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Hayek et le DN


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Ce n'est pas de la fausse modestie: je ne suis pas du tout un spécialiste de Lacan (je commence juste à pouvoir répondre à certaines questions sur r/Lacan) et je pense même qu'une des grosses difficultés qu'il y a à lire Lacan, et c'est précisément la réponse à ta question, c'est que Lacan met en évidence que le type de savoir qu'il transmet est fondamentalement différent de la philosophie (il dit quelque part, et c'est célèbre: "je m'insurge contre la philosophie") au sens où ça n'est pas un savoir théorique ou un contenu qu'on peut maîtriser délivré par quelqu'un qui dit des choses vraies dont on peut discuter. Il y a un discours universitaire et un discours de l'analyste. Le psychanalyste ne "maîtrise" pas un savoir comme un philosophe qui écrit un livre ou fait une conférence et répond à des questions: il faut un savoir et une pratique immense pour ensuite pratiquer, càd savoir jouer un certain rôle devant le patient, de façon différente avec chaque patient, ce qui est aussi une immense responsabilité. Quand un philosophe lit Lacan, il fait avant tout l'expérience d'un discours qui ne lui est pas adressé. Donc je pense que, à part Zizek (qui n'est pas psychanalyste, même si on le présente parfois comme tel), à peu près aucun philosophe ne peut prétendre connaître Lacan. Il faut se référer à des psy pour the real stuff (Jacques-Alain Miller, Bruce Fink, Joel Dor) même si Zizek est fun et brillant.

Révélation

Récemment un internaute de r/Lacan a posté ceci que j'ai trouvé pertinent: "But, one thing to keep in mind is this: Lacan intended for people to not understand him, precisely because he wanted to be properly understood. One of the ironic twists that Rick Boothby and Todd McGowan have pointed out is that Freud was misunderstood precisely because he is easy to read. The difficulty of Lacan makes us hold our perception of his ideas in abeyance until we feel like we have come to a more comprehensive and well-worked understanding of his texts and seminars. To put it another way, and this is a very Hegelian idea, you have to first misunderstand Lacan before you can understand him, just like the misrecognition of the mirror stage precedes anything else. Reading a seminar or one of the Écrits once is just the beginning. Put it away, read other things, then come back to it, and you will be surprised what you pick up on subsequent readings. This is just the nature of things." C'est très vrai. J'ai la mince prétention par exemple de comprendre plutôt bien un point: la première partie du séminaire sur le transfert et l'interprétation lacanienne de Platon. Ça, je crois que je peux en parler en étant sûr de pas dire de connerie. Je l'ai beaucoup lu. Pour le reste, je vais essayer et Zizek me vienne en aide:

 

C'est pertinent pour la question que tu soulèves, parce que Lacan s'oppose historiquement à l'ego psychology qui, aux USA, reprend des bouts de la théorie freudienne, càd qu'ils traitent Freud comme un mec qui dit des trucs vrais ou faux, faut voir. En gros, ils le traitent comme un philosophe (ou un scientifique, ça revient au même du point de vue du discours). Lacan le traite comme un maître, càd quelqu'un qui a une autorité. Quand il a rompu violemment avec l'Ecole freudienne de Paris et créé l'Ecole de la cause, il s'est adressé à ses disciples comme "à ceux qui m'aiment", parce qu'il pensait que la seule façon de transmettre un enseignement psychanalytique était transférentielle (le transfert c'est quand tu tombes amoureux de ton analyste (je résume hein), en tout cas quand les résistances cessent de se manifester et c'est le début de la cure; pratiquement, ça veut dire qu'au lieu d'être assis face au psy, tu passes sur le divan où tu ne vois plus que le plafond). Alors on entend déjà crier les critiques de Lacan (genre Chomsky): vous voyez bien, c'est un imposteur, il raconte n'importe quoi à des ouailles fanatisées, c'est un obscurantiste. Bien au contraire: Lacan veut plutôt dire que le discours lui-même, l'univers symbolique comme il l'appelle, et le "grand Autre" (tout ça c'est la même chose), a une structure par définition autoritaire, et la psychanalyse (je vais donner un exemple tout de suite) vise à nous en délivrer plus ou moins. Mais il faut comprendre ça dans un sens psychanalytique: quand tu es allongé sur le divan et que tu associes librement comme un con, tu blablates dans l'air en attendant la réponse, la remarque, ou le silence, de l'analyste: l'analyste est celui qui va, par un mot, une phrase, donner soudain un sens à ce que tu déblatères, un sens qui s'entend dans ce que tu dis. Selon la formule lacanienne: « Qu'on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s'entend ». (Explication no bullshit de cette phrase) Le psychanalyste te fait entendre ce que tu dis. Tu es l'esclave (celui qui travaille) et il est le maître (dans Hegel). On peut aussi se souvenir de la phrase de Freud das Ich kein Herr sei in seinem eigenen Haus. L'idée est que l'analysé n'est pas le maître de sa chaîne signifiante (la combinaison des signifiés, voir exemple ci-après). Devant cet acte de donation de sens, si on veut, il n'y a pas la rétraction possible de: ah mais discutons-en, je ne suis pas d'accord avec vous etc. (la discussion éclairée habermassienne) De toute façon tu peux très bien le dire mais ce qu'il t'a dit ne cesse pas de signifier quelque chose pour toi qui remet en question ton univers symbolique. Je vais prendre un exemple: il y a un cas de Lacan où une femme avait été enlevée par la Gestapo et était évidemment traumatisée (source) et Lacan se lève soudain et lui caresse doucement la joue ("geste à peau"): en faisant ça, il lui donne la possibilité de réinvestir ce signifié (Gestapo) en son contraire (d'un souvenir de torture en une marque de tendresse) et donc de sortir du traumatisme en réorganisant l'univers symbolique. Evidemment, ça ne supprime pas la douleur, ça serait obscène de prétendre ça, mais la psychanalyse n'a jamais rendu personne heureux. On n'est pas chez les hippies. Quand je parle de libération, ça n'a rien à voir avec la libération sexuelle. Et quand Lacan parle de "ne pas céder sur son désir", il n'a pas non plus en tête quoi que ce soit de ce genre (là-dessus faut dire que Zizek est super clair). Je pourrais continuer là-dessus, ça a une connexion intéressante avec une erreur commune faite sur la psychanalyse qui est de mettre dans la tête des gens ce qu'ils ne pensent pas (la critique de Wittgenstein) mais j'essaie de rester sur la question du langage comme structure autoritaire.

 

Maintenant de façon plus théorique: l'ordre symbolique dans lequel est inscrit le sujet est à la fois fini (notamment limité par le Réel, ce que la symbolisation a rejeté par définition) et infini (il y a un nombre infini de combinaisons des symboles en nombre fini, càd qu'il n'y a rien qui ne puisse être dit dans un langage symbolique: on peut y voir un point wittgensteinien: il n'y a pas de point de vue à partir duquel je pourrais dire les limites du langage). Le signifiant qui tient lieu de cette tension dans le champ symbolique est le "maître signifiant". Pourquoi le maître? Parce que le maître, celui qui a l'autorité, celui dont on pense que ce qu'il dit est vrai pas parce que c'est vrai, mais parce que le maître l'a dit, l'apôtre si vous voulez, et non Socrate (j'emprunte au livre de Zizek cette distinction), se trouve dans la position dans l'ordre symbolique de ce manque dans la structure. Là aussi, se trouver dans une position dans l'ordre symbolique a l'air d'un charabia infâme, mais ça veut dire quelque chose de très concret: par exemple, dans North By Northwest de Hitchcock, Roger Thornhill (Cary Grant) est confondu, à la suite d'un geste qu'il fait à l'hôtel, avec un soi-disant espion du nom de Kaplan. Il prend, dans l'univers symbolique, la place de Kaplan. Mais Kaplan n'existe pas: c'est une invention des services secrets pour surveiller des criminels (les cinéphiles du forum me corrigeront si je dis une bêtise là-dessus; le point important est qu'il n'y a pas de "vrai" Kaplan). Donc Thornhill prend une place vide dans l'ordre symbolique: il est un imposteur sans le savoir. Le maître, lui aussi, est un imposteur, mais la place qu'il occupe, elle, est nécessaire. Il ne s'agit pas d'une imperfection contingente de la communication due à notre irrationalité ou à nos préjugés comme dans Habermas. Il y a dans la théorie de Habermas une fiction régulatrice qui est un peu l'équivalent du marché libre en économie (ou l'ERE de Mises si vous préférez ou le principe de Hardy-Weinberg en biologie; chaque théorie scientifique a sa fiction régulatrice): si nous échangeons des arguments rationnels dans un environnement sans contraintes blabla nous arriverons à un consensus éclairé. Mais il y a une autre situation de discussion "sans contraintes": c'est la séance d'analyse. Elle est "sans contraintes" au sens où l'autorité du "maître signifiant" est enfin rejetée dans l'association libre. La résistance est la marque du pouvoir du "maître signifiant": ce qui te retient, inconsciemment, d'associer, ce qui te fait parler d'autre chose. On connaît tous les anecdotes sur Lacan qui laisse la porte ouverte, qui laisse le téléphone sonner, qui interrompt la séance au bout de 5 minutes: il faisait ça pour signifier: je m'en fous de ce que vous racontez, vous ne jouez pas le jeu. On n'est pas là pour dire ce qu'on veut. Tout ça pour dire que, comme je l'écrivais à @Lancelot, Lacan permet de penser que l'intersubjectivité n'est pas l'horizon ultime des rapports humains ni le mètre-étalon de la constitution de la vérité: le psychanalyste aussi est à la recherche de la vérité quand il t'écoute déblatérer. Et la vérité, c'est le désir qui essaie difficilement de s'articuler. Il y a une dimension libératrice: il s'agit de délivrer de la puissance du symptôme, pas en disant au patient: arrêtez, je sais mieux que vous ce que vous désirez. Tout le contraire. Il s'agit de lui permettre de le formuler lui-même, pour briser l'insistance de "ce désir qui, littéralement, est en-deçà de l'existence, et pour cela insiste" (Lacan; on reconnaît son style mallarméen). (Une question qui reste ouverte pour moi est le rapport de la psychanalyse à la religion et à la notion de personne. Freud, on le sait, était profondément athée et considérait la religion comme une superstition. Lacan, pas du tout.)

 

Donc il y a une dimension libératrice. Mais la liberté totale, c'est la psychose. Celui qui vit littéralement et expérimente dans sa vie constamment quelque chose comme l'association libre en cure, c'est le psychotique, dont l'univers symbolique recouvre tout, qui ne connaît pas d'exception. On peut prendre en exemple les grands systèmes philosophiques qui touchent à l'Absolu: Hegel, grand psychotique. C'est le prix de la délivrance du grand Autre. Pour nous autres êtres parlants, dans la mesure où précisément nous parlons, càd que nous avons été castrés par le symbolique, où il nous manque quelque chose que la parole re-présente, nous ne pouvons échapper au grand Autre (Lacan utilise, pour faire comprendre ça, la conception platonicienne de l'amour: après la castration/la division en deux des hermaphrodites, chaque "partie" cherche sa partie complémentaire et l'amour, c'est quand on la trouve; le grand Autre naît de la castration; Leo Strauss commente le mythe de l'hermaphrodite dans le Banquet de façon extrêmement lacanienne quand il écrit que la castration, c'est la civilisation. Les écrits de Lacan sur l'amour (Le Transfert) et l'éthique de la psychanalyse (L'Ethique de la psychanalyse) sont vraiment passionnants même si ce n'est pas le terme qui convient. Par ailleurs Le Transfert ça se lit relativement aisément.)

 

En parlant de castration si vous voulez une intro simple à Lacan: (et aux relations humaines en général; il y a une variante racontée du point de vue du cercle (big O, le langage avec un trou, vous voyez maintenant?) où le cercle jette la pièce manquante parce qu'il ne peut plus chanter: "Je cherche ma pièce manquante", et qu'il avait plaisir à chanter, donc à désirer: le désir est dans le signifié, le désir est, pour le dire en bon français, dans le discours sur le désir. Les humains ne font pas l'amour en se sautant dessus: il y a la cour, le dirty talk, la discussion "après", les poèmes, et même jusqu'à la mention du nom de l'aimé; et bref à la fin le grand 8 rappelle la matrice de la pulsion, qui se perpétue elle-même.)

 

Quand on y réfléchit, la plupart des critiques influentes de la psychanalyse en philo (j'en vois deux, Popper et Wittgenstein) se font du point de vue d'une sorte d'éthique de la discussion: Popper avec la falsifiabilité, Wittgenstein avec les causes et les raisons (la psychanalyse doit donner les raisons par exemple des rêves, et donc avoir pour standard de validité dans ses explications l'assentiment du patient; lol tu parles si on soignerait beaucoup de gens à ce rythme). Lacan aide bien à voir pourquoi elles ne sont pas fondées.

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TL;DR Il n'y a pas d'éthique de la discussion ou d'intersubjectivité qui tienne dans la relation analysé/analysant parce que l'analysé n'entend pas ce qu'il dit et que seul le psy peut y conférer un sens et ainsi, pace Habermas, on arrive à la vérité.

 

Mais de façon générale et caractéristique, je ferai des réponses plus courtes quand j'aurai encore plus lu (Lacan). Ma facilité à résumer Putnam et Nozick dans le message à Lancelot et ma difficulté à résumer Lacan dans ce message incomparablement plus long montre assez bien mon degré de maîtrise des auteurs respectifs. Mais then again, Lacan n'est pas le genre d'auteurs qu'on peut "maîtriser". Mais je crois quand même que je ferai mieux dans six mois. Arriver à passer de "penser à l'écrit" à "expliquer".

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13 hours ago, Vilfredo said:

J'ai encore lu Lacan aujourd'hui (je dis ça comme: pardonnez-moi mon père parce que j'ai péché) et quand même, il me semble que la relation psychanalytique elle-même donne un exemple du Réel qu'on atteint sans passer par l'horizon indépassable de l'intersubjectivité.

Alors comment te dire que quand j'écrivais "je pense que tu t'attaches trop à la source de la formule" ça voulait dire que je n'accorde pas beaucoup d'intérêt/d'importance à l'opinion de Lacan sur la psychanalyse. Déjà que les psychanalystes sont des marginaux qui racontent et pensent des trucs avec lesquels personne d'autre n'est d'accord, Lacan est lui-même un marginal parmi les marginaux que les autres psychanalystes prennent pour un gentil taré. Ça ne veut pas dire qu'il n'a jamais rien écrit d'intéressant (après tout Jung est un peu dans le même cas et lui m'intéresse beaucoup) mais ça t'explique pourquoi je suis surpris que tu prennes son avis (ou du moins une interprétation de son avis parce qu'on ne peut pas accuser le gars d'avoir été clair) comme un truc incontestable.

 

De manière générale les psychanalystes ont tendance à faire de l'analyse un truc aux propriétés magiques mais de deux choses l'une : soit tu considères que c'est une relation entre psy et patient (et tu peux rentrer ad lib dans les transferts, contre-transferts et ce qui s'ensuit) pour faire émerger des choses chez le patient, auquel cas on est complètement dans une interaction sociale qui peut aller d'un dialogue psychothérapeutique classique à une sorte de théâtre d'improvisation, soit tu considères (comme tu sembles rapporter que le fait Lacan) que le psy s'efface d'une certaine manière (même si le fait qu'il soit présent et puisse décider à tout moment de répondre fait que c'est légèrement différent de parler à une porte tout de même, j'aurais bien envie de partir sur Winnicott et la capacité à être seul mais on ne va pas s'en sortir :mrgreen:), et alors on se retrouve dans une sorte de méditation ou dialogue interne comme nous en avons tous tout le temps. Dans les deux cas je ne vois pas le problème avec "l'horizon indépassable de l'intersubjectivité".

 

13 hours ago, Vilfredo said:

L'analyse permet de mettre les mots sur cette chose (le Réel) sans passer par l'intersubjectivité, voilà la formulation la plus concise de ce que j'essaie de dire, et j'espère ne pas me tromper.

Ils viennent d'où ces mots ? Quand ils résultent d'un dialogue, où éventuellement l'analyste fait comprendre à l'analysé une partie de ses mécanismes psychiques, il y a évidemment une dimension intersubjective. Quand ils sont propres à la réflexion intérieure d'une personne et jamais partagés alors c'est juste subjectif mais ce n'est pas différent de n'importe quel autre truc que tu peux rêver dans ton coin. Tu n'as aucune info sur l'objectivité de ce truc en dehors de toi tant que tu ne l'as pas partagé.

 

Prenons un exemple peut-être plus simple : je suis schizophrène et j'entends des voix. Dans quelle mesure ces voix sont-elles objectives ? Pour moi elles le sont autant que la voix d'une autre personne à qui je peux parler. Si je vais voir un docteur il me dira que le fait que j'entends des voix est objectif, que ma maladie est objective, mais que ces voix elles-mêmes n'existent pas en dehors de moi, que personne d'autre que moi ne peut les entendre et qu'il serait adapté de ma part de ne pas les prendre en compte, en particulier si, comme c'est quasiment toujours le cas, elles me causent de la détresse (ce pour quoi il peut m'aider à coup de médicaments).

 

13 hours ago, Vilfredo said:

Sur la citation que tu donnes (et qui me donne envie de lire K Dick davantage), c'est curieux parce que ça me fait penser plutôt à la superstition. Il y a l'histoire sur le fer à cheval de Niels Bohr

Pourquoi "plutôt" ? Ça marche dans les deux cas, la réalité sociale existe que j'y croie ou pas.

 

13 hours ago, Vilfredo said:

Mais elle peut introduire l'hypothèse du rêve, parce que c'est parce qu'on ne croit pas qu'on rêve qu'on rêve, et c'est quand on commence à croire qu'on rêve qu'on cesse de rêver, si bien qu'on ne peut jamais savoir qu'on rêve (si par connaissance on entend, comme c'est le cas généralement, justified true belief), ce qui est justement l'hypothèse sceptique du rêve.

Ben ça démarre mal parce que les rêves lucides existent. Admettons qu'on parle d'une catégorie de rêves non-lucides (ou du moins indécidables).

 

13 hours ago, Vilfredo said:

Elle a de nombreuses formulations: il y a la Méditation première de Descartes (d'abord littéralement au début, puis l'hypothèse du malin génie), reprise par Pascal. Descartes propose une seule solution: Dieu est bon, donc il ne me trompe pas. Pascal propose une autre solution: la veille est plus cohérente que le rêve. Mais j'ai jamais très bien compris à quoi ça nous avançait, puisque l'hypothèse du rêve est qu'on rêve tout le temps.

Husserl a une idée proche de Pascal, à savoir qu'on a de l'intersubjectivité dans la veille et pas dans le rêve (mais même problème bordel). Ensuite la philo analytique s'est emparée du truc et en a fait des choses comme ça: https://en.wikipedia.org/wiki/Brain_in_a_vat

https://plato.stanford.edu/entries/skepticism-content-externalism/

La solution de Putnam (sémantique, I know what a surprise) est d'une élégance inégalée mais elle présuppose aussi une intersubjectivité et je ne vois pas pourquoi on pourrait pas rêver ça ni en quoi ça empêche que je sois en fait en train de rêver depuis 2020 seulement (ça expliquerait bien des choses). Contre l'argument de Wright enfin j'ai envie d'objecter qu'une dichotomie entre mon langage et le BIVese (langage des Brains In a Vat, BIVs) présuppose elle aussi qu'il soit possible de distinguer la veille du sommeil, donc ce qu'on est censé trouver. De même pour les raisonnements cartésiens a priori au parfum de preuve ontologique à partir du fait que nous avons le concept de BIV.

 

Le raisonnement que je préfère et qui n'est pas mentionné dans l'article linké de la SEP, c'est celui de mon cher Nozick dans cette mine bordélique que sont ses Philosophical Explanations (j'ai relu le début en novembre et pouf j'y ai trouvé la source d'un mini-mémoire! littéralement une mine). Il explique que to know is to have a belief that tracks the truth, et que la "connaissance" que je suis un CDUC, dans la mesure où elle est causée par la simulation, n'est pas truth-tracking: par exactement le même mécanisme, moyennant les contrefactuels appropriés, je pourrais être mené à croire que je suis Elton John. Donc même si je ne peux pas savoir si je suis ou non un CDUC, ça n'empêche pas d'autres connaissances dans le monde d'être truth-tracking et donc d'être possibles (par exemple que j'ai des cheveux bruns ou que j'ai deux mains, pour prendre l'exemple célèbre de Moore de "preuve du monde extérieur"; par contre je précise que je n'ai pas lu Moore, seulement ce qu'en dit Wittgenstein dans On Certainty, mais je vais réparer cette lacune bien vite; et si ça t'intéresse, il y a un énorme article de Kripke sur la conception truth-tracking de la connaissance dans Philosophical Troubles (aussi à lire en ce qui me concerne, je reviendrai peut-être poster quand je l'aurai fait)). Mais ça ne nous donne pas de critère pour savoir si, là maintenant, je rêve ou pas. Je trouve que ce site donne un résumé à la fois exact et concis de l'argument: https://iep.utm.edu/nozick/#H3 La conclusion, à savoir que knowledge is not closed under logical implication, est vraiment importante, mais bref on voit bien que ça ne nous protège pas entièrement contre le sceptique.

Ok donc on est dans le débat du "mais et si l'univers n'était pas réellement tel qu'on le voit", ce à quoi j'ai envie de répondre "réellement par rapport à quoi" ?

 

Imaginons qu'on soit dans la matrice. Soit c'est possible de le découvrir, soit c'est impossible. Si c'est possible alors à terme, au cours de l'exploration scientifique de notre univers, on le découvrira nécessairement. Problem solved. Si c'est impossible alors la question est indécidable et n'a donc aucun intérêt de toute manière, on ferait mieux de se concentrer sur des trucs intéressants comme l'exploration scientifique de notre univers. No problem to begin with.

 

Par ailleurs (et c'est un argument de Searle), même en imaginant que nous nous trompons radicalement sur la nature de l'univers ça ne remet en rien en cause le réalisme externe. Ontologiquement il y a toujours quelque chose, que ça soit une caverne ou un bocal ou n'importe quoi, sinon mon existence ne serait pas concevable or j'existe. De la même manière le fait qu'une chose telle que la "réalité institutionnelle" existe présuppose l'existence d'autre personnes que moi, même si je me trompe radicalement sur leur nature. Le malin génie cartésien réunit ces deux points : il est extérieur à moi et c'est une personne, donc l'univers où je suis dupé par le malin génie est concevable mais ça ne remet pas en cause le réalisme externe.

 

13 hours ago, Vilfredo said:

C'est d'ailleurs ici que je voudrais ajouter un point intéressant à quoi je réfléchis depuis quelques jours (et qui ne vient pas d'une lecture en particulier): quand je vois quelque chose de fake, est-ce que je vois quelque chose d'autre qui me fait déduire que c'est fake (par exemple une image de synthèse que je devine parce que, disons, les personnages n'ont pas d'ombre: donc c'est en voyant une absence d'ombre que je vois pour ainsi dire "transitivement" le fake) ou est-ce que je vois quelque chose comme une intrinsic fakeness comparable à une couleur ou autre propriété observable de l'objet? De même avec la réalité: avant de chercher une solution de type mooréenne (proof of the external world putain j'adore ce titre), il faudrait s'accorder sur ce qu'on cherche: est-ce qu'on cherche à se mettre dans les circonstances d'une sorte d'expérience cruciale qui va nous permettre, en faisant varier un paramètre, à l'exemple des ombres dans les images de synthèse (j'ai dit ça au pif mais la toupie de Inception est un autre exemple de ça), de décider par déduction de la réalité ou de la fakeness de ce qu'on vit, donc de l'expérience (une expérience dans l'expérience qui qualifie la big expérience: ça commence à ressembler à Hegel et Lacan sur l'émergence de la conscience), ou est-ce qu'on cherche plutôt une caractéristique de la big expérience directement.

L'expérimentation classique serait le "pincez-moi je rêve". Tu peux essayer de faire quelque chose d'impossible et si ça marche ça veut dire que tu rêves.

 

13 hours ago, Vilfredo said:

Et maintenant une question de psychologie empirique: est-ce que c'est la même perception ou le même état neurologique d'être choqué par l'absence de quelque chose qui devrait être là (j'ai envie de parler de la peur de la castration mais tenons-nous en aux ombres des effets spéciaux tels que je les imagine ou l'absence de reflet des vampires) et d'être choqué par quelque chose d'intrinsèquement surnaturellement flippant, sans déduction?

Je ne sais pas, ça pourrait être marrant à tester. Une limite possible est que la plupart des trucs flippants le sont justement parce qu'ils ont des choses en moins, en trop, déformées ou mélangées. Il faudrait trouver un exemple intrinsèquement flippant pur, ou au moins être capable de manipuler ce paramètre.

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Le 28/01/2022 à 12:56, Lancelot a dit :

soit tu considères que c'est une relation entre psy et patient (et tu peux rentrer ad lib dans les transferts, contre-transferts et ce qui s'ensuit) pour faire émerger des choses chez le patient, auquel cas on est complètement dans une interaction sociale

Non justement c'est ici que nous ne sommes pas du tout d'accord. Même dans une perspective freudienne orthodoxe, on peut dire que dans une interaction sociale, ce sont deux sujets qui discutent, qui obéissent à l'éthique de l'argumentation (je projette des intentions sur autrui, je pars du principe qu'il peut m'apprendre qqch que je ne sais pas etc). Dans une séance de psy, les deux "sujets" ne sont pas sur un pied d'égalité, et il n'y en a quasiment qu'un seul qui parle, et son discours est radicalement différent parce qu'il est pur signifiant. Littéralement, l'analysé can't make sense of what he is saying. Zizek parle très justement de "prattle". Maintenant d'un point de vue lacanien, la bataille contre l'intersubjectivité est une longue histoire philosophique: d'abord il y a Descartes, qui réduit le sujet à une pure chose pensante, certes, mais une chose pensante qui est encore une partie du monde. Ensuite il y a Kant, avec qui le sujet n'est plus une partie du monde mais une pure synthèse dont le monde est le corrélat ontologique. Ce n'est pas une histoire de la finitude de l'homme du style Pascal, la pauvre créature terrestre coincée entre deux infinis, c'est le monde phénoménal qui devient l'horizon de la finitude du sujet, i.e. le monde tel que je me le représente porte en lui (dans sa représentation) la marque de ma finitude, et le prix de cette représentation est l'inaccessibilité de la Chose (en soi). La chose en soi est, par définition, ce qui n'a aucun équivalent dans le monde phénoménal (certains commentateurs disent que c'est une différente "perspective"). Hegel dépasse Kant en écrivant que le vide de la chose en soi est la négativité qui constitue le sujet. Le saut ici est celui qui va du sujet privé de toute substance (Kant) à l'absence de substance comme caractéristique ultime du sujet (la philosophie après Kant, donc Hegel et Lacan). Le mathème lacanien pour ce sujet est $: un sujet barré, parce que son manque est constitutif, et donc l'objet, qui barre la route de la sef-realization, est corrélatif au sujet dans un sens opposé à celui de l'idéalisme transcendantal (où je pose l'objet et je le constitue avec mon entendement structuré a priori). C'est aussi un résultat de l'Oedipe: l'enfant vient au monde comme objet de désir (des parents, de l'Autre) mais ce désir est interdit (inceste). Le sujet ne peut émerger qu'en renonçant à cette jouissance, donc au prix d'une aliénation (on retrouve ici Hegel), et pour Freud d'une castration, en deux sens: je suis castré comme sujet pour pouvoir devenir un objet dans le champ symbolique, ou dans l'ordre social (le "grand Autre" pour Lacan); cela, Lacan l'écrit clairement à la fin du Transfet (Séminaire VIII). La castration est un acte d'échange (tu me donnes ton désir i.e. ton objet, je te donne un statut d'objet), et c'est en ce sens qu'il faut comprendre: la castration est symbolique. Pourquoi je fais ce détour? Parce que ça explique la raison pour laquelle, pour Lacan, le "sujet" ne perçoit jamais un autre sujet "comme lui", un "prochain" dirait la Bible, il perçoit un "objet" qui a ce dont lui manque constitutivement. En termes hégéliens, il perçoit un maître. Mais que fait l'analyste? C'est ici que l'on comprend pourquoi la relation analysé/analyste n'a rien à voir du tout avec une relation sociale intersubjective. L'analyste prend le costume du maître, si on veut, mais il ne joue pas son rôle: il met le patient face à son propre vide, face à ses propres projections. Qu'est-ce que Lacan veut dire par là? Il faut relire Le Transfert: je n'ai pas le temps d'exposer en détails son commentaire de Platon mais l'idée clé est qu'en amour, on donne ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui ne le veut pas. On suppose toujours que l'autre a ce surplus qui nous manque (cf le dessin animé linké plus haut) et qu'il va correspondre à notre vide et make us whole. Ce surplus est, évidemment, l'objet petit a. L'être aimé, l'objet du désir, est dans une impasse. J'aime bien ce passage (je cite encore Zizek, How to Read Lacan):

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Pour sortir de cette impasse, qui l'expose au vide complet du désir de l'autre (ici, comprenez un génitif subjectif), l'être aimé change de place dans l'univers symbolique: pour répondre à la demande impossible de l'amant, il répond à son amour par son propre manque, càd qu'il l'aime en retour. L'abysse est ainsi comblé. Cela, ce geste d'aimer en retour, c'est précisément ce que le psychanalyste ne doit pas faire! Il doit laisser en suspens la question que pose tout objet lacanien qui se respecte ("che vuoi? qu'est-ce que tu veux (de moi)?") pour permettre à la fois au transfert d'avoir lieu, càd que le psychanalyste devient temporairement l'objet petit a, l'objet-cause du désir de l'analysé, mais il est aussi, comme l'écrit Lacan, le sujet "supposé-savoir", càd celui dont l'analysé suppose qu'il sait la vérité sur son désir, car c'est bien ce qui doit émerger de l'analyse, au lieu de l'amour. J'ai choisi cet extrait (photo) de How to Read Lacan parce qu'il énonce clairement que l'aimé, lui, ne sait pas, ne sait absolument rien du désir de l'autre. Dans ce sens-là, la relation entre un patient et son analyste est unique et incomparable à toute autre relation "intersubjective", sans quoi on n'aurait d'ailleurs pas besoin d'analyste. Pour le dire familièrement, on irait parler à ses copains, à son médecin, pourquoi pas même à ses parents. Très simplement, le fait qu'on dise à son analyste ce qu'on ne dit à personne d'autre, qu'on le dise d'une manière même qu'on ne le dirait à personne d'autre, est le signe le plus patent de la structure très singulière de cette relation (que j'ai essayé d'expliquer d'un point de vue plus théorique ci-dessus).

 

Le 28/01/2022 à 12:56, Lancelot a dit :

Prenons un exemple peut-être plus simple : je suis schizophrène et j'entends des voix. Dans quelle mesure ces voix sont-elles objectives ? Pour moi elles le sont autant que la voix d'une autre personne à qui je peux parler. Si je vais voir un docteur il me dira que le fait que j'entends des voix est objectif, que ma maladie est objective, mais que ces voix elles-mêmes n'existent pas en dehors de moi, que personne d'autre que moi ne peut les entendre et qu'il serait adapté de ma part de ne pas les prendre en compte, en particulier si, comme c'est quasiment toujours le cas, elles me causent de la détresse (ce pour quoi il peut m'aider à coup de médicaments).

Il me semble que c'est un problème légèrement différent, la thought insertion. Est-ce un problème du sujet ou un problème d'agency. Dans la mesure où c'est subjectif mais incontrôlé ça a quelque chose d'objectif... Je dois avouer que je trouve ces catégories un peu vagues. Ce n'est pas typiquement le genre de trucs que Searle appellerait "ontologiquement subjectif mais épistémiquement objectif"? Mais on peut aussi se demander si les pulsions sont "objectives". Je pense tout de même que c'est une autre question.

 

Le 28/01/2022 à 12:56, Lancelot a dit :

Pourquoi "plutôt" ? Ça marche dans les deux cas, la réalité sociale existe que j'y croie ou pas.

Je voulais seulement souligner qu'il était amusant que la réalité sociale soit (ou partage exactement la structure d') une superstition. On dit que l'homme a une sorte de besoin profond de religion ou de croyance, mais la perspective lacanienne serait plutôt de dire qu'il a besoin que quelqu'un d'autre croie pour croire. Si je prends La Vie est belle de Benigni comme exemple: imagine qu'à la fin, l'enfant fasse comprendre au père qu'il avait tout compris depuis le début mais faisait semblant pour soutenir son père. C'est un peu comme ça que je vois les relations sociales (et la réalité sociale). Tu fais certains rituels pour me protéger, et je fais semblant d'y croire pour te protéger et ensemble on perpétue l'univers symbolique. Tu as besoin de croire que j'y crois, tu crois me protéger, en fait c'est moi qui te protèges, mais je ne peux te protéger qu'en tant que toi tu me protèges. J'ai besoin que tu fasses ce que tu fais pour que je puisse faire ce que je fais. Puisque le 4 vient de sortir, on peut le dire: le monde des machines, dans Matrix, est le fantasme qui permet de soutenir la réalité sociale (virtuelle), qui est celle de la matrice. Pas l'inverse. La question est: pourquoi est-ce que les hommes ont besoin de fantasmes aussi violents et obscènes pour soutenir la réalité sociale? (D'ailleurs pourquoi se fatiguer à ce que les réalités virtuelles de tous les humains coïncident dans une matrice partagée (intersubjectivité)? Pourquoi ne pourrait-on pas avoir chacun notre monde?) C'est la question soulevée par Freud (et Zizek pour Matrix).

 

Le 28/01/2022 à 12:56, Lancelot a dit :

Ok donc on est dans le débat du "mais et si l'univers n'était pas réellement tel qu'on le voit", ce à quoi j'ai envie de répondre "réellement par rapport à quoi" ?

Pourquoi "réellement"? La question est plutôt: qu'est-ce qui est réel et qu'est-ce qui ne l'est pas? Si tu ajoutes "réellement" dans la question c'est sûr que ça se mord la queue.

 

Le 28/01/2022 à 12:56, Lancelot a dit :

Par ailleurs (et c'est un argument de Searle), même en imaginant que nous nous trompons radicalement sur la nature de l'univers ça ne remet en rien en cause le réalisme externe. Ontologiquement il y a toujours quelque chose, que ça soit une caverne ou un bocal ou n'importe quoi, sinon mon existence ne serait pas concevable or j'existe. De la même manière le fait qu'une chose telle que la "réalité institutionnelle" existe présuppose l'existence d'autre personnes que moi, même si je me trompe radicalement sur leur nature. Le malin génie cartésien réunit ces deux points : il est extérieur à moi et c'est une personne, donc l'univers où je suis dupé par le malin génie est concevable mais ça ne remet pas en cause le réalisme externe.

D'accord avec ça.

 

Le 28/01/2022 à 12:56, Lancelot a dit :

Tu peux essayer de faire quelque chose d'impossible

D'impossible dans le monde réel. Mais si j'arrive à le faire est-ce que ça ne prouve pas que le monde réel n'est pas tel que je le croyais? Je ne peux pas, dans mon rêve, me rendre compte que c'est un rêve. Sinon je ne rêve plus. Tu as raison de rappeler que ça ne vaut que pour les rêves non-lucides, le problème c'est que je ne connais rien aux rêves lucides (à part que le sujet est conscient de les avoir). Tu aurais de la littérature sur le sujet? Et c'est pas justement un truc avec quoi Jung expérimentait? (Selon wiki, Freud reconnaît dans L'Interprétation des rêves que ça existe et y voit la confirmation que les rêves sont l'accomplissement des désirs frustrés.)

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Ah et ce que Zizek dit sur les identity politics ici m'a donné envie de poker @Rincevent (j'en suis à une demi-heure, j'ai passé toute mon dimanche à lire et écouter Zizek et Lacan, et à écrire un wot sur Zizek et Lacan pour finir, mais c'est cool)

 

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il y a 15 minutes, Vilfredo a dit :

Ah et ce que Zizek dit sur les identity politics ici m'a donné envie de poker @Rincevent 

Il y a un minutage précis ? Je ne suis pas certain de pouvoir regarder une longue vidéo pleine de freudo-lacaneries (sujets pour lesquels je suis loin de partager ta curiosité). :)

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Oui bien sûr: c'est surtout le passage à 24:00 (à la fin de son intro) qui m'a fait rire (et que je trouve excellent)

Edit Mais tu rates qqch en n'écoutant pas quand il parle de son analyse avec Jacques-Alain Miller (36:00). C'est drôle et émouvant.

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il y a 5 minutes, Vilfredo a dit :

Oui bien sûr: c'est surtout le passage à 24:00 (à la fin de son intro) qui m'a fait rire (et que je trouve excellent)

La feeldentity politics, donc. Et l'excellente réponse néocon : "vous avez des feels, super, moi mes feels sont différents, et les vôtres ne valent pas mieux que les miens". :lol: 

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Mais il y a un autre point qui est que ce que l'identity politics menace, c'est en fait la relation qu'il y a dans une thérapie (pas nécessairement psychanalytique, mais a foriori celle-là) entre un thérapiste et son patient. Si tu te sens offensé dès qu'on remet en cause ce qu'il y a de prétendument fondamental dans tes affects, la cure est impossible. Et j'imagine très bien qu'on commence à attaquer les psy comme des réactionnaires. D'ailleurs on a déjà commencé. Le psy préféré de liborg en parlait ici: "there's no such thing as affirmation therapy" autour de la 5e minute et jusqu'à la 8e environ et ce qu'il dit est très, très bien. Ce qu'il dit ensuite sur voluntary exposure, moui.

 

  • Yea 1
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16 hours ago, Vilfredo said:

Non justement c'est ici que nous ne sommes pas du tout d'accord. Même dans une perspective freudienne orthodoxe, on peut dire que dans une interaction sociale, ce sont deux sujets qui discutent, qui obéissent à l'éthique de l'argumentation (je projette des intentions sur autrui, je pars du principe qu'il peut m'apprendre qqch que je ne sais pas etc). Dans une séance de psy, les deux "sujets" ne sont pas sur un pied d'égalité, et il n'y en a quasiment qu'un seul qui parle, et son discours est radicalement différent parce qu'il est pur signifiant.

Alors non pour ce qui est en italique malgré toute la masturbation des psychanalystes sur le sujet. L'analyse n'est pas un truc à part et merveilleux qui n'a rien à voir avec les autres expériences de la vie. Bien sûr que le patient qui vient en thérapie part du principe que le thérapeute peut lui apporter quelque chose, bien sûr que le thérapeute veut apporter quelque chose au patient, bien sûr qu'ils communiquent pour arriver à leur but (même quand le psy décide de ne pas répondre c'est aussi pour communiquer quelque chose) et surtout bien sûr qu'il y a des intentions projetées dans tous les sens (ce n'est pas pour rien que j'ai parlé de transfert et contre-transfert).

 

16 hours ago, Vilfredo said:

La chose en soi est, par définition, ce qui n'a aucun équivalent dans le monde phénoménal

C'est plutôt qu'on sait que nos représentations représentent quelque chose mais qu'on ne peut pas savoir exactement quoi. Peut-être que tu as accès à la chose en soi (c'est à dire que par hasard il se trouve que tu te représentes un truc exactement tel qu'il est, whatever that means) mais de toute manière par définition tu ne pourras jamais en être sûr, et donc la question est assez stérile.

 

16 hours ago, Vilfredo said:

Hegel dépasse Kant en écrivant que le vide de la chose en soi est la négativité qui constitue le sujet. Le saut ici est celui qui va du sujet privé de toute substance (Kant) à l'absence de substance comme caractéristique ultime du sujet (la philosophie après Kant, donc Hegel et Lacan).  Le mathème lacanien pour ce sujet est $: un sujet barré, parce que son manque est constitutif, et donc l'objet, qui barre la route de la sef-realization, est corrélatif au sujet dans un sens opposé à celui de l'idéalisme transcendantal (où je pose l'objet et je le constitue avec mon entendement structuré a priori). C'est aussi un résultat de l'Oedipe: l'enfant vient au monde comme objet de désir (des parents, de l'Autre) mais ce désir est interdit (inceste). Le sujet ne peut émerger qu'en renonçant à cette jouissance, donc au prix d'une aliénation (on retrouve ici Hegel), et pour Freud d'une castration, en deux sens: je suis castré comme sujet pour pouvoir devenir un objet dans le champ symbolique, ou dans l'ordre social (le "grand Autre" pour Lacan); cela, Lacan l'écrit clairement à la fin du Transfet (Séminaire VIII). La castration est un acte d'échange (tu me donnes ton désir i.e. ton objet, je te donne un statut d'objet), et c'est en ce sens qu'il faut comprendre: la castration est symbolique. Pourquoi je fais ce détour? Parce que ça explique la raison pour laquelle, pour Lacan, le "sujet" ne perçoit jamais un autre sujet "comme lui", un "prochain" dirait la Bible, il perçoit un "objet" qui a ce dont lui manque constitutivement. En termes hégéliens, il perçoit un maître. Mais que fait l'analyste? C'est ici que l'on comprend pourquoi la relation analysé/analyste n'a rien à voir du tout avec une relation sociale intersubjective. L'analyste prend le costume du maître, si on veut, mais il ne joue pas son rôle: il met le patient face à son propre vide, face à ses propres projections. Qu'est-ce que Lacan veut dire par là? Il faut relire Le Transfert: je n'ai pas le temps d'exposer en détails son commentaire de Platon mais l'idée clé est qu'en amour, on donne ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui ne le veut pas. On suppose toujours que l'autre a ce surplus qui nous manque (cf le dessin animé linké plus haut) et qu'il va correspondre à notre vide et make us whole. Ce surplus est, évidemment, l'objet petit a. L'être aimé, l'objet du désir, est dans une impasse.

Déso mais tout ça c'est du charabia pour moi. C'est à ce moment de la discussion généralement que le psychanalyste me dit que je ne veux pas comprendre parce que c'est un mécanisme de défense, mais j'aurais tendance à privilégier mon hypothèse.

 

16 hours ago, Vilfredo said:

Dans ce sens-là, la relation entre un patient et son analyste est unique et incomparable à toute autre relation "intersubjective", sans quoi on n'aurait d'ailleurs pas besoin d'analyste. Pour le dire familièrement, on irait parler à ses copains, à son médecin, pourquoi pas même à ses parents. Très simplement, le fait qu'on dise à son analyste ce qu'on ne dit à personne d'autre, qu'on le dise d'une manière même qu'on ne le dirait à personne d'autre, est le signe le plus patent de la structure très singulière de cette relation (que j'ai essayé d'expliquer d'un point de vue plus théorique ci-dessus).

Ah mais les gens le font, tout le temps. Aller boire des bières avec les copains, faire des confessions bourrées, pleurer dans les bras de son amante, se confesser au curé, fantasmer des discussions avec des amis imaginaires, tout ça existe depuis la nuit des temps. Je veux bien croire à la limite que la méthode psychanalytique exploite un mode de communication pré-existant d'une manière un peu spéciale, qu'elle en ait inventé un nouveau il ne faut pas pousser.

 

16 hours ago, Vilfredo said:

Il me semble que c'est un problème légèrement différent, la thought insertion. Est-ce un problème du sujet ou un problème d'agency. Dans la mesure où c'est subjectif mais incontrôlé ça a quelque chose d'objectif... Je dois avouer que je trouve ces catégories un peu vagues. Ce n'est pas typiquement le genre de trucs que Searle appellerait "ontologiquement subjectif mais épistémiquement objectif"? Mais on peut aussi se demander si les pulsions sont "objectives". Je pense tout de même que c'est une autre question.

Disons que si ton point depuis le début c'est que nous avons des pensées qui nous sont propres et que ça "dépasse l'horizon de l'intersubjectivité", ok, je ne crois pas que ça soit aussi mind-blowing que tu as l'air de le penser mais si tu veux. À partir du moment où nous partageons ces pensées cependant elles ne nous sont plus complètement propres.

On pourrait argumenter que même intérieurement elles le sont moyennement dans la mesure où on les exprime à l'aide du langage, d'un référentiel culturel, d'un appareil sensoriel et cognitif comparable aux autres êtres humains, et, pour rendre à la psychanalyse ce qui lui est dû, d'expériences de vie communes à tous les humains. Ceci pour répondre à ton "pourquoi ne pourrait-on pas avoir chacun notre monde?"

 

16 hours ago, Vilfredo said:

Je voulais seulement souligner qu'il était amusant que la réalité sociale soit (ou partage exactement la structure d') une superstition.

L'inverse, les superstitions sont un phénomène social. Et elles ne "soutiennent" pas particulièrement la réalité sociale, je dirais qu'elles font partie du paysage.

 

16 hours ago, Vilfredo said:

Pourquoi "réellement"? La question est plutôt: qu'est-ce qui est réel et qu'est-ce qui ne l'est pas? Si tu ajoutes "réellement" dans la question c'est sûr que ça se mord la queue.

Ok donc réel par rapport à quoi ? :mrgreen:

 

16 hours ago, Vilfredo said:

D'impossible dans le monde réel. Mais si j'arrive à le faire est-ce que ça ne prouve pas que le monde réel n'est pas tel que je le croyais?

Fair enough. Il y a un parallèle à faire avec la recherche scientifique quelque part.

 

16 hours ago, Vilfredo said:

Je ne peux pas, dans mon rêve, me rendre compte que c'est un rêve. Sinon je ne rêve plus. Tu as raison de rappeler que ça ne vaut que pour les rêves non-lucides, le problème c'est que je ne connais rien aux rêves lucides (à part que le sujet est conscient de les avoir). Tu aurais de la littérature sur le sujet? Et c'est pas justement un truc avec quoi Jung expérimentait? (Selon wiki, Freud reconnaît dans L'Interprétation des rêves que ça existe et y voit la confirmation que les rêves sont l'accomplissement des désirs frustrés.)

Je n'ai pas vraiment de littérature. D'un point de vue neuroscientifique ça peut être marrant à étudier ceci dit donc c'est une idée.

 

J'ai déjà raconté ça sur liborg mais j'ai une expérience amusante avec les rêves lucides. Au moment de ma vie où je commençais à parler/lire plus anglais que français dans ma vie quotidienne (où je bossais beaucoup et dormais peu également, ce qui a sans doute aidé), je me suis un jour rendu compte que je rêvais parfois en anglais. C'est apparemment assez classique. Par la même occasion je me suis rendu compte que mes rêves ont un narrateur (qui s'était mis à parler anglais donc). Mais du coup j'ai aussi réalisé que ce narrateur ne pouvait être personne d'autre que moi, et la conclusion qui s'impose est que je peux prendre sa place. Je rêve donc le plus souvent dans le rôle d'un narrateur qui regarde ce qui se passe (no drugs or spiritual bullshit were involved in the process).

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il y a 9 minutes, Lancelot a dit :

Au moment de ma vie où je commençais à parler/lire plus anglais que français dans ma vie quotidienne (où je bossais beaucoup et dormais peu également, ce qui a sans doute aidé), je me suis un jour rendu compte que je rêvais parfois en anglais. C'est apparemment assez classique.

J'ai connu le même phénomène.

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il y a 16 minutes, Lancelot a dit :

Ah mais les gens le font, tout le temps. Aller boire des bières avec les copains, faire des confessions bourrées, pleurer dans les bras de son amante, se confesser au curé, fantasmer des discussions avec des amis imaginaires, tout ça existe depuis la nuit des temps. Je veux bien croire à la limite que la méthode psychanalytique exploite un mode de communication pré-existant d'une manière un peu spéciale, qu'elle en ait inventé un nouveau il ne faut pas pousser.

Bah je crois que si tu penses que faire des confessions, pleurer dans les bras et parler au curé, c'est en continuité avec la psychanalyse, c'est sûr qu'on parle pas de la même chose. Je veux bien reconnaître que la présentation que je donne de Lacan manque de clarté mais à un moment il faut minimalement reconnaître qu'il y a un truc comme l'inconscient qui est l'objet de l'analyse et qui n'est l'objet que de l'analyse. Pas des discussions avec le curé, les copains etc. C'est en ça que je maintiendrais que c'est bien un nouveau mode de communication.

il y a 34 minutes, Lancelot a dit :

C'est à ce moment de la discussion généralement que le psychanalyste me dit que je ne veux pas comprendre parce que c'est un mécanisme de défense, mais j'aurais tendance à privilégier mon hypothèse.

Tiens ça c'est un truc que je ne comprends pas nettement, mais qui est secondaire: même si tu "truques" ton analyse (que tu racontes des mensonges, inventes des rêves etc), le mensonge lui-même n'est pas anodin et on peut toujours continuer l'analyse (à condition que tu mentes vraiment, pas que ce soit juste une résistance où tu parles inconsciemment d'autre chose que de ton symptôme). C'est un peu ce que Lacan (la dernière fois promis) dit quand il dit: "il n'y a pas de métalangage". Mais personne n'est obligé de s'intéresser à quoi que ce soit, Freud recommandait à ses patients plutôt de ne pas lire de psychanalyse, de peur que ça entrave le transfert, et pour le reste (ce que tu décris), c'est de la psychanalyse sauvage. Personne, même un psychanalyste, ne peut se prononcer sur quelqu'un qu'il n'a pas en cure. C'est d'ailleurs un peu ce que voulait dire Lacan: il y a une histoire que j'aime bien où je ne sais plus quel intello parisien va voir Lacan à son cabinet pour lui demander d'intervenir dans un colloque qu'il donne sur le thème: "Le désir". Lacan, assis à son bureau, ne dit rien, et lui fait seulement le geste de se frotter les doigts, signifiant: va falloir me payer. L'intello parisien est sorti furieux en disant à tout le monde que Lacan était un malotru. J'adore cette anecdote. (Au fait mon cours sur la psychanalyse est maintenu, huhu.)

 

il y a 21 minutes, Lancelot a dit :

On pourrait argumenter que même intérieurement elles le sont moyennement dans la mesure où on les exprime à l'aide du langage, d'un référentiel culturel, d'un appareil sensoriel et cognitif comparable aux autres êtres humains, et, pour rendre à la psychanalyse ce qui lui est dû, d'expériences de vie communes à tous les humains. Ceci pour répondre à ton "pourquoi ne pourrait-on pas avoir chacun notre monde?"

Oui ça par contre je suis totalement d'accord.

il y a 23 minutes, Lancelot a dit :

Ok donc réel par rapport à quoi ? :mrgreen:

Je dirais que c'est un peu la question que j'essayais de résoudre quand je parlais de la fakeness. Si je perçois la fakeness de façon déductive (absence d'ombre e.g.) alors j'appelle "réel" l'univers dont je connais les lois (ou les régularités du moins). Si je ne vois pas d'ombre, ma réaction pourrait être: wtf tout peut arriver. C'est un peu l'inverse du syllogisme du sceptique (présenté dans l'article de la SEP): le sceptique dit: si tu ne sais pas si tu rêves (connaissance "générale"), alors tu ne peux rien savoir (de particulier). Là c'est plutôt: si tu ne sais pas si les gens ont une ombre (connaissance particulière), alors tu ne peux rien savoir (en général). Il s'agit seulement de trouver l'expérience cruciale, le trait caractéristique (je pense au test sanguin dans The Thing pour déterminer qui est humain et qui ne l'est pas, parce que ça ne se voit pas à l'oeil nu). Si je perçois "directement" la fakeness (comme une caractéristique intrinsèque de ce que je perçois), à ce moment il faudrait que la fakeness soit identifiable dans la sémantique des lois de la réalité, ce qui est un peu incompréhensible. C'est pourquoi, en y réfléchissant, j'ai plutôt tendance à penser qu'on perçoit la fakeness plutôt de la première façon. Ou alors il faut imaginer une espèce de sixième sens...?

il y a 31 minutes, Lancelot a dit :

Mais du coup j'ai aussi réalisé que ce narrateur ne pouvait être personne d'autre que moi, et la conclusion qui s'impose est que je peux prendre sa place. Je rêve donc le plus souvent dans le rôle d'un narrateur qui regarde ce qui se passe (no drugs or spiritual bullshit were involved in the process).

Ça ressemble un peu au daydream. Ce qui me frappe dans mes propres rêves c'est plutôt que je vois des choses que je ne peux pas voir moi (par exemple je me vois souvent de dos). Donc plutôt l'inverse.

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16 hours ago, Vilfredo said:

Bah je crois que si tu penses que faire des confessions, pleurer dans les bras et parler au curé, c'est en continuité avec la psychanalyse, c'est sûr qu'on parle pas de la même chose.

C'est la forme naturelle que prennent pour s'exprimer les processus qui sont exploités par la thérapie (enfin ça et les symptômes mais bon). Après si tu veux tu peux dire que la psychanalyse utilise ces processus de manière rationalisée et incomparablement meilleure, et on ne rentrera pas dans le débat de son efficacité par rapport aux autres types de psychothérapies contemporaines.

 

16 hours ago, Vilfredo said:

à un moment il faut minimalement reconnaître qu'il y a un truc comme l'inconscient

Tiens tu connais Le nouvel inconscient de Naccache ? Scientifiquement ça a un peu vieillit par rapport à un Damasio ou un Dehaene (faudrait que je regarde ce qu'il a publié plus récemment), mais ça a l'avantage de proposer une comparaison directe et je trouve assez bienveillante entre l'inconscient comme objet d'étude de la psychanalyse et des neurosciences. Les psychanalystes généralement détestent :mrgreen:

 

16 hours ago, Vilfredo said:

Mais personne n'est obligé de s'intéresser à quoi que ce soit, Freud recommandait à ses patients plutôt de ne pas lire de psychanalyse, de peur que ça entrave le transfert, et pour le reste (ce que tu décris), c'est de la psychanalyse sauvage. Personne, même un psychanalyste, ne peut se prononcer sur quelqu'un qu'il n'a pas en cure.

Je parle de discussions du temps où j'étais en fac de psycho et discutais avec d'autres étudiants plus enthousiastes que moi (dont certains se sont par la suite dirigés vers des doctorats en psychologie clinique, ces tarés). Je lisais les bouquins et j'y trouvais des idées intéressantes, comme je peux trouver plein de choses intéressantes en lisant de la théologie, mais de manière comparable à la théologie des choses centrales m'échappent parce que je ne suis pas croyant.

 

16 hours ago, Vilfredo said:

C'est d'ailleurs un peu ce que voulait dire Lacan: il y a une histoire que j'aime bien où je ne sais plus quel intello parisien va voir Lacan à son cabinet pour lui demander d'intervenir dans un colloque qu'il donne sur le thème: "Le désir". Lacan, assis à son bureau, ne dit rien, et lui fait seulement le geste de se frotter les doigts, signifiant: va falloir me payer. L'intello parisien est sorti furieux en disant à tout le monde que Lacan était un malotru. J'adore cette anecdote. (Au fait mon cours sur la psychanalyse est maintenu, huhu.)

Là par exemple je suis dubitatif. Que suis-je supposé tirer de cette histoire ?

 

16 hours ago, Vilfredo said:

Je dirais que c'est un peu la question que j'essayais de résoudre quand je parlais de la fakeness. Si je perçois la fakeness de façon déductive (absence d'ombre e.g.) alors j'appelle "réel" l'univers dont je connais les lois (ou les régularités du moins). Si je ne vois pas d'ombre, ma réaction pourrait être: wtf tout peut arriver. C'est un peu l'inverse du syllogisme du sceptique (présenté dans l'article de la SEP): le sceptique dit: si tu ne sais pas si tu rêves (connaissance "générale"), alors tu ne peux rien savoir (de particulier). Là c'est plutôt: si tu ne sais pas si les gens ont une ombre (connaissance particulière), alors tu ne peux rien savoir (en général). Il s'agit seulement de trouver l'expérience cruciale, le trait caractéristique (je pense au test sanguin dans The Thing pour déterminer qui est humain et qui ne l'est pas, parce que ça ne se voit pas à l'oeil nu). Si je perçois "directement" la fakeness (comme une caractéristique intrinsèque de ce que je perçois), à ce moment il faudrait que la fakeness soit identifiable dans la sémantique des lois de la réalité, ce qui est un peu incompréhensible. C'est pourquoi, en y réfléchissant, j'ai plutôt tendance à penser qu'on perçoit la fakeness plutôt de la première façon. Ou alors il faut imaginer une espèce de sixième sens...?

Plus on a une idée précise des lois de l'univers mieux on est équipé pour reconnaître quand elles ne sont pas respectées donc pour moi ça renvoie à la nécessité d'étudier ces lois au maximum.

Concernant les ombres en particulier je pense que cet article de Cavanagh t'intéressera beaucoup :

Quote
Cavanagh, P. (2005). The artist as neuroscientist. Nature, 434(7031), 301-307.

Although we rarely confuse a painting for the scene it presents, we are often taken in by the vividness of the lighting and the three-dimensional (3D) layout it captures. This is not surprising for a photorealistic painting, but even very abstract paintings can convey a striking sense of space and light, despite remarkable deviations from realism.

The rules of physics that apply in a real scene are optional in a painting; they can be obeyed or ignored at the discretion of the artist to further the painting's intended effect. Some deviations, such as Picasso's skewed faces or the wildly coloured shadows in the works of Matisse and other Impressionists of the Fauvist school, are meant to be noticed as part of the style and message of the painting. There is, however, an ‘alternative physics’ operating in many paintings that few of us ever notice but which is just as improbable. These transgressions of standard physics — impossible shadows, colours, reflections or contours — often pass unnoticed by the viewer and do not interfere with the viewer's understanding of the scene. This is what makes them discoveries of neuroscience. Because we do not notice them, they reveal that our visual brain uses a simpler, reduced physics to understand the world. Artists use this alternative physics because these particular deviations from true physics do not matter to the viewer: the artist can take shortcuts, presenting cues more economically, and arranging surfaces and lights to suit the message of the piece rather than the requirements of the physical world.

 

16 hours ago, Vilfredo said:

Ça ressemble un peu au daydream.

Oui c'est très comparable. Si on suit l'hypothèse que la schizophrénie est d'une certaine manière un déficit d'inhibition qui, entre autres, cause une confusion entre une partie du monologue intérieur et le fait d'entendre des voix indépendantes de soi, alors le rêve "classique" serait comme le fait d'être soumis à des voix imaginaires tandis que mon rêve "narratif" serait plutôt comme un monologue intérieur normal.

Par contre je ne sais pas trop à quoi je ressemble de dos donc j'aurais du mal à l'imaginer.

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Le 01/02/2022 à 12:00, Lancelot a dit :

C'est la forme naturelle que prennent pour s'exprimer les processus qui sont exploités par la thérapie (enfin ça et les symptômes

Sauf que pour Freud, le symptôme est déjà un compromis qui résulte du refoulement, et qui, une fois interprété correctement, disparaît. Avec tout ce que tu as mis dedans (ton bonheur, ta satisfaction sexuelle, ton identité imaginaire), évidemment (c'est un peu la raison pour laquelle je n'arrête pas de jouer le rôle du pessimiste caricatural en ce moment quand je lis des trucs du style: le but de la vie c'est le bonheur). C'est pour ça que la psychanalyse n'est pas une sinécure. Ce que je veux dire, c'est que le symptôme n'est pas ce qui s'exprime. C'est déjà le résultat d'une expression, c'est déjà quelque chose de signifiant. Ce qui s'exprime, c'est plutôt le désir, me semble. Parfois le désir est en-deçà de l'existence, et "insiste" comme dit Lacan dans Le Moi dans la théorie de Freud. Dans un très beau passage de ce séminaire (pp. 266-267 de la seule édition qui existe, au Seuil), Lacan décrit comment la délivrance du symptôme implique de faire en sorte que le patient parvienne à nommer ce désir (et ça, c'est aussi le travail de l'analyste!) Il dit: "La manifestation du processus primaire au niveau du moi, sous la forme du symptôme, se traduit par un déplaisir, une souffrance, et pourtant, elle revient toujours. Rien que ce fait doit nous arrêter. Pourquoi le système refoulé se manifeste-t-il avec ce que j'ai appelé la dernière fois cette insistance? Si le système nerveux est destiné à atteindre une position d'équilibre, pourquoi n'y arrive-t-il pas." De façon caractéristique d'ailleurs, l'analysé est toujours beaucoup plus bavard sur son fantasme (the kernel of his being, écrit Zizek) que sur son symptôme. Un excellent article de Jam sur le sujet: https://www.lacan.com/symptom11/two-clinical.html (Et je ne crois pas qu'on puisse faire plus limpide et analytique sur Lacan que les articles de Jam; si ça peut t'encourager, c'est assez loin du style de Zizek (qui, fun fact, a été en analyse avec lui))

 

Le 01/02/2022 à 12:00, Lancelot a dit :

Tiens tu connais Le nouvel inconscient de Naccache ?

Non, mais je vais regarder. J'ai l'impression que le conflit entre psychanalyse et neurosciences n'a pas lieu d'être. Les deux disciplines ne s'occupent pas de la même chose. Le reproche classique des neurosciences à la psychanalyse c'est: votre théorie n'est pas testable. Et la réponse du berger à la bergère c'est: et le désir là-dedans? Gérard Pommier a même commis un Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse où il essaie de réconcilier tout le monde. Ce côté oecuménique m'agace un peu, ça finit par être du charabia (pour le coup).

 

Le 01/02/2022 à 12:00, Lancelot a dit :

Je lisais les bouquins et j'y trouvais des idées intéressantes

Plutôt du côté de Winnicott et de Jung si je comprends bien...?

Le 01/02/2022 à 12:00, Lancelot a dit :

comme je peux trouver plein de choses intéressantes en lisant de la théologie, mais de manière comparable à la théologie des choses centrales m'échappent parce que je ne suis pas croyant.

 

Pour le coup la question du rapport entre psychanalyse et religion m'intéresse au plus haut point. Tu vas sans doute me dire: raison de plus de lire Jung. Je crois que la divergence fondamentale entre Freud et Jung, au-delà de tout ce qu'on sait et dit tout le temps sur la libido et la sexualité infantile et le rapport au paranormal, c'est que pour Freud, il n'y a aucune harmonie entre l'homme et son environnement (biologique ou social). C'est un vrai pessimiste, qui descend directement de Nietzsche. Jung, en revanche, même si je connais mal, j'ai l'impression qu'il pense une forme d'harmonie entre l'homme et le cosmos, l'univers a un sens, il faut réaliser son potentiel, et contrairement à Freud, c'est un critique sans pitié de Nietzsche (face à qui il défend en gros l'immutabilité de la nature humaine et le christianisme, un peu comme Dostoïevski). J'avoue que c'est pas ce qui me convainc le plus. Que fait-il du taoïsme, du judaïsme, de la Grèce antique? C'était pas des nouvelles valeurs? Ou alors ça c'était avant mais c'est fini maintenant? Et qui l'a décidé, Jung? Mais je digresse.

 

Le 01/02/2022 à 12:00, Lancelot a dit :

Là par exemple je suis dubitatif. Que suis-je supposé tirer de cette histoire ?

Lacan voulait lui signifier que quand on vient lui rendre visite dans son cabinet pour lui demander de parler du désir, on devrait peut-être s'interroger sur les raisons qui nous poussent à faire ça. Donc il saute le pas et lui signifie: écoutez je veux bien vous prendre mais c'est pas gratuit. L'idée que les séances de psy devraient être remboursées par la sécu d'ailleurs est absurde beyond belief.

 

Le 01/02/2022 à 12:00, Lancelot a dit :

Because we do not notice them, they reveal that our visual brain uses a simpler, reduced physics to understand the world.

J'ai pas accès à tout l'article malheureusement mais ce point-là précisément nous renvoie à la question du rêve dans la mesure où le rêve ressuscite d'anciennes théories scientifiques et des conceptions archaïques de la nature (Nietzsche, Bachelard et Jung vont tous un peu dans ce sens).

 

Le 01/02/2022 à 12:00, Lancelot a dit :

Si on suit l'hypothèse que la schizophrénie est d'une certaine manière un déficit d'inhibition qui, entre autres, cause une confusion entre une partie du monologue intérieur et le fait d'entendre des voix indépendantes de soi, alors le rêve "classique" serait comme le fait d'être soumis à des voix imaginaires tandis que mon rêve "narratif" serait plutôt comme un monologue intérieur normal.

Est-ce que par confusion pour le schizophrène tu veux dire qu'il confond son monologue intérieur, càd une voix qu'il perçoit comme la sienne, et des voix qu'il ne perçoit pas comme siennes? J'ai du mal à me représenter comment, s'il y a cette asymétrie de perception, ça peut être possible. Je veux dire: ces deux expériences sont subjectives, et "subjectives" veut dire au moins que, pour a et b deux expériences subjectives, si a est indiscernable de b, alors a est identique à b. Donc je comprends pas comment il pourrait faire une confusion, ce qui suppose qu'il y a une manière externe d'établir ce qui est une voix intérieure et ce qui est une voix "extérieure", au sens de ce qu'on perçoit quand on "entend des voix". Je pense qu'il y a (*) la parole intérieure, qui n'est pas vraiment un monologue, puisqu'il ne s'adresse à personne, qui ressemble en fait beaucoup à la pensée (définie par Platon comme le dialogue de l'âme avec elle-même dans Le Sophiste) et qui se formule à la 1e personne sans avoir de qualités sonores (je ne pourrais pas dire si ma parole intérieure est une voix d'homme, de femme, si elle crie, chuchote etc; "parole" a beaucoup plus à voir avec "signification" qu'avec "son", mais après c'est un problème parce que c'est une signification privée, un truc que ni toi ni moi, j'ai l'impression, n'aimons beaucoup), (**) la voix intérieure, qui est pour le coup vraiment un son et qui est adressé à un "tu" (la voix de la raison dans Kant; voir à ce sujet la dévastatrice critique de Nietzsche dans Le Gai Savoir, §2, où il se moque justement de ceux qui entendent cette voix et la prennent pour argent comptant), et puis ensuite vraiment (***) l'hallucination verbale où la voix est celle de quelqu'un d'autre, qui parle de moi, qui commente mes actions au moment où je les fais, qui me persécute (ce que décrit Henri Ey dans son Traité des hallucinations en distinguant les hallucinations référentielles des hallucinations scénariques, selon que les voix dialoguent entre elles en m'excluant ou s'adressent à moi). C'est marrant c'était très précisément le contenu de mon cours de cet aprèm. Ce qu'il y a en plus chez le schizophrène à ce que je comprends, mais corrige-moi si je dis une bêtise, c'est que ces hallucinations verbales sont solidaires d'une incapacité à développer une interprétation non-littérale de la langue (ma source, probablement la meilleure vidéo de tout yt). Je ne vois pas encore bien si ça se combine ou comment ça se combine avec le phénomène de thought insertion et donc de trouble de la personnalité (on devrait peut-être plutôt dire: trouble de la subjectivité) mais peut-être qu'il y a un lien.

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9 hours ago, Vilfredo said:

Ce que je veux dire, c'est que le symptôme n'est pas ce qui s'exprime. C'est déjà le résultat d'une expression, c'est déjà quelque chose de signifiant.

Alors précisément je ne mentionnais pas les symptômes comme quelque chose qui s'exprime mais qui exprime, dans ma phrase ça ils se rapportaient à "la forme naturelle que prennent pour s'exprimer les processus" ce qui est exactement la même formulation que dans ta citation de Lacan plus loin "La manifestation du processus primaire au niveau du moi, sous la forme du symptôme".

 

9 hours ago, Vilfredo said:

Et je ne crois pas qu'on puisse faire plus limpide et analytique sur Lacan que les articles de Jam; si ça peut t'encourager

C'est plutôt une question de vouloir m'investir dans du Lacan quand je suis déjà familier avec la psychanalyse par ailleurs et que, pour être honnête, je ne vois pas trop ce qu'il peut m'apporter de plus à part ce que j'appelais du charabia. Ceci dit je dois te féliciter parce que jusqu'à maintenant tu es la personne qui se rapproche le plus de m'avoir convaincu qu'il y avait du potentiel à être intéressé. Si je peux me permettre un conseil à mon tour, si tu persistes dans cette direction tu devrais lire d'autres psychanalystes et ne pas te limiter à Lacan.

 

9 hours ago, Vilfredo said:

J'ai l'impression que le conflit entre psychanalyse et neurosciences n'a pas lieu d'être.

L'approche de Naccache n'est justement pas une telle opposition (genre "DESTROYING Freud with FACTS and LOGIC") mais plutôt une review de ce qu'on appelle inconscient en neuroscience et le rapport avec l'inconscient psychanalytique (qu'est-ce que le premier doit historiquement et conceptuellement au second, peut-on les envisager comme une seule chose observée de différents points de vue et sinon comment envisager leur rapport ?). Ce n'est pas œcuménique non plus, il n'hésite pas à dire là où ça ne s'accorde pas et bien qu'il ne soit pas d'obédience psychanalytique il fait de son mieux pour présenter les choses honnêtement en tordant le moins possible les concepts.

 

9 hours ago, Vilfredo said:

Plutôt du côté de Winnicott et de Jung si je comprends bien...?

Freud, Melanie Klein, Winnicott, Anzieu... Pour te dire je me suis même tapé ça (ou probablement une édition précédente), ce qui ne m'a pas empêché de me taper des 5/20 en psychologie clinique.

Jung c'était plutôt à côté et de manière indépendante de mes cours entre autres lectures funky genre l'hypnose ericksonienne (encore un truc auquel je n'arrive pas à croire d'ailleurs).

 

9 hours ago, Vilfredo said:

Jung, en revanche, même si je connais mal, j'ai l'impression qu'il pense une forme d'harmonie entre l'homme et le cosmos, l'univers a un sens, il faut réaliser son potentiel, et contrairement à Freud, c'est un critique sans pitié de Nietzsche (face à qui il défend en gros l'immutabilité de la nature humaine et le christianisme, un peu comme Dostoïevski). J'avoue que c'est pas ce qui me convainc le plus. Que fait-il du taoïsme, du judaïsme, de la Grèce antique? C'était pas des nouvelles valeurs? Ou alors ça c'était avant mais c'est fini maintenant? Et qui l'a décidé, Jung? Mais je digresse.

Je pense que c'est une vision réductrice de Jung dont l'horizon ne s'arrêtait certainement pas au christianisme.

 

9 hours ago, Vilfredo said:

J'ai pas accès à tout l'article malheureusement

C'est étrange moi je l'ai en entier en suivant le lien. Sinon tu peux chercher le titre sur google scholar.

 

9 hours ago, Vilfredo said:

Est-ce que par confusion pour le schizophrène tu veux dire qu'il confond son monologue intérieur, càd une voix qu'il perçoit comme la sienne, et des voix qu'il ne perçoit pas comme siennes? J'ai du mal à me représenter comment, s'il y a cette asymétrie de perception, ça peut être possible. Je veux dire: ces deux expériences sont subjectives, et "subjectives" veut dire au moins que, pour a et b deux expériences subjectives, si a est indiscernable de b, alors a est identique à b. Donc je comprends pas comment il pourrait faire une confusion, ce qui suppose qu'il y a une manière externe d'établir ce qui est une voix intérieure et ce qui est une voix "extérieure", au sens de ce qu'on perçoit quand on "entend des voix".

Dans ce cas je suis sans doute allé trop vite. Pour revenir un peu en arrière je t'invite à t'intéresser au phénomène de l'alien hand syndrome, dans lequel un de tes membres se met à agir de ton point de vue indépendamment de (et souvent en opposition à) ta volonté. Si ça peut arriver à ta main, pourquoi pas à certaines ruminations intrusives ? Tu peux aussi penser au fait d'avoir une chanson dans la tête, ou un mauvais souvenir qui ne cesse de te revenir à l'esprit.

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Le 31/01/2022 à 01:36, Vilfredo a dit :

Non justement c'est ici que nous ne sommes pas du tout d'accord. Même dans une perspective freudienne orthodoxe, on peut dire que dans une interaction sociale, ce sont deux sujets qui discutent, qui obéissent à l'éthique de l'argumentation (je projette des intentions sur autrui, je pars du principe qu'il peut m'apprendre qqch que je ne sais pas etc). Dans une séance de psy, les deux "sujets" ne sont pas sur un pied d'égalité, et il n'y en a quasiment qu'un seul qui parle, et son discours est radicalement différent parce qu'il est pur signifiant. Littéralement, l'analysé can't make sense of what he is saying. Zizek parle très justement de "prattle". Maintenant d'un point de vue lacanien, la bataille contre l'intersubjectivité est une longue histoire philosophique: d'abord il y a Descartes, qui réduit le sujet à une pure chose pensante, certes, mais une chose pensante qui est encore une partie du monde. Ensuite il y a Kant, avec qui le sujet n'est plus une partie du monde mais une pure synthèse dont le monde est le corrélat ontologique. Ce n'est pas une histoire de la finitude de l'homme du style Pascal, la pauvre créature terrestre coincée entre deux infinis, c'est le monde phénoménal qui devient l'horizon de la finitude du sujet, i.e. le monde tel que je me le représente porte en lui (dans sa représentation) la marque de ma finitude, et le prix de cette représentation est l'inaccessibilité de la Chose (en soi). La chose en soi est, par définition, ce qui n'a aucun équivalent dans le monde phénoménal (certains commentateurs disent que c'est une différente "perspective"). Hegel dépasse Kant en écrivant que le vide de la chose en soi est la négativité qui constitue le sujet. Le saut ici est celui qui va du sujet privé de toute substance (Kant) à l'absence de substance comme caractéristique ultime du sujet (la philosophie après Kant, donc Hegel et Lacan). Le mathème lacanien pour ce sujet est $: un sujet barré, parce que son manque est constitutif, et donc l'objet, qui barre la route de la sef-realization, est corrélatif au sujet dans un sens opposé à celui de l'idéalisme transcendantal (où je pose l'objet et je le constitue avec mon entendement structuré a priori). C'est aussi un résultat de l'Oedipe: l'enfant vient au monde comme objet de désir (des parents, de l'Autre) mais ce désir est interdit (inceste). Le sujet ne peut émerger qu'en renonçant à cette jouissance, donc au prix d'une aliénation (on retrouve ici Hegel), et pour Freud d'une castration, en deux sens: je suis castré comme sujet pour pouvoir devenir un objet dans le champ symbolique, ou dans l'ordre social (le "grand Autre" pour Lacan); cela, Lacan l'écrit clairement à la fin du Transfet (Séminaire VIII). La castration est un acte d'échange (tu me donnes ton désir i.e. ton objet, je te donne un statut d'objet), et c'est en ce sens qu'il faut comprendre: la castration est symbolique. Pourquoi je fais ce détour? Parce que ça explique la raison pour laquelle, pour Lacan, le "sujet" ne perçoit jamais un autre sujet "comme lui", un "prochain" dirait la Bible, il perçoit un "objet" qui a ce dont lui manque constitutivement. En termes hégéliens, il perçoit un maître. Mais que fait l'analyste? C'est ici que l'on comprend pourquoi la relation analysé/analyste n'a rien à voir du tout avec une relation sociale intersubjective. L'analyste prend le costume du maître, si on veut, mais il ne joue pas son rôle: il met le patient face à son propre vide, face à ses propres projections. Qu'est-ce que Lacan veut dire par là? Il faut relire Le Transfert: je n'ai pas le temps d'exposer en détails son commentaire de Platon mais l'idée clé est qu'en amour, on donne ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui ne le veut pas. On suppose toujours que l'autre a ce surplus qui nous manque (cf le dessin animé linké plus haut) et qu'il va correspondre à notre vide et make us whole. Ce surplus est, évidemment, l'objet petit a. L'être aimé, l'objet du désir, est dans une impasse. J'aime bien ce passage (je cite encore Zizek, How to Read Lacan):

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Pour sortir de cette impasse, qui l'expose au vide complet du désir de l'autre (ici, comprenez un génitif subjectif), l'être aimé change de place dans l'univers symbolique: pour répondre à la demande impossible de l'amant, il répond à son amour par son propre manque, càd qu'il l'aime en retour. L'abysse est ainsi comblé. Cela, ce geste d'aimer en retour, c'est précisément ce que le psychanalyste ne doit pas faire! Il doit laisser en suspens la question que pose tout objet lacanien qui se respecte ("che vuoi? qu'est-ce que tu veux (de moi)?") pour permettre à la fois au transfert d'avoir lieu, càd que le psychanalyste devient temporairement l'objet petit a, l'objet-cause du désir de l'analysé, mais il est aussi, comme l'écrit Lacan, le sujet "supposé-savoir", càd celui dont l'analysé suppose qu'il sait la vérité sur son désir, car c'est bien ce qui doit émerger de l'analyse, au lieu de l'amour. J'ai choisi cet extrait (photo) de How to Read Lacan parce qu'il énonce clairement que l'aimé, lui, ne sait pas, ne sait absolument rien du désir de l'autre. Dans ce sens-là, la relation entre un patient et son analyste est unique et incomparable à toute autre relation "intersubjective", sans quoi on n'aurait d'ailleurs pas besoin d'analyste. Pour le dire familièrement, on irait parler à ses copains, à son médecin, pourquoi pas même à ses parents. Très simplement, le fait qu'on dise à son analyste ce qu'on ne dit à personne d'autre, qu'on le dise d'une manière même qu'on ne le dirait à personne d'autre, est le signe le plus patent de la structure très singulière de cette relation (que j'ai essayé d'expliquer d'un point de vue plus théorique ci-dessus).

 

 

Mmh Intéressant

Du coup, comment sort on de l'impasse du désir à part en remplissant les poches de son analyste ?

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Apparemment 

 

Si la moderation pouvait en effet splitter (et éventuellement mettre une étiquette “sérieux” pour ce fil,) je lui en serais éternellement reconnaissant 

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Ok bah on peut dire “Intersubjectivité, psychanalyse et philosophie de l’esprit”. C’est vrai que c’est tout sauf organisé mais c’est une conversation, pas une dissertation, et la plus intéressante que j’ai eue depuis longtemps sur le sujet 

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Le 03/02/2022 à 11:52, Lancelot a dit :

Alors précisément je ne mentionnais pas les symptômes comme quelque chose qui s'exprime mais qui exprime, dans ma phrase ça ils se rapportaient à "la forme naturelle que prennent pour s'exprimer les processus" ce qui est exactement la même formulation que dans ta citation de Lacan plus loin "La manifestation du processus primaire au niveau du moi, sous la forme du symptôme".

(Désolé pour le temps de réponse)

Alors autant pour moi, mais dans ce cas la psychanalyse apprend plutôt à réserver l'épanchement au cabinet et à lui donner une certaine forme qu'on pourrait qualifier, dans une vocabulaire commun, de "constructive". Pratiquement, tu ne racontes pas ta vie à un psy. Exemple: Eric Laurent raconte à Lacan qu'en venant chez lui il a ouvert sa portière côté circulation. Une voiture passe, emporte la portière. Il raconte tout ça à Lacan avec force détails. Lacan (après une pause): Donc en fait, ça n'a aucune importance. :lol: Pratiquement, cette circonscription rend dans un premier temps la personne plus supportable pour son entourage, et dans un deuxième temps elle se défait des objets imaginaires auxquels elle avait identifié son moi (la "traversée du désert" comme dit Eric Laurent).

(J'évite les book pics pour l'instant, je voudrais en mettre après. Vers 8e minute)

 

Le 03/02/2022 à 11:52, Lancelot a dit :

Si je peux me permettre un conseil à mon tour, si tu persistes dans cette direction tu devrais lire d'autres psychanalystes et ne pas te limiter à Lacan.

Oui, disons que mon programme est d'abord de maîtriser Freud au max pour ensuite lire Lacan plus en profondeur (pour l'instant je me repose sur la littérature secondaire et les séminaires II, VII, VIII et XI, ce qui n'est déjà pas mal; je n'accède pas encore aux Ecrits). Je crois que Lacan lisait Klein. Je suis intrigué par la Daseinanalyse (Binswanger). Donc il y a en effet du boulot.

 

Le 03/02/2022 à 11:52, Lancelot a dit :

Pour revenir un peu en arrière je t'invite à t'intéresser au phénomène de l'alien hand syndrome, dans lequel un de tes membres se met à agir de ton point de vue indépendamment de (et souvent en opposition à) ta volonté. Si ça peut arriver à ta main, pourquoi pas à certaines ruminations intrusives ?

(La vidéo est terrifiante.) Dans le cas où je pense à une chanson en permanence, je crois qu'on a là un bel exemple de l'"absence de négation" dans l'inconscient: si j'essaie de ne plus penser à la chanson, ça demande que j'y pense (à cette chanson), et donc bien sûr je n'arrive pas à ne plus y penser (la double négation ne nous ramène pas non plus à la chose même). C'est le célèbre exemple d'un homme qui dit à Freud: "je ne sais pas qui est cette femme dans mon rêve mais s'il y a une chose dont je suis sûr, c'est que ce n'est pas ma mère!" (Bien sûr, il ne s'agit pas de faire l'andouille et de dire que le patient affirme toujours le contenu de ce qui est après l'opérateur de négation! Par exemple, sous l'influence de la culture pop psychanalyse aujourd'hui, on a souvent des gens qui vont voir un psy et qui vont tout de suite voir leur mère et du sexe dans tous leurs rêves, ça ne rend pas l'analyse plus facile (ni plus difficile, ça ne change rien).) Ensuite, pour le lien corps-esprit, Freud a cette idée des "intentionnalités affectives": il suffit que je pense à quelque chose qui m'excite sexuellement pour être sexuellement excité, il suffit que je pense à quelque chose qui m'angoisse pour être angoissé. Tu noteras que c'est une expansion du principe de: "l'inconscient ne connaît pas la négation." Tu ne peux pas rêver (à part peut-être les rêves lucides, je ne sais pas) et te dire: oh il faut absolument que je me souvienne de ne pas penser à ça! Aussitôt que la chose est convoquée, on y est comme "engagés" (un peu aussi fatalement qu'on est engagés ontologiquement à ce à quoi notre théorie fait référence; Zizek illustre la psychanalyse avec de la philo allemande, moi avec de la philo analytique).

 

Révélation

C'est aussi pourquoi une simple reconnaissance intellectuelle du symptôme (je sais ce que j'ai: <tel terme technique>) n'est pas contradictoire avec, et renforce même souvent, l'existence du symptôme. Quoi que l'ego arrive à comprendre, est toujours mal compris, càd compris (au sens d'intégré à, dans un compromis qui est justement le symptôme) une structure imaginaire. Ça serait un sacré bordel si on pouvait connecter mon cerveau à mon fauteuil roulant par exemple (tu es dans une descente: "ah, il ne faut surtout pas que j'actionne le frein avant sinon je vais tomber" --> actionne le frein avant). Ce qu'il y a de pire que de ne pas voir ses fantasmes se réaliser, c'est: voir ses fantasmes se réaliser (ça s'appelle précisément un cauchemar). Le psychanalyste fait exactement le contraire, il t'arrache ces projections imaginaires: (on pourrait dire que la figure pop culture la plus proche d'un psy lacanien, c'est Hannibal*) (encore extrait de How to Read Lacan)


 

Révélation

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Je pense que c'est bien ce dont Laurent parle quand il dit "traversée du désert": the inaccessibility of fantasy. Accessoirement le point sur le viol pourrait intéresser pas mal de monde ici, je me souviens d'un topic récemment sur le sujet. Mais je highjacke suffisamment le topic comme ça.

 

Révélation

* Je ne résiste pas (in Zizek, Everything You Always Wanted to Know about Lacan (But Were Afraid to Ask Hitchcock))

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Pour en revenir à la question de l'intentionnalité affective, cela va un peu dans le sens de: si ça peut arriver à l'esprit, pourquoi pas au corps, et non dans celui (inverse) de: si ça peut arriver au corps (la main), pourquoi pas à l'esprit (ruminations intrusives), mais peut-être parce que, dans le cas de ces phénomènes (désir, angoisse), la séparation n'est pas pertinente: on pourrait très bien dire qu'être excité et penser à qqch d'excitant, c'est pareil (i.e. ce n'est pas un lien causal, par exemple). C'est à partir du moment où on suspend le lien causal entre la pensée et l'action qu'on rend possible des phénomènes d'auto-aliénation on dirait. C'est marrant que tu aies fait le lien inverse de moi (corps --> esprit), mais je pense que c'est pas étonnant que moi je fasse le lien esprit --> corps, parce que c'est bien le point de départ de Freud que le moi n'est pas le maître dans sa maison (et je pense que ce n'est pas un hasard s'il fait ici une analogie avec une entité physique). Je dis ça parce que l'approche causale institue une distance entre la pensée et ce à quoi la pensée "fait référence" (de même que l'idée que la pensée "fait référence à" institue la distance entre le mot et la chose; c'est pourquoi Lacan a plutôt recours à la distinction signifiant/signifié dans Saussure), mais on peut très bien considérer que ce n'est pas comme ça que fonctionne la pensée. Et ici, c'est un point de vue qui dépasse largement Freud. Il y a un exemple de Anscombe dans son article Events in the Mind:

 

"Alors que je me levais de ma chaise pour aller chercher le dictionnaire, l'horloge a sonné 8h et je me suis souvenu que je n'avais pas encore souhaité Joyeux Noël à John."

 

Est-ce que cette phrase est au discours indirect (auquel cas il faudrait dire: "ce corps s'est levé pendant que j'ai eu l'intention de etc")? Que se passe-t-il pour le sujet dans cette situation (on a ici l'exemple type de la question qui m'intéresse)? Est-ce qu'il a deux pensées ("allons chercher le dictionnaire *ding dong* oh, j'ai oublié d'écrire à John!"), auquel cas les mots "allons chercher le dictionnaire" et "oh, j'ai oublié..." donnent la signification des pensées, ou bien (autre façon de voir les choses), ce qui se passe pour le sujet est qu'il a présente à l'esprit la signification de ces mots à ce moment. On pourrait dire que les mots qu'il est susceptible d'avoir prononcés ne font que signaler l'occurrence de la pensée (il pourrait dire autre chose de plus concis que les phrases que j'ai imaginées, ce sont différents "sens" de la même "signification"). Ce qui se passe pour le sujet est quelque chose (un cri étouffé, un sursaut, une pensée) qui signifie la même chose que: "j'ai oublié d'écrire...". On peut faire le chemin de la chose à la signification, mais pas le chemin de la signification à la chose (comme Frege dit que le sens détermine la référence, mais no way back from reference to sense), et de même (c'est une triple analogie!) entre le comportement du corps (le sursaut e.g.) et la pensée. La manière dont la pensée fait référence montre cependant (Anscombe argues) que la pensée a elle-même une signification plutôt qu'elle n'est la signification des mots: par exemple quand je pense à "John", je ne pense pas à la référence de John, càd l'homme John avec tous ses traits distinctifs. Imaginons que John a un grain de beauté entre les omoplates: je ne pense pas à ça quand je pense: "j'ai oublié John etc." Si la pensée était la signification des mots, je devrais y penser (parce que c'est la signification du mot: "John", et que ma pensée était: penser à John. Il importe toutefois, pour le lien avec ce que je disais plus haut, de bien voir que, tout en pensant à John sans penser à la forme de ses omoplates, je n'ai pas pensé: "ne pense pas à la forme de ses omoplates!") Dès lors, le comportement a une signification au même sens que la pensée a une signification, plutôt qu'elle n'est la signification, ou même n'exprime la signification d'autre chose. On peut en dire autant de tous les processus intentionnels, qui ont une signification au sens où ils ne sont, justement, intentionnels, que sous une certaine description (donc linguistique) qui en est donnée, et qui institue une forme de sémantique différente. Par exemple, je peux voir de la "neige" dans mon rêve et ne pas savoir (et ne pas pouvoir savoir), par exemple, quelle est l'épaisseur de la couche de neige. Je peux même voir des flocons de neige sur la vitre; il y en a un certain nombre. En fait, il y en a 79 au moment t, et je regarde la vitre enneigée au moment t. Est-ce que ça veut dire que je vois 79 flocons de neige? Pas dans le même sens de "voir" (i.e. dans le premier cas, c'est un sens intentionnel et dans l'autre, non-intentionnel; évidemment il n'y a pas de sens non-intentionnel dans des expériences "subjectives" (douleur, rêve etc.))

 

Ça peut avoir l'air bizarre mais il y a une vraie connexion entre (cette approche de) la philosophie de l'esprit (Wittgenstein, Anscombe, mes chouchous) et la psychanalyse. ("Vraie connexion" := je ne suis pas le seul dans ce délire)

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On 2/8/2022 at 12:50 PM, Vilfredo said:

(La vidéo est terrifiante.)

En voilà une autre plus sympa pour me faire pardonner, qui parle entre autres du phénomène inverse (membres fantômes) :

 

On 2/8/2022 at 12:50 PM, Vilfredo said:

Dans le cas où je pense à une chanson en permanence, je crois qu'on a là un bel exemple de l'"absence de négation" dans l'inconscient: si j'essaie de ne plus penser à la chanson, ça demande que j'y pense (à cette chanson), et donc bien sûr je n'arrive pas à ne plus y penser (la double négation ne nous ramène pas non plus à la chose même). C'est le célèbre exemple d'un homme qui dit à Freud: "je ne sais pas qui est cette femme dans mon rêve mais s'il y a une chose dont je suis sûr, c'est que ce n'est pas ma mère!"

La solution pour la chanson est évidemment de la remplacer par une autre. Il y a aussi des gens qui disent qu'il faut la laisser finir au lieu d'en répéter des morceaux mais je n'ai jamais trop eu de succès avec cette méthode. En fait c'est plutôt un bon modèle pour illustrer différentes stratégies thérapeutiques en psychologie :lol:

 

On 2/8/2022 at 12:50 PM, Vilfredo said:

Ensuite, pour le lien corps-esprit, Freud a cette idée des "intentionnalités affectives": il suffit que je pense à quelque chose qui m'excite sexuellement pour être sexuellement excité, il suffit que je pense à quelque chose qui m'angoisse pour être angoissé. Tu noteras que c'est une expansion du principe de: "l'inconscient ne connaît pas la négation." Tu ne peux pas rêver (à part peut-être les rêves lucides, je ne sais pas) et te dire: oh il faut absolument que je me souvienne de ne pas penser à ça! Aussitôt que la chose est convoquée, on y est comme "engagés" (un peu aussi fatalement qu'on est engagés ontologiquement à ce à quoi notre théorie fait référence; Zizek illustre la psychanalyse avec de la philo allemande, moi avec de la philo analytique).

C'est une discussion intéressante du point de vue de la psychologie des émotions. En gros il y a classiquement tout un débat pour savoir ce qui vient en premier entre l'émotion consciente, la réaction corporelle et différents processus cognitifs inconscients (pas au sens psychanalytique). Regarde cette magnifique slide :

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Là dessus arrive Damasio et la théorie des marqueurs somatiques, qui dit en gros que (1) les signaux physiologiques du corps sont à la base des émotions conscientes, (2) que les émotions sont un élément essentiel de la prise de décision, parce que pour prendre une décision nous avons besoin de comparer la valence des différentes options, ce que nous faisons en les simulant, (3) que cette simulation utilise le corps (on peut mesurer les micro réactions physiologiques qui en résultent).

Le point intéressant est que donc oui, en imaginant/simulant une situation émotionnellement chargée, on va générer des réactions corporelles (e.g. comme tu le dis en pensant à quelque chose d'excitant je me retrouve excité). Mais imagine une personne qui aurait du mal à faire la différence entre ce qui vient d'elle (une simulation) et ce qui vient de l'extérieur (un stimulus comme un chien en colère). Bien sûr c'est un peu notre cas à tous mais si on arrive à un niveau pathologique alors on se rapproche beaucoup de mon exemple précédent du schizophrène qui entend des voix parce qu'il ne sait pas les reconnaître comme venant de lui. Je ne sais pas si je suis très clair.

 

On 2/8/2022 at 12:50 PM, Vilfredo said:

Pour en revenir à la question de l'intentionnalité affective, cela va un peu dans le sens de: si ça peut arriver à l'esprit, pourquoi pas au corps, et non dans celui (inverse) de: si ça peut arriver au corps (la main), pourquoi pas à l'esprit (ruminations intrusives), mais peut-être parce que, dans le cas de ces phénomènes (désir, angoisse), la séparation n'est pas pertinente: on pourrait très bien dire qu'être excité et penser à qqch d'excitant, c'est pareil (i.e. ce n'est pas un lien causal, par exemple). C'est à partir du moment où on suspend le lien causal entre la pensée et l'action qu'on rend possible des phénomènes d'auto-aliénation on dirait. C'est marrant que tu aies fait le lien inverse de moi (corps --> esprit), mais je pense que c'est pas étonnant que moi je fasse le lien esprit --> corps, parce que c'est bien le point de départ de Freud que le moi n'est pas le maître dans sa maison (et je pense que ce n'est pas un hasard s'il fait ici une analogie avec une entité physique). Je dis ça parce que l'approche causale institue une distance entre la pensée et ce à quoi la pensée "fait référence" (de même que l'idée que la pensée "fait référence à" institue la distance entre le mot et la chose; c'est pourquoi Lacan a plutôt recours à la distinction signifiant/signifié dans Saussure), mais on peut très bien considérer que ce n'est pas comme ça que fonctionne la pensée. Et ici, c'est un point de vue qui dépasse largement Freud.

Du coup je pense que ma réponse plus haut s'applique largement à ça aussi, dans la perspective de Damasio avec laquelle j'ai tendance à sympathiser il y a bien une différence d'ordre causal entre une émotion ayant pour origine un stimulus externe ou une simulation interne, quand bien même l'émotion qui en résulte pourra être subjectivement similaire. Mais je suppose que ça nous fait reboucler sur de l'ontologie.

 

On 2/8/2022 at 12:50 PM, Vilfredo said:

Il y a un exemple de Anscombe dans son article Events in the Mind:

 

"Alors que je me levais de ma chaise pour aller chercher le dictionnaire, l'horloge a sonné 8h et je me suis souvenu que je n'avais pas encore souhaité Joyeux Noël à John."

 

Est-ce que cette phrase est au discours indirect (auquel cas il faudrait dire: "ce corps s'est levé pendant que j'ai eu l'intention de etc")? Que se passe-t-il pour le sujet dans cette situation (on a ici l'exemple type de la question qui m'intéresse)? Est-ce qu'il a deux pensées ("allons chercher le dictionnaire *ding dong* oh, j'ai oublié d'écrire à John!"), auquel cas les mots "allons chercher le dictionnaire" et "oh, j'ai oublié..." donnent la signification des pensées, ou bien (autre façon de voir les choses), ce qui se passe pour le sujet est qu'il a présente à l'esprit la signification de ces mots à ce moment. On pourrait dire que les mots qu'il est susceptible d'avoir prononcés ne font que signaler l'occurrence de la pensée (il pourrait dire autre chose de plus concis que les phrases que j'ai imaginées, ce sont différents "sens" de la même "signification"). Ce qui se passe pour le sujet est quelque chose (un cri étouffé, un sursaut, une pensée) qui signifie la même chose que: "j'ai oublié d'écrire...". On peut faire le chemin de la chose à la signification, mais pas le chemin de la signification à la chose (comme Frege dit que le sens détermine la référence, mais no way back from reference to sense), et de même (c'est une triple analogie!) entre le comportement du corps (le sursaut e.g.) et la pensée. La manière dont la pensée fait référence montre cependant (Anscombe argues) que la pensée a elle-même une signification plutôt qu'elle n'est la signification des mots: par exemple quand je pense à "John", je ne pense pas à la référence de John, càd l'homme John avec tous ses traits distinctifs. Imaginons que John a un grain de beauté entre les omoplates: je ne pense pas à ça quand je pense: "j'ai oublié John etc." Si la pensée était la signification des mots, je devrais y penser (parce que c'est la signification du mot: "John", et que ma pensée était: penser à John. Il importe toutefois, pour le lien avec ce que je disais plus haut, de bien voir que, tout en pensant à John sans penser à la forme de ses omoplates, je n'ai pas pensé: "ne pense pas à la forme de ses omoplates!") Dès lors, le comportement a une signification au même sens que la pensée a une signification, plutôt qu'elle n'est la signification, ou même n'exprime la signification d'autre chose.

Je dois avouer que je ne vois pas de raison d'être autant fasciné par cette phrase :mrgreen:

D'après ce que je peux comprendre la question que tu évoques est celle de savoir quelle est la modalité de la pensée (est-ce qu'on pense en langage explicite, en concepts qui n'ont pas forcément besoin de langage, mais dans ce cas qu'est-ce qu'un concept ?).  Pour répondre au dernier point les concepts sont un domaine très étudié mais au final très mal connu en philosophie des sciences cognitives. J'avais lu ce bouquin pour un cours de philo : https://www.amazon.fr/dp/0262632993 et je n'en étais pas ressorti avec beaucoup de certitudes...

 

On 2/8/2022 at 12:50 PM, Vilfredo said:

On peut en dire autant de tous les processus intentionnels, qui ont une signification au sens où ils ne sont, justement, intentionnels, que sous une certaine description (donc linguistique) qui en est donnée, et qui institue une forme de sémantique différente. Par exemple, je peux voir de la "neige" dans mon rêve et ne pas savoir (et ne pas pouvoir savoir), par exemple, quelle est l'épaisseur de la couche de neige. Je peux même voir des flocons de neige sur la vitre; il y en a un certain nombre. En fait, il y en a 79 au moment t, et je regarde la vitre enneigée au moment t. Est-ce que ça veut dire que je vois 79 flocons de neige? Pas dans le même sens de "voir" (i.e. dans le premier cas, c'est un sens intentionnel et dans l'autre, non-intentionnel; évidemment il n'y a pas de sens non-intentionnel dans des expériences "subjectives" (douleur, rêve etc.))

Ça touche également à la question des concepts. Ok donc on a le predictive coding qui dit que tu perçois en faisant des prédictions sur ton environnement. Tu sais que tu es dans une forêt, donc tu t'attends à voir un arbre. Mais quelle est la précision de ces prédictions ? En d'autres termes qu'est-ce que ça veut dire "un arbre" ? Est-ce que tu t'attends à un sapin, à un chêne, à une sorte d'hybride de tous les arbres que tu as vu dans ta vie ou de prototype idéal-typique d'arbre ? Est-ce que tu t'attends à un nombre de branches et de feuilles en particulier ?

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  • 2 weeks later...

Je réponds 15 jours après et je m'excuse parce que je voulais 1) sortir deux secondes de Lacan et lire un peu de neurobio donc j'ai lu Self Comes to Mind de Damasio, du Pinker. Pankseep coûte cher; 2) trouver des trucs qui pouvaient formuler plus clairement ma position "intentionnaliste" (pas forcément ma position au sens où j'y tiens comme à la prunelle de mes yeux mais au moins une position que je trouve intéressante à défendre jusqu'au bout maintenant pour voir), et des trucs qui pourraient t'intéresser aussi, et en gros le débat oppose les "naturalistes" quiniens pour qui l'intention est seulement une notion heuristique comparable aux analogies et aux métaphores qu'on emploie pour vulgariser des concepts scientifiques (Churchland, Quine lui-même bien sûr, vulgairement Alexander Rosenberg), avec quelques raffinements (l'idée d'intentional stance de Dennett (mais quelle est l'autre stance? for surely s'il n'y en a qu'une ce n'est pas une "stance")) et de l'autre les approches fonctionnalistes héritées de Fodor, mais qui ont le défaut de reposer sur l'idée d'une authoritative knowledge du soi sur les états mentaux (donc Fodor, Searle, mais aussi Shoemaker). L'argument est un peu que même si on arrivait à complètement réduire les phénomènes conscients de sorte que pour savoir ce que je ressens je devrais me mettre dans un brain scanner, je pourrais toujours dire "il me semble que". Ce serait même inévitable. Donc l'intention ne disparaît pas bla bla. Pour tout ça je recommande vraiment, et pourtant j'aime pas ce mec, The Soul of the World de Roger Scruton. Ce n'est pas long, ce n'est pas con, c'est très bien écrit et c'est une sorte de hodge-podge de Anscombe/Wittgenstein update 2014 sur ces questions. Et c'est assez honnête. Après moi je suis comme Freud, je pense que tout le monde a tort dans cette histoire.

 

Le 10/02/2022 à 13:19, Lancelot a dit :

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Là-dessus je pense justement que Wittgenstein dirait que le tremblement signifie la peur et que la peur n'est pas "ailleurs" que dans le tremblement. Si on veut pouvoir employer des concepts qui ont du sens pour décrire les états mentaux, il faut les chercher dans ce qu'il y a dehors, dans le monde public. Sinon on risque de décrire les phénomènes inconscients comme s'ils étaient conscients (ce qui est toujours un peu le problème du réductionnisme pour Wittgenstein et aussi pour Fodor dans Representations par exemple; ce livre contient d'ailleurs un article très brillant contre Ryle et la distinction knowing that knowing how) (et Dennett dira ah oui mais non c'est juste l'intentional stance; j'ai relu Dawkins qui dit la même chose). Donc il faut voir la signification du tremblement exactement comme on voit la signification des phrases, faisant honneur à l'expression "body language". Et la signification des phrases n'est pas "hors" de la phrase. Elle est tout entière dans la phrase. Et la phrase est aussi quelque chose de physique (des signes sur du papier, des sons). Mais c'est là que ça se complique parce qu'on pourrait dire qu'il y a la phrase et de l'autre la proposition (notion intensionnelle avec un s, par opposition à l'extension, comme le concept/les exemples ou l'universel/les particuliers). Wittgenstein me semble être intentionnaliste mais pas intensionnaliste, ce qui le rend très confusant à lire. Mais peut-être que je rate quelque chose. Je laisse ça en suspens parce que ça nous emmènerait du côté de la philo du langage plus spécifiquement. D'autres exemples qu'il donnerait c'est (dans The Blue and Brown Books) notre exemple de la chanson: j'ai un air dans la tête. Qu'exprime-t-il? Un sentiment musical. Lequel précisément? Well, si je spécifie suffisamment la réponse avec question, je ne pourrais pas exprimer la réponse autrement que de façon pratique, càd en fredonnant l'air que j'ai dans la tête. Il n'y a rien d'autre que ça. Ça le mène à des positions assez radicales en esthétique, où il va expliquer qu'il n'y a rien d'autre à ajouter sur mon sentiment de spectateur d'une oeuvre d'art que ma réaction physique à sa réception. Le sentiment qu'il y a plus que ça, un "sentiment musical" qui serait plus que l'air que j'ai en tête, ou (plus intéressant) une subjectivité et une personne "en plus" ou "derrière" l'expression que je lis sur un visage, est une illusion. J'ai le sentiment que j'ai quand je trouve la pièce manquante d'un puzzle (une impression de constituer soudain une unité signifiante) mais sans le puzzle (sans extériorité donneuse de sens). Si ça peut éclairer les choses, imagine un zigouigoui. En le regardant suffisamment longtemps, tu peux "voir" (au sens intentionnel de Anscombe) un visage; les gens voient aussi des visages dans les nuages parfois. Et puis si tu continues tu le perds. Puis tu le retrouves. Mais il y a un sens dans lequel il n'y a pas vraiment de visage là-dedans. Wittgenstein, je pense, dirait: qu'est-ce qui te fait penser que c'est différent quand tu regardes un vrai visage et que tu "vois" une intention?

 

Le 10/02/2022 à 13:19, Lancelot a dit :

Le point intéressant est que donc oui, en imaginant/simulant une situation émotionnellement chargée, on va générer des réactions corporelles (e.g. comme tu le dis en pensant à quelque chose d'excitant je me retrouve excité). Mais imagine une personne qui aurait du mal à faire la différence entre ce qui vient d'elle (une simulation) et ce qui vient de l'extérieur (un stimulus comme un chien en colère). Bien sûr c'est un peu notre cas à tous mais si on arrive à un niveau pathologique alors on se rapproche beaucoup de mon exemple précédent du schizophrène qui entend des voix parce qu'il ne sait pas les reconnaître comme venant de lui. Je ne sais pas si je suis très clair.

Tu es très clair et c'est exactement ce sur quoi porte mon cours préféré ce semestre. On bosse précisément sur des psychiatres français du XIXe qui ont essayé d'expliquer comment la conscience, chez l'homme normal, constituait certaines expériences comme extérieures à son moi. Chez les "aliénés", c'est ce processus qui déraillerait: certaines choses qui "devraient" être perçues comme miennes sont aussi extériorisées, càd perçues comme extérieures à moi (excès de l'aliénation), ou des choses du monde sont perçues comme miennes (psychose; là-dessus ma théorie c'est que le cas de Eichmann qui pensait que la voix de Hitler était la voix de la raison kantienne est un cas de psychose passionnant, parce que dans Kant, si tu as lu la Métaphysique des moeurs ou la 2e critique (c'est pour ça que je lis ça aussi en ce moment), la raison est juge et partie, l'homme est divisé en homo phenomenon (l'homme physique, avec ses vices, ses tentations etc) et homo noumenon (l'homme moral), ce qui explique qu'on puisse avoir un devoir envers soi-même sans contradiction; et il écrit aussi que je n'ai pas la vertu mais que c'est la vertu qui me possède, donc à un certain niveau c'est effectivement une structure psychotique).

 

Mais bref, ce sont des gens (Pinel, Esquirol, Baillarger, Egger, Séglas) qui vont se demander s'il y a seulement des hallucinations au sens de: perception de ce qui n'est pas là, ou aussi des hallucinations au sens de: sujet convaincu d'avoir une perception alors qu'il n'en a pas. Il va y avoir un débat pour savoir si la parole intérieure est un phénomène musculaire ou pas (Egger va dire que non), càd que je ne sens pas mes muscles, ma langue, ma bouche être activés. Mais alors comment est-ce que je peux penser que cette parole est la mienne (puisqu'il semblerait que c'est la sensation musculaire qui m'en rend certain quand je parle)? Sachant que le fait que la voix que j'entends ait mon timbre, ma langue, mes tics etc. ne suffit pas à ce que je la perçoive comme mienne, ou plus exactement, et on retrouve ici une de mes marottes depuis les messages sur l'insertion du moi dans le monde (Wittgenstein again): le fait qu'une chose soit mienne n'est pas quelque chose que je peux observer. Il y a donc un deuxième problème: comment est-ce que quelque chose peut être perçu comme non-moi? le schéma va être le suivant : le moi est premier, rejette ce qui n’est pas lui (les objets), et se retrouve comme le "reste" laissé par l’opération d’aliénation. En gros, en passant par les travaux de Charcot sur les types psychologiques (auditifs, visuels d'un côté, qui ont des hallucinations du premier type, et moteurs d'autre part, qui ont des hallucinations du deuxième type, celui où je crois que j'ai une sensation alors que non), ce à quoi on va arriver est que pour que les hallucinations soient expérimentées comme non-miennes sans pouvoir pour autant être extériorisées (je ne peux pas voir leur "non-mienneté"; si les hallucinations verbales sont musculaires, alors je ne peux pas la penser comme extérieure à moi, puisque je sens mes muscles, si elles ne le sont pas, alors elles sont comme la parole d'autrui mais en moi), il faut introduire quelque chose comme l'inconscient. Séglas va distinguer, dans le sillage de Charcot, à l'intérieur des hallucinations du deuxième type, parmi celles de type "moteur", des types de parole involontaire consciente et inconsciente. C'est vraiment un cours fantastique, j'espère que je ne fais pas un trop mauvais job pour le résumer. Ça me paraissait aussi éclairer des trucs sur ton petit paragraphe qui suit sur la différence entre stimulus externe et interne évidemment.

 

Ce qui m'intéresse en plus avec le schizophrène est que c'est un trouble du langage qui a une spécificité supplémentaire, qui est de ne pas pouvoir comprendre le langage figuré (si j'en crois Sapolsky).

 

Le 10/02/2022 à 13:19, Lancelot a dit :

J'avais lu ce bouquin pour un cours de philo : https://www.amazon.fr/dp/0262632993 et je n'en étais pas ressorti avec beaucoup de certitudes...

Je vais me le procurer

 

Le 10/02/2022 à 13:19, Lancelot a dit :

Ça touche également à la question des concepts. Ok donc on a le predictive coding qui dit que tu perçois en faisant des prédictions sur ton environnement. Tu sais que tu es dans une forêt, donc tu t'attends à voir un arbre. Mais quelle est la précision de ces prédictions ? En d'autres termes qu'est-ce que ça veut dire "un arbre" ? Est-ce que tu t'attends à un sapin, à un chêne, à une sorte d'hybride de tous les arbres que tu as vu dans ta vie ou de prototype idéal-typique d'arbre ? Est-ce que tu t'attends à un nombre de branches et de feuilles en particulier ?

Oui mais pour le coup je me demande si tu ne poses pas ici le problème en termes trop généraux. Il y a d'une part l'imprécision des concepts, et ici Putnam a des choses intéressantes à dire sur la division linguistique du travail https://en.wikipedia.org/wiki/Semantic_externalism#Arguments_for_externalism et d'autre part il y a la question de savoir, par exemple, si je perçois quand je rêve (et donc si je peux employer la même sémantique que pour des entités que j'ai de bonnes raisons (en tout cas des raisons empiriques) de croire exister).

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J’ai commencé à lire le Scruton à la bibli aujourd’hui. J’y étais allé pour bosser complètement autre chose et évidemment that didn’t happen. Je viens pour un truc, je fais autre chose. I come here looking for money
Got to have it
And end up leaving with love
 

mais bref, j’en parle parce qu’il donne justement la réponse “anscombienne” à l’expérience de Libet dont tu avais parlé!

Révélation

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On 2/24/2022 at 6:14 PM, Vilfredo said:

j'ai lu Self Comes to Mind de Damasio

Tu en as pensé quoi ? Ce n'est pas le plus accessible je dois dire.

 

On 2/24/2022 at 6:14 PM, Vilfredo said:

trouver des trucs qui pouvaient formuler plus clairement ma position "intentionnaliste" (pas forcément ma position au sens où j'y tiens comme à la prunelle de mes yeux mais au moins une position que je trouve intéressante à défendre jusqu'au bout maintenant pour voir)

Du coup ça peut être une occasion de reposer un peu les choses à plat, c'est quoi déjà exactement en quelques mots (c'est-à-dire en langage le plus clair possible et sans partir dans un exposé sur un ou plusieurs auteurs) ta position intentionaliste ? De mon point de vue tu as évoqué plusieurs positions plus ou moins claires et plus ou moins compatibles entre elles. Et par la même occasion étais-je supposé défendre une position non-intentionaliste ?

 

On 2/24/2022 at 6:14 PM, Vilfredo said:

Pour tout ça je recommande vraiment, et pourtant j'aime pas ce mec, The Soul of the World de Roger Scruton. Ce n'est pas long, ce n'est pas con, c'est très bien écrit et c'est une sorte de hodge-podge de Anscombe/Wittgenstein update 2014 sur ces questions. Et c'est assez honnête.

Je lis le résumé et j'ai envie de tuer des chatons.

Quote

Evolution cannot explain our conception of the sacred; neuroscience is irrelevant to our interpersonal relationships, which provide a model for our posture toward God; and scientific understanding has nothing to say about the experience of beauty, which provides a God’s-eye perspective on reality.

J'hésite entre  iB5xwIJ.gif si je me sens d'humeur extrêmement charitable, et YMC6hSf.gif

L'extrait que tu postes plus loin ne fait rien pour me rassurer. Le gars sort juste l'argument ultra classique que mon corps, en particulier mon cerveau, bah c'est moi, donc même si mon cerveau prépare des trucs avant que j'en aie conscience (conscience/inconscience ici pas au sens psychanalytique) ça ne change pas que c'est moi qui agit. Ça serait différent si on parlait de réflexe genre le médecin qui te tape sur le genou. Mais bref, il trouve le moyen de développer ça de la manière la moins claire imaginable et en  y introduisant sa thèse sur l'existence de dieu ou que sais-je au forceps. Après il y a des philosophes qui me cassent les couilles au boulot en ce moment donc je suis sans doute échaudé.

 

On 2/24/2022 at 6:14 PM, Vilfredo said:

Là-dessus je pense justement que Wittgenstein dirait que le tremblement signifie la peur et que la peur n'est pas "ailleurs" que dans le tremblement. Si on veut pouvoir employer des concepts qui ont du sens pour décrire les états mentaux, il faut les chercher dans ce qu'il y a dehors, dans le monde public. Sinon on risque de décrire les phénomènes inconscients comme s'ils étaient conscients

À un moment donné si le tremblement signifie quelque chose, il le signifie autant (plus) pour toi que pour les autres, et c'est du résultat de cette interprétation dont on parle ici. Comme dirait Hayek (on y revient !) dans The Sensory Order, le problème fondamental est que le même stimulus physique (que ça soit un objet vu ou mon tremblement) peut engendrer différentes représentations et que la même représentation peut être engendrée par différents stimuli, donc on ne peut pas créer une correspondance simple ou systématique entre l'ordre physique et l'ordre sensoriel.

 

On 2/24/2022 at 6:14 PM, Vilfredo said:

Et la signification des phrases n'est pas "hors" de la phrase.

Elle était initialement dans l'esprit de celui qui l'a écrite, et elle se retrouve (certainement plus ou moins déformée) dans l'esprit de ceux qui la lisent et la commentent (commentaires qui ont le pouvoir d'entériner certaines déformations pour les prochains lecteurs). Après pourquoi ce stimulus physique particulier a-t-il le pouvoir d'engendrer des représentations chez (une partie de) ceux qui le perçoivent, et pourquoi peut-on s'attendre à ce que ces représentations soient similaires, c'est une question qui demande de s'intéresser à ce que ça veut dire d'apprendre un langage, d'avoir des repères culturels etc. Ça me rappelle un plot point dans Snow Crash, tiens, où il y a un "virus" informatique transmissible aux humains sous la forme de stimuli auditifs transmis en binaire... auquel seuls sont susceptibles les hackers parce qu'à force de programmer ils sont conditionnés à comprendre inconsciemment un tel signal.

 

On 2/24/2022 at 6:14 PM, Vilfredo said:

D'autres exemples qu'il donnerait c'est (dans The Blue and Brown Books) notre exemple de la chanson: j'ai un air dans la tête. Qu'exprime-t-il? Un sentiment musical. Lequel précisément? Well, si je spécifie suffisamment la réponse avec question, je ne pourrais pas exprimer la réponse autrement que de façon pratique, càd en fredonnant l'air que j'ai dans la tête. Il n'y a rien d'autre que ça.

Je peux aussi dire par exemple que là j'ai en tête les dernières minutes de l'album Dark Side of the Moon. Je n'ai rien fredonné et pourtant (j'espère que) tu sais exactement de quoi je parle. Mais il est probable que les émotions et les souvenirs associés à ces minutes de musiques ne sont pas les mêmes pour toi et pour moi, et là dessus il y a bien de la sujectivité.

 

On 2/24/2022 at 6:14 PM, Vilfredo said:

Wittgenstein, je pense, dirait: qu'est-ce qui te fait penser que c'est différent quand tu regardes un vrai visage et que tu "vois" une intention?

Mais du coup tu es toujours en train d'argumenter pour une position intentionaliste là ? Parce que de mon point de vue on ne dirait pas :mrgreen:

 

On 2/24/2022 at 6:14 PM, Vilfredo said:

Il va y avoir un débat pour savoir si la parole intérieure est un phénomène musculaire ou pas

Je signale juste ici qu'il y a pas mal de recherche sur la subvocalisation et son rôle dans la lecture, dans l'imagerie auditive...

 

On 2/24/2022 at 6:14 PM, Vilfredo said:

Sachant que le fait que la voix que j'entends ait mon timbre, ma langue, mes tics etc. ne suffit pas à ce que je la perçoive comme mienne

Alors je ne sais pas pour toi mais je suis capable d'imaginer Brassens parler dans ma tête, or il n'a pas du tout la même voix que moi et que je serais bien incapable de reproduire sa voix en vrai. Et ça n'a pas vraiment d'impact sur ma perception de cette voix comme venant de moi.

 

On 2/24/2022 at 6:14 PM, Vilfredo said:

C'est vraiment un cours fantastique, j'espère que je ne fais pas un trop mauvais job pour le résumer.

C'est intéressant oui du point de vue de l'histoire des idées. J'aurais juste une petite mise en garde sur le fait de prendre les hyopthèses et conclusions scientifiques de ces auteurs pour argent comptant parce que la science est un domaine qui progresse. En exagérant beaucoup (parce que la distance historique n'est pas la même) c'est un peu comme faire des commentaires sur des théories modernes en physique ou en chimie s'appuyant sur la physique d'Aristote ou l'alchimie du moyen-âge. Encore une fois ça n'enlève rien au côté passionnant de l'histoire des idées, d'ailleurs j'ai un ami chimiste à qui j'avais offert De Re Metallica pour ses 30 ans.

 

Pour avoir une perspective plus contemporaine sur la question des hallucinatons, je peux te proposer ces papiers :

Quote

Corlett, P. R., Horga, G., Fletcher, P. C., Alderson-Day, B., Schmack, K., & Powers, A. R. (2019). Hallucinations and Strong Priors. Trends in Cognitive Sciences, 23(2), 114–127.

 

Hallucinations, perceptions in the absence of objectively identifiable stimuli, illustrate the constructive nature of perception. Here, we highlight the role of prior beliefs as a critical elicitor of hallucinations. Recent empirical work from independent laboratories shows strong, overly precise priors can engender hallucinations in healthy subjects and that individuals who hallucinate in the real world are more susceptible to these laboratory phenomena. We consider these observations in light of work demonstrating apparently weak, or imprecise, priors in psychosis. Appreciating the interactions within and between hierarchies of inference can reconcile this apparent disconnect. Data from neural networks, human behavior, and neuroimaging support this contention. This work underlines the continuum from normal to aberrant perception, encouraging a more empathic approach to clinical hallucinations.

 

Quote

Benrimoh, D., Parr, T., Vincent, P., Adams, R. A., & Friston, K. (2022). Active Inference and Auditory Hallucinations. Computational Psychiatry (Cambridge, Mass.).

 

Auditory verbal hallucinations (AVH) are often distressing symptoms of several neuropsychiatric conditions, including schizophrenia. Using a Markov decision process formulation of active inference, we develop a novel model of AVH as false (positive) inference. Active inference treats perception as a process of hypothesis testing, in which sensory data are used to disambiguate between alternative hypotheses about the world. Crucially, this depends upon a delicate balance between prior beliefs about unobserved (hidden) variables and the sensations they cause. A false inference that a voice is present, even in the absence of auditory sensations, suggests that prior beliefs dominate perceptual inference. Here we consider the computational mechanisms that could cause this imbalance in perception. Through simulation, we show that the content of (and confidence in) prior beliefs depends on beliefs about policies (here sequences of listening and talking) and on beliefs about the reliability of sensory data. We demonstrate several ways in which hallucinatory percepts could occur when an agent expects to hear a voice in the presence of imprecise sensory data. This model expresses, in formal terms, alternative computational mechanisms that underwrite AVH and, speculatively, can be mapped onto neurobiological changes associated with schizophrenia. The interaction of action and perception is important in modeling AVH, given that speech is a fundamentally enactive and interactive process—and that hallucinators often actively engage with their voices.

 

 

On 2/24/2022 at 6:14 PM, Vilfredo said:

Je vais me le procurer

C'est surtout un livre-catalogue qui explique les différentes hypothèses mais n'avance pas à grand chose. Ne te jette pas dessus si ça ne correspond pas à tes attentes.

 

On 2/24/2022 at 6:14 PM, Vilfredo said:

Oui mais pour le coup je me demande si tu ne poses pas ici le problème en termes trop généraux. Il y a d'une part l'imprécision des concepts, et ici Putnam a des choses intéressantes à dire sur la division linguistique du travail https://en.wikipedia.org/wiki/Semantic_externalism#Arguments_for_externalism et d'autre part il y a la question de savoir, par exemple, si je perçois quand je rêve (et donc si je peux employer la même sémantique que pour des entités que j'ai de bonnes raisons (en tout cas des raisons empiriques) de croire exister.

Le predictive coding dirait que la seule différence entre rêver et être éveillé c'est que quand on est éveillé il y a des erreurs qui remontent et corrigent nos prédictions (alors que quand on rêve elles restent en roue libre). Bien sûr j'entends ton argument qui dit qu'il y a aussi des erreurs internes.

  • Yea 1
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Il y a 4 heures, Lancelot a dit :

Tu en as pensé quoi ? Ce n'est pas le plus accessible je dois dire.

Ça ne m'a pas fait penser à des problèmes nouveaux. L'histoire des enfants autistes dont on peut dire qu'ils sont conscients parce qu'on peut dire quand ils reviennent à eux après un évanouissement est impressionnante. Le chapitre sur la narrativité m'a déçu.

Il y a 4 heures, Lancelot a dit :

Du coup ça peut être une occasion de reposer un peu les choses à plat, c'est quoi déjà exactement en quelques mots (c'est-à-dire en langage le plus clair possible et sans partir dans un exposé sur un ou plusieurs auteurs) ta position intentionaliste ?

Oui: le comportement humain ne s'explique pas seulement en termes de causes mais aussi en termes de raisons. Une raison est une explication de l'action telle qu'elle reçoit l'assentiment de l'agent. Une expression d'intention est un énoncé qui présente l'action sous une description telle que l'agent s'y reconnaît. Parmi les exemples que j'ai donnés, on peut penser à la neige sur la vitre ou à l'eau qui bout parce que Peter vient prendre le thé. Le concept d'intention peut être résumé comme suit: ce que je ne peux pas ignorer que je fais quand je le fais. Il se distingue donc de la simple volonté. Voilà pour le résumé court.

 

J'ajoute cependant, par souci d'exactitude et de clarté, que ce concept a une connexion intéressante et complexe avec le concept sémantique d'intension, qui renvoie à la signification d'un mot telle qu'elle est capturée dans une définition qui en donnerait l'essence. Il est important de se souvenir qu'une intention n'est pas observable dans l'"action", car l'intention n'est jamais autre chose qu'une caractéristique d'une certaine description de l'action. Ainsi, on peut opposer radicalement une description d'intention, qui va convoquer des objets intentionnels, et un énoncé d'observation, qui va convoquer des objets matériels, dans la mesure où il est censé pouvoir faire l'objet d'une confirmation par les autres locuteurs du langage dans lequel l'énoncé est formulé, pourvu qu'ils aient été témoin du contenu de l'observation. Par exemple, "mon copain est passé dans le couloir" ne sera pas un énoncé d'observation, car il décrit un objet intentionnel (ce n'est pas visible que c'est mon copain pour tout le monde), mais "un garçon d'environ 1,80 m avec des cheuveux châtains légèrement bouclés portant un sac à dos en cuir noir est passé dans le couloir", oui (pour la raison diamétralement opposée).

 

Il y a 4 heures, Lancelot a dit :

De mon point de vue tu as évoqué plusieurs positions plus ou moins claires et plus ou moins compatibles entre elles.

En effet, en partie parce que certains auteurs que je lis ne se rangent pas aisément dans un des deux camps. Je pense à Wittgenstein.

 

Il y a 4 heures, Lancelot a dit :

'extrait que tu postes plus loin ne fait rien pour me rassurer. Le gars sort juste l'argument ultra classique que mon corps, en particulier mon cerveau, bah c'est moi, donc même si mon cerveau prépare des trucs avant que j'en aie conscience (conscience/inconscience ici pas au sens psychanalytique) ça ne change pas que c'est moi qui agit.

Hmm il me semble plutôt que Scruton explique que le délai entre la réaction du cerveau et l'expression de l'intention n'entame en rien le fait que l'action soit intentionnelle. Il ne défend pas un dualisme classique, mais plutôt un dualisme "cognitif" comme il l'appelle, selon lequel il y a plusieurs points de vue irréductibles les uns aux autres sur l'action. Il fait ensuite une inférence qui me paraît justifiée, à savoir que si une action est intentionnelle (i.e. qu'il existe une description de cette action qui présente une action que l'agent reconnaît comme sienne), alors cette action est libre. Je t'accorde en revanche qu'il introduit Dieu au forceps, même si l'argument derrière est que ce qui a une intention est une personne et que Dieu est une sorte d'intention et de personne pure, raison pour laquelle le rapport du croyant à Dieu est le paradigme de la relation intersubjective.

 

Il y a 4 heures, Lancelot a dit :

À un moment donné si le tremblement signifie quelque chose, il le signifie autant (plus) pour toi que pour les autres, et c'est du résultat de cette interprétation dont on parle ici.

Oui, c'est l'argument du langage privé. Wittgenstein ne dit pas autre chose...?

 

Il y a 4 heures, Lancelot a dit :

Comme dirait Hayek (on y revient !) dans The Sensory Order, le problème fondamental est que le même stimulus physique (que ça soit un objet vu ou mon tremblement) peut engendrer différentes représentations et que la même représentation peut être engendrée par différents stimuli, donc on ne peut pas créer une correspondance simple ou systématique entre l'ordre physique et l'ordre sensoriel.

Je m'intéresse plutôt à une correspondance entre l'ordre physique et l'ordre sémantique. Un tremblement peut vouloir dire plusieurs choses, et il est douteux que le contexte puisse toujours permettre de spécifier complètement la signification. On ne peut peut-être pas associer un stimulus à une signification (un peu comme un gène peut avoir plusieurs effets: les gènes pléiotropiques) (je dis signification et pas représentation pour rester dans le débat sémantique; après on pourrait dire que la signification des mots dérive des représentations que j'ai dans mon cerveau en corrélation à ce mot: c'est ce que défend la théorie causale de la signification; Putnam formule à ce sujet plusieurs critiques dans Reason, Truth and History). Mais 1°) on ne peut pas non plus associer un mot à une signification: depuis Frege on sait que le sens détermine la référence (un sens: "Cicéron", "Tullius"; une référence: l'homme Cicéron qui a existé) mais qu'il n'y a pas de chemin arrière de la référence au sens. Depuis Quine on a aussi des problèmes d'indécidabilité de la traduction, qui prend plutôt le problème à l'envers: ce n'est pas qu'un stimulus peut être associé à différentes significations, mais plutôt que je ne sais pas quel aspect du stimulus le signifiant (pas le signifié) (le signifiant pouvant être aussi considéré comme un stimulus, si je le réduis au bruit que je fais en prononçant le mot ou au percept que constitue le mot écrit) dénote. Sur les détails de l'exemple de Quine: https://en.wikipedia.org/wiki/Indeterminacy_of_translation On pourrait partir de cette réduction possible du signifié à un autre stimulus pour dissoudre complètement la notion de signification, en parlant seulement de corrélation entre différents stimuli. Ce qui fait qu'on pourrait subsumer les questions sémantiques du sens des mots dans une approche scientifique avec des lois (pour tout élément du langage L, si tel événement physique est observé, alors tel élément sémantique sera articulé) et unifier la science. Quine reste malgré tout l'héritier de Carnap. Si tu veux un exemple d'approche bien non-intentionnelle as fuck, tu lis Quine. Je l'ai beaucoup lu et à un moment il y a quelques mois j'étais vraiment déprimé à cause de ses livres. 2°) Un autre problème que Quine développe dans des livres ultérieurs à son magnum opus (Word and Object) comme The Roots of Reference et Ontological Relativity and Other Essays, c'est qu'il n'y a pas de partage clair entre ce qui, dans la signification d'un énoncé, est attribuable à son contenu observationnel (les éléments qui se rapportent au stimulus, ici compris comme: ce à quoi la phrase réfère qui s'est passé dans le monde extérieur, schématiquement) et ce qui est simplement attribuable à ce que Quine appelle son contenu sémantique, càd ce qui est vrai en vertu seule du sens des mots (en fait ce qui est analytique). Il fait aussi ce point pour répondre à des critiques assez évidentes dont l'expérience de pensée de Nozick ci-dessous donne une bonne idée:

Révélation

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Il y a 5 heures, Lancelot a dit :

Elle était initialement dans l'esprit

En fait c'est justement parce que je voulais argumenter contre cet internalisme que j'ai parlé de Putnam à la fin: https://www.uvm.edu/~lderosse/courses/lang/Putnam_TwinEarth.pdf

Son slogan c'était meanings ain't in the head. Mais la lutte acharnée contre le dualisme de la signification qui est dans la tête et le corps/n'importe quelle autre entité observable l'exprime en même temps ou après coup commence avec Wittgenstein/Ryle. Sauf que Ryle c'est un peu nul. Et là on en revient à l'argument du langage privé: quelque chose qui est "dans l'esprit" ne peut pas avoir de signification. La signification, c'est intersubjectif. Ce n'est pas incompatible avec l'intentionnalisme (j'aurais l'air fin sinon) puisque le point de vue intentionnaliste c'est que l'intention est dans une certaine description de l'action, donc un truc formulé dans le langage, intersubjectif (puisque l'agent doit donner son assentiment etc), public, tout comme il faut.

 

Aujourd'hui ce genre de débat prend la forme des questions d'attribution de contenu (content ascription) aux états mentaux, et là j'en viens à ton point sur Hayek et l'autre correspondance, à savoir entre ordre physique et sensoriel. J'ai lu Fodor et j'ai même eu le privilège d'aller écouter Frances Egan et son cycle de conférences à l'ENS Representational content and computational modeling en novembre (une rock star de philo de l'esprit contemporaine qui adore les neurosciences et tout). L'idée de "contenu" (pour elle) implique des conditions de correction: si quelque chose (comme un état mental) a un contenu (notion sémantique), alors ce quelque chose, ce véhicule, est capable de misrepresentation. Elle opte, entre le réalisme hardcore et le fictionalisme, pour l'option déflationniste selon laquelle les représentations mentales sont réelles (comme pour les réalistes) et qu'on leur donne un vernis intentionnel (intentional gloss), ce qui revient à la position Quine/Dennett de l'intentional stance: l'intention est nothing but un raccourci utile qu'on emploie dans notre langage naturel pour éviter d'avoir à spécifier les processus neuronaux complexes auxquels, en fait, le contenu désigné par "intentionnel" se réduit. Ici, Scruton/Anscombe revient à la charge en disant que ça s'y réduit peut-être en soi mais pas pour moi, et comme "moi" est aussi cet état mental, on ne peut pas vraiment parler de vernis (et Quine/Dennett confondent ultimement en soi et pour soi).

 

De l'autre côté de la barricade, on se retrouve donc avec plusieurs positions naturalistes qui cherchent à spécifier la relation de représentation entre le truc de la réalité et la représentation mentale (la relation dont je parle ici est exactement comme une fonction en maths), sans faire référence aux significations et aux intentions:

  • l'information theoretic account: (Dretske, Fodor) une structure interne (genre un état mental; on va pas dire "représentation" mentale parce que ça serait begging the question: on veut justement spécifier la relation de représentation) "veut dire" X si elle est causée par un X
  • le teleological account: (Millikan, Papineau) une structure interne "veut dire" X si elle a la fonction biologique de détecter des Xs
  • l'homomorphism account: la relation entre la carte et le territoire

Le problème des trois positions est que le degré de spécification n'est pas suffisant pour capturer l'expérience subjective. Quand une grenouille voit une mouche (objet matériel (Frances Egan n'a pas recours à cette terminologie anscombienne mais moi je vais me gêner)), est-ce qu'elle voit: (objets intentionnels)

  • de la nourriture
  • une mouche
  • un objet volant noir non-identifié

? Bref, le problème est qu'on n'a dans aucune des trois théories sur la relation de représentation un mapping propre entre les objets matériels et les objets intentionnels de la perception. Le problème, pour être très clair, que cette sous-spécification pose, c'est que du coup on ne peut pas parler de "contenu" de l'état mental, parce que le contenu n'est pas capable de misrepresenting. La position de Egan est que le fait que le cerveau représente ou non n'est pas un truc objectif (comme dirait Nozick, il n'y a pas de matter of fact à ce sujet). Premièrement, l'existence de structures est objective, mais l'attribution qu'un sujet fait par exemple sur la grenouille de telle ou telle structure n'est pas objective: elle est seulement pragmatique (selon le contexte et ce que je cherche, je vais attribuer "nourriture" ou "objet volant" au contenu de la représentation mentale de la grenouille). Deuxièmement, et c'est logique, un état mental n'a pas de contenu: seule l'attribution a un contenu (pour la raison que je viens de dire: ici j'ai pas osé lever la main pendant la conférence mais ça a un petit côté quinien de: l'observation n'a pas de contenu sémantique, seulement l'énoncé d'observation a un contenu sémantique, et c'est un énoncé d'observation s'il n'a aucun intentional gloss du type "mon copain" au lieu de "garçon d' 1, 80 m" etc). Une analogie de cette incapacité de misrepresentation, c'est les cellules de lieu dans l'hippocampe des rats. Tu m'arrêtes si je dis une connerie, mais elles répondent/sont activées à/par certaines propriétés de l'environnement spatial du rat, mais ne représentent pas cet environnement spatial (parce qu'elles peuvent pas se "tromper"). J'espère que c'est clair.

 

Le problème avec le "deuxièmement", comme Pierre Jacob (fils du biologiste) l'avait dit dans la séance de questions, c'est que quand j'attribue un contenu à toi (une croyance par exemple), d'un côté, mon état mental a un contenu (parce que c'est une attribution), de l'autre, il n'en a pas (parce que c'est aussi un état mental), donc il faudrait qu'une troisième personne dise: Vilfredo croit que Lancelot croit que... et ainsi de suite (parce que l'état mental de cette troisième personne n'aurait pas de contenu tant que personne ne le lui aurait attribué...). La solution ça serait que je puisse m'attribuer à moi-même des états mentaux, mais ça ne fait que tourner la régression à l'infini vers l'intérieur ("Je crois que je crois que...").

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(Deuxième message parce que j'avais trop peur de perdre le précédent (dont je suis assez content, c'est plus clair que d'habitude))

 

Il y a 6 heures, Lancelot a dit :

Je peux aussi dire par exemple que là j'ai en tête les dernières minutes de l'album Dark Side of the Moon. Je n'ai rien fredonné et pourtant (j'espère que) tu sais exactement de quoi je parle. Mais il est probable que les émotions et les souvenirs associés à ces minutes de musiques ne sont pas les mêmes pour toi et pour moi, et là dessus il y a bien de la sujectivité.

Oui du coup that doesn't prove a thing: le "sentiment musical" n'est pas le même chez toi et chez moi, même s'il inclut une référence commune aux Pink Floyd. Si tu avais raison, le quiproquo serait impossible, non?

 

Il y a 6 heures, Lancelot a dit :

Je signale juste ici qu'il y a pas mal de recherche sur la subvocalisation et son rôle dans la lecture, dans l'imagerie auditive...

Merci, c'est pile dans le sujet du cours :) Ça m'intéresse d'autant plus que je suis capable de lire un texte avec mes voix préférées: je peux entendre la voix de Bret Easton Ellis lire quand je lis Bret Easton Ellis (ou n'importe quoi d'autres, mais évidemment c'est plus facile si c'est un livre de lui), et j'arrive aussi plutôt bien à avoir la voix de Edward Norton, que j'aime beaucoup. Les gens sont assez surpris généralement quand je dis ça.

 

Il y a 6 heures, Lancelot a dit :

Alors je ne sais pas pour toi mais je suis capable d'imaginer Brassens parler dans ma tête, or il n'a pas du tout la même voix que moi et que je serais bien incapable de reproduire sa voix en vrai. Et ça n'a pas vraiment d'impact sur ma perception de cette voix comme venant de moi.

Oui je me suis mal exprimé: l'idée est que tu pourrais (selon ces psychiatres) aussi entendre ta voix (au sens qualitatif) sans que tu la perçoives comme tienne. Par exemple, ta voix qui t'insulte, te persécute, sans que tu puisses rien y faire. Comme si c'était la voix de quelqu'un d'autre donc.

 

Il y a 6 heures, Lancelot a dit :

C'est intéressant oui du point de vue de l'histoire des idées. J'aurais juste une petite mise en garde sur le fait de prendre les hyopthèses et conclusions scientifiques de ces auteurs pour argent comptant parce que la science est un domaine qui progresse. En exagérant beaucoup (parce que la distance historique n'est pas la même) c'est un peu comme faire des commentaires sur des théories modernes en physique ou en chimie s'appuyant sur la physique d'Aristote ou l'alchimie du moyen-âge. Encore une fois ça n'enlève rien au côté passionnant de l'histoire des idées, d'ailleurs j'ai un ami chimiste à qui j'avais offert De Re Metallica pour ses 30 ans.

Ici je vais peut-être te décevoir mais je crois que le prof fait surtout ça pour donner un background à Freud :mrgreen: Mais merci beaucoup pour les deux articles.

 

Il y a 4 heures, Lancelot a dit :

Incidemment (à plusieurs niveaux) je viens à l'instant de recevoir Interaction of Colors de Joseph Albers dont voici l'introduction

  Masquer le contenu

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Je reconnais que c'est tentant pour la pratique, mais la théorie m'a l'air déjà là: https://www.amazon.com/Crise-sciences-européennes-phénoménologie-transcendantale/dp/2070717194

et là: https://en.wikipedia.org/wiki/Wilfrid_Sellars#"Philosophy_and_the_Scientific_Image_of_Man"

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Et en passant j'avais déjà dit mon amour pour Van Fraassen et en cherchant un lien pour Sellars je suis tombé sur cet article qui a l'air passionnant (comme tout ce que ce gars écrit décidément) https://www.princeton.edu/~fraassen/abstract/MANIFEST.pdf

 

Enfin cela dit encore un qui n'a pas assez lu Anscombe ama

Citation

Should we say then that those philosophical descriptions are simply faulty accounts of the
Manifest Image as it really is? Unfortunately we have no description at all of that Image except by the
philosophers Sellars singled out as engaged in that enterprise. Can we take Sellars' own initial description
-- the Manifest Image is the world as it appears to us -- as the definitive identification? Could we in fact
say that in this phrase, the Manifest Image is introduced into the philosophical pantechnicon by explicit definition?
Now here we encounter the philosophical "as". This "as" is really the same as the infamous
philosophical qua, a hyper-intensional locution of dubious intelligibility. A description of a thing may be
correct or incorrect -- what is denoted by "the thing as described"? Something that exists regardless of
whether the description is correct or incorrect? Or does it simply denote the thing, if correctly described,
and denote nothing at all otherwise? On the latter option, if "Manifest Image" and "Scientific Image" are
not denotationless, they denote the very same thing, thus ending all philosophische Spitzfindigkeit at
once. But with the former option we would commit ourselves to an ontology which most of us --
including Sellars -- would explicitly reject, and for which he takes no responsibility.

Bah non the world as it appears ça veut dire que je peux vérifier la correction de la description d'une certaine manière (pas la même que the world as it is).

 

Dans l'ensemble c'est beaucoup de chipotage (l'argument de l'histoire des sciences, de la vagueness, et surtout de l'implicité de l'ontologie de Sellars, vraiment bof) mais ceci est pertinent pour la discussion:

Citation

Perhaps you would like to say that these images must be things existing in the mind, mental
images, mental entities. I do not know how far you are willing to trust this sort of talk, whether as part of
folk psychology or in some more technical guise within cognitive psychology. But we have for a long
time, at least since Wittgenstein, found it impossible to rely on it uncritically. You may know Wittgen-
stein's demonstration that the very idea of a mental image makes it something fundamentally unlike a real
image, so that the analogy pretty well destroys itself. This is his demonstration from the so-called "duck-
rabbit" picture, an optical illusion which is seen alternately (and quite spontaneously) either as a duck or
as a rabbit. This sort of phenomenon is what supported the idea of mental images, for the explanation
offered was that when two people look at the real picture, and see something different, they have different
mental images. For this sort of explanation to work at all, we have to say that a real image is something
that can be seen in two different ways, while a mental image is something that can only be seen in one
way. But it is crucial to the very idea of a real image that it is something that can be seen in different
ways -- so, conclusion, mental images aren't images at all.

 

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