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Sorman : bilan globalement positif de 68


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L'esprit 68 , 40 ans plus tard

C’était il y a quarante ans mais pour ceux qui participèrent activement, comme moi-même, à ces événements, le souvenir en reste vivant, comme une photo instantanée.

Toute cette affaire dura trois semaines, l’espace d’un clin d’œil à l’échelle de la grande Histoire. Comment qualifier cette période ? On ne le sait toujours pas : ce n’était pas une révolution, ce ne fut pas un événement politique, il y eut peu de violence. Cette révolution qui n’avait pas de nom lorsqu’elle se produisit, pas de leaders, pas de programme, reste éternellement en quête d’un qualification : on s’en tiendra donc à ce qui est conventionnellement accepté, les « événements » de Mai 68.

À Paris, pendant ces trois semaines, il ne se passa au fond pas grand chose et en dehors de Paris, moins encore : les événements furent un considérable non-événement mais le monde entier suivait Paris tout de même. Le plus singulier en cette période, furent sans aucun doute les slogans peints sur les murs, une invasion d’affiches sur un mode surréaliste. Les plus populaires proclamaient qu’il était interdit d’interdire. D’autres, cryptiques, annonçaient « sous les pavés, la plage ». « Cours, le vieux monde est derrière toi » était emprunté à l’idéologie maoïste, alors à la mode. Toutes ces proclamations qui nous tenaient lieu de programme appelaient à la liberté individuelle, à l’anarchie, à la non violence, à la jouissance immédiate. L’affichage n’en était pas spontané mais l’œuvre de groupuscules d’intellectuels qui puisaient leur inspiration dans la poésie d’André Breton, l’anarchisme et le maoïsme revu à Saint-Germain-des-Prés. Mais le succès de ces slogans venait de ce qu’ils reflétaient l’air du temps et les aspirations d’une génération : Mai 68 fut avant tout l’œuvre spontanée de ceux qui eurent 20 ans en Mai 1968, une révolution générationnelle plus que politique.

Avoir 20 ans en mai 1968, qu’est-ce que cela voulait dire ? Tout d’abord, un refus de l’autorité sous toutes ses formes. On refusait l’autorité des professeurs, des parents, des gouvernants, des vieux, des chefs. Cette réprobation, au-delà de ceux qui étaient personnellement visés, comme de Gaulle ou le Pape , mettait en cause le principe d’autorité et toutes les idéologies qui légitimaient l’autorité. Etaient ainsi accusés les partis politiques, l’Etat (incarné alors par la figure tutélaire et grand- paternel du Général de Gaulle), l’Armée, les syndicats, l’Eglise, l’Université. Etait-ce bien nouveau ?

La révolution de 1789 en France fut l’œuvre de garçons de vingt ans, le romantisme des années 1820 aussi, la révolution surréaliste des années 1920 tout autant. Le scénario de ces événements historiques est étonnamment répétitif : après une longue période de contraintes sociales, militaires, économiques, une nouvelle génération se lève et dit « ça suffit » : on ne veut plus vivre comme ses parents, en 1789 , 1830 ou 1968.

Ces événements de Mai 1968 s’éteignirent de manière aussi inattendue qu’ils avaient surgi : en l’espace de trois semaines, tout rentra dans l’ordre antérieur, apparemment. Les étudiants retournèrent à l’université, les ouvriers dans leurs usines, les curés dans leurs paroisses et le Général de Gaulle à la Présidence. En vérité, tout avait changé. Et pas seulement en France. Chaque pays avait, en effet, vécu Mai 68 à sa manière : aux Etats-Unis, le pacifisme des étudiants contre la guerre du Viet-Nam devait conduire tôt ou tard au retrait américain. À Varsovie et à Prague, les soulèvements étudiants contre l’occupation soviétique révélaient combien le communisme en Europe de l’Est n’était qu’un vernis fragile. En Amérique latine, des vétérans de Paris 68 s’en revinrent chez eux fomenter des révolutions sociales.

Mais par-delà ces circonstances locales, le bilan de Mai 68 se traduit avant tout par une transformation considérable des mœurs en Occident, des valeurs et des relations sociales : en substance, une société individualiste s’est substituée à la société hiérarchique.

Cet individualisme se manifeste dans la vie privée : Mai 68 fut une libération sexuelle qui a coïncidé avec la pilule contraceptive. On rappellera pour l’anecdote que les événements à Paris furent initialement provoqués par une altercation entre un leader étudiant Daniel Cohn- Bendit et le ministre de l’Education, contre l’interdiction de se rendre nuitamment dans le dortoir féminin des universités. Cette libération sexuelle a, à son tour, conduit à une relativisation du mariage : d’autres formes de couples se sont constituées et le divorce s’est banalisé.

L’autoritarisme s’est également écroulé dans les entreprises où des modes de gestion plus participatifs se sont substitués à la hiérarchie patronale. Que bien des patrons actuels soient eux-mêmes issus de la génération 68 a évidemment contribué à cette transformation du management. Les Eglises chrétiennes ont évolué dans le même sens, amplification d’une libéralisation qui avait été esquissée par le Concile Vatican II.

Les universités françaises, mais partout ailleurs aussi , à des degrés divers dans les sociétés occidentales, n’ont plus jamais renoué avec la hiérarchie mandarinale ; partout, il a fallu faire place à un enseignement plus participatif et consulter les étudiants. La vie politique, enfin, a enregistré le séisme, en adoptant un style plus décontracté, plus proche des préoccupations quotidiennes : le gaullisme, héritage de la tradition monarchique française, n’a pas survécu à l’ébranlement de mai 68, De Gaulle lui-même se résolvant à démissionner un an plus tard.

Dans le monde idéologique, la plus évidente victime de mai 68 fut le marxisme : les leaders de mai 68 étaient anarchistes et donc anticommunistes. Ceux qui se réclamaient du maoïsme, sans trop en connaître la véritable nature, étaient avant tout des anti-staliniens ; pareillement, la résurrection du trotskisme fut un avatar de cet anti-stalinisme. Plus significatives que ce débat théorique, les révoltes en Europe de l’Est annonçaient aussi le coma dépassé du marxisme à la fois comme idéologie et comme exercice du pouvoir. Dans les faits, il faudra vingt ans pour que les Partis communistes disparaissent vraiment ; mais la graine de leur mort annoncée avait été semée en 68.

La transcription dans les faits de ce message politique , anti-totalitaire , de Mai 68 fut lente et progressive parce que le mouvement, à de rares déviations près (Brigades rouges en Italie, Fraction Armée rouge en Allemagne, guerillas en Amérique latine), était essentiellement non violent, un croisement des hippies et du Mahatma Gandhi. Il fut remarquable qu’on n’eut, à Paris, aucune victime à déplorer malgré trois semaines d’affrontements entre la police et les étudiants : une théâtralisation de la révolution, en dit à l’époque Raymond Aron, très hostile aux étudiants parce qu’atteint dans sa majesté de professeur.

Quarante ans après ces événements, les acteurs de Mai 68 éprouvent dans l’ensemble un sentiment de satisfaction : les objectifs ont été globalement atteints dans les sociétés occidentales. Bien des leaders du mouvement se sont reconvertis dans des activités confortables, sans doute parce qu’ils avaient quelques qualités de leaders. Mais les ennemis de Mai 68 ne désarment pas ; il s’en trouve pour considérer que la civilisation occidentale s’est écroulée durant ces trois semaines fatidiques. Ainsi, lors de sa récente campagne électorale, le Président Nicolas Sarkozy a-t-il violemment attaqué l’héritage de Mai 68 comme étant la matrice du relativisme moral qui se serait emparé de l’Occident.

Comment interpréter pareille algarade ? Est-elle fondée ? J’y vois, pour ma part, une nostalgie de l’autoritarisme politique : Sarkozy ne pourra pas être Napoléon alors que tout chef politique français rêve de l’être. Et bien Sarkozy a raison : la société française ne tolère plus de Napoléon. Relativisme moral ? Certes, l’Occident ne se reconnaît plus dans sa majesté impériale de puissance coloniale imposant de par le monde sa civilisation supérieure. Cette idée-là de l’Occident ne s’est pas relevée depuis 1968 ; mais faut-il le regretter ? L’Occident est maintenant plus inquiet sur ses propres valeurs et plus respectueux de la diversité en son sein et des autres. Mai 68 a ouvert les fenêtres sur nous-mêmes et sur le monde : c’est bien ainsi et c’est surtout irréversible.

Guy Sorman

Ce texte a été écrit à la demande de La Tercera , Santiago du Chili

http://gsorman.typepad.com/guy_sorman/2008…it-68-40-a.html

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Bah, Sorman, puisqu'il se revendique libéral, a l'air de considérer que le rejet libéral de l'autorité politique va de pair avec le refus de toute autorité, comme si elles étaient forcément de même nature. Et il présente ça comme une évidence. Ca m'a l'air bien léger.

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Bah, Sorman, puisqu'il se revendique libéral, a l'air de considérer que le rejet libéral de l'autorité politique va de pair avec le refus de toute autorité, comme si elles étaient forcément de même nature. Et il présente ça comme une évidence. Ca m'a l'air bien léger.

Si on accepte l'autorité existante on ne peut pas renverser l'autorité de l'état. Je pense qu'un rejet intuitif de l'autorité est un premier pas vers la découverte de l'autorité naturel (et des profs appointés par l'état ce n'est pas une autorité naturelle).

Je ne sais pas si les arguments de Sorman sont fondés mais ils sont kashers.

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Moi ce que je vois c'est qu'on est encore bon pour l'hagiographie ou la démonisation systématique. Le 30ème anniversaire avait vu des approches plus nuancées, peut-être qu'on aura une vraie critique en 2015. En attendant, je tique là-dessus:

Cette libération sexuelle a, à son tour, conduit à une relativisation du mariage : d’autres formes de couples se sont constituées et le divorce s’est banalisé.

Passons sur le couplet tolérant sur les "autres formes de couple". J'aimerais savoir en quoi la banalisation du divorce est une bonne chose: parce que le divorce, c'est avant tout un échec, quelque chose que personne ne souhaite et qui devrait être rarissime. Sorman me paraît donner ici dans le libéralisme-libertaire, ce qui n'a rien au fond de surprenant puisque lui-même est un ancien soixante-huitard.

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J'aimerais savoir en quoi la banalisation du divorce est une bonne chose: parce que le divorce, c'est avant tout un échec, quelque chose que personne ne souhaite et qui devrait être rarissime. Sorman me paraît donner ici dans le libéralisme-libertaire, ce qui n'a rien au fond de surprenant puisque lui-même est un ancien soixante-huitard.

Et le licenciement ou la rupture amiable d'un contrat c'est un échec ?

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Passons sur le couplet tolérant sur les "autres formes de couple". J'aimerais savoir en quoi la banalisation du divorce est une bonne chose: parce que le divorce, c'est avant tout un échec, quelque chose que personne ne souhaite et qui devrait être rarissime.

La banalisation du divorce je percois plutot comme la fin de sa stigmatisation. Le divorce lui-même n'est pas un échec, c'est le mariage qui se trouve avoir été un échec. Je ne suis pas certain que le divorce permette de tirer le meilleur parti de cet échec, mais ce n'est pas impensable et de ce point de vu autant que les divorcés ne soient pas pointés du doigt.

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La banalisation du divorce je percois plutot comme la fin de sa stigmatisation. Le divorce lui-même n'est pas un échec, c'est le mariage qui se trouve avoir été un échec. Je ne suis pas certain que le divorce permette de tirer le meilleur parti de cet échec, mais ce n'est pas impensable et de ce point de vu autant que les divorcés ne soient pas pointés du doigt.

Effectivement. On pourrait cependant rétorquer que le divorce se banalise précisément parce qu'il n'est plus stigmatisé, et réciproquement. Mais bon, c'est un autre débat que je n'ai pas envie de relancer pour la cent millionième fois… Mais je trouve Sorman bien optimiste (ou bien culotté) lorsqu'il affirme que le legs de Mai 68 est "irréversible". En dehors de la mort, il n'y a rien d'irréversible en ce bas-monde. Toute révolution a sa contre-révolution; que Mai 68 n'ait pas encore eu la sienne ne signifie pas qu'elle ne viendra jamais.

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Si on accepte l'autorité existante on ne peut pas renverser l'autorité de l'état. Je pense qu'un rejet intuitif de l'autorité est un premier pas vers la découverte de l'autorité naturel (et des profs appointés par l'état ce n'est pas une autorité naturelle).

Je ne sais pas si les arguments de Sorman sont fondés mais ils sont kashers.

Sorman parle d'un schema revolutionnaire repetitif a la fois instinctif et relatif aux mytholgies modernes (l'anabaptisme et ses variantes), qu'on retrouve dans toutes les societes soumises a l'autorite d'un etat-nation.

C'est la racine meme de toutes les pensees anarchistes et liberales.

j'aurais des references relatives a ca mais elles sont entachees d'ecologisme honni donc je n'en dirai pas plus.

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Mai 68: ce qui me dérange le plus c'est l'idée moderne que de Grandes choses aient été acquises par cette "révolution"…

Rien de bien concret en tout cas… (sauf d'énerver Sarko :icon_up: )

En voyant quelques vielles fresques romaines ou certains vases grecs, je doute d'abord que la "révolution sexuelle" date vraiment de cette époque.

La rébellion contre l'autorité? Durant 15 jours, mais superficiellement… ou même maladivement pour le terrorisme… mais Jimi Hendrix est mort en 1970 et les beatles ont splités aussi à ce moment.

La grande révolution a surtout été à l'origine de l'androgynation de la société…

à l'origine de l'égalitarisme homme femme et à l'origine du "multiculturel", des concepts très imparfaits qui finalement ont servi à installer la social-démocratie d'aujourd'hui (Cohn Bendit, Joshka Fisher, Shilly en Allemagne…)

au détriment du vrai libéralisme

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Le divorce lui-même n'est pas un échec, c'est le mariage qui se trouve avoir été un échec.

C'est exactement ce qu'un membre éminent de ce forum m'a répondu un jour.

Et personnellement, je ne vois pas mon mariage comme un échec, mon fils est né de cette union.

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Il parlait d'un contrat. Et un contrat, ça se fait avec des personnes, pas avec des biens.

D'ailleurs, tu réfutes le "contrat de mariage" ?

Toujours les mêmes réactions offusquées :icon_up:

Bien évidemment le mariage est, enfin surtout se doit d'être, un contrat comme un autre. Halte à la discrimination !

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Il parlait d'un contrat. Et un contrat, ça se fait avec des personnes, pas avec des biens.

D'ailleurs, tu réfutes le "contrat de mariage" ?

Il convient d'être précis sur les termes. Le mariage est un sacrement, il ne saurait donc être question de contrat. Qu'il existe des contrats d'union, soit, mais il ne saurait en aucun cas s'agir de mariage.

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Il convient d'être précis sur les termes. Le mariage est un sacrement, il ne saurait donc être question de contrat. Qu'il existe des contrats d'union, soit, mais il ne saurait en aucun cas s'agir de mariage.

tain si on commence à avoir la religion sur le dos… Je suis désolé mais rationnellement c'est un contrat. Tant qu'on ne m'aura pas prouver que le léviathan suprême existe. :icon_up:

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tain si on commence à avoir la religion sur le dos… Je suis désolé mais rationnellement c'est un contrat. Tant qu'on ne m'aura pas prouver que le léviathan suprême existe. :doigt:

Rationnellement, un prof de maths m'a prouvé un jour que 1=3.

Essayez d'expliquer ça à mon banquier.

Rationnellement.

Bien sûr.

:icon_up:

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Fake. Tout ce que j'ai pû lire se disant des démonstrations de cette égalité enfreignait allègrement plusieurs axiomes arithmétiques.

Le monsieur en question a fait maths sup, maths spé et est sorti major de sa promotion de l'école polytechnique.

Pour le reste, j'avoue n'en rien savoir vu que les mathématiques occupent dans mon esprit à peu près la même place que le théâtre d'Audiberti.

j'avoue…

Une lacune à combler, assurément. D'autant que Veyne est agréable à lire.

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Le monsieur en question a fait maths sup, maths spé et est sorti major de sa promotion de l'école polytechnique.

Ce n'est pas pour ça que, pour "l'épate" ou pour tester la perspicacité de ses étudiants, il n'a pas mal raisonné.

Mon prof (sorti de normal sup) m'a soutenu qu'il était prouvé qu'on pouvait dessiner n'importe quelle carte avec 4 couleurs. Que d'importants travaux l'avaient prouvé etc… J'ai fait monter les enchères à 500€ (il avait peur que je ne sois plus solvable au delà…). Heureusement que j'ai étais beau joueur j'en ai pris que 100…

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Il convient d'être précis sur les termes. Le mariage est un sacrement, il ne saurait donc être question de contrat. Qu'il existe des contrats d'union, soit, mais il ne saurait en aucun cas s'agir de mariage.

Tout à fait, je me demande même comment on peut encore avoir des doutes là-dessus.

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Tout à fait, je me demande même comment on peut encore avoir des doutes là-dessus.

Un sacrement pour ceux qui croyent, un contrat pour ceux qui ne croient pas.

la différence tout de même c'est que le contrat peut contenir lui même son autorité "pacta sunt servanda" tandis que le sacrement fait forcément référence à une autorité externe puisque c'est celle de dieu. (à moins qu'il y est ici des "egothéistes")

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Un sacrement pour ceux qui croient, un contrat pour ceux qui ne croient pas.

la différence tout de même c'est que le contrat peut contenir lui même son autorité "pacta sunt servanda" tandis que le sacrement fait forcément référence à une autorité externe puisque c'est celle de Dieu. (à moins qu'il y est ici des "egothéistes")

Je ne dis rien d'autre. Le mariage est un sacrement, pour ceux qui ne croient pas, le contrat d'union.

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