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Les plus belles intros littéraires


Fredo

Messages recommandés

Tututut : le mot important dans mon message était "idéologique" (il se trouve que le bouquin mentionné par Rincevent était de la SF, mais c'eût pu être tout aussi bien un polar, un mélodrame, etc.).

Traduction approximative: RH n'aime pas la littérature engagée.

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D'un autre côté, l'art pour l'art est un mythe inventé par le Parnasse, porté par des idéalistes et perfectionné par Mallarmé, jusqu'à l'obsession d'une pureté désincarnée (une forme pure).

Bien entendu, mais il est absurde de considérer que ce serait soit l'un soit l'autre - d'ailleurs, dans les deux cas, le rapport de l'art au monde est réprimé au profit d'un certain narcissisme envahissant, tantôt idéologique tantôt esthétique. La littérature a très bien vécu pendant des siècles sans ces deux écueils. Et encore aujourd'hui, au demeurant.

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Euh ? Je trouve le livre de poche bien plus pratique.

Pratique. Pas forcément beau, ni quoi que ce soit d'autre, d'ailleurs.

Je notais simplement que la SF à caractère idéologique n'appartenait pas à la littérature.

Pas si idéologique que ça, le Heinlein. La légende dorée d'un RAH libertarien est "un peu" simpliste, comme l'a expliqué Ugo Bellagamba lors d'un Café Liberté.

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Et tu as bien entendu cité cette intro pour sa beauté littéraire ?

Les effets de style (parallélisme et effet de contraste simultané, par exemple) n'en sont pas absents. C'était donc un des critères de mon choix.

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Mr. Sherlock Holmes, who was usually very late in the mornings, save upon those not infrequent occasions when he was up all night, was seated at the breakfast table. I stood upon the hearth-rug and picked up the stick which our visitor had left behind him the night before. It was a fine, thick piece of wood, bulbous-headed, of the sort which is known as a `Penang lawyer.' Just under the head was a broad silver band nearly an inch across. `To James Mortimer, M.R.C.S., from his friends of the C.C.H.,' was engraved upon it, with the date `1884.' It was just such a stick as the old-fashioned family practitioner used to carry - dignified, solid, and reassuring.

Sir Arthur Conan Doyle, The Hound of the Baskervilles.

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Une critique des incipits de cette rentrée "littéraire" :

http://lettres.blogs.liberation.fr/sorin/2…e-ton-inci.html

Plus l’incipit est simple, meilleur il est, sauf exceptions. «Aujourd’hui, maman est morte.» «Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire.» «Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189…» «Longtemps, je me suis couché de bonne heure.» «Lolita, lumière de ma vie, feu de ma vie.» «La porte du restaurant Henry’s s’ouvrit et deux hommes entrèrent.» (1) Je pourrais en citer des dizaines d’autres, moins célèbres, où l’on voit la patte de l’écrivain, capable de vous saisir aussi sec.
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  • 9 months later...

Mr. Sunshine first enters the city near dusk of a spring day in 1866, after heavy showers have turned its dirt roads and streets to mud soup. This is not the sort of weather that Mr. Sunshine prefers, but he is drawn on by a smell, a sweet smell that cannot be covered or washed away by the scent of fresh rain: the smell of Story.

The city lies in a valley along the shore of a long lake, and takes its name from a Greek island so distant as to be little more than a dream. Ithaca, home of the fabled Ulysses. Mr. Sunshine appreciates this name, for he, like it, is Greek, a Greek Original in fact. When he was younger he got around quite a lot in the World, but these days he spends most of his time in his Library, except when he feels the urge to go out and hunt up new material.

Fool on the Hill, Matt Ruff

Belle illustration de l'usage des majuscules.

NB : L'italique est de l'auteur pour les pages d'introduction.

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"Silence.

Les dernières vagues atlantiques se jettent sur une pointe de rochers bruns pourpre et s'y déchirent.

Un cri de mouette.

De chaque côté du promontoire, la marée gonfle et remonte les estuaires. A droite, la nuit commence à cacher les collines. A gauche, descend un soleil jaune soufre.

L'Amérique est grande, déjà. D'une grandeur anonyme, d'une immensité sidérale. Immobiles, repliés sur eux-mêmes comme un germe, ces lieux qui seront New-York attendent de naître."

New-York

Paul Morand

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Léon Bloy, Le Désespéré

Quand vous recevrez cette lettre, mon cher ami, j'aurai achevé de tuer mon père. Le pauvre homme agonise, et mourra, dit-on, avant le jour.

Il est deux heures du matin. Je suis seul dans une chambre voisine, la vieille femme qui le garde m'ayant fait entendre qu'il valait mieux que les yeux du moribond ne me rencontrassent pas et qu'on m'avertirait quand il en serait temps.

Je ne sens actuellement aucune douleur ni aucune impression morale nettement distincte d'une confuse mélancolie, d'une indécise peur de ce qui va venir. J'ai déjà vu mourir et je sais que, demain, ce sera terrible. Mais, en ce moment, rien ; les vagues de mon coeur sont immobiles. J'ai l'anesthésie d'un assommé. Impossible de prier, impossible de pleurer, impossible de lire. Je vous écris donc, puisqu'une âme livrée à son propre néant n'a d'autre ressource que l'imbécile gymnastique littéraire de le formuler.

Je suis parricide, pourtant, telle est l'unique vision de mon esprit ! J'entends d'ici l'intolérable hoquet de cette agonie qui est véritablement mon œuvre, - œuvre de damné qui s'est imposée à moi avec le despotisme du destin !

Ah ! le couteau eût mieux valu, sans doute, le rudimentaire couteau du chourineur filial ! La mort, du moins, eût été, pour mon père, sans préalables années de tortures, sans le renaissant espoir toujours déçu de mon retour à l'auge à cochons d'une sagesse bourgeoise ; je serais fixé sur la nature légalement ignominieuse d'une probable expiation ; enfin, je ne resterais pas avec cette hideuse incertitude d'avoir eu raison de passer sur le cœur du malheureux homme pour me jeter aux réprobations et aux avanies démoniaques de la vie d'artiste.

Vous m'avez vu, mon cher Alexis, coiffé d'une ordure cylindrique, dénué de vêtements, de souliers, de tout enfin, excepté de l'apéritive espérance. Cependant, vous me supposiez un domicile conjecturable, un semblant de subsides intermittents, une mamelle quelconque aux flancs d'airain de ma chienne de destinée et vous ne connûtes pas l'irréprochable perfection de ma misère.

En réalité, je fus un des Dix-Mille retraitants sempiternels de la famine parisienne, -- à qui manquera toujours un Xénophon, -- qui prélèvent l'impôt de leur fringale sur les déjections de la richesse et qui assaisonnent à la fumée de marmites inaccessibles et pénombrales la croûte symbolique récoltée dans les ordures.

Tel a été le vestibule de mon existence d'écrivain, -- existence à peine changée, d'ailleurs, même aujourd'hui que je suis devenu quasi célèbre. Mon père le savait et en mourait de honte.

Excellent théologien maçonnique, adorateur de Rousseau et de Benjamin Franklin, toute sa jurisprudence critique était d'arpenter le mérite à la toise du succès. De ce point de vue, Dumas père et Béranger lui paraissaient des abreuvoirs suffisants pour toutes les soifs esthétiques.

Il me chérissait, cependant, à sa manière. Avant que j'eusse fini de baver dans mes langes, avant même que je vinsse au monde, il avait soigneusement marqué toutes les étapes de ma vie, avec la plus géométrique des sollicitudes. Rien n'avait été oublié, excepté l'éventualité d'une pente littéraire. Quand il devint impossible de nier l'existence du chancroïde, sa confusion fut immense et son désespoir sans bornes. Ne discernant qu'une révolte_ impie _dans le simple effet d'une intransgressable loi de nature, mais absolument pénétré de son impuissance, il me donna, néanmoins, une dernière preuve de la plus inéclairable tendresse en ne me maudissant jamais tout à fait.

Mon Dieu ! que la vie est une horrible dégoûtation ! Et combien il serait facile aux sages de ne jamais faire d'enfants ! Quelle idiote rage de se propager ! Une continence éternelle serait-elle donc plus atroce que cette invasion de supplices qui s'appelle la naissance d'un enfant de pauvre ?

Déjà, dans toutes les conditions imaginables, un père et un fils sont comme deux âmes muettes qui se regardent de l'un à l'autre bord de l'abîme du flanc maternel, sans pouvoir presque jamais ni se parler ni s'étreindre, à cause, sans doute, de la pénitentielle immondicité de toute procréation humaine ! Mais si la misère vient à rouler son torrent d'angoisses dans ce lit profané et que l'anathème effroyable d'une vocation supérieure soit prononcé, comment exprimer l'opaque immensité qui les sépare ?

Nous avions depuis longtemps cessé de nous écrire, mon père et moi. Hélas ! nous n'avions rien à nous dire. Il ne croyait pas à mon avenir d'écrivain et je croyais moins encore, s'il eût été possible, à la compétence de son diagnostic. Mépris pour mépris. Enfer et silence des deux côtés.

Seulement, il se mourait de désespoir et voilà mon parricide ! Dans quelques heures, je me tordrai peut-être les mains en poussant des cris, quand viendra l'énorme peine. Je serai ruisselant de larmes, dévasté par toutes les tempêtes de la pitié, de l'épouvante et du remords. Et cependant, s'il fallait revivre ces dix dernières années, je ne vois pas de quelle autre façon je pourrais m'y prendre. Si ma plume de pamphlétaire catholique avait pu conquérir de grandes sommes, mon père, - le plus désintéressé des pères ! - aurait fait cent lieues pour venir s'asseoir devant moi et me contempler à l'aise dans l'auréole de mon génie. Mais il était de ma destinée d'accomplir moi-même ce voyage et de l'accomplir sans un sou pour l'abominable contemplation que voici !

Vous ignorez, ô romancier plein de gloire, cette parfaite malice du sort. La vie a été pour vous plus clémente. Vous reçûtes le don de plaire et la nature même de votre talent, si heureusement pondéré, éloigne jusqu'au soupçon du plus vague rêve de dictature littéraire.

Vous êtes, sans aucune recherche, ce que je ne pourrais jamais être, un écrivain aimable et fin, et vous ne révolterez jamais personne, - ce que, pour mon malheur, j'ai passé ma vie à faire. Vos livres portés sur le flot des éditions innombrables vont d'eux-mêmes dans une multitude d'élégantes mains qui les propagent avec amour. Heureux homme qui m'avez autrefois nommé votre frère, je crie donc vers vous dans ma détresse et je vous appelle à mon aide.

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Le Livre de ma mère, Albert Cohen

Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte. Ce n'est pas une raison pour ne pas se consoler, ce soir, dans les bruits finissants de la rue, se consoler, ce soir, avec des mots. Oh, le pauvre perdu qui, devant sa table, se console avec des mots, devant sa table et le téléphone décroché, car il a peur du dehors, et le soir, si le téléphone est décroché, il se sent tout roi et défendu contre les méchants du dehors, si vite méchants, méchants pour rien.

Quel étrange petit bonheur, triste et boitillant mais doux comme un péché ou une boisson clandestine, quel bonheur tout de même d'écrire en ce moment, seul dans mon royaume et loin des salauds. Qui sont les salauds ? Ce n'est pas moi qui vous le dirai. Je ne veux pas d'histoires avec les gens du dehors. Je ne veux pas qu'on vienne troubler ma fausse paix et m'empêcher d'écrire quelques pages par dizaines ou centaines selon que ce coeur de moi qui est mon destin décidera. J'ai résolu notamment de dire à tous les peintres qu'ils ont du génie, sans ça ils vous mordent. Et, d'une manière générale, je dis à chacun que chacun est charmant. Telles sont mes moeurs diurnes. Mais dans mes nuits et mes aubes je n'en pense pas moins.

Somptueuse, toi, ma plume d'or, va sur la feuille, va au hasard tandis que j'ai quelque jeunesse encore, va ton lent cheminement irrégulier, hésitant comme en rêve, cheminement gauche mais commandé. Va, je t'aime, ma seule consolation, va sur les pages où tristement je me complais et dont le strabisme morosement me délecte. Oui, les mots, ma patrie, les mots, ça console et ça venge. Mais ils ne me rendront pas ma mère. Si remplis de sanguin passé battant aux tempes et tout odorant qu'ils puissent être, les mots que j'écris ne me rendront pas ma mère morte. Sujet interdit dans la nuit. Arrière, image de ma mère vivante lorsque je la vis pour la dernière fois en France, arrière, maternel fantôme.

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Notre Dame des fleurs, Jean Genet

Weidmann vous apparut dans une édition de cinq heures, la tête emmaillotée de bandelettes blanches, religieuse et encore aviateur blessé, tombé dans les seigles, un jour de septembre pareil à celui où fut connu le nom de Notre-Dame-des-Fleurs. Son beau visage multiplié par les linotypes s'abattit sur Paris et sur la France, au plus profond des villages perdus, dans les châteaux et les chaumières, révélant aux bourgeois attristés que leur vie quotidienne est frôlée d'assassins enchanteurs, élevés sournoisement jusqu'à leur sommeil qu'ils vont traverser, par quelque escalier d'office qui, complice pour eux, n'a pas grincé. Sous son image, éclataient d'aurore ses crimes : meurtre 1, meurtre 2, meurtre 3 et jusqu'à six, disaient sa gloire secrète et préparaient sa gloire future.
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