de détenus dans les prisons de Paris en septem­bre 1792. Paris est alors menacé par le duc de Brunswick ; on craint l’arrivée des Prussiens. Il faut tuer tous les royalistes qui risqueraient de dénoncer les “patriotes”. Du 2 au 6 septembre, plus de 1 300 prisonniers sans défense sont exécutés à l’arme blanche. Spontané à l’origine, le mouvement a été vite encadré par des meneurs. C’est souvent la fureur de la foule qui est à l’origine de violences, comme le meurtre du comte de Dampierre venu saluer la berline du roi au retour de Varennes, le 22 juin 1791.

En revanche, le génocide vendéen a bien été planifié comme le montre lumineusement Reynald Secher. Première étape : une guerre civile qui débute en mars 1793 et qui s’achève sur la défaite des Vendéens à Savenay en décembre. Guerre atroce mais équilibrée. La victoire des bleus est suivie par la mise en place d’un système d’anéantissement de la Vendée. Pas question de pardon après la défaite. L’alerte a été trop chaude. De là, selon un rapport présenté à la Convention, l’idée qu’il n’y aura « moyen de ramener le calme dans ce pays qu’en en faisant sortir tout ce qui n’est pas coupable, en exterminant le reste, et en le remplaçant le plus tôt possible par des républicains qui défendront leurs foyers ».

Conception reprise par Barère, “l’ondoyant Barère”, qui perd son sang-froid : « Détruisez la Vendée ! » Général en chef de l’armée de l’Ouest, Turreau confirme : « La Vendée doit être un cimetière national. » De là les innombrables scènes d’horreur décrites par Secher : il faut empêcher les Vendéens de se reproduire, donc, tuer également les femmes et y ajouter les enfants en passe de devenir de « futurs brigands ». Carrier, l’homme des noyades de Nantes, s’exclame : « Qu’on ne vienne pas nous parler d’humanité envers ces féroces Vendéens ; ils doivent tous être exterminés. » Il n’est pas jusqu’au nom de Vendée qui ne soit rayé de la carte : il y aura désormais un département Vengé. C’est l’extermination totale, un « populicide », écrit Gracchus Babeuf lui-même : un génocide.

C’est en ce sens qu’Hervé de Cha­rette, député du Maine-et-Loire, a cosigné avec Lionnel Lucca, député des Alpes-Maritimes, le 19 décembre dernier, une proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide vendéen de 1793-1794. C’est la tache la plus sombre sur l’image de la Révolution.

Les thermidoriens le comprirent : Carrier fut arrêté, jugé et exécuté après la chute de Robespierre. Par ses outrances sadiques, il était le bouc émissaire idéal. Mais Turreau fut acquitté et son nom inscrit sur l’Arc de triomphe. Les révolutionnaires ne s’en prirent pas seulement aux hommes mais aux monuments. Ils n’innovaient pas ; les guerres de religion avaient déjà fait des ravages.

Dans le Livre noir, Alexandre Gady indique qu’il s’est agi d’abord d’un « vandalisme de pulsion ». La Révolution commence par l’incendie des barrières de l’octroi et la destruction de la Bastille, deux symboles abhorrés de l’Ancien Régime. Puis le vandalisme prend un tour religieux accompagné d’opérations spéculatives. C’est ainsi que disparaissent les grandes abbayes de Jumièges, Cluny, Orval… À Paris sont victimes de cette furie les Cordeliers, Saint-André-des-Arts, les Feuil­lants, l’église des Bernardins, la bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés, le Temple… À l’intérieur des églises, disparaissent le mobilier, les objets liturgiques, les vitraux, les tombaux. Combien de grands hommes, dont Montesquieu, ont leurs cendres jetées à la Seine ou à l’égout.

Ce vandalisme est éga­lement an­timonarchi­que. Com­ment ne pas évoquer la profanation des tombes royales de Saint-Denis et la des­truction des statues des rois sur la façade de Notre-Dame de Paris. Mercier ira jusqu’à de­mander la destruction du château de Versailles ! Ne parlons pas de l’exécution du grand chimiste Lavoisier, même si le mot « la République n’a pas besoin de savants » est probablement apocryphe.

La partie sombre de la Révolution a été longtemps occultée et, avec elle, les œuvres des écrivains qui ont mis en doute les bienfaits de cette révolution. Le Livre noir les réhabilite. Ainsi Blanc de Saint-Bonnet, qui entend prouver que l’erreur et le mal sont à la source de la Révolution, retrouve-t-il toute sa place dans le courant philosophique français. Une place qu’il avait perdue pour avoir écrit : « On s’étonne de la fatalité qui porte la Révolution à répandre le sang. C’est oublier que chez nous, la plupart des crimes sont le résultat de l’envie. La Révolution n’est que l’application sociale de l’envie. »

Jacques Bainville et Pierre Gaxotte, qui ont donné de la Révolution une image si éloignée de la tradition républicaine, furent boycottés dans les milieux universitaires. Cochin, féroce censeur de la Sorbonne, n’a connu que tout récemment un regain d’intérêt. N’a-t-il pas osé montrer comment, à travers les sociétés de pensée, les Lumières du XVIIIe siècle ont engendré les massacres révolutionnaires loin des idées d’égalité et de fraternité. Qui lit Joseph de Maistre malgré les récentes rééditions de ses Considérations sur la France ? Il y prédit en 1796 les conditions de la restauration de la monarchie légitime dix ans plus tard. Et que dire de Rivarol, de Bonald, de Barruel, auteurs à redécouvrir grâce aux contributions savantes et objectives du Livre noir.

Stéphane Giocanti rappelle que cette occultation s’est faite sous une IIIe Ré­publique triomphante où domine l’anticléricalisme et où persiste le souvenir d’une Commune de 1871 inspirée de celle de 1793. Les manuels scolaires des “hussards noirs de la République” visent à noircir l’Ancien Régime et à fixer en 1789 la naissance de la France. La preuve est facile à apporter. Ouvrons le manuel de deuxième an­née d’histoire de France d’Ernest Lavisse à l’usage des élèves de 11 à 13 ans, dans l’édition de 1914. On y lit que « le roi ne connaît que sa volonté, ou, comme il dit, que son bon plaisir. Il dépense à pleines mains ». Voilà qui justifie la chute de la monarchie. Quant aux révolutionnaires, « ils voulurent réformer l’État et entreprendre cette œuvre im­mense où le despotisme fit place à la liberté, les privilèges à l’égalité, les abus de toutes sortes à la justice ». Deux lignes sur les mas­sacres de septembre, rien sur la répression en Vendée. Mais le mot “crime” est employé à propos des exécutions sous la Terreur. L’his­toire officielle de la Révolution est désormais écrite. De là, ce Livre noir. Non qu’il conteste toutes les retombées d’une Révolution que stabilisa Napoléon.

Tout n’est pas négatif – loin de là – dans le bilan que l’on peut dresser en 1815, lorsque est restauré pour la seconde fois Louis XVIII et que semble se fermer la page de la Révolution. Les idées nouvelles – notamment l’égalité – sont consacrées dans le préambule de la Charte, ce à quoi s’était refusé le même Louis XVIII en 1795 dans sa proclamation de Vé­rone. Mais, jusqu’à aujourd’hui, l’histoire de la Révolution française semblait figée dans son moule républicain. Pourtant, comme l’observe le maître d’œuvre du Livre noir, Renaud Escande, « l’Histoire ne s’écrit pas comme la mythologie et son exigence de vérité ne devrait pas s’encombrer de visées utilitaristes », et, osons le mot, idéologiques.

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Pour en finir avec la révolution ?

Non, Danton n'est pas Hitler !

Par Mona Ozouf

Selon les auteurs du «Livre noir de la Révolution française», la guillotine annoncerait le nazisme, et les révolutionnaires auraient inventé l'antisémitisme. N'importe quoi

Ce gros livre en habit de deuil, on le reçoit comme on découvre dans sa boîte aux lettres un cercueil menaçant. L'air du temps a soufflé sur cet objet lugubre, nouvel avatar de l'histoire justicière: après nous avoir mis en demeure de nous repentir de la traite négrière, du génocide arménien, de la colonisation, nous voici conviés à faire pénitence pour la Révolution française. Défilent donc ici les têtes au bout des piques, les prêtres massacrés, les colonnes de Turreau, le calvaire du petit Louis XVII. Et de l'autre côté, car toute histoire noire appelle sa bibliothèque rose, Louis XVI, «le seul grand homme de la Révolution», Marie-Antoinette, «âme mozartienne, priante et héroïque». John Adams lui-même est convoqué pour célébrer, chez les Bourbons pris en bloc, «le lait de la tendresse humaine».

Livre d'époque donc, qui rêve d'une société où l'Eglise informerait à nouveau les cadres de l'existence collective: derrière lui, on voit se profiler un autre livre noir, de la laïcité cette fois, qui devrait plaire au chanoine de Latran. Livre d'époque encore, qui désigne à la vindicte publique les «historiens», espèce nuageuse occupée à cacher, travestir, «occulter» les vérités déplaisantes, comme le sacrifice du roi, «biffé par la normalisation historienne». La Révolution, nous est-il confié, a joui jusqu'à ce jour du «singulier privilège de rester en dehors de l'inventaire, à jamais intouchable». Intouchable? Qui peut le croire, après deux siècles de mises en examen, de procès, de preuves accablantes exhibées au prétoire, et l'armada des procureurs, de Joseph de Maistre à Léon Bloy?

Livre d'époque toujours, pour entonner l'air à la mode: des Lumières est sorti le Goulag, Lénine procède de Rousseau, et le totalitarisme nazi a ses racines dans la Révolution française. Il en inverse pourtant radicalement les principes, mais ici nul ne se soucie de ce détail, et cette simplification inspire les morceaux les plus extravagants de l'ouvrage. On apprend que la Révolution a inventé l'antisémitisme; que «ce que les révolutionnaires ont voulu faire (faire disparaître les juifs), Hitler l'a réussi en Europe». Un syllogisme implacable préside à certaines de ces démonstrations folles: on reconnaît, comme vous savez, les fascistes à quelques traits génériques, fulgurance, audace, insolence, laconisme, sobriété; or Saint-Just possédait ces caractères; ergo, Saint-Just est un précurseur du fascisme. Un hasard, dites-vous? Détrompez-vous, «il n'y a pas de hasard».

On pouvait espérer qu'une exploration du versant noir de la Révolution ferait surgir de grandes questions, toujours ouvertes: pourquoi les Français ont-ils fait du rejet radical de leur passé le principe de la Révolution? Pourquoi la conception autoritaire du pouvoir y a-t-elle triomphé si tôt de l'inspiration libérale? Et comment mener la comparaison entre la France et les pays qui ont fait l'économie d'une révolution, question héritée de Pierre Chaunu (auquel on a emprunté, pour ouvrir ce recueil dépourvu d'introduction, un texte du bicentenaire qui résume la Révolution française en quatre vocables: «rancune, ignorance, fatuité, bêtise») . Mais n'espérez pas voir ici ces grands sujets traités. L'escouade d'«essayistes», de «dramaturges», d'«historiens» et de «philosophes» que ce livre rassemble s'emploie, non à comprendre, mais à juger le passé national; et pour l'avenir, à formuler des vœux: d'abord, que «le XXIe siècle finissant voie un retour en force de la foi chrétienne»; puis que surgisse enfin le principe salvateur capable de garantir l'unité du pays. Et «pourquoi ne serait-ce pas un roi?». L'ouvrage s'achève sur ce frémissant espoir.

Le coordonnateur négligent de ce livre bâclé, jargonneur de surcroît (on n'hésite pas, ici, à définir la Révolution comme «un prisme qui s'autorèfracte»), a senti le besoin de l'orner de quelques grandes signatures. Jean Tulard et Emmanuel Le Roy Ladurie se sont donc exécutés, sans grand entrain m'a-t-il semblé. Sur Napoléon et la Révolution, pour le premier, sur le climat, pour le second, ils ont rendu des copies honorables, mais hors sujet, pierres incertaines apportées à l'édifice. Certes, Emmanuel Le Roy Ladurie nous apprend qu'il a fait un temps de cochon pendant l'année 1788, coups de chaleur d'un printemps torride, grêle et pluies d'un été pourri. La Révolution pourtant, il le reconnaît de bonne grâce, a éclaté pour des raisons complexes, «qui n'ont rien à voir avec notre présent exposé». Une conclusion que pourraient reprendre à leur compte presque tous les contributeurs fatigués d'un livre grisâtre.

M. O.

«Le Livre noir de la Révolution française», sous la direction de Renaud Escande, Editions du Cerf, 882 p., 44 euros.

Source: «le Nouvel Observateur» du 21 février 2008.

http://bibliobs.nouvelobs.com/2008/02/21/n…nest-pas-hitler

Parmi les commentaires, celui-ci est priceless - et inquiétant, vu l'âge du commentateur:

Sur cinq commentaires, seul le premier en est un. les quatre autres ne sont que regrets de ce qu'auait fait la monarchie : la conquête du monde à la place ( selon votre " meilleur des cas" ) de l'Angleterre… Plutôt la paralysie ( selon votre "meilleur des cas" ) gauchère que le suicide à-droite.

Cette période que l'on stérilise en la qualifiant de révolution ( retour à la normale après rotation autour d'un point ) n'est qu'une fumisterie n'ayant pu éradiquer la plaie pluiséclière qui formate vos jérémiades pitoyables : la propriété.

A quand son livre noir ?

Yann, lycéen.

Melodius va être content: l'une des commentatrices (qui n'a pas aimé Le Livre Noir) cité élogieusement le Citizens de Schama.

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Bah, si ce bouquin est une succession de pamphlets, tant mieux, ça viendra équilibrer tous les pamphlets pro-révolution, qui ont eux l'inquiétante caractéristique d'avoir été profondément intégrés par à peu près tous les esprits hexagonaux.

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Bah, si ce bouquin est une succession de pamphlets, tant mieux, ça viendra équilibrer tous les pamphlets pro-révolution, qui ont eux l'inquiétante caractéristique d'avoir été profondément intégrés par à peu près tous les esprits hexagonaux.

La critique de Ozouf (historienne des plus respectables par ailleurs) est d'une telle mauvaise foi qu'elle devrait paradoxalement booster les ventes du bouquin.

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Autres commentaires sur le site du Nouvel Obs, qui comme Marianne a décidément les lecteurs qu'il mérite:

Le hic,

C'est que ces idioties écrites dans ce livre noire ont été préparés idéologiquement par la courant dit libéral, en l'occurrence par François Furet et ses disciples…Ne retrouve-t-on par la filiation imbécile avec le totalitarisme du XXe avec ce héros d'une gauche libérale qui n'a de gauche que le nom…

"L'utopie révolutionnaire"

"L'utopie révolutionnaire" est morte avec la chute du mur de Berlin, dites-vous, lecteur anonyme du dessus.

Eh bien, je ne le pense pas et je ne l'espère pas, car là est l'idéologie mortifère !

Qu'a donc à espérer une société qui ne croit plus en la révolution ? Que pourrait-elle encore accomplir ? Et avec ce que l'on nous propose aujourd'hui, il est plutôt sain de penser que la révolution n'est pas morte alors que les défis environnementaux risquent bien, et peut-être plus tôt qu'on ne le croit, de déboucher sur une nouvelle Terreur.

Il existe encore des penseurs de la révolution et c'est une bonne chose même si nous ne sommes pas obligés de les suivre dans les applications qu'ils lui donnent.

Aurore

Merci Mme Ozouf pour la mise lumière d'un objet de propagande. Il n'est pas simple en ces temps d'échapper aux fanatiques et repentants de tout poil (indigénistes inclus). Si près de 20 ans après le bicentenaire certains en sont à vouloir une restauration monarchique, l'avenir est à faire frémir…

LM

»

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Autres commentaires sur le site du Nouvel Obs, qui comme Marianne a décidément les lecteurs qu'il mérite:

Il y a quand même un commentateur, le premier qui cite le calvaire de Mademoiselle de Sombreuil. Ce n'est pas mal, surtout pour le Nouvel Obs. On aurait pu ajouter le supplice de Mme de Lamballe, le massacre de la prison des Carmes, les noyades de Nantes, etc.

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  • 3 weeks later...

Vous savez que certaines des critiques du Livre Noir vont finir par me le faire aimer? Ici nous avons Jean-Clément Martin, paraît-il l'un des grands spécialistes actuels de la Révolution, et honnêtement c'est à vomir en bien des endroits.

Livre noir de la Révolution française: «une manipulation»

«Une France coupée en deux avec les catholiques d’un côté, les révolutionnaires athées le couteau entre les dents de l’autre: le Livre noir de la révolution française donne une vision totalement faussée» affirme Jean-Clément Martin, professeur d'histoire de la Révolution française à l'université Paris I-Panthéon-Sorbonne et directeur de l'Institut d'histoire de la Révolution française (CNRS). La publication aux éditions du Cerf, début janvier, du « Livre noir » de la révolution provoque l'indignation des historiens, qui dénoncent « l'absurdité » de certains chapitres. « On peut faire de l’idéologie, certes, mais on ne peut pas expliquer le passé avec ça, souligne Jean-Clément Martin. On est clairement en présence d’une critique catholique de la Révolution, proche de l’intégrisme même.»

C.S. : Le Livre noir sort-il des rails de l’histoire « officielle » de la Révolution française ?

J.-C. M. : Il n’y a pas, ou plus, d’histoire officielle de la Révolution française. Y en a-t-il eu d’ailleurs? Je dirais plutôt qu’il existe plusieurs histoires convenues, au sens où tout le monde s’accorde à parler d’événements identiques : la prise de la Bastille, la Déclaration des Droits de l’Homme, la mort du Roi… C’est comme dans un grand jeu de l’oie, on passe toujours par là ! Ensuite il y a les cases subalternes : la Constitution Civile du clergé, la fuite à Varennes, l'insurrection de la Vendée… sur lesquelles on insiste plus ou moins.

Grosso modo, trois écoles "classiques" existent sur ces événements. La première est consensuelle, plutôt libérale centre droit : la Révolution débute en 1789, tourne mal en 1792, et vire dans le sang en 1794. Heureusement, il y a une session de rattrapage en 1799, et on reste dans un Etat démocratique. Cette vision présente les violences mais aussi les gains de la Révolution. Une deuxième vision, plutôt à gauche, insiste sur la défaite de la Révolution à cause des traitres qui ont pris le pouvoir. La Révolution finit dans un système bourgeois qui débouche sur Bonaparte. Enfin, dans la 3ème vision, 1789 découle des faiblesses de l’Ancien Régime, des difficultés économiques, et du travail de « sape » des philosophes. Et ce n’est pas une vraie Révolution, c’est d’abord et avant tout du sang ! C’est une position partagée par exemple par François Furet qui souligne l’inutilité de la Révolution qui n’appelle que le sang.

Le Livre noir entre dans cette dernière vision en l’aggravant. Non seulement la Révolution de 1789 est sanguinaire, mais elle est même scandaleuse. Il ne faut donc pas s’étonner si ensuite, tout va mal ! Dès le chapitre introductif, Pierre Chaunu décrit le désordre et le malheur de la Révolution en les rapprochant des merveilles du vaccin de Jenner découvert à la même époque. La révolution de Jenner, qui a sauvé des millions de vies, doit donc primer sur la Révolution française qui ne fut que destruction. Le Livre noir va encore plus loin : tout ce qui est révolutionnaire est mauvais. Il faudrait donc revenir aux valeurs tirées de la contre-révolution, et plus précisément de son aile radicale et clairement catholique.

C.S. : C'est donc un point de vue religieux sur la révolution.

J.-C. M. : On est clairement en présence d’une critique catholique de la Révolution, proche de l’intégrisme même. Les vrais ennemis des auteurs du Livre noir, ce sont finalement tous les individus qui ont accepté de critiquer la monarchie, au nom d’un catholicisme éclairé des Lumières.

Le Livre noir donne une vision totalement faussée de la Révolution : une France coupée en deux avec les catholiques d’un côté, les révolutionnaires athées le couteau entre les dents de l’autre. Les catholiques des Lumières et les révolutionnaires modérés sont totalement absents ! (comme l’Abbé Grégoire, l’abbé Fauchet, ou l’abbé Lamourette). Même les catholiques massacrés par les révolutionnaires, mais qui avaient adhéré à l’origine à la Révolution, ne sont jamais cités. C’est une déclaration de guerre à tous ceux qui, d’une certaine façon, avaient accepté que le monde ait pu changer. Cette vision est parfaitement erronée, n’apporte rien et ne permet pas de comprendre l’histoire. On peut faire de l’idéologie, certes, mais on ne peut pas expliquer le passé avec ça.

Ce livre oublie même de rappeler que la Révolution française a permis la régénération du catholicisme Français ! Ce sont les catholiques qui le disent : Joseph de Maistre affirmant que cette Révolution a participé du plan de Dieu. Cette épreuve aurait fait rejaillir le sang neuf catholique. C’est quelque chose qui aurait mérité d’être rappelé : cet évènement a été une épreuve terrible, certes, mais une épreuve qui a renforcé le catholicisme romain !

C.S. : Le dérapage le plus évident semble être le lien établi entre la Révolution Française et l’antisémitisme voire le futur fascisme.

J.-C. M. : Comparer Saint Just au fascisme est absurde. Il n’y a pas la hiérarchisation des individus, ou l’échelle des êtres, qu’il y avait dans le fascisme. De même assimiler la Révolution à un mouvement antisémite n’a aucun sens. Les communautés juives d’Alsace, ou les négociants juifs bordelais étaient déjà victimes de persécutions auparavant. Au contraire, la Révolution donne l’égalité aux juifs, conservée sous Napoléon. Les juifs allemands ne s’y trompent pas à l’époque, et approuvent l’occupation française car ils apprécient cette égalité. Il est vraiment impossible de faire passer la Révolution française pour antisémite, c’est un tour de passe-passe considérable. À ce sujet, le Livre noir fait véritablement de la manipulation.

Les auteurs se livrent à d'autres comparaisons, du côté des régimes communistes… En particulier sur la question de la Terreur.

J.-C. M. : On ne peut pas parler d’un régime de Terreur sous la Révolution, comme cela a existé en Russie soviétique, dans le Cambodge de Pol Pot, ou sous la Chine de Mao. Quand on regarde les textes, la Terreur n’a jamais été « à l’ordre du jour ». Robespierre lui-même n’en voulait pas, ainsi que la quasi-totalité des conventionnels. Si la violence existe, un régime de Terreur n’est pas la même chose : c’est la centralisation de la violence par l’État, qui l’organise et l’applique. Ce n’est pas le cas de 1789 à 1793 ! Et le Tribunal Révolutionnaire, centralisé ensuite, ne correspond pas à la Terreur : les procédures juridiques persistent et de nombreux accusés sont acquittés. Ce ne sont pas les purges staliniennes, ni les mises à mort systématiques dans les camps de concentration cambodgiens ! Pire qu’un raccourci, c’est une invention pure et simple, appuyée sur la dénonciation opérée par quelques Conventionnels après Thermidor que ce qui s’était passé auparavant s’appelait « la Terreur ». Ce n’est pas non plus parce que Lénine ou Trotski se seraient inspirés de la Révolution Française qu’on peut assimiler les deux régimes.

C.S. : L’analogie avec le terrorisme d’aujourd’hui n’est donc pas valable ?

J.-C. M. : On comprend que le terrorisme puisse s’enraciner dans le souvenir de la Révolution et de la terreur, telle que le Directoire et la Restauration la dénoncent ensuite. Cependant, les textes de l’époque sont explicites : la Terreur est une arme employée par l’Ancien Régime, et les Conventionnels affirment en 1793 qu’ils ne puniront que « la loi à la main ». Ce n’est pas du terrorisme, ce sont les pratiques violentes d’une époque. Des mesures répressives vont être employées, mais moindres par rapport aux pratiques précédentes dans la mesure où la justice monarchique, elle, utilisait la Terreur avec de nombreux supplices. Si la justice révolutionnaire, c’est la guillotine, c’est aussi le refus du supplice et une mort quasi-médicale. Ce qui a été perçu à l’époque comme un aménagement de la peine de mort, comme une peine adoucie. L’utilisation politique de la guillotine dans la répression a changé la perception de cette mise à mort, en oubliant que l’Angleterre se livre à la même époque à des supplices bien pires, et ce jusqu’en 1832 ! Ce dont le Livre noir ne parle évidemment pas. De même qu’il ne fait aucune comparaison avec les répressions abominables sous Napoléon par exemple. :icon_up::doigt:

C.S. : Qu'est-ce qui anime à votre avis les auteurs du Livre noir ?

J.-C. M. : Que cela plaise ou non, la Révolution française a bâti le monde moderne. On peut dénoncer cet évènement sans expliquer pourquoi il a eu lieu. Mais toute lecture manichéenne insistant sur des « méchants » n’explique rien, et traduit sans doute une grande insatisfaction de ne pas trouver des réponses simples à des questions compliquées.

La Révolution française est un chantier considérable et il y a toujours besoin de retravailler sur ce moment historique. Il faut continuer à creuser les mécanismes culturels, politiques, religieux… qui ont fait que ces Français sont entrés en Révolution. À l’inverse, ce livre participe à ce mouvement de repentance, très à la mode actuellement, qui laisse dans une sorte de désespérance continue, à propos de tout et n’importe quoi, contre-productive et dangereuse. La réponse passe alors par le retour au travail historique, l’érudition et la vulgarisation. Sans doute, faut-il accepter de penser que les historiens ont eu des responsabilités en privilégiant des ouvrages scientifiques très « pointus », en oubliant le public cultivé à qui ce livre noir est destiné. Ils ont un rôle à jouer en écrivant des livres de vulgarisation historique permettant de rendre compte simplement de la complexité des choses, sans rien oublier des violences par exemple, mais sans non plus être aveuglé par elles. Cela permet d’éviter les raccourcis : ce qui arrive aujourd’hui n’est pas le résultat direct de ce qui s’est passé avant! De la même façon, entre la Révolution française et la révolution russe, il y a eu de nombreuses étapes intermédiaires qu’il convient d’expliciter. C’est le seul moyen de lutter contre ce genre de théories du complot absurdes.

Jeter en pâture une période historique, seulement pour montrer du doigt les coupables, n’apporte rien. L’Histoire n’est souvent qu’un tissu de sang, alors des Livres noirs on peut en faire autant qu’on veut. D’ailleurs, je ferai bien le Livre noir des livres noirs ! »

Propos recueillis par CAMILLE STROMBONI

Assouline quant à lui joue très bien les perroquets, comme de coutume:

18 mars 2008

La contre-Révolution bouge encore

tenebr10.1205796865.JPGComment des historiens chevronnés à la réputation aussi établie que Emmanuel Le Roy-Ladurie et Jean Tulard ont-ils pu la mettre en péril en se laissant embarquer dans cette galère ? Plus on s’enfonce dans la lecture du Livre noir de la Révolution française (882 pages, 44 euros, éditions du Cerf), moins on comprend. Même si le premier s’est cantonné à traiter du climat à l’époque, et le second de Napoléon et la Révolution. Et Jean-Christian Petitfils, Stéphane Courtois et quelques autres, savaient-ils au juste où ils mettaient les pieds et sous quel pavillon ils allaient voguer ? On ignore si le postulat de l’entreprise était aussi clair au départ qu’il l’est à l’arrivée : rien moins que présenter la France de 1789 comme un pays coupé en deux, méchants révolutionnaires athées contre bons catholiques. Une vision binaire et manichéenne qui voudrait se frayer un chemin dans un air du temps favorable à la repentance nationale… On la croyait révolue, l’historiographie ayant fait des progrès depuis Louis de Bonald et Augustin Cochin. Les initiateurs de ce gros ouvrage collectif publié sous la direction de Renaud Escande, dominicain et éditeur au Cerf, l’ont voulu démystificateur et iconoclaste. Ils ont manifestement lu les travaux de François Furet mais ils ont poussé sa réflexion à de tels extrêmes qu’elle en ressort dénaturée puisqu’ils réduisent la Révolution à un évènement exclusivement violent et sanguinaire. Il paraît que cela plaît si l’on en juge par les réimpressions dont on se félicite sur le site de l’Union royaliste Bretagne Vendée militaire.

Entendons-nous bien : le révisionnisme historique est une bonne chose. Saine même et indispensable. Sur tous les sujets sans exclusive. Encore faut-il que la remise en question ne soit pas systématique jusqu’à tourner à l’absurde. Car il ressort de cette critique catholique de la Révolution qu’il faut tout jeter, le bébé et l’eau du bain. Au fond, ils ne détestent rien tant que les catholiques qui ont osé conserver alors le meilleur des Lumières pour critiquer la monarchie. Ici, on peut les chercher en vain, l’abbé Grégoire et les autres, dans le bilan positif de la fin du XVIIIème siècle.“Ce livre oublie même de rappeler que la Révolution française a permis la régénération du catholicisme Français ! Ce sont les catholiques qui le disent : Joseph de Maistre affirmant que cette Révolution a participé du plan de Dieu. Cette épreuve aurait fait rejaillir le sang neuf catholique” tenebr14.1205797360.JPGsouligne l’un des meilleurs spécialistes de la période Jean-Clément Martin dans sa critique implacable de ce “livre noir” bâclé à l’appareil critique défaillant et à la méthodologie sans rigueur. Et l’historien de dénoncer les nombreux abus et manipulations idéologiques qu’il y a repérés : Saint-Just assimilé à un fasciste, la Révolution présentée comme un mouvement antisémite, la Terreur comparée à celles de Staline, Mao et Pol Pot, 1789 et suivantes comme terreau des totalitarismes, la théorie du complot mise en avant… On a alors l’étrange impression d’être revenu longtemps en arrière, en des temps d’obscurantisme que l’on croyait révolus.

Il en faudrait davantage pour en finir avec la Révolution. “N’importe quoi !” s’indigne l’historienne Mona Ozouf. Sa réflexion vise le fond mais elle pourrait se limiter au plan :”Les faits” (des notices historiques), “Le génie” (florilège des penseurs de la contre-Révolution), “Textes inédits” (une anthologie) sans oublier un ahurissant “Divers” où l’on s’est débarrassé de tout ce qui n’entrait pas ailleurs ! Même si l’on connaît déjà bien ses vues sur la question, on croit tout de même se souvenir que Pierre Chaunu a été d’ordinaire plus nuancé, il y a longtemps, il est vrai. On a du mal à le voir se mêler à un ensemble d’où il ressort qu’au fond, la Révolution française a été pour l’essentiel la matrice du Goulag et des camps d’extermination nazis. Quoique, à la réflexion, Chaunu ayant en 1989 réduit la Révolution à “rancune, ignorance, fatuité, bêtise” ainsi que ce livre le rappelle dès l’entame, il y est tout à fait à sa place. Nombre de collaborateurs de l’ouvrage, familiers des nébuleuses nationalistes et monarchistes, également. A quand un livre collectif ni noir ni blanc pour rendre la Révolution française à sa complexité ?

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Je ne suis pas spécialiste de l'oeuvre de de Maistre, mais il me semble que Martin se livre à un joli contresens. Quelqu'un peut confirmer/infirmer?

Maistre parle plutôt de régénération du pays :

Elevons-nous surtout à de grandes pensées et voyons dans la Révolution française ce qu'il faut y voir: un Jugement terrible pour ce moment présent et une Régénératio infaillible pour celui qui suivra (…) Il s'en faut donc de beaucoup que le sang innocent qui coule aujourd'hui soit inutile au monde. Tout à sa raison que nous connaîtrons un jour. Le sang de la céleste Elisabeth était peut-être nécessaire pour faire équilibre dans le plan général au Tribunal révolutionnaire, et celui de Louis XVI sauvera peut-être la France.

Cité dans l'article consacré au philosophe savoisien in le Livre noir. L'auteur de l'article, Pierre Glaudes (spécialiste de Maistre et Barbey d'Aurevilly, notamment), paraphrase ensuite l'écrivain des Considérations sur la France:

Cette nation d'origine celtique et romaine qui fut créée par des évêques - Maistre, s'appuyant sur Gibbon, aime à le rappeler - a laissé Voltaire et ses amis philosophes propager leur venin. Elle a toléré qu'ils missent la souveraineté en péril, en s'attaquant aux lois fondamentales du pays. En permettant, de surcroît, à de tels "poisons" de se répandre chez ses voisins européens, la France a abusé de ses dons "de la manière la plus coupable" : "(…) comme elle s'est servie de son influence pour contredire sa vocation et démoraliser l'Europe, il ne fait pas être étonné qu'elle y soit ramenée par des moyens terribles" Ainsi s'explique la Révolution française, cette punition (…) effrayante" dont le but providentiel est de tirer du sang vesé une régénération nationale.
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J'ai découvert un auteur inclassable Gusdorf " Les révolutions de France et d'Amérique" qui a une vision de la chose très equilibré…notamment le rôle des huguenots, la différence d'opposition à l'autorité…

Ah, tu l'as lu? Parce que, pour ma part, je ne l'ai encore trouvé dans aucune librairie. Et dire que j'avais promis, il y a plusieurs mois, à Bellegarrigue de lui donner mon avis après lecture ! :icon_up:

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Je préfère sa chanson Danton

[dailymotion]x3hvdl&v3=1&related=1[/dailymotion]

Illustrée ici par le Cartouche de Ph. de Broca.

Chanson totalement fausse quant au protagoniste, du reste.

Connaissez-vous l'interprétation de la RF chantée par Sardou en 1989 ?

http://www.dailymotion.com/relevance/searc…u-ii_shortfilms

Illustré, en l'occurrence, par le film de Robert Enrico (dont Tulard fut le conseiller historique) - avec Jean-François Balmer en Louis XVI, Klaus-Maria Brandauer en Danton, l'acteur belge Raymond Gérôme dans le rôle de Necker… et Christopher Lee (prétendu descendant de Charlemagne) dans celui de Samson. Notons dans le texte de cette chanson le même topo bien-pensant que pour le Vladimir Illitch du même Sardou: bonnes intentions trahies par des gens assoiffés de pouvoir.

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Illustrée ici par le Cartouche de Ph. de Broca.

Chanson totalement fausse quant au protagoniste, du reste.

Illustré, en l'occurrence, par le film de Robert Enrico (dont Tulard fut le conseiller historique) - avec Jean-François Balmer en Louis XVI, Klaus-Maria Brandauer en Danton, l'acteur belge Raymond Gérôme dans le rôle de Necker… et Christopher Lee (prétendu descendant de Charlemagne) dans celui de Samson. Notons dans le texte de cette chanson le même topo bien-pensant que pour le Vladimir Illitch du même Sardou: bonnes intentions trahies par des gens assoiffés de pouvoir.

Refrain explicite du reste de la chanson: "Elle avait de bonnes intentions, la Révolution" …

Retenons également que "le fait de se promener cul nu n'est pas un brevet de vertu" :icon_up:

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